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"C'est la plus grosse production que j'ai faite" : Nous avons pu discuter avec Olivier Derivière pour la sortie de South of Midnight !

"C'est la plus grosse production que j'ai faite" : Nous avons pu discuter avec Olivier Derivière pour la sortie de South of Midnight !

Dans quelques jours à peine, le jeu vidéo South of Midnight sortira enfin sur Xbox Series et PC. A cette occasion, nous avons pu interviewer Olivier Derivière pour en apprendre plus sur la composition de musique de jeux vidéo et surtout sur le music design, ou comment adapter la musique au gameplay.

'C'est la plus grosse production que j'ai faite' : Nous avons pu discuter avec Olivier Derivière pour la sortie de South of Midnight !

Quand on joue à un jeu vidéo, on note souvent en premier plan son gameplay ou ses effets visuels impressionnants, qu’ils soient réalistes ou stylisés. Mais en plus de nous flatter la rétine, la plupart des bons jeux vidéo font aussi l’effort d’avoir une bande-originale d’exception. Tout le monde se souvient par exemple des musiques de Skyrim ou même du thème d’Assassin’s Creed II repris ensuite dans toute la saga. Plus récemment, les cuivres de Helldivers II ont aussi grandement participé au succès phénoménal du jeu grâce au pouvoir martial qu’ils inspirent.

En France, nous avons la chance d’avoir un compositeur particulièrement reconnu. Il faut dire que depuis sa première bande-son de jeu en 2004, il a participé à plus d’une vingtaine de titres différents et que la plupart d’entre eux ont justement été applaudis pour leur musique. Certains se sont même démarqués grâce à une musique directement mise en lien avec le gameplay, qui s’adapte en fonction de ce que fait le joueur. C’était par exemple le cas pour les récents A Plague Tale : Requiem ou Dying Light 2, et c’est précisément le défi que se lance également South of Midnight qui sortira dans quelques jours à peine. Ces bandes-originales sont toutes signées Olivier Derivière, et nous avons eu la chance de pouvoir nous entretenir avec lui dans son studio pendant un peu moins d’une heure. Ci-dessous, retrouvez ses réponses détaillées à notre vingtaine de questions, séparées en trois parties distinctes.

South of Midnight

Comment travaille un compositeur de jeux vidéo ?

  • Comment es-tu arrivé à faire de la composition de musiques de jeu ? Est-ce que c’était un hasard, un choix ?

Ah non, c’est ni un hasard, ni un choix, c’est une destinée. Dans le sens où le jeu vidéo… Je ne sais pas si c’est une passion ou une raison de vivre mais depuis que j’ai vu un pixel bouger c’était fini, c’était pour la vie. Et la musique, comme j’ai été au conservatoire dès le plus jeune âge et que j’ai développé de manière totalement inconsciente la capacité d’écrire de la musique, m’en est venu l’idée de faire de la musique de jeux vidéo. A 14 ans je faisais déjà ce qu’on appelle du “demo-making” avec un groupe que j’avais fondé et on faisait plein de démos dans toute la France et ailleurs, et je suis arrivé aux jeux vidéo de façon extrêmement naturelle. Par contre, qu’on ne se le cache pas, c’est très difficile de faire ce métier.

  • J’allais justement demander comment on entre dans cette industrie ?

Alors il n’y a pas de recette, il n’y a pas de miracle, il y a de la chance pour la plupart d’entre nous, pour moi aussi bien entendu. La différence c’est qu’il y en a qui vont arriver dans le jeu vidéo par accident, d'autres par défaut et d’autres par envie. Et donc selon, parfois c’est bien heureux et parfois ça ne fonctionne pas. Mais il n’y a pas de chemin précis et je pense que ce ne serait pas une bonne chose que de dire qu’il y a une voie toute tracée.

  • A quoi a-t-on accès quand on compose pour un jeu ? Des images ? Est-ce que tu travailles directement avec les développeurs ? Est-ce que c’est flou, précis ?

