Depuis quelques semaines déjà, Blizzard a choisi de s'attaquer à des activités gangrénant certains aspects de World of Warcraft. Souvent en lien avec l'exploitation illégale de systèmes automatisés (bots), ces prises de position ont la plupart du temps été très bien accueillies par le grand public et les contestataires n'ont pas vraiment eu leur mot à dire, ou très peu.
Pourtant, dans l'ombre, une nouvelle menace plane au-dessus de deux phénomènes perdurant depuis de très longues années déjà sans que le commun des joueurs n'en ait conscience. Blizzard a en effet choisi de s'en prendre aux "coachings" en échange d'argent réel qui sont proposés par les champions des compétitions esportives organisées sur World of Warcraft, tout particulièrement par les compétiteurs du Championnat du monde d'arène, mais aussi aux comportements jugés inappropriés pour des personnalités publiques. Et le moins que l'on puisse dire, c'est que la guerre ne fait que commencer...
Une liste qui s'allonge jour après jour
Alors qu'à l'origine seuls deux bannissements majeurs avaient été infligés en fin d'année 2020 à l'égard d'Andreas "Raiku" Meaney et Rene "Swapxy" Pinkera pour avoir eu un comportement largement inapproprié à l'égard d'autres compétiteurs, la liste n'a depuis cessé de prendre de l'ampleur tout particulièrement depuis le début de l'année 2021.
Les joueurs concernés sont parmi les plus éminents de ce que le PvP de World of Warcraft a pu connaître, tout particulièrement depuis l'avènement du Championnat du monde d'arène comme vitrine incontournable de ce mode de jeu. Si Blizzard a choisi de prendre ces mesures parfois extrêmes, c'est sans le moindre doute après une longue réflexion. Pourtant, ces choix ont parfois été très controversés, notamment par les "victimes" elles-même. Afin de mieux comprendre les raisons précises du bannissement de chacun de ces joueurs, nous vous proposons un bref tour d'horizon du schmilblick.
Swapxy :
Pour faire court, celui qui est connu comme étant l'un des meilleurs Chamans Élémentaire au monde a été banni de façon définitive pour avoir prononcé le "N Word" à plusieurs reprises durant certaines de ses sessions de jeu. Des joueurs ont choisi de compiler les passages durant lesquels il prononçait ce terme, et la sentence est tombée assez rapidement... Entraînant avec lui l'un de ses camarades de jeu : Raiku, qui a également participé activement à cette discussion très douteuse. Il aura la possibilité de faire appel pour contrer cette décision dès le 16 octobre 2021, néanmoins il y a peu de chances que cela arrive puisqu'il assume son comportement largement déplacé.
Raiku :
Banni pour la même raison que son camarade de jeu Swapxy, celui que les joueurs de WoW connaissent comme l'un des meilleurs Mages du monde a subi un bannissement permanent pour les propos qu'il a tenu durant certaines sessions de jeu. Il pourra faire appel à partir du 16 octobre 2021, mais il est peu probable que cela arrive tant les propos qu'il a tenu sont explicites et difficilement pardonnables pour une figure publique telle que lui.
Quapy :
Pour le roi des Moines Marche-vent, la seule et unique raison de son bannissement d'une année entière est plutôt simple : sa virulence. Sa maîtrise d'un nombre incalculables d'insultes à l'égard de ses camarades de jeu (et pas que) lui a valu d'être disqualifié du Championnat du monde d'arène en plus de perdre l'accès à son compte World of Warcraft durant une année entière. Sa période de bannissement est prévue pour prendre fin le 15 octobre 2021, au même titre que son impossibilité à concourir à l'AWC.
Loony :
Le cas de Loony est parmi les plus étranges. Originellement, il avait été banni durant une période d'un an, dont l'expiration était prévue pour le 15 octobre 2021. Cependant, le 25 février 2021 il a annoncé avoir été banni de façon définitive de World of Warcraft mais aussi du Championnat du monde d'arène pour avoir fait preuve d'un comportement jugé "toxique" à l'égard de Whaazz, l'un des meilleurs joueurs du monde à ce jour, et de sa petite amie. Pourtant, le site de Blizzard indique toujours que son bannissement est prévu pour expirer en fin d'année 2021... Nous analysons ce cas plus précisément dans la suite de cet article afin de mieux comprendre les problèmes sous-jacents. Aucune date d'appel n'a été fixée.
Jahmili :
Les raisons du bannissement permanent de Jahmili ne sont pas tout à fait claires. D'après les propos tenus par le concerné, il aurait été banni pour avoir prononcé des termes jugés offensants durant l'un de ses récents streams. D'autres pensent que ce bannissement est la conséquence des services de "coaching" qu'il proposait. Dans les deux cas, ces pratiques sont de toute façon interdites. Les possibilités d'appel pour contrer cette décision sont prévues pour le 24 octobre 2022, pas avant.
