Il n'est vraiment pas facile pour un CRPG de sortir après Baldur's Gate 3, surtout durant la même année. Et s'il est clair pour Rogue Trader, Owlcat Games n'a pas d'aussi hautes ambitions, ni un budget aussi important que Larian Studios, cela reste un gros titre dans ce genre particulier. On peut aussi leur souhaiter qu'un nouveau public se soit découvert un goût pour les CRPG en 2023 grâce au GOTY probable de l'année puisque Rogue Trader le mérite, comme nous allons le voir.
- Genre : Jeu de rôle, Tour par tour, tactique
- Date de sortie : 7 décembre 2023
- Plateforme : PC, PS5, Xbox One
- Développeur : Owlcat Games
- Éditeur : Owlcat Games
- Prix : 39,99€
- Testé sur : PC
Empereur par procuration
Malgré le nombre excessifs de jeux sous licence Warhammer 40k sortis depuis plus de 30 ans (60 environ), il est toujours étonnant de découvrir qu'il n'y a aucun RPG dans le lot. La majorité d'entre-eux sont de type stratégique ou tactique, ce qui est logique, il y a aussi quelques FPS et des jeux d'action, mais personne n'avait tenté l'aventure auparavant. Il faut croire que dans cet univers, il n'y a effectivement que la guerre, et l'inflexible Imperium avec son système totalitaire prônant l'intolérance et la haine, ne laisse que peu de place aux choix des individus, et encore moins à leur liberté.
Il y a néanmoins une exception notable dans le cas des marchands-libres chartiers (Rogue Trader), auxquels Games Workshop avait dédié un jeu de rôle sur table avec des règles spécifique, même si la licence n'a jamais rencontré un grand succès. Un peu comparables aux corsaires du monde réel, ils ont reçu l'autorisation d'explorer librement la galaxie afin de coloniser de nouvelles planètes au nom de l'Empereur. Cela les amène à côtoyer de nouvelles civilisations et des aliens, avec lesquels ils peuvent commercer, et ils peuvent faire usage de presque n'importe quelle méthode dans le cadre de leur mission, ce qui serait inacceptable en temps normal. On se retrouve un peu dans la même position que dans Tyranny, et personne ne protestera si vous décidez d'exécuter un officier ou même des civils au milieu de la rue. Ce n'est pas un jeu pour les âmes sensibles.
Il dispose d'un vaisseau afin d'explorer le vide entre les étoiles, ainsi que d'un équipage souvent exotique, susceptible de contenir des renégats comme des psykers non assermentés, des mutants voire des xénos. Les planètes de son petit empire marchand génèrent aussi des revenus afin de financer ses efforts. Autant dire que le Rogue Trader dispose d'une liberté inégalée dans l'univers de W40k, et comme vous l'aurez compris, vous jouerez l'un d'entre eux, alors qu'il vient d'hériter de la charte et de l'empire de son prédécesseur. Prendre le relais ne sera pas facile, entre les complots d'un culte du chaos, des flottes d'aliens hostiles, les innombrables menaces qui vous guettent, et l'inquisition susceptible d'intervenir si elle vous soupçonne d'hérésie.
Vos aventures vont vous demander de prendre de nombreuses décisions, petites et grandes. Cela peut être une quête conventionnelle, comme la résolution d'un meurtre, ou alors décider du destin de toute une planète infestée et de ses habitants. Allez-vous tenter de les sauver ? Ou allez vous demander un Exterminatus, comme le prône la doctrine impériale ? Les décisions sont souvent difficiles à prendre dans Rogue Trader, et elles sont divisées en trois type d'alignement : Imperialis, pour le dogmatisme sclérosé attendu des sujets de l'Imperium. Benevolentiae, une forme d'humanisme qui nous est plus familier, qui est parfois plus rentable, mais qui peut aussi avoir des conséquences indésirables. Et Hereticus, si vous souhaitez utiliser les pouvoirs et technologies interdits, ou vous comporter comme un fou furieux, ce qui est très séduisant, mais aussi incroyablement dangereux.
