Si vous avez déjà mis les pieds en botlane, ou que vous faites partie des joueurs rarissimes acceptant de vous soumettre au rôle, alors vous aurez certainement senti la chose : en dehors du High ELO, où les prodiges du clavier parviennent effectivement à le faire fonctionner et à avoir un véritable impact sur la partie, et — bien évidemment — en faisant fi de la sphère professionnelle, le rôle d'ADC est extrêmement difficile à jouer. Ou plutôt, il semble beaucoup ardu à maîtriser que les autres postes de League of Legends.
Pire encore, que vous le jouiez ou non, il entraîne très souvent une frustration considérable, car la botlane — son lieu de prédilection — peut très rapidement tourner au vinaigre, lorsqu'un côté de la map snowball jusqu'à l'extrême, le plus souvent grâce à un support où un jungler de génie qui nourrit son ADC en lui mettant les kills dans la bouche, comme s'ils étaient des mets d'excellence apportés sur un plateau d'argent.
Quoique ce ne soit pas systématique, le fait de jouer ADC revient souvent à être un funambule, et nombreuses sont les parties normales ou à bas ELO dont l'issue est simplement déterminée par une botlane qui a beaucoup trop feed ses opposants, au point où son équipe se retrouve dans une situation absolument injouable.
Pourtant, sur le papier, la chose ne semble pas si compliquée que ça : il suffit de mettre des clique droit, de conserver sa distance en maintenant un bon positionnement — en kitant lorsque c'est nécessaire et en dodgeant les skillshots — et de farmer proprement. Comparé au jungler, qui doit posséder une lecture de jeu et de map hautement stratégique, le forçant ainsi à devenir le shotcaller de l'équipe, le rôle semble être d'une simplicité effrayante.
Dans ce cas... pourquoi est-il si difficile à jouer ? Ou plutôt, pourquoi est-il si difficile d'avoir, tout du moins en apparence, un vrai impact sur la game en comparaison aux autres rôles ? Dans une meta qui, depuis quelques années, met en avant un style de jeu intense et instantané, faisant des bruisers et des assassins LES champions les plus présents, les ADC sont-ils toujours au goût du jour ?
Encore une fois, en dehors des sphères high-ELO ou professionnelle —où le raisonnement est différent — nombreux sont ceux qui pointent le rôle du doigt, le décriant jusqu'à plus soif, le déclarant inutile. Mais est-ce que les ADC sont si nuls que ça ?
Quand les statistiques disent les termes
Pour répondre à cette question, faisons un détour par des statistiques qui en disent déjà long, en prenant pour base un post Reddit présentant la distribution des rôles à l'issue de la Saison 2021, au sein de trois régions majeures : l'Amérique du Nord (NA), l'Europe Ouest (EUW) et la Corée du Sud (KR).
Si on s'intéresse au top 50 des trois régions majeures dont les statistiques sont immédiatement accessibles au grand public via OP.GG ou LeagueOfGraphs — ce qui exclue nécessairement les serveurs chinois — on constate immédiatement la rareté des ADC. En effet, sur les 150 joueurs concernés, seuls 22 sont parvenus à accéder à la division la plus convoitée de LoL, le rang Challenger.
La chose saute immédiatement aux yeux : les ADC sont le rôle le moins bien représenté dans le top 50 de chacun de ces régions. Cela dit, on peut aisément penser que cette réalité est avant tout provoquée par des préférences. Plus encore, cette statistiques n'est pas entièrement représentative, car il existe un écart considérable — tout du moins en termes de LP — entre le bas du panier et le sommet de la montage, entre le top 1 et celui qui atteint juste la 50e place. Pour cette raison, il est nécessaire de procéder à une analyse différentielle, en octroyant des points à chacun de ces joueurs, en diminuant progressivement en fonction de leur classement (rang 1 = 50 points, rang 2 = 49, ... jusqu'au rang 50 = 1 point.)
