Dossier : la franchise Syberia
L’E3 a comme tous les ans apporté son lot de bonnes nouvelles. Malheureusement, il laissera aux joueurs de Point & Click un petit goût amer. En effet, alors qu’il aura fallu attendre 13 ans pour la sortie de Syberia III, beaucoup de fans de la série espéraient une annonce à propos d’une sortie pour un nouvel opus courant 2018. Il n’en est rien. Face à l’accueil mitigé reçu par le dernier volet de la franchise, il semblerait que Benoît Sokal, le concepteur et Microïds, le développeur, aient décidé de prendre leur temps. Le petit studio français et le concepteur belge n’ont cependant pas de quoi rougir. N’ayant pas les moyens de gros studio comme Blizzard Entertainment ou Crystal Dynamics, c’est en grande partie les joueurs qui ont contribué à faire la promotion du jeu. Le 4e épisode est actuellement en cours d’écriture, et même si la licence est désormais une référence en son genre et est parvenu à convaincre les plus réfractaires de se laisser tenter, que peut-on vraiment attendre de celui-ci ?
Syberia
Sorti en 2002 sur PC puis en 2003 sur PlayStation 2 et Xbox, Syberia fut un véritable succès dès sa sortie. Très rapidement, il acquit ses lettres de noblesse en recevant divers prix de Meilleur jeu d’aventure de l’année par de nombreux sites et fut même mis en compétition en tant que meilleure réalisation multimédia 2003 face à GTA III et Jedi Knight II. Après l’avoir nommé « meilleur jeu d’aventure de l’année 2002 », le site Atlantis Amerzone, se justifia par « Pour l'histoire, la poésie et la beauté des images, l'ambiance à couper le souffle, les personnages très attachants et humains, ce jeu a relancé les jeux d'aventure en 2002, provoqué de l'engouement, un chef-d'œuvre! ». Autant dire que ses 400 000 ventes entre 2002 et 2005 ne furent pas piquées des hannetons ! Touchant la perfection du bout des doigts, les raisons de cette réussite sont nombreuses.
Un univers et des personnages ô combien attachants !
Commençons par resituer les choses dans le contexte. En 2002, lors de la sortie de Syberia, rares étaient les jeux où le joueur pouvait incarner une héroïne. Lara Croft, Jill Valentine, Joana Dark pointaient déjà le bout de leur nez, seulement toutes restaient dans un genre badass où elles devaient s’imposer dans un monde toujours très masculin. Syberia permit de suivre la continuité de l’évolution, partant vers une féminisation du jeu vidéo, mais en ouvrant le champ des possibilités en ne réduisant plus l’héroïne à une guerrière armée jusqu’aux dents. À la croisée entre la fragilité supposée des femmes qu’incarne par exemple Peach ou l’insensibilité d’Aya Brea, Kate Walker était née. Le personnage principal de Syberia était assez loin des stéréotypes que l’on retrouvait habituellement pour les personnages féminins clés des jeux vidéo. Avocate américaine en début de carrière, habituée à son confort et à la petite vie rangée et mondaine qu’elle menait avec son fiancé, rien ne la prédisposait à partir à l’aventure. Pourtant après moult hésitations, elle se jeta à corps perdu dans une expédition lointaine et périlleuse qui changea à jamais sa vision de la vie. Un brin agaçante et un peu pimbêche, cette ex-carriériste prête à se laisser marcher dessus par son boss finit par devenir attachante et envoyer valdinguer tout ce qui constituait son monde précédemment. Adieu mari volage et ampoulé, adieu maman-poule et frivole, Adieu emploi morne et chef irrespectueux et grossier !
La demoiselle changea complètement son fusil d’épaule au cours de cet épisode et devint une femme forte, déterminée et libérée du carquois qu’on lui avait imposé. Toujours raffinée, elle mettra quand même les pieds dans le plat et laissera ses bonnes manières de côté lorsque la situation l’exigera. Bien plus réfléchie que ses comparses, son intelligence sera souvent mise en avant et ne sera que bénéfique pour ce Point & Click nécessitant moins de muscle que de matière grise. Cette évolution et particulièrement le fait que celle-ci se déroule sous les yeux du joueur, a fait de Kate Walker une des héroïnes les plus attachantes dans le monde du jeu vidéo. Il serait bon de ne pas oublier les protagonistes secondaires aussi pittoresques que touchants. Il y a bien sûr Oscar, l’automate craintif et un brin oisif et Hans Voralberg, l’ingénieux vieillard vivant dans la folie douce. Benoit Sokal a fait en sorte que les joueurs s’entichent de chacun d’eux et n’aient de cesse d’aller de l’avant afin de les aider à atteindre leur but. Montrer les failles, les passions et les blessures de ces êtres les a humanisés et a permis de créer un lien fort entre eux et les joueurs. Chapeau l’artiste !
