Il existe de nombreuses rivalités entre les différentes régions de la scène compétitive de League of Legends. Et, si celle qui oppose l'Europe et Amérique du Nord nous a toujours fait sourire, force est de constater qu'elle a atteint un point de non-retour aussi triste qu'alarmant. Car, pour nourrir la rivalité entre deux régions, il faut du répondant — et personne ne pourra nier que les NA s'aplatissent devant les formations européennes depuis bientôt trois ans.
Entre 2012 et 2020, sur neuf éditions des Worlds, les NA ont remporté 67 victoires, contre 109 défaites — portant leur winrate total à seulement 38%... En toute sincérité, le fait qu'une région majeure avec une si faible réussite puisse encore posséder trois seeds semble totalement injuste. D'autant plus qu'on a bien vu cette année qu'il existe énormément de jeunes joueurs et de jeunes équipes affamés de victoire dans les régions mineures.
Cela dit, cette situation enrageante n'est finalement qu'une des conséquences d'un problème plus profond : la scène américaine n'a jamais été aussi peu compétitive. Face au progrès constant de toutes les autres ligues majeures autour du globe, les LCS font désormais figure de maillon faible. Et, si certains peuvent se réjouir de cet débâcle, je trouve ça d'une tristesse affolante. Parce que le fait qu'une ligue soit à ce point à la traîne nuit à la compétition en général, et à la beauté du jeu. Quel intérêt de regarder un match où joue une équipe américaine si on connaît déjà l'issue ? A quoi bon nourrir la rivalité EU vs NA si on sait pertinemment qui l'emporte ?
En réalité, l'échec répété des NA fait peine à voir — et les raisons sont trop nombreuses pour qu'on pointe uniquement du doigt le talent individuel des joueurs.
Les LCS, la retraite dorée des pro players ?
TSM a fait 0-6 aux Worlds, conduisant Bjergsen à prendre sa retraite à la suite d'un des plus gros fiascos de l'histoire de League. Et, si l'ancien midlaner danois s'est sûrement mis à l'abri du besoin pour le restant de ses jours, je ne peux m'empêcher d'avoir un coup au cœur en pensant à ce qu'il aurait pu devenir s'il était resté en Europe. D'ailleurs, son histoire ne fait que confirmer que les LCS sont devenus une sorte d'EHPAD pour les pro players, constamment animé par le ballet des importations.
La comparaison s'arrête cela dit à l'idée de retraite, car les joueurs des LCS sont très loin de se priver d'opulence. Bien au contraire, nombre de journalistes de la scène américaine tels que Tyler "The Esports Writer" Erzberger ont révélé que le salaire moyen des joueurs de la scène américaine avoisinait les 400 000 $ par an — une somme certes colossale, mais surtout déconnectée des performances des équipes sur la scène internationale.
Cette situation a été pointée du doigt à de nombreuses reprises au cours de l'année passée, notamment parce qu'elle est symptômatique d'une maladie plus profonde : l'absence de jeunes talents sur la scène américaine. Ou plutôt, le fait que les organisations franchisées des LCS cultivent une pépinière de joueurs vétérans qui occupent les slots ad vitam, tandis que les infrastructures permettant de "scouter" la future génération de joueurs sont insuffisantes.
Les chiffres parlent d'eux-mêmes. Si on tient compte uniquement des années de naissance, l'âge moyen des joueurs américains envoyés aux Worlds est de 23 ans, contre 21 pour l'Europe et la Chine, et 20 pour la Corée du Sud. D'ailleurs, nul besoin de statistiques pour constater que, sur les quinze joueurs envoyés par les NA cette année, seuls deux étaient des rookies : Edward "Tactical" Ra (Team Liquid) et Mingyi "Spica" Lu (Team SoloMid).
Un problème plus profond
Faut-il vraiment succomber à l'idée absurde selon laquelle l'Amérique ne possèderait pas de talents natifs ?
Les performances de Spica et Tactical au cours de l'année passée, et à Shanghai, nous encouragent à croire le contraire. Le véritable problème semble venir des infrastructures qui gouvernent la ligue. Par ailleurs, le fossé qui existe entre le salaire des joueurs américains et celui de ceux des autres ligues semble absolument délirant. Si on peut comprendre que ces contrats juteux ont longtemps été le moyen pour les NA de maintenir le navire de leur compétitivité à flots, force est de constater qu'ils représentent un plan de retraite absolument évident. Et, quand on sait à quel point la carrière d'un joueur pro peut être courte, il paraît difficile de blâmer ceux qui font ce choix.
Malheureusement, les conséquences sont directes : aujourd'hui, les LCS subissent de plein fouet une politique d'importation qui a longtemps été utilisée pour compenser le niveau décroissant des joueurs en place depuis des années. Si bien que le vrai problème n'est pas l'absence de nouveaux talents, mais bien la gestion du pool de joueurs à qui on accorde le droit de jouer en LCS. On voit toujours les mêmes vétérans qui évoluent, d'une équipe à une autre, enserrés de Coréens ou d'Européens achetés à prix d'or — et les rookies sont terriblement rares. Et cette situation amène un manque d'innovation et de créativité ainsi qu'une stagnation du niveau, largement dûes au fait que les vétérans en perte de vitesse tendent à rester dans leur zone de confort.
