"On aime à croire qu'on est le futur du sport. C'est ce qu'on pense construire." déclarait récemment John Needham, Global Head of Esports, au Washington Post. Mais "si on ne parvient pas à faire de l'esport une entreprise profitable pour nos équipes et nos sponsors, alors on ne fera pas long feu. C'est quelque chose auquel on pense constamment : comment rendre rentable notre écosystème tout entier ?"
Cette question taraude Riot Games depuis plusieurs années déjà, et en filigrane de celle-ci se trouve un état de fait qui répond à notre interrogation première : non, l'esport sur LoL n'est pas rentable. À vrai dire, l'esport en général ne l'est pas non plus — ce qui n'est pas si surprenant que ça. Après tout, si League — le tier 1 esport, le fer de lance et héraut de la discipline — n'y parvient pas, alors qui pourrait bien réussir ?
D'aucuns pourraient citer Fortnite, ce cadet de l'esport qui un instant a fait trembler les hauts pontes de Riot Games, mais il faudrait être aveugle pour ne pas se rendre compte que le Battle Royale d'Epic Games bat aujourd'hui sérieusement de l'aile. D'autant que, si on en croit le compte rendu du procès Epic Games vs Apple, l'entreprise de Tim Sweeney aurait surestimé de presque 154 millions de dollars les revenus générés par la scène compétitive de son jeu phare sur l'année 2019.
Counter Strike : Global Offensive, Rocket League, DotA 2, Rainbow 6, Smash Bros, et tellement d'autres — au fil des années, les licences qui prétendent à une scène esportive se sont démultipliées comme du chiendent, attirant les investisseurs avec la promesse tenace que la discipline deviendrait un jour ce qu'est le sport aujourd'hui : un phénomène culturel planétaire, installé dans les consciences ainsi que dans les porte-monnaie. Pourtant, aujourd'hui, force est de constater que la, ou plutôt les disciplines peinent encore à atteindre autant l'universalité que la rentabilité.
L'esport demeure, encore et toujours, une niche qui, si elle attire toujours plus de fans et de spectateurs, reste encore bien loin d'accomplir ce que le sport est parvenu à cimenter en deux ou trois siècles. Inaccessible, incompréhensible pour le commun des mortels, la pratique ne rassemble pas autant que son aïeul, et quoiqu'elle génère effectivement des revenus de manière directe ou indirecte, elle est encore loin d'accomplir le rêve porté par le Head of Global Esports de Riot Games.
Car pour devenir le futur du sport, encore faudrait-il qu'elle ait un futur — tout court.
L'esport, un outil marketing
Ce n'est pas un secret : l'esport est un moyen permettant aux entreprises de capter ainsi que de retenir leurs audiences sur leurs licences respectives. Face au spectacle des meilleurs, et grâce à un processus d'identification aux professionnels starifiés qui est bien connu du monde du sport, les spectateurs sont encouragés à jouer. L'esport suscite l'envie de "faire pareil", ou tout du moins d'imiter ceux qu'on héroïse parce qu'ils sont les plus forts.
Et, bien sûr, ce phénomène permet de générer indirectement des revenus. En séduisant de nouveaux joueurs par le biais de sa scène compétitive, Riot Games sert aussi des intérêts pécuniers, car ils sont autant d'individus susceptibles de succomber à la boutique in-game. Pourtant, face à un modèle économique en free-to-play — celui de League of Legends, ainsi que de toutes les licences du studio californien — il est difficile de mesurer l'impact exact d'un tel phénomène.
Plus encore, il semble évident qu'il est nécessaire de le dissocier de l'écosystème esportif en soi car le fait de générer des revenus non mesurables, tout en entraînant des coûts colossaux, n'est franchement pas une garantie de survie au sein d'un monde au capitalisme exacerbé. Qu'on se le dise, la grande majorité des entreprises non rentables finissent par être abandonnées, faute de réussite.
Le fossé de la gratuité
Certes, le nombre croissant de spectateurs offre une solution, puisque la vente de droits de diffusion, exclusifs ou non, représente une véritable source de revenus pour Riot Games, en témoigne les 310 millions de dollars déboursés par Huya, une plateforme de streaming chinoise, afin de s'accaparer les droits exclusifs de streaming de la scène chinoise (LPL, LDL, et LPL All Star).
De même, faisant suite à l'action entreprise par Alban Dechelotte au sein du LEC, la scène compétitive de League of Legends continue de se garnir, jour après jour, de partenaires toujours plus nombreux. Le "Baron Power Play" estampillé Red Bull, le MVP associé à MasterCard, la pause technique aux couleurs et logo de KitKat (have a break, vous l'avez ?), les publicités toujours plus nombreuses pour KIA (qui s'est d'ailleurs payé une équipe championne du monde au passage), les drapeaux et bannières apparus dans la Faille afin de faire la promotion de divers sponsors — au fil des années, l'esport de League of Legends a cherché à marcher dans les pas du sport, en créant des espaces ou des séquences publicitaires susceptibles d'attirer les nouveaux investisseurs.
Pourtant, c'est encore loin d'être suffisant. Car l'esport ne possède pas encore un public dont l'engouement serait comparable à celui des ultras du stade Vélodrome, et qui serait prêt à payer sa place pour regarder un match, voire même un abonnement pour pouvoir assister à toutes les compétitions. Si l'instauration du Pro View marque certainement un premier pas fait dans cette direction, on est encore très loin de ce modèle. Car, si on fait abstraction des coûts liés à l'abonnement Internet — dont Riot Games ne voit de toute manière pas un centime — l'esport sur LoL est absolument gratuit pour les spectateurs.
Une entreprise transgénérationelle
Pourtant, malgré les coûts de l'esport, et sans pouvoir véritablement mesurer les effets bénéfiques que la scène compétitive engendre rétroactivement sur la captation et la rétention de son audience, Riot Games continue d'investir dans la discipline en donnant naissance à ces bassins versants qu'on mentionnait plus haut qui, s'ils ne permettent apparemment pas de trouver l'équilibre financier, tout du moins comblent et pallient les dépenses liées au développement de la scène compétitive.
Le studio californien investi à pertes, comme la totalité de ses pairs, en faisant le pari que l'esport deviendra un jour aussi populaire et aussi rentable que le sport. Et la chose pourrait bien prendre plusieurs générations. Et justement, cette aventure titanesque illustre bien la philosophie de Riot qui, après 10 ans de League, a cherché à aller plus loin et à devenir plus
La société n'est plus seulement le studio-éditeur du jeu le plus joué au monde, c'est désormais une multinationale garnie d'un portefeuille de licences désireuses de devenir les parangons de chacun des genres dans lesquels elles s'inscrivent. Plus encore, avec Arcane, Riot Games souhaite marquer d'une pierre blanche la prochaine étape de son évolution, en devenant une entreprise de divertissement à part entière, dont les racines seraient profondément ancrées dans le gaming.
Là encore, la chose pourrait nécessiter la succession de plusieurs générations de gamers, joueurs et spectateurs. Rome ne s'est pas faite en un jour — et l'empire de Riot Games n'échappera pas à cette règle historique. Pourtant, en témoigne le développement de sa scène esport, tout porte à croire que le studio californien soit d'ores et déjà prêt à s'embarquer dans une telle aventure...