Le mercredi 17 janvier 2024, Blizzard a déployé l'une des dernières mises à jour de World of Warcraft : Dragonflght, le Patch 10.2.5 : Graines du renouveau. Apportant un certain nombre de nouveautés somme toute très mineures préparant l'avenir de son MMORPG phare, l'éditeur a notamment permis aux joueuses et joueurs de la race Worgen d'avoir accès à une suite de quêtes aussi longuement attendue que fantasmée, celle de la reprise de leur royaume, Gilnéas.
Mais à l'instar de ce qui avait été fait à de multiples reprises dans Dragonflight, cet arc narratif qui aurait du s'avérer être majeur ne s'est pas montré à la hauteur des fans, loin s'en faut. Un faux pas qui aurait pu être acceptable s'il avait été le seul dans son genre mais qui rappelle malheureusement beaucoup trop la suite de quêtes de l'armure ancestrale des Elfes de la nuit déployée quelques mois plus tôt pour des raisons souvent similaires, l'occasion idéale de rappeler que la narration n'est toujours pas aux beaux fixes dans World of Warcraft.
Gilnéas : la sombre histoire d'un royaume humain menacé de toutes parts
Les premiers instants de cette série de quêtes sont un grand moment dans l'esprit de toutes les joueuses et joueurs appréciant grandement le royaume humain de Gilnéas. Originellement introduit en jeu (pas dans le Lore, attention) avec l'extension Cataclysm en 2010, cette vaste zone s'est rapidement avérée être le siège d'un immense champ de bataille opposant les habitants de ce royaume humain coupé du monde par le Mur de Grisetête après le début de "l'épidémie" de la malédiction du Worgen et la transformation de ceux-ci en loups-garous, les Worgens, aux Réprouvés de Lordaeron venus purifier les environs de cette présence jugée impie même par des morts-vivants.
Et ça, on le sait : les loups-garous ça passionne les foules, alors les rendre jouables dans World of Warcraft ne pouvait être qu'une excellente chose. Après moult péripéties durant le scénario d'introduction de cette nouvelle race jouable, la ville finissait par être balayée par les troupes Réprouvées, contraignant les survivants à fuir loin à l'Ouest en direction de Kalimdor sous la protection des Elfes de la nuit, tandis qu'un petit contingent mené par Ivar Croc-de-Sang, le Front de LIbération Gilnéen, demeurait sur place malgré l'ordre de repli donné par le roi Genn Grisetête. Bref, un scénario passionnant que l'on vous recommande chaudement de faire si ce n'est pas déjà le cas !
Après cette invasion et la fuite des gilnéennes et gilnéens à Darnassus, puis à Hurlevent après l'incendie de Teldrassil à Battle for Azeroth, les attentes étaient immenses. Treize ans durant les fans d'hommes-loups ont patienté espérant qu'un jour Blizzard leur offre l'accès à la reprise de leur cité bien-aimée qui ferait, ils l'espéraient, office de nouvelle capitale au Nord des Royaumes de l'Est... chose qui n'arrivera finalement pas vraiment puisque la ville n'a même pas droit à un Maître de vol après sa reconquête !
Gilnéas : des attentes saccagées par manque de contexte ?
Ces attentes ont finalement été comblées en ce début d'année 2024, non sans certaines craintes. On est dépêchés dès notre arrivée en jeu à nous joindre au roi Genn Grisetête afin de lancer le grand assaut tant attendu contre les troupes Réprouvées stationnées en Gilnéas depuis tout ce temps. Sauf que voilà, entre temps les rênes du commandement Réprouvé ont été léguées à un conseil temporaire en attendant qu'un nouveau dirigeant soit placé sur le trône vacant de Lordaeron et dont Calia Menethil, la sœur de ce cher Arthas, figure parmi les têtes d'affiche depuis l'extension Shadowlands.
