Jusqu'ici, Riot Games avait réussi à limiter la casse en jouant la carte de la temporisation, face à une vague d'épidémie de coronavirus (COVID19) devenue planétaire. Première compétition physique impactée, la ligue chinoise (LPL) a été suspendue plus d'un mois avant de faire son retour, en ligne, cette semaine. En Corée-du-Sud, deuxième foyer de contagion au monde, la LCK est désormais mise sous clef dans l'attente d'une situation sanitaire propice à une reprise des confrontations. Avec toute une série de retards des ligues orientales sur le calendrier de compétition annuel, Riot Games a pourtant maintenu son traditionnel Mid-Season Invitational, repoussé de façon inédite au mois de juillet 2020.
Si le risque de pandémie a conduit Riot Games à réviser son agenda à moyen terme — avec notamment une anticipation des dates du Summer Split — pour tenir ses nombreux engagements, l'annulation pure et simple des Rift Rivals 2020 constitue une première fissure dans le calendrier chiffonné, et sous masque, de l'éditeur.
« Les Rift Rivals ont donné lieu à des batailles épiques, mais les défis qu'ils suscitent pour le programme annuel se sont fait ressentir à la fois au niveau régional, et mondial », a déclaré John Needham, Global Head of Esports chez Riot Games, dans un communiqué publié sur le site officiel. « Nous restons engagés pour produire des événements d'envergure mondiale qui mettent en valeur notre sport, et nous travaillerons avec les régions pour trouver de nouvelles façons de le faire dans les années à venir ».
Au final, EU > NA
Depuis 2017, les Rift Rivals offrent traditionnellement, entre la fin du mois de juin et le début du mois de juillet, un encart de compétition inter-régionale de deux à trois jours dans le Summer Split des ligues concernées. Disputés entre le Mid-Season Invitational du mois de mai et les Worlds du mois d'octobre, les Rift Rivals attirent les trois meilleures équipes de chaque ligues, qui rencontrent chacune trois autres équipes au cours d'un tournoi en format "Best of 1".
La compétition a souvent souffert du désintérêt des fans en raison de sa démarche presque exclusivement tournée vers la rivalité entre les régions. Si le concept a trouvé un écho au sein du public européen et américain dès ses débuts, son adaptation à d'autres zones du globe — par soucis d'équité — s'est parfois révélée artificielle. Dès 2017, la ligue russe (LCL) est opposée à la ligue turque (TCL) à l'occasion des tous premiers Rift Rivals. Un an plus tard, le « duo » devient un trio, lorsqu'il est rejoint par la toute nouvelle ligue vietnamienne (VCS), qui essaie de se faire des amis.
Conscient des lacunes du tournoi dans son storytelling, Riot Games prend la décision de restreindre les Rift Rivals à deux tournois au lieu de cinq en 2019 : la rivalité EU/NA est toujours mise en avant, à côté d'une fête à quatre entre la Chine, la Corée, Taïwan et le Vietnam.
Outre des trous dans son « branding », le tournoi pâtit aussi d'une première limite, qui se résume souvent à un écart de niveau entre les participants. Aujourd'hui, les Rift Rivals sont plus ou moins l'occasion de voir l'Europe — vainqueur en 2018 et en 2019 — rouler sur l'Amérique du Nord pour la grande majorité du public. Hormis le caractère très contradictoire des scores avec l'esprit « rivalité » de la compétition, les Rift Rivals sont devenus, au fur et à mesure des années, un espace dédié aux showmatchs entre G2 Esports et Team Liquid plus qu'autre chose.
De l’exhibition à la punition
Sous le soleil de juillet, les Rift Rivals sont également la proie du décalage horaire. Instaurer trois jours de compétition en plein Summer Split est déjà un tour de force. À cette période de l'année, chaque équipe tente de négocier une place pour les championnats du monde en octobre. Dans cette voie, le Summer Split est impossible à contourner car il récompense davantage que le Spring Split, avec une place qualificative aux Worlds pour le gagnant des playoffs. Si le rythme des Rift Rivals reste surmontable pour une équipe de haut niveau, la tenue du tournoi se fait, elle, au détriment d'une dernière ligne droite décisive pour tout le monde.
Côté spectateur, le problème majeur des Rift Rivals est qu'ils créent un doublon évident avec le Mid-Season Invitational dans leur démarche estivale. Sauf qu'à la différence des Rift Rivals, le MSI est plus sélectif, s'étale sur une quinzaine de jours en moyenne, prévoit un véritable arbre de compétition, dispute sa phase finale en "Best of 3", et récompense le vainqueur à sa juste valeur.
Il est, au même titre, délicat pour tout public de s'intéresser aux Rift Rivals comme une compétition qui fait l'actualité. Les participants y sont conviés selon leur classement final au Spring Split, qui s'achève en général mi-avril, soit deux mois et demi avant le début du tournoi. Cet intervalle de temps, qui est loin d'être neutre, est susceptible de fausser l'état des lieux d'une rivalité avec l'impact d'un mercato de mi-saison entre temps, par exemple. Pour l'illustrer, le vice-champion américain 100 Thieves n'a connu que la défaite lors des Rift Rivals, privé de son toplaner star Ssumday et de Meteos, alors deux joueurs clefs des Thieves.
Cette année, le communiqué de Riot Games est très explicite. Le contexte sanitaire défavorable force la main à John Needham, qui glisse « avoir examiné le calendrier et écouté les réactions des équipes et des joueurs », avant de « décider de faire disparaître les Rift Rivals dans les dernières régions où le tournoi devait avoir lieu ». La traduction en moins, l'éditeur fait usage du terme « to sunset » pour faire tomber le rideau sur un tournoi en manque de créativité et d'attractivité.
Ce « coucher de soleil » sur les Rift Rivals trahit peut-être l'envie pour Riot Games de passer à autre chose, et la probable promesse de revenir avec un format plus à même d'exploiter et de célébrer la concurrence entre les meilleures ligues du monde. En attendant, l'éditeur fixe exceptionnellement rendez-vous au public du 3 au 19 juillet prochain, pour la sixième édition de son Mid-Season Invitational.