“Whatever it takes”.
Cette phrase ne sort pas de la bouche d’un des héros du dernier Avengers endgame, ni même de la musique éponyme d’Imagine Dragons. Non. Cette fois-ci, elle vient du journaliste Tyler “Fionn” Erzberger, à l’aube d’une demi-finale qui se doit d’être à sens unique. Sur les devants de la scène, il regarde, des étoiles plein les yeux, les représentants de son pays qui s’apprêtent à lutter contre les champions du monde en titre. Son impartialité de journaliste a disparu au profit de ses rêves de fan. Ses rêves de voir la Team Liquid et l’Amérique remporter pour la première fois de son histoire un tournoi international.
Derrière lui, une rangée de Rioters américains s’accorde une pause. Le travail fait, il n’est pas question de rater cette rencontre. Assis sur leurs chaises au premier rang, les yeux rivés sur leur équipe qui s’installent, ils entonnent timidement des paroles d’encouragements. L’espoir est présent, mais le réalisme aussi.
La victoire au bout des doigts
Il faut dire que la rencontre du jour a des airs de David contre Goliath.
D’un côté, les représentants de la Chine, les monstres Invictus Gaming en quête de devenir l’équipe la plus dominante de l’histoire de League of Legends : 9-1 en phase de groupes, un record dans le Mid Season Invitational.
De l’autre, la Team Liquid, les représentants de l’Amérique, une région qui n’est pas franchement connue pour ses performances à l’international, et qui ont arraché difficilement leur qualification le dernier jour de la phase de groupes.
Mais ce jour-là, au Heping Basketball Gymnasium de Taipei, le passé ne compte plus. Écrasés 3 à 1, les Invictus Gaming sortent par la petite porte, la tête basse. Les fans chinois que l’on entendait majoritairement quelques heures plus tôt sont maintenant stupéfaits. Choqués. Et dans cette petite salle de 5 000 places ne résonne plus qu’un seul et unique chant : “LET’S GO LIQUID”. Benjamin Heltzel, le “Liquid Fan” qui brandit depuis le début de la rencontre des visages de Doublelift et de CoreJJ imprimés la veille, laisse exploser sa joie. Les Rioters américains s’entrelacent, et Fionn laisse le travail de côté encore un instant pour savourer cette scène historique. La Team Liquid réalise l’exploit. Doublelift est en finale d’une compétition internationale.
La rencontre la plus attendue se joue le lendemain. G2 Esports contre SKT T1 : les champions d’Europe contre les champions de Corée. Faker contre Baby Faker. Encore une fois, l’Occident est en infériorité, la foule est principalement en faveur de SKT. En plein cœur de l’Asie, l’inverse aurait étonné. Lutter contre la réputation de l’équipe la plus titrée de League of Legends relève de l’impossible. Les samouraïs ne peuvent compter que sur une poignée de fans pour les galvaniser. Dont un en particulier, un quinquagénaire avec un maillot G2 Esports floqué “Caps Dad”.
Le papa le plus célèbre de la scène est présent, un tap-tap dans chaque main, avec un drapeau G2 posé sur ses genoux, prêt à être déployé. Les yeux rivés sur le grand écran, explosant de joie à chaque bonne action de l’équipe de son fils, Michael Winther est devenu sans le vouloir l’attraction principale entre chaque partie. Que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur de la salle, le père semble presque plus populaire que le fils.
Seul la plupart du temps lorsqu'il suit son fils dans ses déplacements à l’international, il a pris l’habitude de participer aux activités sur place pour s’immerger dans le monde pour lequel son enfant a consacré sa vie. Entre deux matchs, il demande une photo à une cosplayeuse sans remarquer le petit groupe qui se forme derrière lui. Cette dizaine de personnes n’est pas là pour l’artiste déguisée en Lux. Non. Elles sont là pour prendre leur photo avec Caps Dad et partager le temps d’un instant sa joie de voir son fils briller devant le monde entier.
Son drapeau maintenant déployé au pied de la scène, Caps Dad lance des chants d’encouragements, suivi par tous les irréductibles fans européens présents sur place. Le style de jeu extravagant des G2 Esports a surpris plus d’une fois les représentants de la Corée. Le compteur affiche 2-2 dans ce Bo5 angoissant. Silver Scrapes retentit dans la salle, il ne reste plus qu’une partie à jouer. Une partie qui vaudra aux samouraïs le titre de “The Artists”. La Corée est éliminée et pour la première fois de l’histoire, l’Asie a chuté. Le monde connaîtra une finale Europe contre NA. Une finale pour déterminer une bonne fois pour toute la meilleure région de l’Occident.
