Après le décès prématuré de Kentaro Miura (Berserk) l'année dernière, le monde du manga perd de nouveau de manière brutale l'un de ses maîtres. Akira Toriyama s'est éteint à l'âge de 68 ans, suite à une hémorragie sous-durale. Cette disparition prend tous les fans de court, l'auteur de Dr Slump et Dragon Ball étant encore en activité, et avait même annoncé travailler sur une nouvelle suite de Dragon Ball, en parallèle de Super.
Une entrée par la petite porte avant Dr.Slump
Après avoir terminé le lycée, Toriyama décide de ne pas faire d'études supérieurs pour suivre son rêve de devenir mangaka. Il travailla temporairement en tant qu'illustrateur dans une agence de publicité, mais ne sera pas très bien vu par ses collègues, à cause de ses nombreux retards et son manque d'investissement. Il quitte ce poste au bout de deux ans, puis tente divers concours pour être publié dans un magazine de mangas (principalement le Jump, mais il essaie aussi avec d'autres magazines moins connus).
Il ne gagne aucun concours, mais le Jump a une politique assez particulière : chaque employé doit prendre sous son aile un mangaka qu'il juge prometteur, afin de l'aider à progresser dans l'espoir qu'il devienne un jour un auteur à succès. Kazuhiko Torishima remarque le jeune Toriyama et choisit de s'en occuper. Toriyama publie sa première histoire après deux ans de travail, une histoire courte nommée Wonder Island. Cette histoire et celles qui suivront seront des échecs, mais finalement Torishima croit déceler un certain potentiel dans une nouvelle création de son protégé.
Il s'agit d'histoires humoristiques, mettant en scène un scientifique pervers Dr. Slump, et sa fille robot super-puissante Arale. Torishima apprécie grandement Arale et souhaite faire d'elle le personnage central de Dr.Slump. Toriyama refuse au début, estimant que le Jump est un magazine de garçons et que ces derniers auront du mal à s'identifier et s'attacher à un personnage féminin. Il finit par se ranger à l'avis de son éditeur, après avoir mis Arale au centre d'une histoire courte, qui a remporté un franc succès chez les lecteurs, bien plus que celles où le Dr. Slump était mis en avant. Toriyama se vengea quand même en s'inspirant grandement de son éditeur pour créer le Dr Mashirito, le grand antagoniste du manga.
Si l'Occident l'a découvert avec Dragon Ball, c'est bien Dr.Slump qui a permis à Toriyama de devenir une star du manga au Japon. Il a remporté le Prix Shōgakukan (l'un des prix les plus prestigieux pour les mangakas) en 1982, qui le consacre officiellement comme l'un des auteurs les plus prometteurs de sa génération. Ironie du sort, il ne remporta pas ce prix avec son plus grand succès : Dragon Ball.
Dragon Ball
Malgré le succès de Dr Slump, c'est bien Dragon Ball qui reste l'œuvre la plus connue d'Akira Toriyama, ayant été votée en 2007 comme étant le troisième meilleur manga de tous les temps, derrière SlamDunk et Jojo's Bizarre Adventures. C'est peut être également l'œuvre la plus personnelle de Toriyama, même si cette réflexion est facilitée par le fait que ce soit la plus longue.
Dragon Ball commence comme une parodie du roman chinois Pérégrination vers l'Ouest, avant de prendre de multiples directions au fil des envies de Toriyama. Son amour pour les films d'action et l'acteur Jackie Chan est révélée par l'identité alternative de Tortue Géniale : Jackie Choun, tandis que l'arc Namek grandement inspiré par Star Wars, est une revanche pour l'auteur, dont l'un des tout premiers projets était justement une parodie en manga des films de Lucas. L'amour de Toriyama pour la science fiction est visible dès les premiers tomes du manga, jusqu'à la fin de l'arc Cell, arc en partie inspiré par la licence Terminator.
Il délaisse un peu la science fiction pour revenir davantage au gag manga sur l'arc Buu, tout en voulant mettre davantage en avant la magie, un aspect présent dès le début du manga, mais finalement assez peu utilisé à part pour quelques gags. C'est d'ailleurs dans cet arc qu'il crée son personnage préféré de tout le manga : Gotenks, la fusion des enfants de Goku et Vegeta, doté d'une puissance inimaginable, mais aussi du cerveau et des attentes d'un enfant de 9 ans. Cela lui permet de créer un combat assez grotesque contre le méchant principal, où les deux adversaires rivalisent d'originalité plus que de puissance. Bien que ce ne soit pas le combat le plus épique de l'œuvre, c'est celui qu'il a pris le plus de plaisir à mettre en scène.