En fait, tu vas avoir autant de réponses qu’il y aurait de compositeurs je pense. Il ne faut pas penser qu’il y a une méthodologie, une approche. Je vais parler de la mienne. Je suis quelqu’un d'extrêmement singulier dans la profession parce que je fais partie de l’équipe de production très en amont des choses. Un jeu vidéo c’est “pré-production, production, fin de production”, moi je suis là dès la pré-production parce que je travaille aussi bien le côté artistique (à savoir qu’est-ce qu’on va faire pour la musique) que le côté technique qui est pour le music design. Et ça prend énormément de temps de pouvoir développer le music design et la musique en même temps. Et comme c’est quelque chose que j’ai à cœur, pour les joueurs, ça peut me prendre jusqu’à deux, trois, quatre ans en fonction des productions. La plus longue aura été trois ans et demi, c’était Dying Light 2.

Dying Light 2 - South of Midnight
Dying Light 2
Techland
  • Tu as récemment fait la musique du film Les Gueules Noires. Quelles sont les différences entre faire de la musique pour un film ou pour un jeu vidéo ?

Tout. Quelles sont les différences entre un jeu vidéo et un film ? Il y a des cut-scenes dans les jeux vidéo, très bien, mais il y a pas d’acting comme dans les films, enfin bon. Tout est différent quasiment, les méthodologies, l’approche. C’est de la musique évidemment, mais tout le reste est complètement différent.

  • Sur ton compte Instagram, tu as mentionné le travail de l’ingénieur son Jérôme Devoise à plusieurs reprises. Est-ce que tu peux expliquer l’importance de ce métier et la différence avec celui de compositeur ?

Aujourd’hui, les compositeurs sont appelés à savoir tout faire. De plus en plus, les outils qu’on leur donne font croire qu’ils sont capables de le faire, sinon que l’outil est capable de le faire sans eux. Il en va de ça depuis la composition jusqu’au mixage. Et en fait qu’est-ce qu'un ingénieur du son, quelqu’un qui va mixer de la musique, c’est un peu comme un directeur de la photographie dans le cinéma. Il va mettre en lumière tous les aspects de la musique, et je pense que c’est un vrai métier et que c’est pas un métier technique comme ce que beaucoup pensent. C’est très technique bien entendu mais c’est aussi une question de goût. Il faut que l’ingénieur du son ait du goût dans ce qu’il fait et c’est quelque chose qui va apporter énormément à la musique quand elle est enregistrée. C’est essentiel comme profession, et évidemment on ne peut pas être bon et excellent partout donc il vaut mieux s’entourer plutôt que d’essayer de faire les choses à moitié.

  • Je vois qu’il y a plusieurs personnes dans le studio. C’est important de travailler avec plusieurs personnes dans ce domaine ?

Oui. Les personnes qui sont ici avec moi m’aident avec l’implémentation de la musique dans le music design. Auparavant, pendant les 3 ans que j’ai passé sur Dying Light, j’étais seul. C’est pendant Dying Light que je me suis dit “Bon, passer des jours et des jours à insérer des waveform, à tester ça dans le jeu avec tous les bugs que ça implique et le temps que ça prend, c’est trop chronophage”. Donc je me suis entouré de personnes qui viennent faire tout ce labeur, mais ensemble on essaie d’être créatif sur le music design. Je suis pas un grand autoritaire, tyran, qui impose sa loi et sa vision. J’aime quand les gens participent.

  • On va beaucoup parler de musique aujourd’hui, mais est-ce que tu participes aussi au sound design (bruits environnants, etc.) ou est-ce un tout autre métier ?

Déjà c’est un tout autre métier, évidemment. Moi j’ai pu faire ça dans ma jeunesse. Comme ingénieur du son, c’est un vrai métier artistique, il y a des sound designers qui sont vraiment très talentueux. Et je pense que même si un compositeur très talentueux peut faire du sound design comme un sound designer pourrait faire de la musique, se spécialiser rend l’exercice beaucoup plus profond. Donc j’ai pu le faire mais je laisse ça aux vrais.

A Plague Tale : Requiem - South of Midnight
A Plague Tale : Requiem
Asobo Studio

Music design, Dying Light 2, A Plague Tale… Cerner le style de Olivier Derivière

  • Tu parles beaucoup de music design dans ta carrière, par rapport à la « simple » création d’une belle OST. Peux-tu nous expliquer en quoi c’est important et la différence entre les deux ?