Dans tous les cas, l'histoire de Rogue Trader (et sa durée de vie) est à la fois longue et intéressante. Prévoyez bien plus d'une centaine d'heures pour en voir le bout une première fois si vous souhaitez tout explorer, et il y a plusieurs fins possibles. Le jeu retranscrit très bien l'univers de Warhammer 40 000, sa cruauté et son inhumanité, tout en nous donnant la liberté de nous y immerger à notre façon. On peut effectivement jouer le rôle d'un impitoyable commandant de l'Imperium, d'un hérétique assoiffé de sang, ou aller à contre-courant et tenter d'apporter un peu de lumière en ces lieux, ce qui mène à des résultats variés. Cela donne envie de refaire le jeu pour voir les embranchements possibles.
Tous ces choix ont des conséquences immédiates, mais cela va aussi débloquer des bonus par palier et débloquer de nouvelles options de dialogue. Cela va aussi influencer vos compagnons. Certains ne manqueront pas de rejeter vos choix et de quitter votre équipage dans certaines circonstances. Avoir une Sœur de bataille, un Interrogateur de l'Inquisition et un Space Marine à bord est pratique lors des combats, mais nettement moins quand on commet une hérésie. Ils ont bien entendu droit à leur propres quêtes personnelles, et dans certains cas des romances bien développées avec de nombreux événements dédiés.
Gameplay
Le cœur du gameplay de Rogue Trader est conforme à ce qu'on peut retrouver dans les CRPG de ces dernières décennies. Les dialogues sont majoritairement présentés sous la forme de blocs de texte, avec les termes liés au lore, ou à des éléments techniques pouvant être mouse over, afin d'obtenir quelques explications, ce qui est appréciable pour tous ceux n'ayant pas relu 10 fois le codex de Warhammer 40 000. Une encyclopédie en jeu assez complexe fournie même des explications plus détaillées sur les mécanismes des combats et le jargon du jeu, ce qui n'est pas du luxe. Rogue Trader s'écarte du modèle qu'est Donjons & Dragons, les points de vie des personnages sont des "Blessures", par exemple, et les formules de calcul des compétences pour comprendre leur effet donneront des cauchemars à tous ceux qui ne sont pas mathématiciens.
Ne vous attendez pas à des dialogues entièrement doublés (même si certains le sont), ni à des visages expressifs en gros plan, ce n'est pas Baldur's Gate 3. Il a néanmoins son propre charme, avec davantage de texte, comprenant des descriptions et des informations aussi importantes qu'intéressantes. Le système de compétences et d'alignement est bien intégré, et c'est un réel plaisir de suivre les dialogues et les intrigues disponibles. Bien mener une discussion peut rendre le combat qui suit plus aisé, voire de l'éviter, et cela ne sera pas du luxe. Les combats sont nombreux et plutôt techniques. On espère pour vous que vous aimez les tacticals.
Rogue Trader utilise un système de combats tactique au tour par tour qui lui est propre, mais qui emprunte suffisamment d'éléments à d'autres titres du genre pour ne pas être perdu. On a le système de couvertures et de demi-couvertures de Xcom, un certain nombre de points d'action et de points de déplacement, et une quantité intimidante de capacités diverses à débloquer. Votre groupe peut comprendre jusqu'à 6 personnages, ce qui est appréciable quand de plus en plus de RPG limitent la taille du groupe à 3 ou 4. Cela donne l'occasion à des classes inhabituelles (nommées ici Archétypes) de briller, comme le leader ou le stratège.
Le nombre de pouvoirs et de synergies à gérer est de fait important. Certains de compagnons font foncer en mêlée, d'autres vont se mettre à couvert pour les appuyer avec leurs tirs, pendant que d'autres encore vont hurler des ordres ou utiliser des pouvoirs de psykers, qu'on pourrait comparer à des sorts. Mais comme souvent dans la licence, ce n'est pas sans danger. Les psykers peuvent produire des effets secondaires inattendus, voire invoquer par erreur un démon hostile aussi dangereux que le boss que vous étiez en train d'affronter... oups.