Et, si on procède de la sorte, on le constate, aussi aisément : non seulement les ADC sont les moins bien représentés, mais, de manière générale, ils s'accaparent beaucoup moins le haut du classement que les autres rôles.
Ainsi, il ne s'agit pas tant d'une question de popularité puisque, tous rangs confondus, le rôle d'ADC reste nettement plus joué que celui de support (20.3% contre 16.8%, d'après LeagueOfGraphs) mais bien de réussite. Puisque, d'après les deux tableaux ci-dessus, on constate avec une facilité déconcertante que le rôle d'ADC est le moins bien représenté, tant en quantité qu'en qualité.
Dans un monde parfait, chacun de ces rôles serait représenté dans le top 50 par un pourcentage avoisinant les 20%, avec des scores de réussite égaux — mais ce n'est bien sûr pas le cas. La question est donc évidente : y a-t-il seulement un poignée d'élu capables de véritablement connaître le succès avec ce rôle ? Pourquoi peine-t-il autant à trouver sa place dans la Faille ? Si c'est bien le cas, d'où vient le problème ?
Des joueurs qui l'occupent ou... du rôle en lui-même ?
La fragilité comme état de fait
La chose ne vous aura pas échappé : les ADC sont les champions les plus fragiles de la Faille. Oblitérés en 0.1 seconde après s'être fait chain-CC sans avoir pu bouger un cil, ou plus simplement parce qu'un Assassin ou un Burstmage a soudainement décidé de mettre fin à leurs jours, les Tireurs sacrifient leur survivabilité sur l'autel du DPS.
Comme le disait Doublelift en mai 2021 "vous ne jouez pas ADC à moins de penser que votre force, en tant que joueur, réside dans vos méchaniques. Vous jouez ADC, parce que vous avez confiance en votre capacité à éviter les skillshots, à outplay les autres joueurs, et à produire le plus gros dégât de votre équipe. Parce les ADC possèdent les plus gros dégâts du jeu en ce moment. Je pense que les ADC ont effectivement de gros problèmes aujourd'hui, mais ce que pense la communauté [à leur sujet]... Ils pensent que c'est anormal que les ADC puissent mourir instantanément... Il y a une contrepartie à payer pour pouvoir être [un champion à ] distance et avoir la plus grosse capacité à infliger des dégâts."
Cela dit, pour être la plus grosse source de dégâts constants dans le jeu, encore faut-il avoir le temps de le faire. Et quand une pichenette peut mettre fin au cycle DPS, une erreur de positionnement peut et va coûter très cher. Pire encore, dans une meta qui encourage fortement le roaming, et dans laquelle les dives en early ou en mid game sont devenues la norme, les ADC ne semblent être que des sacs à gold que les junglers et/ou les midlaners viennent collecter toutes les X minutes — si bien qu'il est extrêmement facile de tomber derrière dans la partie, au point que le potentiel de DPS est soudainement réduit à néant.
De même, avec l'avènement de la Saison 11 et des objets Mythiques, force est de constater que tous les rôles infligent désormais une quantité affolante de dégâts qui peut désormais rivaliser avec celle que déploient les ADC. Ceux-ci fonctionnent bien dans une meta dans laquelle il est difficile de one-shot un champion et où leur DPS devient essentiel pour pouvoir tomber les tanks ou autre sacs à PV que le burst ne fait qu'effleurer.
Malheureusement, on ne peut nier qu'avec la meta de la Saison 11 — et a fortiori celle qui s'annonce avec la Présaison 2022 — Riot a donné aux Bruisers et aux Assassins une part de rois, laissant les miettes aux Tireurs. L'avènement des champions AP en botlane, tels que Ziggs ou Karthus, en est d'ailleurs la preuve : que le problème vienne du rôle, ou bien des joueurs de l'autre côté de l'écran, on préfère désormais trouver la source du dégât AD à d'autres endroits, car les ADC ne semblent plus être fiables.