Il faut considérer le jeu vidéo pour ce qu’il est. C’est-à-dire un médium dont le cœur est le game design. Le game design, c’est ce qui fait le jeu vidéo, c’est ce qui donne les règles du jeu vidéo. Dans un film, ce qui va faire son cœur c’est le script. On peut tout à fait écrire une musique selon un script. Ça s'est fait des tonnes de fois. Mais ensuite, on réalise le film, et il faut faire en sorte que la musique fonctionne avec le film à l’image. Et on va avoir plusieurs degrés d’implication du compositeur. Il y a des compositeurs de musique de film (je vais revenir aux jeux vidéo) qui vont avoir une approche vraiment distante par rapport au film (ou même des réalisateurs qui ne veulent pas que la musique soit à l’image) et ils vont mettre derrière un background musical qui peut très bien fonctionner mais qui ne sera pas adapté à l’image. Et puis il peut y avoir Star Wars, où chaque note est prévue pour quasiment une frame d’image. Donc c’est imaginer la musique de film faite par John Williams sans avoir vu le film, ou en ayant vu le film.

Star Wars : Episode IV - Un Nouvel Espoir - South of Midnight
Star Wars : Episode IV - Un Nouvel Espoir
Lucasfilm

En transférant ça au jeu vidéo, il faut se dire “Moi je suis compositeur, je sais que le coeur du jeu vidéo c’est le gameplay, le game design, le level design, etc. Qu’est-ce que je fais de ça avec ma musique ?” Avant tout, il faut créer une identité, mais il n’y a pas besoin du gameplay pour ça. Mais si je prends la manette en main et que je commence à jouer, je commence à découvrir ce qui va être le plus important pour les joueurs. Parce que, à l’inverse du film, la musique dans le jeu vidéo n’est pas uniquement illustrative, elle est fonctionnelle. On va avoir grâce à la musique des informations sur ce qui est en train de se passer. Sur si on a réussi, si on a raté. On va avoir plein de choses qui sont de l’ordre de la fonction, et qui fait que quand on fait de la musique de jeu vidéo comme moi je l’approche, on a la musique qui s’active sur l’expérience du joueur et pas juste sur une illustration dans le lointain.

  • Dans Dying Light 2, la musique est complètement adaptative et change en fonction de ce que le joueur fait, comment il se déplace, se bat, etc. Techniquement, comment on arrive à ce résultat ?

Travailler sur le music design, c’est avant tout travailler en équipe. Il faut travailler avec le creative director, avec les codeurs, avec les game designers, et se demander quelles sont les règles, quels sont les systèmes. Ensuite, il faut transférer ça sur des outils qui sont démocratisés aujourd’hui comme Audiokinetic Wwise, qui est un outil utilisé dans énormément de productions (Halo, Assassin’s Creed, Cyberpunk, etc.). Cet outil-là permet à des personnes comme moi, des gens qui ne sont pas nécessairement dans le code, de récupérer les informations discutées avec les game designers et d’en faire notre bac à sable. Mais ça reste une énorme relation entre eux et nous. On est ensemble, à des étages différents.

  • Donc si je comprends bien, si on veut faire du music design comme tu le fais, il faut forcément faire partie de l’équipe de développement.

Exactement, il n’y a aucune autre issue possible si on veut faire du music design. Mais attention, on peut très bien être compositeur ne comprenant rien au music design et s’entourer d’un music designer. Mais le travail, qui sera peut-être très bien, sera toujours différent de quand c’est le compositeur qui fait le music design.

Dying Light 2 - South of Midnight
Dying Light 2
Techland
  • Quand on écoute tes OST de jeux axés sur des personnages comme A Plague Tale on remarque que tu utilises beaucoup de thèmes musicaux, qui vont revenir, qui vont être modifiés, adaptés au fur et à mesure de l’histoire. Personnellement je trouve que c’est un excellent moyen de soutenir la narration et j’ai l’impression que ça se fait de moins en moins. Est-ce que c’est un procédé important pour toi ? Est-ce que tu partages mon impression ?