À la fin de Dragon Ball, Toriyama souhaite prendre un peu de distance avec cette licence. Il continuera d'y faire quelques clins d'œil, avec Nekomajin Z (une parodie de DB) et Jaco le Patrouilleur Galactique. Les œuvres de Toriyama se passant toutes dans le même univers, d'autres références subtiles peuvent être trouvés par les fans dans ses autres récits. Il travaillera de nouveau sur Dragon Ball avec la sortie de Super, dont il était responsable du scénario. C'est aussi lui qui est présenté comme l'auteur du scénario de la future série Dragon Ball Daima.
Dragon Quest et one-shots
Toriyama n'a pas marqué que le monde du manga. Il a énormément travaillé sur la série de jeux vidéos Dragon Quest, dont beaucoup des personnages/monstres sont des créations du père de Dr.Slump. Il y a aujourd'hui 11 jeux principaux, et un douzième est en développement. De nombreux jeux dérivés ont également été produits. Il faut savoir qu'au Japon, le succès de cette série de Square Enix dépasse celui de la licence Final Fantasy. Il s'agit même de la licence de jeux vidéos la plus populaire en dehors des jeux Nintendo. Il est d'ailleurs intéressant de noter que Dragon Quest est cité comme source d'inspiration par les créateurs de Pokémon, et ceux de Yakuza, au point où un hommage direct est fait à la licence dans Like a Dragon.
Niveau mangas sortis après Dragon Ball et qui ne font pas directement référence à cette œuvre, Toriyama publié plusieurs histoires courtes, les plus célèbres étant : Go! Go! Ackman, Cowa, Kajika et Sand Land. Il collabora aussi avec Eiichirō Oda pour produire Cross Epoch, un manga de Noël où les héros de Dragon Ball et One Piece essaient de comprendre pourquoi Mr. Satan est devenu subitement roi d'un pays. Il devint aussi brièvement scénariste lors d'une collaboration avec Masakazu Katsura, qui donnera naissance à Sachie-chan Guu! et Jiya, deux one shots. Il faut d'ailleurs que si Jaco le Patrouilleur est une préquelle à Dragon Ball, il fait aussi beaucoup de références à ces deux mangas.
Un style et un caractère atypique
Akira Toriyama a un style graphique très vite reconnaissable. Déjà il fut l'un des premiers mangakas à utiliser l'alphabet romain pour des onomatopées à la place des katakanas traditionnels, ce qui est la raison pour laquelle il fut repéré par Torishima. Son style de dessin est grandement inspiré de celui d' Osamu Tezuka auteur d'AstroBoy, et mangaka le plus influent de la génération précédente. Ce qui marque le plus dans le style de Toriyama, c'est sa simplicité. Il n'a jamais caché qu'il n'aimait pas faire des dessins trop compliqués, et s'est ingénié à trouver des moyens de se simplifier le travail. Des cheveux noirs trop longs à encrer ? Hop, super sayan avec des cheveux jaunes que l'on a pas besoin de colorier*. Faire des décors et des arrières plans est fastidieux ? Les personnages n'ont qu'à les détruire, ça fera moins de choses à dessiner. Cependant même si Toriyama se simplifie grandement la vie, les dessins sont toujours d'une qualité irréprochable, faisant que la plupart des lecteurs ne remarquent même pas à quel point l'auteur essaie de simplifier son travail.
*Pour éviter toute mauvaise interprétation : non le super sayan n'a pas été imaginé pour simplifier le travail d'Akira Toriyama, mais le design final de la transformation a été choisi pour cette raison.
L'autre point commun de toutes les œuvres d'Akira Toriyama est un humour particulier, mélangeant jeux de mots (ex: la famille de méchant de la saga Buu : Bibidi, Babidi, Buu !) , blagues scatophiles et sous-entendus sexuels. Le papa d'Arale et Goku avait un caractère assez proche de ceux de ces personnages, ne dessinant que ce qui lui plaisait. Selon Torishima, ni les éditeurs, ni les lecteurs ne pouvaient pousser Toriyama à dessiner quelque chose qu'il ne trouvait pas intéressant. Il était également un amoureux de la mécanique en générale, appréciant énormément dessiner toutes sortes d'engins dans ses mangas, ainsi que des animaux en général. On retrouve d'ailleurs beaucoup d'animaux anthropomorphes dans ses œuvres, et certains personnages importants ont été inspirés par ses propres animaux domestiques (Karin et Beerus pour les plus connus).
Malgré son succès, Toriyama ne cherchait pas à se retrouver sous le feu des projecteurs, et a toujours tout fait pour éviter les cérémonies officielles qu'il apprécie assez peu. Il était notamment absent lors de la remise de son titre de Chevalier de l'Ordre des Arts et des Lettres en France, et ne se déplaçait aux événements que lorsqu'il n'avait vraiment pas le choix. Au final, Toriyama est mort comme il a vécu : simplement, et c'est peut être bien ce qu'on pouvait lui souhaiter de mieux (même si on aurait préféré qu'il vive encore de longues années en pleine santé).