On apprend ainsi assez rapidement que ce ne sont plus des Réprouvés qui sont sur place, mais d'autres antagonistes bien connus : la Croisade Écarlate, un groupe d'apôtres fanatiques de la Lumière châtiant toutes celles et ceux n'embrassant pas leur doctrine ou n'étant pas humains. Le premier problème de contexte majeur se pose alors : pourquoi ? pourquoi Diable la Croisade Écarlate est-elle de retour après des années d'absence totale et plusieurs exterminations pures et simples de leurs troupes durant le jeu "Vanilla" et l'extension Wrath of the Lich King ? On ne le sait pas, cela ne sera jamais expliqué, comme souvent.
Un peu plus tard, on apprend également que la Horde serait au rendez-vous durant cet assaut, et que Calia Menetil et Lilian Voss seraient à la tête d'une armée de Réprouvés sur place... afin d'aider les Gilnéens à retrouver leur foyer. Et là encore, difficile de bien comprendre comment on en est arrivés là sans un brin de contexte que l'on ne nous sert pas en amont. Parce qu'il y a bien des prémices à cette alliance de circonstances, et ceux-ci datent de la fin de l'extension Shadowlands durant laquelle Calia Menethil a soumis au vote du conseil régent de Lordaeron la fin de l'opération militaire en Gilnéas et le retrait de toutes les troupes présentes sur place.
Cela n'aurait pas nécessité beaucoup de lignes de dialogue de rappeler cet arc que beaucoup de joueuses et joueurs ont sans doute manqué, et cela aurait pourtant été crucial afin de comprendre comment les pires ennemis deviennent l'espace d'un instant des alliés soudés en quête d'un même objectif en faveur des Gilnéens. Parce que même avec la plus grande bienveillance du monde, un peuple opprimé n'oublie pas en quelques années seulement les massacrés perpétrés à son encontre. Et ça, c'est le travail de la contextualisation de nous l'expliquer, c'est le propre d'une bonne narration.
WoW Classic : le retour de la vengeance, encore
Et puis voilà, dès la quête Une croisade rouge on découvre une nouvelle fois les affres d'une narration que je qualifierais d'emblée de problématique. L'idée des développeurs semble évidente : créer du neuf en y intégrant de vieux éléments, produire des quêtes pour Dragonflight avec des éléments surfant sur la nostalgie de Classic. L'idée n'est pas mauvaise en elle-même, le véritable cœur du souci étant qu'il n'y a pas la moindre limite à celle-ci, et le retour tout à fait injustifié de la Croisade Écarlate n'en était que les prémices pour cette suite de quêtes.
On se retrouve au final à tuer en boucle des membres de la Croisade faisant lourdement référence à ceux qui étaient présents au Monastère Écarlate dans la première version du jeu, vingt ans plus tôt, le tout saupoudré d'un clin d'oeil presque grossier au Cimetière de ce donjon tel qu'il a été retravaillé avec l'extension Cataclysm. Tout y est présent : les Purificateurs, les Fossoyeurs, la volonté de "purifier le Mal impie enterré dans le cimetière" de Gilnéas. Le vice est poussé si loin que le seul butin octroyé par ces PNJs n'est autre que de l'Étoffe de soie, là encore en référence aux morceaux de tissus que l'on récupérait à l'époque sur les créatures de cette instance, sauf qu'à l'époque ils étaient utiles, là c'est juste bon à la revente sans que ça n'ait le moindre intérêt.
La suite n'est guère plus intéressante et se contente de répéter en sens inverse les mêmes événements que ceux des premières versions du jeu puisque l'idée consiste à repartir depuis l'endroit où les Gilnéens ont fuit la zone à Cataclysm, Quilleport, et remonter discrètement jusqu'au cœur de la ville grâce au fameux tunnel infesté de bestioles. Et oui, vous l'avez dans le mille, comme à l'époque on nous donne une torche pour les faire fuir.
