Tout juste quelques semaines plus tôt, Blizzard a déployé le Patch 10.1.7 sur les royaumes de World of Warcraft : Dragonflight. Une excellente nouvelle apportant un certain nombre de nouveautés, notamment un système de "ping" attendu par une partie de la communauté de joueurs. Parmi elles, on retrouve aussi l'arrivée d'une nouvelle suite de quêtes exclusive dédiée aux Elfes de la Nuit et permettant aux personnages incarnant cette race d'acquérir une somptueuse armure ancestrale : la Parure de protecteur kaldorei.
Malheureusement, cette succession de quêtes ne se sera finalement fait attendre que pour mieux nous décevoir. Plus encore, on ressort de cette petite demi-heure assez agacés tant le même schéma narratif a été exploité depuis le début de l'extension de Dragonflight, et même antérieurement avec certains autres personnages. Une sensation partagée par d'autres joueurs, notamment Evanessor et Malganyr dont les travaux m'ont servi à appuyer mon propos après avoir terminé cette série de quêtes.
Dès le départ la fumisterie se met en place
La première chose qui m'a personnellement frappé en tant que joueur était la façon dont on nous amenait quelque chose qui allait se révéler être une immense séance de vénération à la première version de World of Warcraft. On nous présente à peine une Kaldorei répondant au nom d'Arko'narin Ombrétoile qui serait une Gardienne et qui aurait été missionnée par Tyrande en personne pour enquêter sur la recrudescence de démons à Jaedenar, en Gangrebois.
Si ce nom ne vous dit rien parce que vous avez commencé WoW après Cataclysm c'est bien normal : Arko'narin est en fait un personnage que l'on rencontre pour la première fois à WoW Vanilla (la première version du jeu). Elle est à cette époque prisonnière dans un refuge des saisons corrompu de Gangrebois et elle vous offre une quête qui consiste à l'escorter jusque dans les tréfonds de ce lieu maudit afin de récupérer l'épée de son ami, un certain Trey Lifghtforge qui a été torturé et tué à proximité, avant d'aider la jeune Elfe de la nuit à s'en extirper. A l'issue de cette quête, qui est l'une des plus difficiles du jeu même au niveau maximum, vous combattez finalement l'esprit torturé de Trey Lightforge, et Arkon'arin s'enfuit avec l'épée de Trey en souvenir une fois libérée. Ça, c'est pour le contexte !
Même si cela ressemble à un énième hommage un peu lourd à Vanilla, on ne peut s'empêcher d'être au moins un peu enthousiaste à l'idée que le personnage d'Arko'narin ait pu évoluer et avoir accès à un avenir digne de ce nom : elle est devenue une Gardienne tout de même, ce n'est pas rien ! Outre cela, après quelques élucubrations à propos du traumatisme d'Arko'narin et la découverte de son petit frère, Lysander Ombrétoile, les préparatifs sont faits et nous voilà partis pour Gangrebois.
Des traditions balayées par le manque de connaissance
C'est dès mon arrivée en Gangrebois que les soucis ont commencé à réellement poindre le bout de leur nez. Maiev Chantelombre nous attend sur place et nous fait le topo : une prêtresse d'Élune, Kaylessa, avait pour objectif de purifier le puits de lune de Jaedenar pour que les Kaldorei puissent reprendre le contrôle de la zone. Elle a été tuée, et maintenant c'est à nous d'endosser son rôle, et si c'est Arko'narin qui été choisie pour nous accompagner c'est précisément parce qu'elle connait bien les lieux (logique, elle y a été captive). Pourquoi pas !
Et là, premier scandale : on nous révèle que la mère de la fratrie Ombrétoile "dormait" dans le refuge des saisons avant que celui-ci ne soit corrompu par la présence impie des démons. On nous sous-entend donc qu'une femme Elfe de la Nuit était Druidesse avant les événements de Warcraft III, ce qui est fondamentalement impossible puisque la société Kaldorei a, à cette époque, pour particularité majeure de ne permettre qu'aux hommes d'être des Druides, et aux femmes d'être des Sentinelles ou Gardiennes. C'est pourtant ce qui fait la base de cette société, et il semble lunaire (sans mauvais jeu de mots) qu'un Quest Designer alloué à une suite de quêtes dédiée aux Elfes de la Nuit ne soit vraisemblablement pas au courant !
Il est d'ailleurs intéressant de mentionner que durant notre petite percée jusqu'au Fort des Ombres on rencontre à peu près le même bestiaire que celui qui était présent à WoW Vanilla : principalement des cultistes pour faire simple. Mais, quand on prête une attention un peu plus appuyée aux PNJs qui ont servi à créer cette quête (comme l'ont fait Malganyr et Evanessor dans la vidéo susmentionnée) on se rend compte d'un élément fort curieux... Ne seraient-ce pas en partie des Mag'hars qui seraient parmi les troupes de la Légion Ardente ?
