Dans la série des jeux Tom Clancy's, on place Ghost Recon du côté des jeux de tir tactique situés dans des conflits plutôt contemporains, voire futuristes, en témoignent Advanced Warfighter ou Futur Soldier. Après être passé par la case Free to Play et TPS un peu plus bourrin que les autres, c'est maintenant, et depuis Wildlands, du côté du monde ouvert qu'il fait ses armes. Ce dernier avait d'ailleurs mis un accent tout particulier sur la liberté d'action en proposant tout un tas de situations à régler dans le silence complet ou dans un festival de pétarade, seul ou à quatre. Breakpoint arrive avec les promesses d'une plus grande immersion et la mise en place d'un scénario original, sombre et plein de trahisons au sein d'une île fictive (a contrario du panorama contemporain et latino de Wildlands). Alors, pari tenu ?
- Genre : TPS Tactique
- Date de sortie : 4 octobre 2019
- Plateforme : PC, PS4, Xbox One
- Développeur : Ubisoft Paris
- Éditeur : Ubisoft
- Prix : 69,99€ dans sa version standard (disponible sur Amazon)
- Testé sur : PC
Nomad Souls
Ghost Recon Breakpoint nous place quelques temps après Wildlands, on y contrôle toujours "Nomad" ce personnage aux mille visages, qui aura droit à son petit lifting en début de partie pour correspondre à votre envie (sexe, visage, couleur de peau, coiffure, signe distinctif, etc.). Et vous voilà embarqué dans une mission spéciale après que l'île d'Auroa n'ait plus donné un seul signe de vie, alors qu'elle abritait un gigantesque centre de recherche tenu par l'entreprise Skell Technologic, dont l'activité se concentrait avant tout sur des drones et autres robots autonomes. Mais tout ne se passera pas comme prévu, votre escadron va se faire méchamment agresser par une nuée de drones, faisant écraser les différents hélicoptères et provoquant la mort et la désolation dans vos rangs, vous laissant alors pour seul survivant (ou du moins, l'un des seuls). Bien entendu, il faudra partir à la recherche de ses compagnons, l'occasion pour le jeu de nous mettre dans le bain avec un petit tutoriel des familles, de quoi comprendre que c'est comme Wildlands, mais avec de la "survie" (les guillemets sont importants).
Ni une, ni deux, on comprend qu'on peut se blesser, superficiellement ou gravement, mais qu'il faudra quoi qu'il arrive panser ses plaies si l'on souhaite retrouver sa bonne vitesse de course et sa barre de vie complète. Ces bandages n'ont aucune limite et demandent juste un peu de temps dans un coin pour être appliqués. De l'autre côté, votre endurance est maintenant limitée par une barre qui, si elle est un peu trop sollicitée, verra son maximum réduire, petit à petit. Il vous faudra boire de l'eau dans votre gourde (que vous pourrez récupérer auprès des différents cours d'eau, mais impossible de puiser l'eau des marais ou de la mer sans un filtre à eau) ou vous reposer auprès de bivouacs. Ces derniers sont l'autre nouveauté de Breakpoint, la carte en sera remplie (ils sont signalés à l'écran par des colonnes de fumée blanche gigantesques) et ils fonctionneront simplement comme des petits camps pour se reposer, faire un choix de préparation parmi les six à disposition pour gagner un bonus passif (précision, résistance aux dégâts, endurance, etc.), se faire livrer un véhicule ou passer par la boutique (armes, équipements, consommables, armure, etc. tout y est !) et ils fonctionneront aussi comme un voyage rapide (et vu la qualité désastreuse de la conduite, on en abusera sans soucis). Et c'est bien tout ce qu'il y a à retenir de cette formule survival. Vous croulez littéralement sous les balles, il n'y a pas vraiment de gestion de faim, de soif ni même de température, la mort n'est pas vraiment punitive (à part une perte de temps), l'infiltration est une option mais rarement un choix, tant les propositions dans les designs de niveaux ou de quêtes sont restreintes, voire molles. D'ailleurs, la lumière n'aura que peu d'impact sur votre capacité à vous cacher, à tel point que les nuits sont tellement lumineuses que vos lunettes de vision nocturne resteront au placard, même en cas de tempête.
Et puis d'autres détails nous choquent, nous piquent même. Il y a quatre classes, un arbre de compétences, un HUB, un raid, du loot, des coffres, des équipements verts, bleus, dorés, avec des passifs et un niveau d'équipement global. C'est ce même niveau qui va alors délimiter votre progression dans l'aventure, Ubisoft tient bien à ce que le joueur joue comme lui l'a décidé et évite de faire n'importe quoi. Ce n'est pas la foire à la saucisse ici, mais la guerre réelle, dure et sombre (mais regarde ce joli bonnet bleu qui vous donne +10% de furtivité et +10 en précision !). Avec Breakpoint, Ghost Recon se "The Divisionne" mais sans ce qui fait le sel de The Division, c'est-à-dire des loots pour augmenter ses dégâts et vaincre les clodos d'élites qu'on croise sur la route. Ici, on est dans la guerre du futur moderne, c'est une balle dans la tête, un mort. L'ennemi en face est niveau 150 alors que vous êtes 52 . Aucun souci, une balle bien placée dans le museau, il tombera comme tous les autres. En revanche, de votre côté, vous prenez une balle sur le doigt de pied, c'est la mort assurée, donc il vous faudra être très discret si vous souhaitez avancer ou bien revenir quand vous aurez tout votre équipement haut level.