Zeepeye :
Le cas de Zeepeye est finalement sans doute l'un des plus intéressants, puisqu'il a vu ses deux licences de WoW mais aussi celle lui permettant de concourir au Championnat du monde d'arène suspendues pour avoir proposé des services de "coaching" en échange d'argent réel, une pratique bien sûr interdite. Le bannissement est prévu pour durer un an, jusqu'au 26 octobre 2022. Ce cas précis soulève des questions très intéressantes sur l'avenir de l'esport de World of Warcraft, et dans la plupart des jeux de Blizzard plus globalement.
Consternation, argent et favoritisme
Pour bien comprendre les tenants et aboutissants des bannissements promulgués par Blizzard, il convient également de comprendre les relations qui lient les différents joueurs concernés entre eux, et bien d'autres joueurs d'ailleurs.
Alors que les suspensions à l'égard de Swapxy et Raiku n'avaient pas été très controversées tant les propos tenus étaient consternants pour de nombreux spectateurs (et pour Blizzard eux-même), les langues ont commencé à se délier tout récemment avec l'annonce inattendue de la suspension de Loony, puis de celle de Zeepeye. Les critiques faites par ces deux joueurs sont bien différentes et ciblent deux facettes très méconnues de la scène esportive de World of Warcraft, pourtant elles convergent en un seul et même point : l'esport de WoW et des jeux de Blizzard se porte sérieusement mal, et si rien ne change alors il s'éteindra sans que l'on n'y puisse rien.
Loony, Whaazz et le présumé favoritisme
Alors qu'il avait été banni durant une année entière après avoir remporté le Championnat du monde d'arène 2020, Loony a reçu le jeudi 25 février 2021 un mail lui annonçant sa suspension définitive du jeu comme de sa scène compétitive. Il en explique la cause dans un long et édifiant TwitLonger.
Pour résumer, la relation entre son équipe (Wildcard Gaming) et celle de ses plus féroces concurrents (Method Black) s'est détériorée depuis l'année 2020 puisque Loony et ses camarades ont eu accès aux enregistrements vidéos de leurs adversaires, ce qu'ils n'ont bien sûr que peu apprécié. Dans ces enregistrements, Whaazz et ses camarades de jeu auraient évoqué à plusieurs reprises leur volonté de faire disqualifier Wildcard Gaming du Championnat du monde d'arène en se servant du fait qu'ils proposaient des services de "coaching" contre de l'argent réel (une pratique illégale) dans le seul but de supprimer l'un de leurs plus sérieux concurrents au titre ultime.
Pour se venger, Loony a eu sans doute l'une des pires idées de sa carrière : contacter à de multiples reprises la petite amie de Whaazz, le "leader" de Method Black si l'on peut dire, afin de l'informer que son compagnon aurait eu des aventures avec d'autres femmes durant la BlizzCon 2019. Le résultat fut sans appel : 3 jours de bannissement sur World of Warcraft, et une disqualification d'une année du Championnat du monde d'arène. Selon l'auteur du TwitLonger, ce serait Whaazz lui-même qui serait à l'origine de cette sanction puisqu'il aurait contacté l'équipe de Blizzard dédiée à l'esport de WoW chez qui il aurait des contacts privilégiés afin de "se venger". Bien sûr, rien ne prouve la véracité de ces propos, c'est la parole de l'un contre celle de l'autre. Peu de temps après cet événement était publiée une vidéo qui conduisait par ailleurs au bannissement de Swapxy et Raiku qui jouaient alors pour Xset Gaming... aux côtés de Whaazz. Vengeance de Loony ou simple hasard ? Mystère, le tout étant que Whaazz semble être passé entre les mailles du filet contrairement à ses ex camarades de jeu.
Mais l'histoire ne s'arrête pas là, puisqu'en cette année 2021 Loony s'est finalement vu banni de façon définitive de WoW comme de ses compétitions pour avoir participé à des séances de "coaching" en échange d'argent réel, une pratique formellement interdite. En guise d'ultime prise de parole, celui qui est désormais banni a mentionné savoir qu'au moins un joueur dans chacune des 10 meilleures équipes du Championnat du monde d'arène étaient impliqué dans des services de coaching en échange d'argent réel, notamment Zunniyaki et Thesia, les nouveaux camarades de jeu de Whaazz...
Zeepeye et les revenus des compétiteurs
C'est lorsque Zeepeye a choisi de prendre la parole au sujet de sa suspension que le feu aux poudres a été déclenché. Dans un TwitLonger, il expliquait en effet les raisons qui l'ont mené à la cessation de toute activité esportive sur World of Warcraft.