L’univers du 1er Syberia plonge le joueur dans un monde onirique et plein de poésie dont il est difficile pour lui de sortir. Kate Walker est envoyée à Valadilène, village des Alpes françaises afin de conclure le rachat d’une usine familiale d’automates. Cependant, à peine arrivée dans cette bourgade pittoresque, l’héroïne se retrouvera face à une situation inattendue et déroutante : Anna Voralberg, la propriétaire de l’usine vient de passer l’arme à gauche. Obstinée et déterminée à faire ses preuves auprès du cabinet New Yorkais Marson & Lormont, l’avocate décidera de ne pas renoncer et de se rendre auprès du notaire. Allant de surprise en surprise, elle découvrira, alors que l’on pensait l’unique héritière morte et l’affaire déjà conclue, qu'il faudrait compter sur un nouveau bénéficiaire. Hans Voralberg, le frère de feu Anna, prétendu décédé depuis près d’un demi-siècle serait toujours en vie. Afin de mener à bien sa mission, Kate Walker n’aura d’autre choix que de tirer cette affaire au clair et si cette histoire se révélait vraie, de trouver Hans et de le convaincre de signer la vente. Il faudra à notre héroïne bien du courage et de la patience afin de démêler le vrai du faux, de retrouver la piste de Hans Voralberg parti à la recherche des Mammouths et de mener à bien sa tâche. Elle abandonnera son confort et son statut et épousera un mode de vie nomade qui finira par réveiller sa véritable personnalité.
D’une petite ville française, à une station thermale réputée, en passant par une clinquante université et une cité industrielle abandonnée, Kate en aura fait du chemin. Rien n’est laissé au hasard dans cet univers imaginé par Benoît Sokal pour permettre aux joueurs de s’évader. L’immersion est totale et rapide dans ce monde fantasque se prêtant très aisément à la rêverie. À l’instar du réalisme et du pragmatisme s’entrechoquant avec la beauté et la douceur d’un conte pour enfants, les époques semblent s’entremêler de façon hétéroclite, mais harmonieuse. Voir un train à l’allure futuriste fonctionner au charbon, ou des automates dotés de sentiments craindre la rouille, rajoute du cachet et de la poésie au récit. Dernier point à noter, le scénario est bien ficelé et réussit à tenir le joueur en haleine jusqu’au grand final. Captivant et original, il reste néanmoins assez simple et accessible pour ne perdre personne en route et se terminer en une dizaine d’heures.
Plaisant, beau et techniquement à la pointe...
D’un point de vue technique, il faut garder en mémoire que le jeu date de 2003. Ce Point & Click d’aventure se joue en vue à la troisième personne et utilise un système de décors modélisés en images de synthèse à travers lesquels se déplacent les personnages. Il s’agit de plans fixes agrémentés d’animations de détails comme les reflets sur l’eau, le vol d’oiseaux… À la manière du premier opus de Resident Evil, l’angle ne change que lorsque l’héroïne arrive à l’extrémité d’un plan. Un peu Old School pour 2017, ce système a au moins le mérite de tenir sur toutes les machines et de bien vieillir. L’aventure suit son cours au fil des rencontres et surtout des dialogues entre Kate Walker et les autres protagonistes. Ces échanges se développent à partir d’un choix de sujets de conversation proposés dans un petit calepin dès que s’entame une discussion. Comme dans les Telltale Games, les décisions prises lors des joutes verbales permettront des réactions des interlocuteurs et ainsi de faire avancer le scénario ou du moins de donner des indices pour progresser.
Pour le reste, le gameplay est assez basique et reste classique pour ce type de jeu. Le joueur promène son curseur sur le décor et lorsqu’une action est possible, ce dernier prend une forme spécifique. Il n’y a alors plus qu’à déplacer l’héroïne dessus afin de prendre un objet ou de tenter de résoudre l’énigme. Simple, mais efficace et facile à prendre en main, c’est ce que l’on pouvait espérer de mieux. En plus de l’inventaire, où sont placés tous les items que Kate a trouvés, un second volet d’équipement rassemble les documents (lettre, livre…) lus par celle-ci. Il ne faut pas les négliger puisque certains peuvent livrer des informations essentielles pour l’avancer du scénario. Fait plus rare et encore davantage pour l’époque, l’avocate a à sa disposition un téléphone portable. Au fil de l’aventure, elle recevra des appels de son entourage et pourra également en passer. Ces actions de prime abord anodines apporteront leur lot de surprises voire d’informations afin de progresser dans le script. Pour finir, la sauvegarde est disponible à tout moment et il est impossible de mourir ou d’être bloqué de manière définitive pour un mauvais choix. Avec tous ces ingrédients, on comprend mieux pourquoi Syberia fut un succès critique et commercial dès sa sortie.