A 100%. Ça me fait un peu sourire parce que la mélodie s’est perdue dans les années 2000 dans le cinéma. Le Seigneur des Anneaux c’était peut-être les dernières grandes mélodies, les grands thèmes qu’on ait pu avoir. Depuis, on n'a quasiment plus rien. Le Batman de Zimmer n’a pas de mélodie en tant que telle. La mélodie, le thème a été ringardisé. C’est quelque chose qui a toujours été au cœur de mon écriture parce que la “mélodie” qui devient un thème c’est quelque chose qui est substantiel, ça a une personnalité. Et c’est une personnalité qui a un discours. Donc on peut avoir des discours sur des textures, mais c’est un discours qui va être très brouillon, très compliqué à lire. Mais on a par exemple Matrix, qui n’a aucune mélodie et qui pourtant, dans ses textures et la façon dont Don Davis a écrit, on écoute 4 secondes et ont sait tout de suite que c’est Matrix.

Matrix - South of Midnight
Matrix
Warner Bros.

Donc c’est tout à fait possible de le faire mais il faut être un génie comme Don Davis. Moi je suis pas aussi génial que lui donc je fais de la mélodie et j’ai toujours eu à cœur de faire de la mélodie parce que, exactement comme tu le dis : on a des renvois, on a des rappels. C’est vieux comme le monde que d’utiliser la mélodie pour ça et moi je trouve ça absolument excitant de se dire que n’importe qui peut après la chanter ou que ça reste en tête.

  • Selon tes projets, tu utilises souvent des orchestres ou au moins des musiciens. Est-ce que ça t’arrives d’utiliser de la musique complètement numérique ? Si oui, comment, quels logiciels ? Quels avantages à utiliser l’un ou l’autre ?

Alors, selon les projets je vais faire de la musique plus ou moins électronique. Dernièrement j’ai fait deux projets où c’était que de l'électro quasiment (Streets of Rage 4 et Park Beyond). En fait, j’adore la musique électronique, je n’écoute que de la musique électronique. Je rentre chez moi je mets soit le dernier album de Kettel, d’Aphex Twin… hier j’écoutais du Plaid et du Boards of Canada évidemment. La musique électronique fait partie de l’histoire du jeu vidéo. Mais justement aujourd’hui c’est un peu le cliché dans lequel j’ai pas voulu tomber sur Streets of Rage 4. C’est un cliché que je comprends, mais qui ne m’intéresse pas trop. Ce qui est marrant c’est que dans A Plague Tale par exemple il y a énormément de musique électronique dedans mais les gens s’en rendent pas compte.

Streets of Rage 4 - South of Midnight
Streets of Rage 4
Dotemu

Pour ce qui est des outils, je pense qu’un simple ordinateur, aussi limité soit-il, peut nous permettre de faire des choses extraordinaires. J’aime beaucoup l’électronique pour ça, mais il est vrai que d’avoir des musiciens ensuite, le live, c’est pour créer d’autres types de musiques. D’autres types d’émotions… et encore pas vraiment parce qu’Aphex Twin en l'occurrence il est capable de créer des émotions tel un orchestre pourrait les créer. Mais c’est aussi la collaboration. Dès lors qu’on a des gens qui performent la musique, automatiquement on en perd une part de paternité parce qu’ils se l’approprient. Et c’est ça qui est magique parce que d’un coup on entend quelque chose par la voix de quelqu’un d’autre et soudain ça se construit. Moi j’adore ça.

  • Tu as travaillé pour des jeux avec des ambiances complètement différentes. Est-ce que tu as une préférence ?

Non, moi j’aime bien justement passer d’une ambiance à l’autre. Ce que je ne supporterais pas c’est de faire tout le temps la même chose. Ce serait un truc qui, en tant que créatif, serait dommageable. J’ai eu la chance, ou la malchance ça dépend, de ne jamais avoir eu de “hit game”. C’est-à-dire un jeu qui ferait “Ouaaah, CE jeu-là c’est Olivier Derivière”, et qui aurait fait que les gens ne s’attendraient qu’à avoir ça à l’avenir. Vu que les gens ne me connaissent pas trop, je fais un peu ce que je veux et j’aime bien.

  • Alors les gens ne te connaissent pas trop mais quand on regarde ta carrière il y a Alone in the Dark, Remember Me, A Plague Tale, Dying Light… j’en passe plein.

Des jeux franco-français hein, à part Dying Light.

