Des wargames aux premiers jeux vidéos de rôle
Avant le JDR, les wargames
Il y a deux histoires du jeu vidéo. La première est celle du jeu d'arcade, inspiré des jeux d'adresses, du sport, des fêtes foraines… La seconde est celle du jeu vidéo plus "cérébral", descendant du jeu de société et de l'ordre de la simulation et de la stratégie. Le jeu de rôle, et par conséquent le RPG, sont issus de cette histoire.
Le jeu de société existe depuis des millénaires. Son héritage remonte jusqu'à l'Antiquité avec notamment le senet (Egypte antique, 3100 av. J.-C.), le jeu royal d'Ur (Mésopotamie, 2600 av. J.-C.) en passant par le go (Chine, Ve siècle av. J.-C.). Au XXe siècle, l'arrivée du Monopoly (1935) démocratise le jeu de société et provoque la floraison d'une multitude de jeux divers et variés. C'est ainsi que plus tard, en 1957, le Risk, jeu de combats militaires très simplifié, ouvre la voie du grand public à un univers ludique jusqu'ici réservé à une élite : le wargame.
Le wargame est un jeu de simulation de guerre, un peu comme une version plus réaliste du jeu d’échecs. Des figurines de soldats aux plateaux reprenant les plus grandes batailles de l’histoire, le but est de reproduire des combats historiques. Les wargames sont régis par un grand nombre de règles (bien souvent beaucoup trop nombreuses pour un seul cerveau). Les plateaux de simulation de bataille, utilisés en stratégie militaire tout au long de notre histoire, sont en quelque sorte l’ancêtre du wargame.
Et le RPG dans tout ça ?
Les premiers wargames apparaissent au début du XXe siècle, notamment avec Little Wars (1913), créé par le célèbre écrivain britannique H. G. Wells (La guerre des mondes), d'ailleurs aujourd'hui considéré comme le père du wargame avec figurines. Mentionner Little Wars est loin d’être anodin, car il influencera entre autres le créateur de Donjons et Dragons, Gary Gygax. Les wargames auront en effet un rôle crucial dans l’histoire du RPG, car ce sont eux qui inspireront à la fois les créateurs et les règles du jeu de rôle.
Parmi ces règles à l’origine du JDR, le wargame introduit le Maître du jeu. Fin des années 60, un certain David Wesely, wargamer américain (Minnesota), a l’idée de modifier certaines règles de base d’un wargame, Stratego, afin de créer son propre wargame alors baptisé Braunstein (nom imaginaire d’une ville allemande). Il ajoute un arbitre “désintéressé” en plus des deux joueurs déjà présents. De plus, il leur propose d’incarner d’autres personnages comme le maire, le banquier ou des éléments avancés de l’armée aux capacités et objectifs particuliers. Cette diversification des rôles débouche sur de nouvelles actions comme le vol de bombes ou la négociation entre joueurs. Malheureusement, toutes ces idées n'aboutissent à rien de cohérent et la partie se transforme en véritable pagaille. Mais cette petite expérimentation ne sera pas sans conséquence : au sein de ce groupe de joueurs est présent un certain Dave Arneson, futur cocréateur de Donjons et Dragons. Plus tard, Dave fera la connaissance de Gary Gigax avec qui il retravaillera Chainmail (un wargame créé par Gary et Jeff Perren en 1971), le futur Donjons et Dragons.
Le JDR et le raz de marée Donjons et Dragons
En 1974, Gary Gygax, Dave Arneson et les éditions Tactical Studies Rules publient Donjons et Dragons. Le jeu contient trois livrets où règles et aventures sont expliquées. Trois ans plus tard, TSR a la bonne idée de créer deux gammes distinctes : une pour les habitués du wargame et l'autre pour les débutants. Le succès est sans appel : en 1981, Donjons & Dragons compte plus de trois millions de joueurs dans le monde.
C'est ainsi que l’arrivée de D&D marque la création d’un tout nouveau genre ludique : le jeu de rôle sur table.
Le concept ? Les participants créent et vivent une histoire par le biais de dialogues et d'actions où chacun incarne un personnage. Le support de l'imaginaire y est très important et les dés, le papier, et les crayons constituent l'essentiel des accessoires nécessaires pour jouer.
TSR publiera par la suite de nombreuses éditions et extensions. Dans la première version du jeu, trois classes de personnages sont disponibles : le guerrier, le magicien et le prêtre.