Les mots que l'ex-champion a choisi d'utiliser sont plutôt clairs et édifiants :
Le constat est fait, les mots sont dits. D'autres joueurs renommés ont par la suite commenté et partagé ses propos, Minpojke, Snutz, Cervantes et même plus récemment Snowmixy pour ne citer qu'eux.
Pour contrer ce problème, les participants à l'esport de World of Warcraft doivent trouver une source de revenue stable et fiable, tout particulièrement lorsqu'ils ne font partie d'aucune structure esportive très renommée. C'est là que le "coaching", qui s'apparente en réalité beaucoup plus à du "boost", entre en jeu. Comment un joueur passant une dizaine d'heures par jour à jouer pour s'entraîner peut-il subvenir à ses dépenses vitales en jouant autant ? En proposant des services payants en jeu lui permettant à la fois de jouer (et donc s'entrainer) et de gagner sa vie décemment. Eh oui, sauf que c'est illégal. Mais ils n'ont presque pas le choix. Un cercle vicieux en somme.
Bien sûr, ces joueurs savent que ce qu'ils font est illégal, ils savent que s'ils se font attraper (comme c'est le cas de Zeepeye et d'autres) alors leur carrière est condamnée. Ils ne défendent pour la plupart même pas le "coaching" qu'ils proposent, ils semblent simplement militer pour avoir droit à des compétitions plus encadrées. Mais n'y a-t-il pour autant pas d'autres solutions que des bannissements répétés ?
Certains rétorqueront sans doute que "les gagnants remportent $100 000, ça suffit largement à vivre !", et ils auraient raison en théorie. Sauf que là encore Zeepeye aborde ce point et l'explique très bien (même si trop brièvement, on aurait aimé des chiffres plus précis) :
Alors bien sûr, certains compétiteurs sont des streamers reconnus et vivent très bien malgré les prize pools plutôt faibles. Bien sûr, certains autres sont membres d'importantes structures sponsorisées qui leur permettent de vivre dans de bonnes conditions. Mais tous les participants aux compétitions esportives de WoW ne sont pas dans l'un ou l'autre cas, très loin de là même.
À titre d'exemple concret, le Championnat du monde d'arène propose les récompenses suivantes durant les phases de qualifications en 2021 :
Seules les 4 meilleures équipes sont ainsi récompensées durant les différentes coupes dédiées aux qualifications pour la Grande finale de la BlizzCon. Les récompenses susmentionnées sont bien sûr dédiée à l'équipe entière, chaque équipe étant composée de 3 à 4 joueurs... On comprend vite en quoi il est difficile de jouer 8 à 12 heures par jour pour être au niveau et subvenir malgré tout à ses besoins vitaux. Et nous ne mentionnerons bien sûr pas les équipes qui s'investissent à chaque fois, qui font vivre cet esport, qui se retrouvent au-delà du Top 4 et dont l'avenir sur la scène compétitive est souvent très incertain au-delà d'une année de compétitions.
Notre avis
L'esport de World of Warcraft se porte très mal, ce n'est sans doute une surprise pour personne. Les compétiteurs avouent de plus en plus souvent ne plus prendre de plaisir à participer, les prize pools sont très faibles en comparaison d'autres jeux esportifs de la même envergure, et les relations entre Blizzard et les compétiteurs semblent parfois très nébuleuses.
Sanctions et prévention
Selon nous, le choix qu'a fait Blizzard de bannir les joueurs les plus virulents est amplement justifié et ce type de mesure doit continuer d'être prise. Les discriminations n'ont pas leur place dans un jeu-vidéo ou dans les compétitions que celui-ci propose (ni même nul part en fait), et les compétiteurs doivent comprendre qu'ils sont appréciés, suivis et imités par de nombreux autres joueurs les appréciant fortement. Ils doivent comprendre que leurs paroles et leurs actes ont une importance bien plus grande lorsqu'ils choisissent de se retrouver sur le devant de la scène, et en assumer la responsabilité.
Néanmoins, nous pensons sincèrement que la scène esportive de Blizzard (et toutes les autres en réalité) devrait être bien plus encadrée et que d'éventuelles formations et autres enseignements devraient être imposés aux joueurs choisissant de participer à ce type de compétition. Cela pourrait être organisé par les structures participant à ces tournois (Method, Wildcard Gaming, etc...), mais aussi par Blizzard eux-même dans le cas d'un joueur indépendant.
N'importe quel joueur lambda peut être un champion du monde demain, pourtant il n'a pas entre ses mains les cartes pour comprendre et appréhender cette nouvelle notoriété. Le problème est d'ailleurs le même pour les streamers ou les youtubers qui, lorsqu'ils prennent de l'importance de façon plus ou moins conséquente, se retrouvent avec une notoriété démesurée alors qu'ils se voient toujours comme de simples joueurs filmant leurs sessions de jeu pour quelques amis.