Votre groupe est large, mais l'opposition l'est d'autant plus. Fidèle à l'esprit des batailles massives de l'univers de Warhammer, vous allez souvent faire face à des groupes d'ennemis massifs, avec plusieurs dizaines d'unités. Mais ne paniquez pas, non seulement le rythme des combats ne s'en trouve pas trop ralenti, mais cela ajoute aussi un aspect épique. Ces petits ennemis meurent généralement avec une seule attaque, et ils vont vous aider à alimenter des talents spéciaux, ainsi que des capacités héroïques ou désespérées, via la barre de fougue. Cette barre représente la direction que prend le combat, et activer ces pouvoirs très puissants permet de sécuriser la victoire, et parfois de se tirer d'un mauvais pas en échange de malus.
Les ennemis sont variés, tout comme les situations dans lesquelles vous allez vous retrouver. Votre groupe dispose de nombreuses compositions possibles, avec une dizaine de compagnons à recruter, sans oublier un nombre presque infini de possibilités au niveau des builds et de l'équipement. Cela peut sembler compliqué dit comme ça, et il faut dire que la lecture de la description des compétences est assez lourde et complexe. Mais mécaniquement, cela nous a semblé d'un niveau similaire Pathfinder, tout en préservant tout son intérêt. La mise à disposition de plusieurs modes de difficulté, avec des paramètres pouvant être configurés individuellement pour chaque facette du jeu, fait que tous les joueurs devraient y trouver leur compte.
On peut néanmoins regretter que la présence de très nombreux bugs touchant les capacités et talents rendait tout cela assez frustrant durant le test, ce qui nous a souvent forcé à réinitialiser la spécialisation de nos personnages voire de changer la composition du groupe pour ne pas être bloqué. Les bugs touchaient aussi beaucoup d'autres systèmes. Une partie d'entre-eux sera peut-être corrigée d'ici la sortie, mais il peut être avisé d'attendre quelques mois, pour laisser le temps à Owlcat de corriger tout ça, si vous souhaitez un confort de jeu optimal.
Vaisseau et exploration
Owlcat Games a l'habitude d'introduire une sorte de mini-jeu tactique et/ou de gestion dans ses jeux, et les résultats sont mitigés. Dans Pathfinder King Maker, la gestion du royaume est presque unanimement considérée comme atroce. Dans Wrath of the Righteous, les avis sont plus mitigés, mais assez peu de joueurs ont apprécié la gestion de la croisade. Cela ne les a pas découragé, et ils ont introduit deux éléments distincts en plus des mécanismes de base d'un CRPG. Le premier est tout ce qui à trait à votre énorme vaisseau, bardé d'armes.
Il est utilisé pour explorer la galaxie en sécurisant des routes, ce qui mène a de nombreux événements liés aux dangers du warp lors des trajets dangereux, qui sont généralement résolus via des choix d'action dans un menu ou via un combat quasiment perdu d'avance si vous avez pris trop de risques. Il faut sécuriser les routes spatiales avec votre navigateur et découvrir de nouveaux systèmes un à un. Mais parfois, une véritable bataille spatiale s'engage face à des pirates par exemple.
Votre navire dispose de plusieurs postes auxquels affecter les membres du groupe, et il gagne aussi des niveaux, ce qui va influencer les capacités disponibles. Vous pouvez modifier son armement, et améliorer ses caractéristiques. Lorsque la bataille s'engage, on se retrouve un peu devant ce que pourrait donner Battlefleet Gothic en tour par tour. À cause de l'inertie de votre vaisseau, vous êtes obligés de jouer tous vos points de mouvement chaque tour. Il faut bien gérer les manœuvres, et tirer chaque arme lorsque les ennemis entrent dans leur angle de tir. Certaines tirent en face du navire, d'autres sur les côtés. D'autres éléments comme les torpilles ou la surcharge directionnelle des boucliers entrent aussi dans l'équation.
Vous risquez d'avoir quelques déconvenues au départ, à cause de la gestion de l'initiative, mais globalement, nous avons trouvé les combats spatiaux très réussis et intéressants. On les prend en main après avoir appris à ne pas foncer dans le tas, et ils sont dotés d'assez de profondeur. Comme vous n'avez qu'un ou deux vaisseaux à gérer, ils ont aussi le mérite de ne pas s'éterniser. Remporter ces batailles donne de l'expérience et de l'équipement pour améliorer votre vaisseau, ce qui vous aidera à remporter les rares batailles spatiales obligatoires de l'aventure.