Dans Donjons et Dragons, les participants forment un groupe d’aventuriers. Guidés par le Maître du jeu, ces combattants chevronnés partent à la conquête d'un trésor (de l'or, un artéfact magique ou même une princesse), bien souvent caché tout au fond d'un donjon, et bien sûr protégé par une horde de monstres. Chaque personnage est défini par un système de caractéristiques (force, dextérité, intelligence…), de race (humain, elfe, nain…) et de classe (guerrier, magicien, prêtre…). La progression est régie par un système de niveau et d’expérience. Les combats s’effectuent au tour par tour et les points de vie représentent l’aptitude d’un personne à pouvoir continuer l’aventure ou non.
Les premiers jeux vidéos de rôle : les proto-RPG
Après la sortie de Donjons et Dragons, un groupe d'étudiants de l'université de l'Illinois du sud développe des programmes informatiques - qui sont en vérité les premiers essais vidéoludiques à but non lucratif -, et c'est ainsi qu'en 1974, dnd voit le jour. Référence directe à Donjons et Dragons, dnd est le seul des trois premiers jeux vidéos inspirés du JDR encore conservé. Les deux autres, pedit5 et M199H ont malencontreusement été égarés. Et pour cause, la tâche est ardue à l’époque : les ordinateurs, propriétés de l'université, sont dotés de capacités limitées : les jeux saturent vite le peu de mémoire disponible. Entre l’interdiction de programmer et les parties de cache-cache entre professeurs et élèves, de nombreux prototypes ont alors sombré dans les méandres d'un malheureux formatage.
Conçu pour le système informatique PLATO, dnd reprend le concept Porte-monstre-trésor (ou en anglais hack 'n' slash) du jeu de rôle. Le but est donc de progresser dans un donjon, ouvrir une porte, affronter un monstre, remporter le butin qu'il protége et bis repetita. Dans dnd, le joueur crée son personnage et part à la recherche de l'Orbe, un trésor durement gardé dans les tréfonds des oubliettes de Whisenwood. Bien que très simpliste graphiquement, le jeu présente une complexité non-négligeable pour l'époque. Ses innovations seront reprises par la plupart des jeux qui suivront jusqu’à aujourd’hui. Le jeu a en effet introduit le tout premier boss du jeu vidéo, le dragon d’or gardien de l’Orbe, mais aussi le premier outil de level design, des téléporteurs pour passer d’un niveau à un autre, une difficulté progressive en fonction du nombre de niveaux parcourus, etc.
En 1975, Dungeon, jouable sur l'ordinateur PDP-10 et qui reprend lui aussi le concept de Donjons & Dragons, est le tout premier jeu à transformer le texte en graphismes.
Suivra Moria, en 1975 également, qui propose pour la première fois une vue à la première personne, un village où il est possible d’acheter armes et armures ou encore la possibilité de jouer jusqu’à dix joueurs. Moria inspirera Oubliette, en 1977, puis Avatar, en 1979. Tous deux apporteront leur lot d’innovations comme les guildes, les races jouables ou de nouvelles compétences comme la séduction. Il s’agit en fait des tout premiers MMORPG.
Quelques mois plus tard, en 1980, Rogue apparaît sur Unix, un autre système informatique. Sur les traces de Dungeon, Rogue utilise des graphismes où décors, monstres et objets sont représentés par des lettres. Sa célébrité provient de son écriture en ASCII qui lui permettait d'être facilement adapté sur plusieurs systèmes. Comme ses prédécesseurs, Rogue a lui aussi été conçu comme un Porte-monstre-trésor, à la différence qu'il apporte deux grandes nouveautés : la mort définitive et la génération aléatoire des niveaux. Le jeu donnera son nom à un genre à part entière du RPG (duquel découle notamment le très connu Diablo, avec son mode hardcore) : le Rogue-like.
Entre la sortie de Donjons et Dragons et la fin des années 70, de nombreux CRPG sont développés au sein des universités américaines. Le phénomène s’est même transformé en outil marketing afin d’attirer de nouveaux étudiants dans certaines d’entre elles. Grâce à cette communauté estudiantine et passionnée, les premiers prototypes de RPG sont nés. Quelques années plus tard, ce sont aussi ces étudiants qui développeront et commercialiseront les premiers grands titres du RPG.