Entre ombre et lumière
L'arrivée de la 3D et du jeu en temps réel
Un très grand nombre de RPG éclot dans les années 90 et certains d'entre eux auront un impact décisif pour l'avenir du genre. Le début des années 90 est marqué par une fatigue générale du CRPG. Les géants des années 80 ayant du mal à se renouveller, déclinent sans cesse les mêmes concepts. En 1992, Ultima sort son septième volet avant de subir les années suivantes un flop monumental à la sortie d'Ultima VIII et IX. Même chanson pour Wizardry et son septième opus, qui parvient tant bien que mal à sauver les meubles.
Les années 90 sont ainsi vues comme la période sombre du CRPG, d'où peu de titres émergent. Le genre s'essoufle… Toutefois, une nouvelle vague est en approche depuis l'Occident avec l'arrivée de la 3D et le passage du tour par tour au temps réel, notamment insufflé par deux petites entreprises, aujourd'hui devenues grandes.
Dans les années 80, un ingénieur américain, Christopher Weaver, est en avance sur son temps. Il exploite notamment la reconnaissance de mouvements sur VideoMagic, un simulateur d'environnement sur Laserdisc. Bien trop avant-gardiste, VideoMagic ne marche pas et Weaver se tourne alors vers les jeux vidéos. En 1986, il fonde sur ses propres fonds Bethesda Softworks. L'aventure Bethesda commence avec Gridiron ! (1986), un jeu de simulation de football américain, et avec un peu plus tard, plusieurs simulations de hockey sur glace en 3D temps réel. Weaver se lassant des jeux de sport, parvient à décrocher les droits d'adaptation du film Terminator, ce qui débouchera sur la sortie de quatre jeux PC en 3D.
Désormais expérimenté, Bethesda se lance dans un projet interne : The Elder Scrolls - Chapter One : The Arena. L'idée première était de développer un jeu qui se concentre sur des combats en arène avec très peu d'éléments RPG. Mais au fil du développement, les tournois deviennent de moins en moins importants, à l'inverse des quêtes annexes et des donjons. Après sa sortie en 1994, le jeu connaît des ventes très lentes. Pourtant, son univers gigantesque et généré aléatoirement (à l'exception des villes) est une véritable invitation au voyage. En 1995, Bethesda sort Terminator : Future Shock, le premier FPS à mettre en scène des ennemis polygonaux et à proposer le mouselook (aujourd'hui omniprésent, il consiste à utiliser la souris pour diriger le regard du personnage). C'est ce jeu puis The Elder Scrolls - Chapter II : Daggerfall (1996) qui dévoileront Bethesda et sa série phare du RPG.
Un an après la sortie de Daggerfall, débarque LE jeu aujourd'hui pillier du genre hack 'n' slash : Diablo. Avec sa vue du dessus en 3D, et surtout l'utilisation du temps réel, le jeu est pensé comme un hommage aux premiers du genre comme Rogue, même s'il a trouvé son inspiration chez deux autres titres : Dandy et Gauntlet. Développé par Condor Software (qui deviendra Blizzard North, une fois racheté en 1996 par Blizzard Entertainment alors que le jeu était encore en création), Diablo est un immense succès, avec en 2001 2,5 millions de copies vendues.
A la fin des années 90, le CRPG fait peau neuve grâce à plusieurs titres aujourd'hui devenus des références du genre. Parmi eux, on compte aussi Fallout (1997), et son univers post-apocalyptique, archétype du CRPG des années 2000, avec son monde ouvert et bac à sable, ou encore Baldur's Gate (1998), point-and-click fondé sur le background de Donjons et Dragons et plébiscité pour ses graphismes.
En parallèle, le JRPG vit un véritable âge d'or. Que ce soit sur Super Nintendo ou Mega Drive, le Japon convainc de plus en plus grâce à son audace esthétique, mécanique et scénaristique. Final Fantasy IV apporte des gameplays plus rythmés et dynamiques, Chrono Trigger est une petite révolution narrative, et il faudrait encore en citer beaucoup d'autres.
L'arrivée de la Playstation (déc. 1994 au Japon) et de la Nintendo 64 (juin 1996) propulse le marché du JRPG en Occident. Jusqu'ici majoritairement réservés aux japonais et à un public de niche (même si le marché français faisait figure d'exception, déjà friand d'animés japonais), les JRPG abandonnent alors progressivement le traditionnel tour par tour au profit du temps réel, voire semi-temps réel, portés par la 3D, arrivée en même temps que les deux nouvelles consoles.