Une ultra-dépendance poussée à l'extrême
Si la chose n'était vraie qu'à bas ELO, on pourrait certainement pointer du doigt les joueurs, que ce soient les ADC en eux-mêmes, ou leurs coéquipiers. Car, après tout, les Tireurs sont les champions les plus dépendants du jeu, tant il est nécessaire que leur équipe soit capable de jouer autour d'eux. C'est d'ailleurs souvent le problème pour la grande majorité : l'incapacité à comprendre que, sauf miracle, les ADC ne peuvent pas jouer seuls, car ils sont alors soumis à la menace constante de se faire one-shot et de tomber au fond de leur game, avant de se faire spam de "bot diff, no dps".
Cela dit, en témoignent les statistiques présentes dans le haut de cet article, les meilleurs joueurs au monde semblent eux aussi peiner à exceller, ce qui semble sous-entendre que le rôle a un problème, et que les joueurs ne sont pas (tout le temps) responsables. Bien sûr, tout le monde a de mauvaises games, mais les ADC ont rarement d'autres outils que leur DPS pour avoir un véritable impact sur la game, ce qui entraîne une incroyable frustration dès qu'on perd pied — d'autant plus quand on joue à la perfection, mais qu'on ne peut hélas rien n'y faire.
Pire encore, si on s'intéresse aux options défensives proposées au rôle via l'introduction des Mythiques, on remarque aisément que les ADC ne peuvent choisir que l'Arc-bouclier immortel. Certes, certains champions comme Draven font de cet objet leur "go-to", mais pour beaucoup d'autres le fait de le build s'apparente le plus souvent à renoncer à une grosse partie du DPS qu'ils peuvent infliger pour gagner une survivabilité franchement questionnable — ce qui donne nécessairement lieu à une sensation terrible qui va à l'encontre même de ce que le rôle est censé proposer : des dégâts contre de la fragilité.
Et, même si on choisit cette option, le Shieldbow peut désormais être turbo contré par deux items anti-shield : de quoi donner des sueurs froides aux ADC.
Buff me baby
En fait, tout porte à croire que, même si certains joueurs sont capables de faire fonctionner le rôle, les ADC semblent être en décalage, hors du temps et de la meta qui va avec. Face à des Assassins en midlane ou en jungle, la partie peut très vite devenir injouable. Face à des tanks ou de gros bruisers, il faut souvent attendre le 3e ou le 4e objet pour enfin parvenir à les écorcher. Et, même si on parvient à snowball, ou à scale proprement, on reste toujours sensible à des Burstmages, qu'ils soient en midlane ou support, qui peuvent one-shot à tout va, y compris si leur KDA donne des nausées...
Or, si la fragilité des ADC augmente au fil de la partie, en revanche leur courbe de courbe de dégâts (aka leur scaling) ne suit que très rarement le même rythme, si bien qu'on aurait tendance à se demander si le problème ne vient pas de leur itemisation. D'autant que les items normalement dédiés aux Tireurs sont devenus les petits chouchous des carry AD en mêlée tels que Yasuo, Yone ou même Tryndamere qui build de la même manière et qui, eux, n'éprouvent pas autant de difficulté à scale.
Dès lors, ne faudrait-il octroyer plus de puissance aux ADC en buffant leurs Mythiques — ou plus précisément leurs passifs mythiques, de sorte que ladite puissance soit justement liée au scaling ? Le tout en mettant en place un nerf mélée/distance comparable à la refonte de la rune Tempo mortel pour s'assurer que les champions en mêlée ne deviennent pas incontrôlables ?
Quoiqu'on propose une solution qui semble triviale, on ne prétendra pas avoir les 200 ans d'expériences nécessaires pour appartenir à l'équipe en charge de l'équilibrage chez Riot Games. En revanche, ce qui semble certain c'est que, pour revenir dans le game, les ADC auraient bien besoin d'un petit coup de pouce...