  • C’est vrai, mais j’ai l’impression qu’à chaque fois que tu travailles sur un titre, on retient sa musique. On le voit dans les tests, dans plein de retours. Avec le recul, qu’est-ce que tu penses de ton travail ?

Qu’est-ce que je pense de mon travail ? Je suis français, je vais te répondre comme un bon français : je pense que c’est de la merde ! Non, je pense que la chance que j’ai eue c’est que les personnes avec qui j’ai travaillé m’ont laissé la liberté et la place de pouvoir faire la musique que j’ai pu faire. Et pour ça je les en remercie et je pense que c’est quelque chose qui est globalement sous-estimé de la part des gens dans le jeu vidéo en général et surtout des compositeurs et compositrices qui se cantonnent à faire du cliché. Que ce soit du cliché japonais, du cliché Hans Zimmer, du cliché John Williams, du cliché jeu vidéo… Alors que le jeu vidéo justement a la capacité d’accueillir de nouvelles choses.

Et c’est pour ça que je trouve ça fabuleux qu’ils m’aient laissé faire ce que j’ai pu faire parce que comme tu le vois c’est vraiment éclectique ce que je fais. Et surtout c’est rarement quelque chose que t’as déjà entendu. T’as cité Remember Me, A Plague Tale, c’est quand même pas des choses que t’entends tous les jours, et c’est dû à cette ouverture d’esprit de ces gens-là et du jeu vidéo en général. Donc quand je me retourne, je suis extrêmement reconnaissant, et même si oui les journalistes aiment la musique, je suis là pour le jeu ! Si à la fin personne joue au jeu, quel intérêt ?

South of Midnight, un projet d’envergure

  • South of Midnight puise tout son contexte dans les mythes et les légendes qui entourent le Sud profond des Etats-Unis. C’est pas forcément quelque chose qu’on a beaucoup l’habitude de voir. Est-ce que tu as dû faire des recherches ou est-ce que c’était quelque chose que tu connaissais déjà ?

Je ne fais jamais de recherches. Je ne vais pas aller écouter de la musique qui va m’inspirer, parce que tout bon artiste que je suis, je suis une éponge. Donc si je commence à aller écouter des choses, je vais finir par les répéter. Donc c’est nécessairement quelque chose que j’évite. Maintenant, j’ai eu besoin pour ce projet-là qui se passe dans ce Sud fantastique d’aller chercher des gens qui expriment des couleurs, de la matière de part leur background, l’accent de comment ils chantent, etc. Donc on est allés chercher des gens à Nashville et on a enregistré là-bas.

Mais c’est vrai que moi personnellement ma connaissance musicale se borne à ce que mon père écoutait quand j’étais gamin et c’est grâce à lui d’ailleurs que je peux faire de la musique comme j’en fais. C’est juste de la mémoire que j’ai de tout ce qu’il a pu écouter et tout ce que je fais c’est que je lui repique tout.

  • Du coup il écoutait de l’électro ?

Ah non ! Il écoutait pas de l’électro c’est le seul truc qu’il a jamais écouté c’est marrant. C’est peut-être pour ça, c’est le fils rebelle. Mais pour ce qui est du Deep South c’était vraiment Creedence Clearwater (Revival, ndlr.), Louis Armstrong, tous les negro spiritual qu’il a pu écouter, Miles Davis… Toutes ces choses-là qui venaient du Sud, tous les classiques de la soul, James Brown… Quand j’avais entre 5 et 15 ans, j’ai été baigné là-dedans. Au-delà de tout le reste ! Parce qu’il a aussi écouté les chants africains, les chants bulgares, les chants estoniens… Tout ce que moi je fais quelque part c’est parce qu’il m’y a exposé. C’est aux parents de faire l’exercice, pas aux enfants.

South of Midnight - South of Midnight
South of Midnight
Compulsion Games
  • On en a déjà un peu parlé mais le style de South of Midnight est assez radicalement différent d’un Dying Light ou d’un A Plague Tale. Est-ce que c’est quelque chose qui pouvait te faire peur ?