C'est au final de la prévention qui est nécessaire. Bannir est une bonne chose afin de réagir à un problème donné dans l'immédiat, mais sur le long terme la véritable solution consiste à élaborer des plans afin de s'attaquer à la racine de ce problème, pas uniquement à ses symptômes les plus évidents. Des "stars" plus respectueuses inciteront davantage au commun des mortels à respecter autrui, cela ne peut être que bénéfique quoiqu'il arrive, même si l'investissement nécessaire est sans doute conséquent.
Communication et relations
La communication de Blizzard au sujet des compétitions esportives est historiquement assez complexe ces dernières années, tout particulièrement sur World of Warcraft et Hearthstone. Des choses ont lieu, notamment la réduction des prize pools, mais le commun des spectateurs et même des compétiteurs ne semble que peu informé des raisons qui poussent à ces changements...
Il est crucial que les joueurs pratiquant l'esport sur World of Warcraft aient droit à des réponses et à des échanges clairs et réguliers avec Blizzard. Comment, en 2021, certains joueurs peuvent avoir la sensation que d'autres sont au-dessus des règles imposées par la scène compétitive à laquelle ils participent ? Pourquoi nous trouvons-nous toujours à un stade où les suspensions se passent en coulisses, sans que quiconque ne connaisse les raisons précises de celles-ci, pas même les concernés ?
Pour que la scène esportive de WoW s'assainisse, Blizzard doit communiquer davantage avec les compétiteurs comme avec la communauté. Plus de messes basses, plus de suspensions perçues comme arbitraires, et surtout des liens égaux entre la firme et les compétiteurs qui qu'ils soient. Les joueurs et la communauté veulent comprendre, et ils le peuvent.
Implication et motivation
Finalement, c'est l'implication de Blizzard dans ses propres compétitions qui doit être largement amélioré. Bien sûr, le Championnat du monde d'arène et le Mythic Dungeon International sont d'excellentes vitrines des modes de jeu qu'ils représentent. Cependant, l'investissement en terme de temps passé sur le jeu est, selon les compétiteurs eux-mêmes, tout sauf rentable d'un point de vue financier.
La participation à de telles compétitions nécessite un investissement démesuré de la part des compétiteurs. C'est un métier à part entière en réalité, et il est difficile (voire impossible) pour ces joueurs de cumuler un autre emploi "normal" en parallèle. Pourtant, à moins d'être membres d'une structure connue et reconnue (Echo par exemple), il est très rare que la récompense soit à la hauteur de l'investissement. Les joueurs du Top 8 sont certes récompensés (encore que même là, le prize pool est plutôt bas par rapport à d'autres jeux), mais tous ceux en-dessous s'investissent au moins autant chaque année et ne perçoivent pourtant aucun revenu en cas de défaite.
On se retrouve ainsi avec des équipes se vouant corps et âme à l'esport de World of Warcraft, des joueurs sans qui ces deux scènes n'existeraient pas, et qui pourtant sont contraints de mener une double vie avec un travail "normal" pour subvenir à leurs besoins vitaux. C'est là que les "coachings" entre en ligne de compte : même s'ils sont interdits, ils demeurent la solution la plus simple et la plus efficace afin de gagner de l'argent pour de tels joueurs. C'est le serpent qui se mord la queue : les compétiteurs manquent d'argent et cherchent des solutions plus ou moins illégales pour s'en sortir, mais Blizzard semble faire la sourde oreille... Jusqu'à ce que quelque chose d'illégal soit repéré, auquel cas le Ban Hammer tombe.
La solution ? Proposer des prize pools plus conséquents, des récompenses plus fournies même pour les équipes au-delà du Top 8, encourager des équipes et des structures à se former afin de concourir au Championnat du monde d'arène et au Mythic Dungeon International. Cela peut par exemple passer par la vente d'objets en jeu dont les revenus générés servent à payer les participants à ces compétitions, et même plus largement de goodies du Blizzard Gear Store !
Cervantes, l'un des meilleurs Chevaliers de la mort du monde, proposait même tout récemment une autre solution :
Finalement, il est probablement temps que le Race to World First soit encadré de façon saine et sérieuse de la part de Blizzard. Il s'agit de l'une des "compétitions" les plus importantes à chaque progress de World of Warcraft, pourtant ce sont des structures indépendantes qui le régissent. Est-ce normal ? Non. Est-ce souhaitable ? Non plus.
Plus d'encadrement, plus de règles, plus d'investissement, telles sont les clés d'un esport sain et intéressant pour tout le monde sur World of Warcraft.