Ce point est assez amusant puisqu'il fait écho à un article que j'ai publié il y a quelques temps à propos de l'avenir des Man'aris dans World of Warcraft après l'ajout de leur teinte de peau parmi les options de personnalisation. Cela illustre parfaitement ce que je redoutais : Blizzard se moque allègrement de la cohérence de son univers. Parce qu'un Orc au service de la Légion Ardente est par définition corrompu, et lorsqu'un Orc est corrompu sa peau devient verte. Et là, on nous propose des Mag'hars (qui veut dire "non-corrompu" en Orc en plus, sans compter qu'on se trouve dans l'une des zones les plus fondamentalement corrompues d'Azeroth : GANGREbois, FELwood !) à la peau brune supposés être corrompus. Un détail pour certains, et qui contribue pourtant petit-à-petit à effacer toute cohérence dans l'univers du jeu. Vous verrez que dans les années à venir on aura des Man'aris Paladins comme j'ironisais dans mon article, je vous le garantie !
Cachez-moi ce Classic que je ne saurais voir
La suite de la quête n'est guère très intéressante et consiste concrètement à rejouer intégralement les quelques quêtes de Gangrebois de l'époque, retravaillées pour être plus jolies et entrer dans le contexte actuel évidemment. On navigue dans le Fort des Ombres entre diablotins, chiens gangrenés et autres gangregardes afin d'éteindre des braseros de la Légion Ardente, puis trouver le Démoniste que l'on pense être à l'origine de cet afflux de démons, avant de tomber sur un Nathrezim, le Seigneur Hel'nurath, qui s'avère être le véritable instigateur de cette invasion. Hel'nurath est d'ailleurs un personnage très peu exploité de WoW Vanilla qui n'était autre que l'un des chainons menant à l'obtention du Destrier de l'effroi, la monture épique du Démoniste. Aucun contexte sur la présence de ce serviteur du Geôlier ici, un énième hommage sans réel intérêt.
Bref, c'est le même scénario qu'à l'époque et on nous saupoudre tout cela avec quelques échanges entre les protagonistes, inutile de s'attarder dessus tant l'intérêt est faible. Lysander brille particulièrement par son incompétence d'ailleurs. Sa sœur lui a par exemple déjà en partie raconté ce qui s'est joué il y a quelques années dans ce refuge des saisons corrompu, et il fait à plusieurs reprises le pauvre malheureux surpris et empathique, comme s'il ignorait tout alors qu'Arko'narin lui a expliqué quelques minutes plus tôt ! Des échanges assez fatigants et ennuyeux n'ayant guère de sens si ce n'est tenter vainement d'attiser un semblant de pitié pour les héros de cette histoire et leurs parents.
Mention spéciale au final de cette suite de quêtes qui, une fois n'est pas coutume, s'avère être profondément niais : il suffit de tuer le Nathrezim à l'origine de la corruption du puits de lune pour le purifier. Formidable ! Pourquoi la zone de Gangrebois est donc intégralement corrompue depuis Warcraft III alors même que Tichondrius, qui est à l'origine de la corruption de Gangrebois, a été vaincu par Illidan à l'époque ? Il y avait une zone dans laquelle cette fin incohérente avec la réalité de l'univers de Warcraft n'avait aucun sens, et c'est dans celle-ci qu'elle a lieu...
Je suis un Mage, et toi, à quoi tu joues ?
La suite de quêtes culmine avec l'acceptation de Lysander dans l'ordre des Gardiennes par Maïev, faisant de lui le premier Gardien, et par un échange des plus curieux entre eux. Lysander explique en effet à Chantelombre qu'elle a eu raison de s'être méfié des Kaldorei pratiquant la magie arcanique, qu'il la comprend et la pardonne. Sauf que ce n'est pas ça la véritable histoire. Maïev a haï les Shendralar, elle les a traqués et assassinés afin que leur engeance disparaisse une fois pour toutes. Avec cet échange des plus ridicules, Lysander explique donc que Maïev a eu raison de massacrer les siens, et cela ne fait aucun sens surtout sorti de la bouche d'un jeune Kaldorei dont on ignore tout. Qui est-il pour pardonner au nom d'un ordre persécuté ? Quelle légitimité a-t-il ? Aucune.
Pire encore, il n'est à aucun moment fait mention ni des Bien-nés, ni des Shendralar qui sont deux appellations pour désigner la même chose : des mages Kaldorei sous haute surveillance, en gros. Or, en nous obligeant à nous coltiner Lysander tout au long de cette suite de quêtes on aurait sans doute mérité quelques explications quant à son court passé : comment-il est devenu Mage ? Qui l'a mené vers les Shendralar ? Pas un mot, rien, comme si tous les joueurs de WoW connaissaient l'histoire Kaldorei.
Point lore rapide : Les Bien-nés sont des pratiquants de la magie arcanique ayant été à peu de chose près bannis de la civilisation Kaldorei après la destruction du Puits d'éternité. Depuis, ils sont étroitement surveillés par les dirigeants Elfes de la Nuit pour éviter qu'un nouveau désastre se produise. Avec l'extension Cataclysm, ils ont été plus ou moins réintroduits au sein de la société elfe, mais la méfiance à leur égard perdure : les mages ne sont pas encore parfaitement tolérés chez les Kaldorei, et Maïev en particulier nourrit une haine vive à leur égard (cf le roman Cœur de Loup).