Ah mais si, ça me fait toujours peur ! Moi je flippe tout le temps ! Chaque début de projet… En fait c’est marrant parce qu’une fois je parlais à un creative director et je lui disais “Tu sais que je ne sais absolument pas ce que je vais faire et que j’ai vachement peur ?” Et il m’a répondu “C’est exactement pour ça que je travaille avec toi”. Et là c’est pareil. Quand j’ai commencé South of Midnight, déjà je leur ai posé la question en mode “Les gars, je suis pas américain. Si vous voulez de la musique américaine, allez chercher un compositeur qui joue du banjo et compagnie” et ils m’ont dit “Non, non, justement, on te connait, on veut quelque chose de spécial”. Donc déjà, j’avais la pression. Et en plus de ça le creative director me dit au deuxième rendez-vous “De toute façon dans le jeu je veux pas de musique”. Et quand le creative director dit ça au compositeur, le compositeur se doit de comprendre le pourquoi du comment il vient de dire ça. Parce qu’il sait très bien qu’il s’adresse au compositeur. Et c’est d’ailleurs pour ça qu’on a fini avec des chansons.

  • En composant pour A Plague Tale, tu as dû utiliser des instruments médiévaux qu’on entend rarement. Est-ce que pour South of Midnight, tu as aussi dû expérimenter avec des instruments dont tu n’as pas l’habitude de te servir ?

Complètement. La guitare déjà, c’est quelque chose que j’avais très peu fait. Et heureusement en France on a un guitariste de génie qui s’appelle Giani Caserotto (je sais que ça sonne italien mais il est français). Et Giani est un génie de la guitare qui peut parcourir tous les styles. Il a joué sur A Plague Tale, il a joué sur Dying Light, il joue excessivement, énormément sur South of Midnight, et il fait aussi le banjo.

Mais c’est aussi des instruments comme les organes dans les churches (églises, ndlr.) au fin fond de l’amérique qui sont jouées par les communautés noires. On a fait appel à David Warren à Nashville, dont c’est le métier, et même si moi je peux feindre le son etc, c’est toute une culture qui est derrière tout ça. Travailler avec des gens comme ça, moi ça me permet de découvrir des instruments, de découvrir des styles, des personnalités… Ça ne peut pas venir de moi. C’est pour ça qu’il y a eu énormément de musiciens sur South of Midnight. C’est la plus grosse production que j’ai faite. C’est phénoménal, et d’ailleurs je tiens à le dire, c’est grâce au soutien de Compulsion Games et de Xbox, parce que des productions comme ça même à Hollywood ils en font plus. Donc c’est vraiment incroyable on a beaucoup de chance.

South of Midnight - South of Midnight
South of Midnight
Compulsion Games
  • L’OST de South of Midnight est divisée en trois albums. Il y a l’OST « classique », les Jams et un album de chansons que t’as évoqué tout à l’heure. J’ai l’impression que ça fait trois fois plus de travail, je me trompe ?

Non ! Comme je l’ai dit c’est ma plus grosse production, ça a été énormément de travail étalé sur deux ans et demi avec des enregistrements à Nashville, à Londres (pour l’orchestre à l’Abbey Road)... Ici à Paris il y avait les trompettistes ici, les clarinettistes et les saxophonistes là… Les chanteurs, bien sûr globalement tous à Nashville. Et en fait, c’était parce que justement le creative director disait “je ne veux pas de musique” qu’il a fallu sortir de la tradition de la soundtrack. Même s’il y a une soundtrack en tant que telle, quand vous allez jouer au jeu, ça va rapidement taper dans l’oreille des gens et ils vont se dire “Mais attends, c’est pas comme d’habitude. La musique, il se passe ci, il se passe ça, normalement c’est pas comme ça.” Alors au début on a l’impression que c’est normal et puis après ça change.

Tout ça c’est dû à l’aspiration du creative director de ne pas faire de la musique comme on en ferait d’habitude, et de l’autre côté au music design. Et tout ça mélangé a donné ce qu’on a fait sur South of Midnight et donc le besoin d’avoir autant de variété.

  • Un des trois albums de South of Midnight est dédié aux chansons. C’est assez rare qu’il y ait de la voix et limite de la pop/comédie musicale dans une OST, c’était ton idée ? Comment on intègre ça au reste de l’OST ?