Une fois arrivés dans la ville, le festival de la nostalgie continue puisqu'on nous propose une nouvelle fois des références un peu lourdes au Monastère Écarlate de façon répétée : des PNJs Élites comme ceux du donjon, des Maîtres-chiens en référence à Locksey et son chenil, des tenues à peine réimaginées pour bien coller à ce que l'on voyait à l'époque de cette faction. Bref, du Classic à ne plus savoir qu'en faire, encore, jusqu'à l'ouverture des portes de la ville et l'arrivée des troupes alliées en renfort pour l'assaut final sur la cathédrale où se retranche l'Inquisitrice Beausson dont l'apparence est évidemment exactement la même que celle de la Grande inquisitrice Blanchetête à cela près qu'elle n'est pas dénudée, évidemment. Son nom en anglais est d'ailleurs "Fairbell", en référence directe au Grand inquisiteur Fairbanks... du Monastère écarlate.
Les Worgens, grand tabou de World of Warcraft ?
L'ouverture de la porte de Gilnéas est sans doute le marqueur d'un tournant dans la colère que m'évoque cette série de quêtes. Tess Grisetête nous indique que "ses troupes" seraient prêtes et qu'il ne faudrait qu'ouvrir les portes de la ville désormais nettoyée pour leur permettre de rentrer. Génial, une horde de Worgens à l'horizon, ça va barder ! Sauf que non, puisque les troupes en question ce sont celles de la 7è Légion et une infime poignée de la Grisegarde... c'est donc l'Alliance qui vient principalement à notre rescousse, absolument pas les troupes de la Princesse.
Cela caractérise parfaitement ce que les joueuses et joueurs de Worgens ressentent depuis l'existence de cette race dans World of Warcraft : un profond désintérêt de Blizzard à leur égard. Car si même lorsque c'est leur moment, le jour où ils ont la possibilité de reconquérir leur foyer, la vedette leur est volée par la 7è Légion, que dire du traitement de cette faction ?
Ce manque d'intérêt se ressent même encore ultérieurement, lorsqu'on arrive dans la cour de la cathédrale de Gilnéas. On y voit les troupes de l'Alliance s'y battre contre les troupes d'élite de la Croisade Écarlate, mais on constate encore rapidement que rares sont les Worgens... et même lorsqu'ils sont présents ils portent des armures à l'effigie de Hurlevent ou de l'Alliance, pas de Gilnéas (ou très, très rarement) !
Parmi les grands noms notables, on peut mentionner une apparence à peine perceptible de Darius Crowley, Tobias Mantebrume, Célestine de la Moisson, la Grande-maman Wahl ou encore Vassandra Griffelune, des noms qui vous parlent sans aucun doute puisqu'ils sont au cœur de l'intrigue de la zone de départ des Worgens. Mais là encore ça coince, et pas qu'un peu ! Blizzard a choisi de placer certains des PNJs les plus connus de Gilnéas, mais pas les plus importants ou intéressants puisqu'ils ont oublié le chef de la rebellion Gilnéene dont je vous parlais en début d'article, le responsable du Front de Libération de Gilnéas : Ivar Croc-de-Sang. Oui, le seul Worgen notable ayant choisi de rester en Gilnéas pour se battre contre l'envahisseur malgré l'ordre de repli de son roi est absent le jour de la reprise de la ville par son peuple !
Quel bilan pour la Reconquête de Gilnéas ?
Alors bien sûr, certains estimeront que je suis dur avec Blizzard, une fois n'est pas coutume. Mais ce que je disais déjà en septembre dernier à propos de l'armure ancestrale des Elfes de la nuit est parfaitement valable pour la Reconquête de Gilnéas. Dans le fond, la thématique de cette suite n'est pas mauvaise et la passation de pouvoir de Genn à Tess est globalement une très bonne chose qui n'aura, pour une fois, pas eu besoin de voir la génération passée être tuée ou mise de côté pour laisser sa place à la nouvelle génération, une preuve que l'on peut faire coexister deux générations, les rendre intéressantes et utiles sans en sacrifier l'une des deux comme on nous l'a trop souvent proposé dans World of Warcraft.
Mais cet héritage, qui est pour rappel le thème central de l'extension Dragonflight, est dépeint avec une telle lourdeur et un tel manque de maîtrise que bon nombre, moi compris, ont eu du mal à le trouver convaincant. J'ai au final la sensation d'avoir été berné, qu'on m'a proposé cette reprise de Gilnéas simplement parce que les joueuses et joueurs la réclamaient depuis des années sans que les responsables de la narration ne s'impliquent vraiment et ne comprennent sincèrement ce qui était demandé par les fans.