Final Fantasy VII débarque dans cette mouvance et, pour la première fois, un JRPG touche le grand public occidental. C'est grâce à une campagne marketing impressionnante (100 millions de dollars investis, avec des encarts sur toutes les chaînes de télévision et dans tous les grands magazines) et à ses prouesses visuelles (cinématiques spectaculaires, caméras et mouvements) que le septième volet a pu réaliser un tel exploit. Fin 90, FFVII n'est pas le seul à faire briller le JRPG et à apporter son lot d'innovations : on peut aussi citer Xenogears (1998), Valkyrie Profile (1999) ou encore Castlevania : Symphony of the Night (1997) et son hybridation parfaite entre jeu d'action, d'aventure et RPG, et bien sûr Pokemon (Vert et Rouge au Japon en 96 puis Rouge et Bleu en Occident en 98).
Le CRPG et l'ascension du multijoueur
Le multijoueur apparaît très tôt dans le RPG, avec la coopération sur Moria et Oubliette, dès 1974 sur PDP-10 et PLATO. Mis ensuite de côté pour laisser un seul joueur diriger toute une équipe, cette idée ne renaît qu'en 1991 avec la sortie de Neverwinter Nights, développé par Strategic Simulations. Le jeu se déroule dans l'univers de Donjons et Dragons et fonctionne en ligne uniquement avec AOL. A l'époque, le projet ne manque pas d'ambitions : le réseau passait à travers les lignes téléphoniques dont le débit était des centaines de fois inférieur à celui de notre ADSL actuel. Neverwinter Nights rencontre alors un franc succès jusqu'à ce qu'il s'éteigne en 1997 et laisse sa place à Ultima Online, le premier jeu véritablement considéré comme un MMORPG, avec des mises à jour régulières et des maîtres du jeu à même de modérer des milliers de joueurs ou de résoudre des bugs. Le genre a par la suite accueilli de nombreux jeux : EverQuest (1999), Phantasy Star Online (2000) ou encore Final Fantasy XI (2002), avant qu'ils soient tous engloutis par le tsunami World of Warcraft en 2004, qui demeure encore aujourd'hui leader du genre.
Le MMORPG peut être considéré comme une des formes les plus intéressantes et rôlistiques du RPG, avec notamment la possibilité de pratiquer le roleplay (du jeu de rôle dans un jeu vidéo de rôle).
A la conquête du vieux continent
Entre les années 2000 et aujourd'hui, de nombreux studios émergent en Europe, alors que les RPG étaient, jusqu'à présent, majoritairement réalisés aux Etats-Unis et au Japon.
Raphaël Colantonio est alors un jeune ingénieur Français. Passionné de jeux vidéos, c'est durant son service militaire qu'un ami lui envoie un concours déniché sur le magazine Joystick. Raphaël renvoie le formulaire et, à sa grande surprise, Electronic Arts le contacte : l'entreprise souhaite former une équipe française, et recherche plus particulièrement un connaisseur des jeux EA. Après une rencontre, la société americaine entreprend toutes les démarches pour faire sortir Raphaël de l'armée et remonte même jusqu'au ministère. Une fois chez EA, le français crée le département testing, recrute d'autres compatriotes et part en Angleterre faire du développement dans les studios d'EA.
Après avoir travaillé sur quelques FIFA, Raphaël rentre en France et fonde en 1999 Arkane Studios, déçu du tournant que prenait EA à l'époque : en 2004, l'entreprise fermera Origin Systems, le studio créé par Richard Gariott et à l'origine de la série Ultima. Avec des inspirations comme System Shock, The Elder Scrolls et bien sûr Ultima Underworld, le jeune studio français sort en 2002 Arx Fatalis. Malgré le manque de moyens, des offres affluent des éditeurs, comme Ubisoft qui lui commande Dark Messiah of Might and Magic : la machine est lancée. C'est ainsi que plus tard, Arkane Studios livre Dishonored (2012) après un rachat en 2010 par ZeniMax Media (The Elder Scrolls, Fallout, Doom, Wolfenstein…), la grande entreprise américaine fondée en 1999 par les créateurs de Bethesda Softworks.
En Allemagne, on retrouve le studio Piranha Bytes, connu pour la série Gothic entre 2001 et 2006, mais de tous les studios naissant sur le vieux continent, CD Projekt RED est celui qui s'en sort le mieux. Alors que la Pologne est gangrennée par le piratage, où le copyright n'a plus beaucoup de valeur, le studio devient le pionnier de l'édition et de la distribution dans son pays. Pour gagner ce marché, CD Projekt RED souhaite proposer des jeux locaux, originaux et surtout, de qualité. Marcin Iwinsky (cofondateur du studio) et son équipe ont ainsi choisi de travailler sur le RPG, genre se prêtant très bien aux objectifs fixés. Du jour au lendemain, avec une seule et même franchise, issue des ouvrages de fantasy d'Andrzej Sapkowski, cultissime dans son pays, CD Projekt RED obtient la reconnaissance du monde entier, avec la série The Witcher.