Bonnet bleu, bleu bonnet
Et c'est bien la seule explication que l'on trouve à ce système bancal, où arcade va s'affronter avec réalisme, mettant le jeu le fessier entre deux chaises au-dessus d'une cuve d'acide. Mais là où le bât blesse, c'est qu'il va tout de même vous forcer à farmer les missions secondaires pour augmenter votre niveau d'équipement, la dernière mission principale nécessitant un niveau de 150 (et vous n'arriverez qu'aux alentours de 100 à ce moment-là), autant dire que sans ça, vous mourrez à la moindre petite balle qui effleure votre petit doigt de pied. De quoi forcer le petit margoulin que vous êtes à s'adonner aux joies des quêtes typées MMO des années 2000, où il faudra parler à machin qui vous dira d'aller tuer truc à deux bornes d'ici. Ensuite, il faudra revenir à votre zone de départ pour interroger bidule, qui vous demandera d'aller chercher sa clé USB qu'il faudra brancher à un PC et protéger pendant cinq minutes pendant que des vagues d'ennemis se jettent sur nous, dans le seul but de looter de nouvelles mitaines ou une arme dorée (fort heureusement, aucune possibilité de booster son niveau n'est visible dans la boutique avec de l'argent réel). D'ailleurs, ces quêtes en mode "horde" sont diablement mal dosées, il arrivera très souvent que vous veniez à bout rapidement de toutes les vagues en un rien de temps (merci le lance-grenade sur les véhicules de transport), vous laissant alors poireauter parfois 3 minutes sans pouvoir rien faire si ce n'est attendre.
Après ce rapide retour à la réalité, et quelques missions principales, on se rend compte de plusieurs détails qui fâchent. Déjà, la mise en scène et les dialogues sont au ras des pâquerettes. On n'arrive jamais à croire à l'histoire, pas même aux doubleurs. Pas une seule scène poignante de révélation ne fait mouche, alors que toute l'intrigue est articulée là-dessus. Vous enquêtez sur la raison du mystérieux silence radio sur cette île et, surtout (comme l'a si bien dévoilé Ubisoft dans sa campagne marketing), pourquoi Cole Walker, un allié que vous avez croisé dans Wildlands (interprété par Jon Bernthal, le Punisher en personne), est à la tête des Wolves, un mouvement de rébellion militaire aux méthodes assez peu orthodoxes. S'ensuit une narration dans la douleur, où un pattern propre à la firme bretonne pointe le bout de son petit nez narquois. Vous allez devoir libérer des civils importants et les ramener auprès des "Autonomes", une communauté cachée qui tente de lutter contre les Wolves. Ceci vous amènera à vaincre les lieutenants de Walker afin d'atteindre ce dernier. Le tout est entrecoupé de scènes de flashbacks où Nomad se rappelle le bon vieux temps, quand il tuait des terroristes avec son ex-compère, afin de créer une attache au duo (qui n'arrive jamais). Si tout ceci reste plutôt classique, on aurait au moins espéré quelques choses qui en jettent lors des différentes missions, mais il n'en est rien. Un détail qui n'aurait eu que peu d'importance si le tabassage médiatique n'avait pas tout centré sur cette histoire, avec son acteur de prestige dont le personnage n'apparaît pratiquement qu'au travers de flashbacks incessants. Un détail qui n'aurait eu que peu d'importance si le jeu se contentait simplement d'assumer son côté "nanar militaire" en disposant du strict minimum en matière de dialogues et de texte à lire pour "développer" son histoire. Il faut croire que l'envie d'Ubisoft de recréer le phénomène Vaas ne leur est toujours pas passé.