On peut néanmoins regretter que les très nombreuses batailles optionnelles, que vous pouvez choisir d'éviter, ne sont jamais liées à des quêtes ou à des dialogues par exemple, et l'univers n'a pas l'air de tenir compte de la destruction de toutes ces flottes ennemies. La progression dans les améliorations du vaisseaux sont aussi trop lentes, surtout au niveau de la réputation. Si vous n'aimez pas cette aspect du jeu, mais que vous n'aimez pas rater du contenu, vous pouvez modifier le paramètre de difficulté des batailles spatiales, indépendamment des autres, ce qui est une bonne chose.
Gestion des colonies
La seconde fonctionnalité inhabituelle est la gestion de votre empire marchand. Alors que certains CRPG nous proposent parfois de développer une base, ici, ce sont les planètes entières en votre possession, et celles que vous allez découvrir au fur et à mesure. Cet aspect du jeu est à mi chemin entre Mass Effect et Starfield, la pénibilité en moins. Vous allez voler de système en système afin de scanner les planètes et les points d'intérêt, ce qui peut mener à l'exploration d'une nouvelle zone avec le groupe, à un dialogue, ou à l'installation d'extracteurs de ressources. Parfois, vous aurez à gérer de véritables colonies, dans lesquelles vous pourrez construire différentes infrastructures pour assurer la sécurité, débloquer des bonus notables comme un second vaisseau, ou pour vous attirer les faveurs de certaines factions.Vous aurez aussi des événements demandant votre intervention.
Une fois encore, Owlcat Games semble avoir tiré les bonnes leçons de ses erreurs passées. C'est beaucoup plus simple et intuitif que dans WotR par exemple. Vous avez simplement un panneau avec les emplacements de bâtiment pour chaque planète, avec les bonus associés, et quelques quêtes et contrats spécifiques à l'occasion. C'est simplement géré depuis un menu de l'interface sans temps de chargement ni besoin d'aller sur place. Vous pouvez tout à fait négliger cet aspect du gameplay aussi, et terminer l'aventure sans y toucher. Cela vous fera rater quelques quêtes, et vous serez à la fois moins riche et moins bien équipé, mais pas à un niveau ou cela s'avère un obstacle insurmontable. Sans en venir à un tel extrême, nous estimons que c'est suffisamment simple à gérer pour que les joueurs allergiques aux jeux de gestion puissent le tolérer.
Trône d'or
Ici, pas question de galérer à rassembler quelques crédits pour s'acheter une arme et une armure, cela n'aurait aucun sens pour quelqu'un possédant plusieurs planètes. Deux facteurs sont pris en compte, le premier est la profitabilité de votre empire, sa prospérité en un sens, vous l'améliorez en construisant des infrastructures ainsi qu'en prenant certaines décisions lors des quêtes, et il ne diminue pas en faisant des achats. Vient ensuite la réputation auprès des nombreux vendeurs du jeu, qui ne sont pas les marchands du coin, mais les représentants de factions majeures, comme la Marine Impériale.
Ils ne sont pas intéressés par une poignée de crédits non plus, il faut augmenter votre réputation auprès de leur faction de différentes manières que nous avons déjà mentionnés. Une d'entre-elles est inhabituelle, elle consiste à rassembler les tonnes d'objets divers et variés qui sont récupérés sur les corps de vos ennemis après chaque bataille et envoyés dans les cales de votre vaisseau. Vous n'avez pas l'usage de 50 fusils de cultiste de base, mais ensemble ils forment une cargaison notable à échanger contre de la réputation auprès d'un vendeur. Il ne vous paiera rien d'autre, mais à chaque palier de réputation, vous pouvez obtenir gratuitement tous les objets exclusifs correspondant.
On peut voir cela comme des échanges de bons procédés entre les puissants de ce monde. À vous de voir quelles factions privilégier en fonction des objets que vous désirez acquérir. Mentionnons au passage que pour une fois, la gestion de l'inventaire est plaisante grâce à ce système, et à l'absence de limite de poids. Les onglets permettent aussi de les trier facilement par type.
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