C'est une vraie douche froide pour Call of Duty ce vendredi. L'équipe 100 Thieves, structure emblématique de la licence d'Activision, qui a remporté deux majors cette année et a terminé deuxième de la World League 2019, annonce officiellement via son CEO Matthew "Nadeshot" Haag qu'elle ne participera pas au circuit franchisé prévu pour l'année prochaine. Dans une longue vidéo publiée sur ses réseaux sociaux, Nadeshot a décidé de s'adresser directement aux fans des Thieves pour expliquer, visiblement affecté, les raisons de ce retrait à contre-cœur.
Légende planétaire de Call of Duty, capitaine d'OpTic Gaming quand l'équipe révolutionnait la compétition il y a déjà quelques années, mais aussi entrepreneur modèle, Nadeshot a fait de son organisation — dont il porte le logo tatoué sur son bras droit — un acteur incontournable de Call of Duty depuis sa création en novembre 2017. Aujourd'hui, Nadeshot assistera à la nouvelle mouture franchisée de la Call of Duty World League, la CDL, en tant que simple spectateur : une nouvelle déchirante pour le fondateur ainsi que pour tous les fans des Thieves, partout dans le monde.
Un ticket d'entrée ruineux
La première raison qui a poussé 100 Thieves à claquer la porte tient en huit chiffres : 25 millions de dollars. C'est le prix à payer pour n'importe quelle structure voulant participer au nouveau modèle de ligue franchisé sur Call of Duty, comme souhaité par Activision-Blizzard dès le mois de mars pour l'échéance 2020. Il faut garder à l'esprit que la popularité de Call of Duty, aujourd'hui, n'atteint pas celle des années 2010, celle de l' "ère OpTic Gaming", équipe aux innombrables titres et récemment passée sous le joug d'Immortals. Le prix du billet d'entrée est par conséquent difficile à rentabiliser pour une organisation avec une marge de manœuvre restreinte comme les Thieves. Le dernier Championnat du Monde de CoD attirait ainsi 120.000 spectateurs anglais uniques sur le stream officiel du tournoi, tandis que les Worlds de League of Legends culminaient à 44 millions de spectateurs dans le monde entier, d'après les statistiques de Riot Games. À titre de comparaison, un emplacement dans les LCS de League of Legends (Amérique du Nord) se négocie aux alentours de trente millions de dollars.
Comme Nadeshot l'indique, 100 Thieves emploie désormais près d'une quarantaine d'employés, joueurs, staff ou encore créateurs de contenu. Pour l'entrepreneur, sauter les yeux fermés dans la Call of Duty League reviendrait à prendre un énorme risque pour la structure et pour ses joueurs, jusqu'à mettre en péril ses propres effectifs en cas de mauvaises performances. Surtout lorsque l'on sait que le salaire minimum imposé par la ligue est de 50,000$ par an pour tous les joueurs.
La ligne de conduite suivie par Nadeshot se distingue modestement de celle suivie par les autres équipes d'ores et déjà engagées au sein de la nouvelle Call of Duty League. À l'instar du modèle établi en Overwatch League par Activision-Blizzard, la firme de Bobby Kotick compte déjà huit propriétaires de franchises sur neuf en Overwatch League, comme compétiteurs franchisés en CDL. Los Angeles, Toronto, Dallas ou encore New-York sont représentés par les mêmes investisseurs sur les deux licences.
Toutes sont soutenues par les mêmes multinationales et les mêmes milliardaires : Toronto est à la main d'OverActive Media, un des plus gros poids lourd de l'esport dans le monde qui possède également l'équipe Splyce, Los Angeles appartient à Kroenke Sports & Entertainment, actionnaire majoritaire du club d'Arsenal en Angleterre tandis que New-York dépend de la famille Wilpon, également propriétaire des Mets en Major League de Baseball. Autrement dit, 25 millions de dollars n'évoque pas, en l'état, un investissement colossal pour ces franchises. Et au milieu de tous ces noms de grandes villes, le fondateur des Thieves a bien du mal à trouver sa place.
Une identité à conserver
Dans sa vidéo, Nadeshot soulève un autre point de désaccord avec la politique de la Call of Duty League. Celle-ci exige de ses partenaires franchisés de se conformer à un modèle d'implantation géographique local sur le territoire des États-Unis. Faire fonctionner une billetterie propre à l'équipe et s'associer à des sponsors locaux, entre autres. En d'autres termes, 100 Thieves serait dans l'obligation de revêtir le nom d'une grande ville des U.S. et de recevoir dans son enceinte comme cela est expérimenté en Overwatch League depuis deux ans — et comme il est de coutume dans le sport traditionnel outre-Atlantique. À minima, les Thieves auraient le droit de créer une branche « sœur » afin de participer à la CWL pour conserver leur branding en dehors du circuit Call of Duty.
Un discours qui ne convient pas à l'identité de l'équipe, selon Nadeshot. De plus, les Thieves sont à la peine cette saison sur League of Legends, l'équipe n'ayant pas réussi à prendre part aux playoffs du Summer Split en LCS, malgré la présence de joueurs stars (et chers) dans l'équipe comme le triple champion du monde Bang. Même si les Thieves se sont consolés fin juillet avec un Top 3 en Duo à la World Cup Fortnite, grâce à ses joueurs Elevate et Ceice, c'est à juste titre que Nadeshot refuse de tomber dans le piège de la CDL cette année.
Rien ne dis pour l'instant que celle-ci ne tendra pas les bras, demain, aux 100 Thieves. Mais à quel prix ? Plus élevé encore, très probablement, selon ESPN.
D'autres écuries endémiques du circuit pro Call of Duty pourraient suivre le mouvement. Après le renoncement des Thieves, des acteurs majeurs du paysage CoD depuis des années, comme eUnited ou FaZe Clan, sont eux aussi sur la sellette. Dans les colonnes du Washington Post, Erik Anderson, Head of Esports chez FaZe Clan, témoignait il y a quelques jours de son incertitude :
« C’est un peu décevant que les organisations que les gens apprécient doivent aujourd'hui quitter la compétition, mais ce sentiment disparaîtra avec le temps et j’espère qu’ils [Activision] reconnaîtront toujours cette lignée et cette communauté qui s’est construite au cours de la dernière décennie ».
Pour le moment, aucun geste d'Activision-Blizzard n'a été fait dans ce sens.