Pour Mark "MarkZ" Zimmerman, commentateur des LCS, cela se traduit juste par "un manque d'instinct de tueur."
"C'est un peu le problème de NA, en gros. Je sais que beaucoup de gens critiquent le fait que cinq joueurs participent à ce play, mais les TSM push le mid et le top au même moment, et l'ennemi n'a plus de Teleport pour contest ça. C'est un dive 3v5, 2v5 et il devrait être super propre [...] Quand je regarde ce play, je pense qu'il est bon, en théorie : vous avez un dive 5v3, après avoir pushé une vague de minions, [...] ils tuent Mark — et regardez Kramer et sa position par rapport aux membres de TSM. [...] Pourquoi TSM ne continue pas pour obtenir d'autres kills ? [...] Ils sont en fait dans une position fantastique pour convertir ça en deux kills, potentiellement trois avec les plaques de tourelles. C'est le problème que les NA ont : un manque total d'instinct de tueur."
Quels que soient les problèmes qui affligent les LCS actuellement, ils sont loin d'être insolubles — et la résilience de la scène compétitive de League of Legends nous encourage simplement à patienter. Car, ajouté aux actions entreprises individuellement par certaines équipes, Riot serait sur le point d'apporter des changements drastiques à la ligue américaine...
Vers une évolution saine des LCS ?
D'après Travis Gafford, célèbre journaliste indépendant spécialiste des League of Legends Championship Series, Riot Games s'apprêterait à apporter des changements profonds au format de la ligue américaine. L'objectif ? Redorer le blason de la région en restaurant sa compétitivité. Car, malgré ses trois seeds aux Worlds, l'Amérique du Nord demeure incapable de trouver le succès à l'international et est devenue, en quelques années, la risée de la scène compétitive de League of Legends.
Pour ces raisons, le studio californien serait sur le point d'abandonner le Spring et le Summer Split, afin de les remplacer par une saison régulière. En d'autres termes, plutôt que de séparer l'année compétitive en deux, la ligue américaine serait jouée d'une traite — sans Playoffs et sans titre de champions du Spring Split. Et, pour compenser l'absence d'un représentant tout défini de l'Amérique du Nord au Mid-Season Invitational, Riot prévoierait l'organisation d'un tournoi de printemps rassemblant les six meilleures équipes du classement à ce moment de l'année. A cet égard, je ne vous cache pas que je demeure un peu circonspect car, si la forme change, le fond reste (presque) le même. En fait, la seule véritable différence, c'est que les équipes ne pourront plus prendre la première partie de l'année à la légère. Ca évitera sans doute à certains ADC vétérans de lâcher des post-scriptum qu'ils regretteront par la suite...
En revanche, Riot Games désirerait apporter une transformation absolument drastique du format des LCS, en augmentant le nombre de matchs. Dans le système actuel, chaque équipe affronte deux fois par split les 9 autres équipes, dans un format aller-retour : soit 36 matchs par année compétitive. Dans le nouveau, chaque équipe serait plutôt amenée à jouer 45 matchs sur toute l'année, affrontant chacune de ses homologues cinq fois. En conséquence, le programme des LCS serait beaucoup plus dense, avec des journées entières consacrées aux matchs plutôt que des après-midi ou des soirées. Cinq games seraient ainsi jouées chaque vendredi, samedi, et dimanche — et je ne peux m'empêcher de lever un sourcil interrogateur face aux nombreuses heures d'émission que cela représente.
Franchement, qui a envie de regarder 15h de LCS par semaine ?
Sur le papier, le fait d'augmenter le nombre de matchs semble être une solution plausible pour restaurer la compétitivité de la scène américaine. Cela dit, les raisons derrière cette transformation seraient en réalité un peu plus complexes. Dans une de ses précédentes vidéos, Gafford avançait que Riot Games chercherait bientôt à vendre les droits de diffusion exclusive du LEC et des LCS à des plateformes de diffusion, comme YouTube ou Twitch. Or, le fait d'augmenter le nombre d'heures de programme serait d'après lui un moyen de faciliter cette vente, en rendant notamment les LCS plus attractives pour les sponsors.
Moins de games, un plus petit setup — il semblerait que le studio ait aussi choisi de réduire la taille des LCS Academy. Si en apparence elle semble complètement folle, tant la région semble incapable d'identifier ses propres talents malgré l'existence de ce système, cette décision fait en réalité sens, compte tenu de l'objectif à long terme de Riot. Le but serait en effet de gommer progressivement la limite entre les joueurs amateurs et les joueurs académiques, en organisant des rencontres régulières entre les deux bords. Cette saine émulation permettrait sans doute de compenser l'inefficacité des LCS Academy qui restent, pour l'instant, largement déconnectés de la "vraie" scène des LCS.
D'autant plus que cela encouragerait les organisations américaines à donner naissance à un 3e roster destiné à former les amateurs — un peu à l'image de ce que 100 Thieves a fait avec 100 Thieves Next. Et si on se demande honnêtement si la création d'une troisième division des LCS changera quoi que ce soit aux performances de la première, force est de constater que ce genre de système permettrait de fouiller plus profondément la pépinière de talents américains.
Riot Games n'a pas encore communiqué sur le sujet, et les détails de la transformation des LCS restent encore un mystère. Quoiqu'il en soit, il était temps que les choses bougent — reste à savoir si cela sera pour le mieux ou non...