Dans cette salle comble de Taipei, tous les supporters arborent un large sourire. Doublelift et l’Amérique n'iront pas au bout du “Miracle run”, Invictus Gaming est tombé, la rédemption SKT n’a pas eu lieu. Pourtant, l’ambiance est au beau fixe. Européens et Américains applaudissent de tout cœur, ensemble. Les spectateurs le savent, le résultat final importe peu. Ils viennent d’assister à un tournoi qui restera gravé dans les mémoires.
Finalement, c’est ça le MSI. Un unique représentant par région, un seul groupe de six équipes et quatre d’entres elles avancent en demi-finale. Aucune équipe coréenne ou chinoise, contre six lors des Championnats du Monde. Aucun quart de finale. Un format qui laisse beaucoup plus de place aux exploits. Résultats des courses : une première victoire de la Chine en tournoi international, une première finale pour une équipe Américaine, une première victoire pour Uzi sur une scène mondiale, et une finale EU contre NA. Chaque année, le MSI conte une nouvelle histoire, pour le plus grand bonheur des fans.
La fierté de leur région
Le Mid-Season Invitational, c'est aussi deux compétitions distinctes dans un même événement. De tous les participants, les uns viennent jouer le titre, les autres faire honneur à leur région. Le Play-In braque les projecteurs sur les ligues méconnues de League of Legends et a le mérite d'organiser un examen complet des compétitions et des joueurs dont on ne parle pas.
Raconter cette histoire n'est pas chose facile. Il faut des personnages hauts en couleurs, récurrents, alors que tous ou presque sont sortis de scène depuis les Worlds, il y a huit mois. Mais les spectateurs du monde entier ont de la mémoire, surtout pour ceux qui triomphent de l'exercice.
Cette année, le Vietnam fait parler de lui. La région est en train d'exploser et vient d'accueillir sa première compétition internationale. À Hanoï, les Phong Vu ont électrisé leur public et sont sortis du Play-In, comme EVOS Esports l'avait fait un an plus tôt. Victoire. Le grand perdant du Play-In, c'est la Turquie. Fenerbahçe Esports a déçu. La percée de la TCL au MSI se fait attendre : aucune équipe turque n'a fait mieux que les SuperMassive et Beşiktaş, depuis 2016. Même avec l'aide du rookie coréen Ruin ou du vétéran européen Kirei, le plan n'a pas fonctionné pour les jaune et noir : la Turquie s'est fait voler la vedette et enterre chaque année un peu plus son statut de favori derrière les favoris.
Plus bas, les places valent plus cher encore. Il s'agit de faire bonne impression et d'éviter de se prendre une valise aux yeux du monde entier. Défi raté pour INTZ e-Sports qui boucle son voyage avec une victoire pour cinq défaites. Les Brésiliens, encore novices, feront mieux la prochaine fois, ils n'ont qu'à s'inspirer des DetonatioN FocusMe. L'année dernière, lorsqu'ils s'appelaient encore PENTAGRAM, les Japonais avaient fait le même score. Au Play-In de cette année, Yutapon et Ceros terminent à 4 - 2. Le second a même rejoué son fameux Ziggs.
La vraie surprise vient de Russie. Le Play-In a tenu sa promesse en portant les Vega Squadron sur le devant de la scène. Dans la droite lignée des Gambit, Vega Squadron a étonné tant par sa compréhension de la méta qu'au travers de ses individualités fortes. Dans le Play-In, la mère patrie a pris ses repères avec cinq victoires en poules depuis l'édition 2018.
Le rendez-vous des légendes
Au MSI 2019, se hisser dans le Main Event, c'est entrer dans la cour des très grands. Les phases finales ont été le théâtre d'affrontements entre trois géants en position de force. Trois grands champions sacrés sans contestation sur la première partie de saison et qui disposent des meilleurs joueurs du monde. L'opposition à couteaux tirés entre SKT T1, G2 Esports et Invictus Gaming a pris des airs de triangulaire pour le titre cette année.
À gauche, SKT T1, champion de Corée réhabilité après un an de galère débarque avec son super roster. À droite, G2 Esports, une bande de potes en pleine confiance, la meilleure équipe que l'Europe ait jamais connue. Au milieu trône Invictus Gaming. Le champion du monde survole les phases de poules et arbitre les débats, les yeux rivés sur le trophée. Au cœur de cette impasse mexicaine inédite en tournoi international, les différends se règlent sur la midlane et la toplane. Les sololaners G2, Caps et Wunder, ont illuminé la compétition : forts, sereins et créatifs en toutes circonstances. Du côté des SKT T1, Faker participait à son troisième MSI. L'icône de la midlane s'est illustré en tant que leader, étant à l’initiative de certains chefs-d'oeuvre qui marquent désormais l'histoire de la compétition.