Jon Bernanar
D'ailleurs, celle-ci se découpe en tiroir que vous allez ouvrir d'un bout à l'autre d'Auroa, donnant lieu à des situations qui se transforment rapidement en un pétard mouillé, que ce soit une infiltration dans une (somptueuse) base au bord d'une falaise, tout comme la course-poursuite en véhicule blindé armé d'un minigun, rien ne marche vraiment, car rien ne peut vraiment marcher. Le gameplay fusil en main a pourtant les reins solides, bien que la physique des balles soit plus "arcade" que pour Wildlands, on peut toujours ramper, droner et s'infiltrer comme avant. Mais la faute se situe plutôt avec le réel manque de prise de décision dans ce qu'il souhaite proposer aux joueurs, on sera parfois satisfait de passer trente bonnes minutes à prendre une forteresse, allongé dans les herbes et recouvert de boue pour être presque invisible (une des nouvelles fonctionnalités de cet épisode), tout en repérant chaque ennemi de la zone avec notre drone, et s'organiser avec nos camarades afin de tuer les bons ennemis aux bons moments. Et puis un ennemi nous verra miraculeusement au loin, que ce soit un des (très) nombreux spawns aléatoires de Wolves et autres ennemis haut niveau, ou les drones Azraël qui brouilleront votre radar et vous enverront des forces spéciales dès l'instant où ils vous repéreront (de quoi faire capoter votre infiltration, voire votre mission). Et puis d'autres fois, le jeu nous forcera à être dans le feu de l'action, nous faisant rapidement comprendre l'utilité du niveau d'équipement, tout en proposant des gunfights au ventre mou, pas du tout aidé par un système de couvert agaçant, ni par la musique, en retrait et répétitive (voire absente à certains moments qui auraient mérité plus d’entrain). Aussi, l'IA n'a clairement pas inventé l'eau chaude et saura rapidement reprendre ses droits lors de quelques secondes, de quoi vous laisser le temps d'aligner les fronts un à un sans une once de difficulté, même contre un boss (à peine annoncé ou présenté d'ailleurs, occasionnant des dialogues surprises une fois la mission terminée).
Mais est-ce qu'il y a moyen de prendre du bon temps sur Breakpoint ? Nos différentes sessions se sont déroulées en "difficile", comme indiqué par le développeur pour répondre à l'expérience optimale. En duo, trio ou quatuor, le jeu devient alors plus facile, déjà par les possibilités stratégiques d'avoir plus d'une paire d'yeux braqués sur les différents sbires, mais aussi avec des lignes de tir plus nombreuses, la possibilité de pouvoir relever les copains ou copines tombés et des cerveaux qui peuvent fonctionner en harmonie pour synchroniser les éliminations. Mais qu'il s'agisse de rentrer dans le tas ou faire dans le feutré, jamais Breakpoint n'aura de réel moment de grâce, où le gameplay résonnera avec ses différentes mécaniques. Chaque mission devient plus une routine, malgré la présence d'un mode "non guidé". Celui-ci permet d'enlever le gros pointeur sur votre écran pour votre prochaine mission, et vous laisse chercher votre prochaine destination grâce aux différents indices sur votre détail de quêtes, comme la région, le point cardinal ou la proximité avec un lieu nommé (mais laissant les différents panneaux de tuto envahir votre écran et casser le rythme). Le jeu va même jusqu'à proposer des "enquêtes" où il faudra trouver des infos, interroger des vilains ou des civils et trouver des indices pour résoudre l'intrigue. Ou du moins, permettre au jeu de vous proposer d'appuyer sur le gros bouton "RÉSOUDRE" afin que le personnage devine lui-même la solution, sans que vous ayez votre mot à dire. Ces mêmes enquêtes qui vous permettront par ailleurs de pointer sur votre carte des bivouacs sans y être allé, de quoi débloquer rapidement des points de téléportation et faire le moins de trajets en véhicule possible (à croire que le jeu lui-même s'est rendu compte de ses lacunes sur ce point).
Des scientifiques ou des civils aléatoires pourront même vous dire où trouver exactement un chargeur lourd de DMR ou un UMP45 sur la carte, comme s'ils étaient passés devant deux jours auparavant et qu'ils l'avaient noté. On se rabattra sur la direction artistique qui, bien que très classique la plupart du temps, proposera quelques idées sympathiques d'architecture ou de panorama, malheureusement saccagées par un moteur en dents de scie, capable d'afficher le meilleur comme le pire (et se permettant d'être assez mal optimisé sur PC, de surcroît). Et rassurez-vous, si vous faites partie des personnes qui auront accroché au jeu, Ubisoft a des projets pour vous ! Pas avec le mode compétitif en 4v4 facilement oubliable qui consistera à faire jouer 8 snipers à 1,2,3 Soleil, mais plutôt avec des pass annuels rajoutant des classes, des raids, des opérations et tout un tas de choses qu'on aurait aimées incluses dans le prix du bousin (comme le font les développeurs indépendants), mais qu'on a maintenant trop l'habitude de voir chez Ubisoft, sous la licence Tom Clancy's. On aurait aussi pu vous parler des nombreux crashs de serveurs, empêchant de jouer même en solo et annihilant des heures de jeu en plein milieu d'une mission, des trop nombreux bugs de textures et d'éclairage, des réapparitions qui fonctionnent mal ou des chargements en boucle, mais on va espérer que tout ceci sera réglé dans les plus brefs délais.
Voir la suite