L'absence presque totale de Gilnéens rappelle à elle seule qu'il ne s'agit pas d'une histoire dédiée aux Worgens, mais d'une intrigue dédiée à l'Alliance dans sa globalité. Cela n'aurait pourtant pas nécessité beaucoup d'efforts une fois encore, et certains espéraient par exemple avoir enfin droit à un vrai déchaînement de la fureur des Worgens dans cette série, une fureur trop longtemps canalisée et dont Ivar Croc-de-Sang était le parfait étendard. C'était le grand jour des Gilnéennes et Gilnéens, et la vedette leur a été volée puisqu'on ne se souviendra que de Calia Menetil, Tess Grisetête et la Croisade Écarlate.
Pire encore, cette suite s'attarde même beaucoup plus sur la bienveillance de Calia Menethil à l'égard du peuple de Gilnéas, en opposition à sa prédécesseuse Sylvanas Coursevent, que sur les enjeux réels d'une telle reconquête par celui-ci. Côté Horde, la fille Menethil est même désormais appelée "Reine", une grave erreur puisqu'elle faisait jusqu'à présent tout sauf l'unanimité au sein des Réprouvés comme des joueurs, et rien n'expliquait avant cette suite que la situation avait bougé. Le contexte, encore et toujours...
On aurait pu en apprendre davantage sur la malédiction du Worgen, ses implications dans ce qu'est devenue la société Gilnéenne et l'avenir envisagé par ce peuple massacré par les Réprouvés maintenant que leurs terres sont à nouveau leurs. Mais non, on ne retiendra que la gentillesse de Calia et son alliance avec Tess qui fait office de "nouvelle génération plus ouverte" que son père qui était pourtant fermé pour de très, très bonnes raisons (notamment la mort de son fils, Liam, à cause des Réprouvés).
Au fond, ce que je reproche principalement à cette suite de quêtes c'est d'avoir été expédiée et sous-exploitée. Je ne pense pas que les joueuses et joueurs de World of Warcraft soient stupides, ils méritent des histoires bien plus intéressantes que de vulgaires remakes d'histoires passées qu'on leur sert à toutes les sauces depuis des mois maintenant soit disant parce qu'ils seraient trop bêtes et nostalgiques pour comprendre autre chose que ce qu'ils connaissent déjà. Les nostalgiques ne jouent de toute façon pas à Dragonflight, les "vieux de la vieille" sont las de ces références abusives, et les joueurs n'ayant pas connu ces époques n'ont pas les références, aucun intérêt donc à en abuser !
Les fans de WoW méritent aussi davantage de contexte quant à l'implication des différents protagonistes et antagonistes, on ne peut pas simplement voir débarquer un vieil ennemi telle que la Croisade Écarlate sur des terres qu'elle n'avait absolument pas conquises jusqu'alors dans le seul but de faire marcher un besoin irrépressible de Blizzard de ressasser le passé, tout comme réintroduire les Réprouvés auprès des Worgens ne peut pas être fait sans une remise en situation alors que l'intrigue avait été oubliée depuis des années.
Je n'ai rien contre WoW Classic, pas plus que je n'ai de ressentiments à l'égard de Blizzard ou de Dragonflght. J'aimerais simplement que les équipes dédiées à la narration entendent que la bienveillance et la nostalgie ne sont pas des terreaux fertiles à des histoires intéressantes si elles sont exploitées à outrance. On peut faire des références au passé ou à quelques douceurs de temps en temps, il le faut même, mais avec une grande parcimonie.
Tant que cela ne sera pas maîtrisé alors je pense que la narration telle qu'on a pu la vivre dans Dragonflight continuera d'exister et de frustrer les passionné(e)s malgré un fond que je pense être bon de la part des développeuses et développeurs. La Reconquête de Gilnéas méritait bien mieux, même pour un Patch mineur, et je m'en souviendrai comme une profonde déception malgré une conclusion prometteuse entre Genn et Tess : Gilnéas ce n'est pas que ses leaders, loin de là.