C’est une idée d’équipe. Comme toujours. Je ramène tout à l’équipe. Avoir une idée c’est sympa, mais il faut pouvoir la faire aussi. Moi j’ai une super idée de jeu vidéo : c’est GTA mais x10000 ! Tu vois ce que je veux dire ? C’est hyper facile d’avoir des idées. Après faut savoir bien les faire. Beaucoup de jeux ont utilisé des chansons quand même auparavant. Et qui ont marqué les esprits pour certains. On peut prendre Red Dead Redemption quand on va au Mexique, on peut prendre Death Stranding dernièrement, là le prochain avec Woodkid, et sur les productions japonaises en veux-tu en voilà des chansons ! Nier Automata, etc. On sait très bien que la chanson a toujours été dans le jeu vidéo quelque part.

La particularité de South of Midnight c’est que la façon dont on utilise les chansons est radicalement différente sur le music design, et pour ce qui est de la composition, les paroles racontent l’histoire dans le jeu. Mais c’est raconté par un chœur d’enfants sur le niveau et ensuite c’est raconté par un chanteur qui est la version de la chanson. Donc c’est toute une organisation autour de la chanson et c’est pas uniquement pour un point précis qu’on va mettre une chanson. En fait la chanson est centrale au niveau. Et c’est ça qui est très différent des autres jeux vidéo.

  • Alors justement j’allais demander, en écoutant les trois albums j’ai déjà entendu des thèmes musicaux récurrents, mais j’ai du mal à voir comment ça se traduira en termes de music design. Est-ce que tu peux développer un peu ?

Je peux développer mais ça enlève la surprise ! Ce que je peux dire c’est que c’est assez difficile de décrire l’expérience de South of Midnight vis-à-vis de la musique. En la décrivant, quelque part, on la diminue. Alors forcément les américains et les anglais vont mieux comprendre que les francophones parce que les paroles sont en anglais. C’est quelque chose qu’on a pas pu traduire parce que sinon je pense que je serais sous terre à devoir faire toutes les versions avec les enfants et tout ça. Mais c’est une expérience qui va accompagner le joueur dans tous les niveaux quasiment, et de manière exceptionnelle. Mais je peux pas trop raconter, il va falloir y jouer !

South of Midnight - South of Midnight
South of Midnight
Compulsion Games
  • Tu disais tout à l’heure que tu ne voulais pas trop écouter de choses de peur de les copier. Par rapport à ce fameux album de chansons, est-ce que tu écoutes de la musique populaire et est-ce que ça pourrait t’influencer dans ce genre de projets ?

Alors, je n’écoute jamais d’OST. Ça ne m’intéresse absolument pas. Je joue au jeu, je regarde la musique dans le jeu, je l’apprécie et tout ça… Il n’y a peut-être qu’une seule OST que je vais écouter en dehors du jeu c’est Skyrim. Ca, y a pas de problème, je l’écoute parce que ça se tient. Mais en ce qui concerne la musique, j’écoute énormément de choses différentes et je suis surtout en demande. Je suis une éponge, donc j’écoute et je picore. Et ce serait la pire des choses que d’aller écouter des OST puisque quelque part ce serait tourner en rond. Il faut aller chercher dans la musique extérieure ce que ces gens font, et c’est ce qu’a fait Zimmer quand il est arrivé avec ses chars à Hollywood. Il a dit “Non mais attendez, vous avec votre musique symphonique qui tourne en rond depuis des dizaines d’années, moi je viens avec mes gros synthés, mes guitares électriques, mes gros trucs” et puis d’un coup ça a été une révolution et c’était génial ! Plus après. Mais y a eu un grand passage génial.

  • J’ai lu dans un livre sur A Plague Tale que tu as été particulièrement fier de pouvoir travailler avec le Chœur de chambre philharmonique estonien. Est-ce qu’il y a une chose dans South of Midnight qui t’as rendu particulièrement fier et que tu espères que les joueurs remarqueront ?

