Petite mise en contexte : mercredi 22 février, un élève de seconde a poignardé sa professeure d'espagnol en plein milieu d'un cours. Cette dernière est décédée peu après. Une enquête a été ouverte pour assassinat, et l'adolescent de 16 ans a été mis en examen. Lors de son interrogatoire, la personne aurait déclaré aux enquêteurs avoir entendu des voix lui indiquant de façon répétée que son enseignante incarnait le mal. Selon des sources proches du dossier, l'adolescent aurait des "troubles psy avérés" et aurait tenu des "propos incohérents". Cette information a fait le tour des chaînes nationales, et un journaliste a parlé d'influence des jeux vidéos, avec une déclaration montrant qu'il n'a pas une grande connaissance du monde vidéo-ludique.
Ce qui a été dit et pourquoi c'est problématique
Le journaliste parle ici d'un jeu vidéo incitant à tirer sur des femmes enceintes, pour obtenir des bonus. La plupart des joueurs hausseront probablement les sourcils en entendant cela, ce genre de jeux n'étant pas vraiment populaires. Il y a même fort à parier pour qu'une bonne partie des gamers ne voient même pas de quel jeu il s'agit, et ce dernier n'est pas cité.
Cette sortie est regrettable, parce qu'aujourd'hui aucune étude scientifique n'a prouvé que les jeux vidéos peuvent entraîner des troubles psychiatriques. Des jeux violents et ultra-violents existent, mais pour l'instant il n'y aucune preuve qu'ils puissent causer des troubles mentaux.
Selon une première expertise psychiatrique, l'adolescent n'aurait "en l’état aucune maladie mentale de type schizophrénie, état maniaque, mélancolie ou retard mental, ni aucune décompensation psychiatrique aiguë, mais des éléments de dépression de l’adolescent évoluant depuis une année".
Le procureur chargé de l'affaire a déclaré : " L'adolescent a fait état également de faits de harcèlement dont il aurait été victime dans son précédent établissement et qui l’auraient beaucoup affecté (…). Il avait réalisé au mois d’octobre 2022 une tentative de suicide médicamenteuse". L'élève n'était pas connu des services de justice avant ce drame, et était même un bon élève, ayant obtenu son Brevet avec la mention Très Bien.
Aucune déclaration publique des services de justice ne mentionne les jeux vidéos, ce qui rend donc le parallèle fait par le journaliste encore plus incompréhensible.
Mais de quel jeu vidéo parle-t-il ?
Le jeu vidéo dont parle le journaliste n'a pas été identifié de façon certaine (ce qui explique le troll avec Dora en image d'illustration, pour ne pas mettre en avant un jeu qui ne serait pas visé). Il est vrai qu'il est possible de tuer des innocents dans beaucoup de jeux, que ce soit des hommes, des femmes, des animaux, voire même des enfants dans certains d'entre eux. Néanmoins, très peu de jeux en font le cœur de leur gameplay, et il est encore plus rare de les voir récompenser les joueurs pour cela. Parmi ceux qui encouragent à le faire, on pourrait penser à Carmageddon, un jeu de course ultra-violent où écraser des piétons fait gagner du temps au joueur.
Le jeu visé par le journaliste pourrait être Manhunt, un jeu ultra-violent du studio Rockstar sorti en 2003. Le but du jeu est de progresser à travers des niveaux appelés scènes, en tuant toutes les personnes qui s'y trouvent. Il est possible de les exécuter de plusieurs façons, dont certaines extrêmement violentes. Le joueur est d'ailleurs encouragé à être violent, car cela peut potentiellement lui rapporter plus de points à la fin de la mission. Le jeu a été très critiqué, et même si du point de vue du gameplay, il est plutôt bien noté, il est aussi qualifié d'expérience très dérangeante. Lors du développement, le studio a du faire face aux revendications des développeurs, qui se sont demandés s'ils n'étaient pas en train de franchir une limite avec ce genre de jeux. Les développeurs étaient pourtant habitués à sortir des jeux controversés, comme GTA III et Vice City.
Manhunt s'est même retrouvé au cœur d'une affaire de meurtre au Royaume-Uni, suite à une déclaration disant qu'une copie du jeu avait été trouvée chez l'assassin. La police a démenti cela plus tard, expliquant que le jeu avait été trouvé chez la victime et non pas chez l'assassin. Le meurtre a ensuite été expliqué par un vol lié à de la drogue, qui aurait conduit à cette situation tragique. Aujourd'hui Manhunt est quand même considéré comme un jeu culte par une partie de ses joueurs.Toutes les personnes tuées dans Manhunt sont présentées comme étant des membres de gangs, ce qui n'en fait pas réellement des victimes innocentes selon le studio. Le joueur n'est jamais récompensé pour tuer une femme enceinte. Le but de Manhunt était de proposer une expérience très dérangeante, tout en rendant hommage au genre des jeux d'infiltration.
Les autres candidats auquel pourrait faire référence le journaliste serait la série des Postal ou le jeu Hatred. Dans ces titres, le joueur incarne une personne ayant des troubles mentaux, et qui va commettre des meurtres de masse. Ces jeux n'ont pas spécialement été acclamés par la critique, bien souvent parce qu'ils ne proposent pas grand chose du point de vue du gameplay. Selon les diverses critiques, ils ne réinventent pas le genre et même si ils essaient d'adopter un point de vue "original" au niveau du protagoniste, le traitement de ce dernier est rarement réussi. Ni la licence Postal, ni Hatred n'encouragent spécialement à tuer une femme enceinte, il s'agit surtout de massacrer tous les humains croisés. Bien que décrié par la critique, ils bénéficient quand même d'une fanbase assez solide. Selon les avis steam des fans, le côté complètement décomplexé et la brutalité de ces jeux en font d'excellents défouloir.