Au top, TheShy s'est distingué comme l'un des tout meilleurs joueurs du monde avec Invictus Gaming. Le génie coréen, expatrié en Chine depuis tout petit, a franchi un nouveau cap depuis les championnats du monde. Impossible à surprendre dans sa zone de jeu, son association avec Ning dans la jungle a accouché d'un monstre d'agressivité, presque caricatural d'un jeu purement « chinois ». Sur la ligne du haut, la déception arrive avec Khan pour SKT T1. L'ancien toplaner des KING-ZONE a traversé la compétition, presque fantomatique.
L'histoire retiendra Team Liquid, responsable de la déroute troublante des champions du monde en demi-finale et finaliste surprise cette année. L'Amérique du Nord a ses héros. Face à Invictus Gaming, Doublelift, enfin sorti des poules en huit ans de compétition et porté par le public taïwanais, est concentré sur sa prestation. Le vétéran de 25 ans s'applique et punit les moindres intentions chinoises. Il ne craquera pas. Avec lui, son support CoreJJ, ancien champion du monde avec Samsung Galaxy en 2017, réalise le plus grand match de sa carrière.
En grande finale, l'aventure n'ira pas plus loin pour les Liquid. Leur exploit est immense déjà. Les G2 Esports, vainqueurs 3 à 2 des SKT T1 dans la seconde demi-finale, soulèvent leur premier trophée en compétition internationale.
Le combat aura duré seulement 70 minutes pour enterrer cette première opposition fratricide en finale d'un tournoi international.
Un record ... historique.
Prolonger l'histoire
Sur League of Legends, les légendes se font et se défont, mais beaucoup d'entre elles naissent en mai. Dès sa première édition en 2015, le Mid-Season Invitational bâtit sa propre légende. Celle de la Morgana de PawN contre la Leblanc de Faker.
À cette époque, Edward Gaming s'impose 3 à 2 au terme d'une finale mémorable contre le grand SKT T1, celui de Bengi. La surprise est totale. C'est la première fois qu'une équipe chinoise remporte une compétition internationale. Depuis, le tournoi de mi-saison organisé par Riot Games perçoit les ambitions des plus grandes équipes du monde et prend le pouls de toute la compétition, à six mois des Worlds.
Un an plus tard, Counter Logic Gaming enclenche sa montée en puissance au MSI. L'audience afflue pour venir ovationner les G2 Esports, nouveaux rois d'Europe. Le public assiste surtout à la mise à mort, froide, des Flash Wolves par les Américains en demi-finale. Xmithie, demi-finaliste avec Team Liquid pour l'édition de cette année, est titulaire dans l'équipe.
Les CLG manquent d'expérience et, individuellement, ont leurs propres lacunes. Mais ils l'emportent à l'aide d'un jeu d'équipe plus que crédible. Une structure nord-américaine qui se hisse en finale d'un tournoi international, c'est une grande première. Surtout avec un statut de total outsider. Le rêve s'achève en finale sur un trois à zéro sec, infligé par des SKT T1 revanchards. L'heure des américains n'est pas encore venue, mais la Corée tient enfin son MSI.
2017, année coup de cœur. Le Play-In fait son apparition au Mid-Season Invitational. Si le monde entier s'attend à un tournoi préliminaire sans relief, c'est sans compter sur les GIGABYTES Marines. Cette année là, les Thaïlandais crèvent l'écran, entre exotisme et stratégies carabinées. Les Marines n'atteindront pas la marche des playoffs mais le mal est fait : ils volent presque la vedette à G2 Esports.
Les Européens sont de retour pour porter le coup de grâce. C'est fait face à Team WE en demi-finale. Malheureusement, l'aventure doit s'arrêter pour l'équipe de Perkz face à Faker et SKT T1, impérial en finale. Depuis le faux-départ de 2015, le MSI est devenu ce tournoi où les grands champions s'invitent, mais où SKT gagne à la fin.
Pour sa quatrième édition, le MSI prend un virage déterminant. SKT T1 n'est pas de la partie. Le double tenant du titre se dérobe en 2018 et c'est aux KING-ZONE DragonX que revient la lourde tâche de faire tomber la Chine, en état de grâce dans une méta inédite.
Royal Never Give Up rase tout sur son passage. Uzi est intouchable. Le carry-ad chinois met enfin la main sur son premier titre international face aux Coréens, après avoir triomphé de Rekkles et des Fnatic plus tôt dans la compétition.
Pour la grande première du MSI en France, le sursaut chinois est annonciateur. Il faudra désormais composer avec ses représentants à l'avenir.
Aujourd'hui, la débâcle d'Invictus Gaming face à Team Liquid en demi-finale écrit une nouvelle page de l'histoire de cette compétition hors-norme. SKT T1 est de retour, l'Amérique du Nord fait taire les critiques pour longtemps et toute l'Europe parade après son premier titre depuis huit ans. Le décor est planté. Les plus belles années du Mid-Season Invitational sont encore à venir.