Ah non mais South of Midnight, un peu comme toutes mes soundtracks je pense, c’est un passage exceptionnel dans ma carrière. Je pense que je ne ferai plus jamais ça. Je fais mon truc de mon côté, je donne le maximum, je réfléchis pas tellement à ce que je suis en train de faire quand je le fais. Par contre je sais que ce que je fais c’est quelque chose que je sais pas faire. Et donc je ne sais pas ce que ça va donner. Et quand on arrive à la fin, qu’on est au mastering, qu’on écoute la musique, on est satisfait de l’effort. Parce que quand t’as écouté les trois albums de South of Midnight, je sais pas quelle a été ton impression mais j’imagine que tu t’es au moins dit “C’est de la qualité”. Qu’on aime ou qu’on aime pas, tu peux pas te dire “Oh là là c’est un peu bancal”. Donc là dessus, l’effort est récompensé.

South of Midnight - South of Midnight
South of Midnight
Compulsion Games

Mais après, je suis pas là pour tenter d’avoir des écoutes sur Spotify, ni avoir un fanclub, ni faire de la musique facile et faire en sorte que les gens m’applaudissent dans la rue. Je pense que tout bon compositeur peut faire de la musique qui plaise. C’est pas ce que je tente de faire. Je laisse aux gens l’appréciation de pouvoir ou pas aimer la musique et de juger si ça fonctionne sur le jeu. C’est le principal pour moi. La meilleure des récompenses c’est pas quand quelqu’un vient me voir en disant “J’ai adoré la musique de A Plague Tale ou de Streets of Rage, ou de Dying Light”, même si on est content, ça flatte l’égo. C’est surtout s’ils me disent “Oh là là, le parkour de Dying Light avec la musique c’est incroyable” ou “La musique dans A Plague Tale quand je suis dans la grange et qu’il y a la musique qui se lance !” C’est ça qui m’intéresse parce que c’est sur cette expérience là que je me concentre le plus. La musique étant un outil en plus qu’on utilise, nous développeurs, pour créer l’expérience pour les joueurs.

Et c’est ça qui est un peu injuste. C’est que les développeurs vont avoir cette espèce d’entité : c’est le développeur. Et dans les tests et les retours, les joueurs vont dire “c’est développé par tel studio mais c’est Olivier Derivière qui a fait la musique”. Moi il y a mon nom, mais dans les développeurs il y a beaucoup de gens ! Olivier Ponsonnet pour ce qui est de la direction artistique de A Plague Tale, on devrait faire une stèle pour lui au Louvre en disant “Voilà quelqu’un qui est incroyable !” C’est pareil pour l’auteur, et tous ces gens qui ne sont pas cités. Et quelque part j’aurais préféré être avec ces gens-là et ne pas être cité et qu’on soit cet espèce de bloc. Comme ça y a plus d’égo, on est tous ensemble. Et c’est ça qui me plait. Je laisse aux joueurs et aux joueuses le soin de juger ou pas si la musique est bien. C’est à eux de savoir, pas à moi.

  • Dernière question, est-ce qu’il y a quelque chose à propos de South of Midnight que tu aimerais développer et que je n’aurais pas abordé avec mes questions ?

South of Midnight, c’est avant tout ce que le jeu vidéo propose de mieux pour moi, c'est-à-dire un nouvel univers. Quelque chose qu’on a jamais vu nulle part. Et je pense que c’est pour ça que le jeu vidéo existe me concernant. J’aime le voyage, j’aime la proposition artistique, c’est Compulsion Games qui fait ça donc ils ont un antécédent là-dessus, ce sont des grands artistes. Le jeu va être simple, il ne va pas chercher à révolutionner le gameplay, mais je pense que c’est par son voyage que les joueurs vont apprécier la proposition et je leur souhaite de prendre du plaisir. C’est un jeu pour prendre du plaisir, c’est pas un jeu à challenge. Il y a plusieurs niveaux de difficulté mais on n'est pas sur un Dark Souls ou sur un Monster Hunter. J’espère que les joueurs vont apprécier le jeu pour ce qu’il est, et pas pour ce qu’il n’est pas.

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Compulsion Games et Xbox Game Studios nous proposent un jeu d'action-aventure peu conventionnel en Stop Motion, aux commandes d'une adolescente plongée dans les mythes et légendes du sud profond des USA. Voici notre avis sur une des exclusivités les plus originales de l'année.

Kevin Hirigoyen

Joueur depuis 1998, je préfère 100 fois un bon jeu couloir bien rythmé à un open-world fainéant qui ruine toute tension scénaristique. Je vous ai déjà parlé de Life is Strange ?