Lysander n'est qu'un énième personnage fonction que l'on nous jette au visage, un peu niais sur les bords de surcroît rappelant à sa façon l'aspect ridicule qu'ont les joueurs durant leur phase de montée en niveaux aux yeux des développeurs, ce qui le rend à la fois agaçant et inintéressant. Il n'a rien à faire ici, il ne sert à rien si ce n'est nous parler en boucle de ses parents dont on ne sait au final rien si ce n'est qu'ils étaient Druides. Sont-ils morts ? Quand ? Pourquoi ? Aucune idée !
Du manque de maîtrise à la bêtise nostalgique
Ne vous méprenez pas : il y a des choses cohérentes et sympathiques dans cette suite de quêtes, notamment l'évolution d'Arko'narin et le doublage de Maïev et d'Hel'nurath. Malheureusement, avec Dragonflight les développeurs de World of Warcraft se sont engouffrés dans des hommages répétés et mal faits aux premières extensions du jeu. Ceux-ci sont produits sans réflexion, sans connaissance et j'ai la franche sensation qu'il existe un sérieux manque de maîtrise dans les sujets traités. Cette suite de quêtes aurait pu être intéressante, mais ce qui en a été fait ne mérite vraiment pas que l'on s'en souvienne.
Le pitch était assez prometteur de prime abord : comment la société Kaldorei peut-elle évoluer après des milliers d'années de traditions parfois archaïques ? Mais là encore, Blizzard s'est orienté vers quelque chose de détestable tant dans la narration que le gameplay de World of Warcraft : l'homogénéisation. En effaçant les spécificités de races aussi uniques en leur genre que les Kaldorei, on se dirige simplement une nouvelle fois vers un jeu rempli de races aux sociétés et mœurs identiques bien qu'ayant des formes différentes. Désormais, tous les Elfes de la Nuit peuvent être Mages, Gardiens ou Druides, tout le monde s'en moque. Et cela pourrait être intéressant à développer narrativement en théorie, sauf que ce n'est pas l'objectif réel de cette série de quêtes ce qui mène simplement à un rendu toujours plus fade des sociétés de cet univers.
Ce n'est pas la première fois qu'une suite de quêtes permettant l'obtention d'une armure ancestrale est un échec magistral à presque tous les égards. Pourtant, j'avais une nouvelle fois tout simplement envie de m'arrêter dès les premières quêtes, à l'instar de lorsque j'ai découvert la suite de quêtes dédiée au Vol de Bronze au Patch 10.1.5. Je m'ennuyais profondément, l'empathie que l'on me forçait à avoir pour Lysander n'a jamais pris et la conclusion de l'arc narratif ne sert aucun intérêt autre qu'une quête frénétique et mal narrée d'inclusivité et de normalisation au sein des races de World of Warcraft. La société Kaldorei est par essence matriarcale en plus, quel intérêt féministe y a-t-il à retirer l'une des rares sociétés mettant en valeur les femmes ?
En plus de cela, j'ai la sensation d'avoir joué à WoW Classic, et si l'idée ne me déplait pas loin de là il s'avère que lorsque je lance Dragonflight ce n'est pas pour me retrouver à jouer à Classic, et vice versa. J'ai l'impression qu'on s'est moqué de moi avec cette suite de quêtes, pire même : qu'on m'a pris une nouvelle fois pour un joueur stupide incapable de comprendre autre chose que des références lourdes à Vanilla. Ce n'est pas la première fois dans Dragonflight, et ça commence à m'agacer furieusement, surtout quand cela incarne l'avenir d'une race majeure de cet univers et qu'on a sacrifié toute cohérence pour permettre à une infime minorité de joueurs capables de reconnaître les références d'époque (dont je fais partie) de faire preuve de nostalgie. On m'aurait dit "Va faire les quêtes de Gangrebois sur WoW Classic", le résultat aurait été le même in fine.
WoW Vanilla c'était cool, WoW Classic c'est cool. Il s'agirait cependant, selon moi, que l'histoire cesse de se concentrer sur de bêtes répétitions de choses déjà existantes pour satisfaire une population précise de joueurs. Les années ont passé, le monde de Warcraft a évolué et les joueurs de Dragonflight méritent mieux que répéter sans cesse les mêmes histoires en faisant fi de toute la cohérence de l'univers dans lequel elles ont lieu. Cette recherche continuelle de sympathie à l'égard des nostalgiques des vieilles versions du jeu n'amènera jamais rien de bon narrativement, en plus de ne pas les faire apprécier davantage le jeu moderne. Cela aurait pu être une suite de quêtes intéressante avec quelques hommages au jeu de base, au final c'est l'inverse qui s'est produit... Et cela a ruiné tout son intérêt.