Au fil des années, les pratiques dans le milieu du jeu vidéo changent, et bien avant les déboires des NFT et autres crypto-arnaques, d'autres sujets se sont attirés les foudres des joueurs, comme les DLC ou les précommandes de jeux digitaux. En revanche, il y a une autre pratique, que je trouve parfois douteuse, qui est l'accès anticipés, alias early access. Cette pratique consiste à mettre en vente une version encore en cours de développement d'un jeu, parfois longtemps avant qu'il soit terminé et prêt à sortir en version 1.0. C'est une pratique particulièrement populaire sur PC, mais peu de joueurs semblent mesurer (ou s'intéresser) aux effets négatifs que cela peut avoir. Et je vais donc tenter d'expliquer pourquoi je m'interdis complètement de toucher à un jeu en early access, en dehors du contexte strictement professionnel.
Les mérites des accès anticipés
Avant de me faire couvrir d'insultes dans les commentaires, je tiens à préciser que je reconnais volontiers les nombreux mérites que peuvent avoir les accès anticipés. Pour de nombreux petits studios indépendants, c'est le meilleur moyen de sécuriser un financement pour leur jeu et poursuivre son développement. Passer par un éditeur n'est pas toujours possible, et même quand ça l'est, cela s'accompagne souvent par une perte de liberté créative. C'est aussi un moyen pour certains joueurs de participer activement à un projet passion, et d'aider à son développement, à la fois financièrement, mais aussi simplement en jouant, et en offrant des retours. Cela a une valeur non négligeable, surtout pour les projets complexes, ambitieux, et difficiles à équilibrer, et on peut objectivement dire que l'early access a grandement aidé à faire aboutir le projet. Darkest Dungeon, la série des Divinity Original Sin, et Baldur's Gate 3 à présent, viennent à l'esprit dans ce domaine. Mais même dans ces cas, je préfère éviter de toucher à ces jeux avant leur sortie en version complète, pour des raisons que je vais expliquer un peu plus loin.
Exploitation des joueurs et arnaques
Il y a toujours des pommes pourries dans n'importe quel domaine, et les accès anticipés ne font pas exception. Leur format se prête facilement aux arnaques, puisque les développeurs n'ont au final pas vraiment de critère à tenir. Certains projets n'ont de jeu que le nom, et ils comptent clairement sur un bon pitch afin de pousser des joueurs enthousiastes à l'achat. Le développement peut s'avérer ensuite extrêmement lent, voire s'arrêter complètement, avec des notes de mise à jour qui ne servent que de poudre aux yeux. On se retrouve donc avec des jeux disponibles en accès anticipé depuis de longues années, et qui n'aboutiront probablement jamais. Pour vous donner un ordre d'idée, plus de 7800 jeux sont actuellement disponibles en early access rien que sur Steam, à l'heure où j'écris ces lignes. Un exemple du genre est The Dead Linger, qui a eu un Kickstarter et un early access sur Steam, mais dont le développement a été suspendu définitivement. La déception des joueurs, le temps passé pour aider et l'argent investi dans tous ces projets ne sont pas à sous-estimer.
Cela va diviser aussi les opinions, mais Star Citizen est probablement le pire représentant des jeux en early access, avec un projet démarré en 2012, qui a récolté plus de 453 millions de dollars, et qui n'est toujours pas prêt de sortir. Que ce soit tout simplement la plus grosse arnaque de l'histoire du jeu vidéo, ou un manque de contrôle de ses propres ambitions de la part de Chris Roberts, le jeu semble bloqué dans une sorte d'éternelle fuite en avant et un cycle de développement perpétuel. Des fonctionnalités supplémentaires sont constamment prévues afin d'améliorer le jeu, et le financement se poursuit, avec des ventes de vaisseaux à des prix délirants. Si le jeu avait fait usage d'un mode de financement plus conventionnel, avec un éditeur, il serait probablement sorti depuis longtemps, même si on ignore dans quel état.
Le risque de se gâcher le plaisir de jeu
Mettons de côté les projets douteux ou mal menés pour le moment. Même les early access les plus honnêtes, efficaces et réussis ont tout de même un défaut à mes yeux. Ils incitent les joueurs à passer du temps sur ce qu'on peut objectivement considérer comme une version inférieure du jeu. Ce que j'entends par là, c'est que l’intérêt qu'une personne peut porter à un jeu n'est pas infini, il s'épuise plus ou moins rapidement en jouant. Parfois, c'est en quelques heures, voire en quelques minutes, dans d'autres cas, cela se compte en centaines d'heures, ou même en années, même si très peu de jeux (et de joueurs) accrochent à ce point. Le monde du jeu vidéo ne manque pas de centaines d'excellents titres dont le développement est déjà terminé, et qui ne demandent qu'à être découverts. Il est dommage de se "gâcher" un jeu, en jouant trop longtemps à sa version early access, au point de s'en désintéresser rapidement après sa sortie définitive, ce qui m'est déjà arrivé par le passé. Pour utiliser une métaphore, c'est un peu comme manger la pâte d'un gâteau avant qu'il n'ait été cuit, ça passe, mais on est loin de l'expérience gustative qui aurait été expérimentée en faisant preuve de patience. C'est de loin la principale raison pour laquelle je déteste les early access, et pour laquelle je refuse d'y toucher autant que possible. Je préfère me réserver le plaisir complet de l'expérience de jeu complète. Si vous pensez ne jamais vous lasser d'un jeu spécifique, vous avez bien de la chance, mais cela me semble être une évaluation fort optimiste dans la plupart des cas.
Le risque de la sortie ratée
Pour finir, je considère que l'early access est souvent au détriment du jeu et de ses développeurs. Il y a bien la perte de motivation à finir le jeu qui peut suivre, après avoir encaissé l'argent de la sortie en early access, quelques mois, ou quelques années plus tôt, mais ce n'est pas tout. Pas mal de jeux connaissent leur heure de gloire inattendue lors de leur sortie en accès anticipé, comme ce fut le cas pour Valheim par exemple. Mais le petit studio qui en est à l'origine n'était clairement pas équipé pour gérer la popularité du titre, ou assurer un rythme de développement rapide afin de maintenir l’intérêt des joueurs, qui est vite retombé. Tout le monde n'est pas Hades ou Kerbal Space Program, et les jeux restés obscurs composent la très large majorité.
Cela rejoint le point précédent avec la lassitude des joueurs, et Valheim, comme d'autres jeux en early access avant lui, risque de sortir dans l’indifférence générale. C'est causé par plusieurs facteurs, dont l'absence d'une campagne de communication efficace, puisqu'on ne parle pas d'un gros éditeur capable de diffuser de la publicité pour faire connaître à tout le monde la sortie. Plus d'une fois, j'ai découvert qu'un jeu est sorti d'early access, sans qu'il ne fasse de vague en dehors de sa petite communauté la plus dévouée, alors qu'il avait grandement fait parler de lui initialement. On peut regretter le gâchis de potentiel, si le jeu était sorti directement en version complète, il aurait certainement touché un bien plus large public, et attiré encore plus d'attention au pic de sa popularité, par exemple avec une sortie sur consoles. Alors que là, cela donne l'impression que c'est une simple mise à jour pour un jeu disponible depuis des années, et beaucoup de joueurs n'y prêtent pas attention, ou leur intérêt est déjà retombé après des années à l'attendre. Dune Spice Wars, ou même Baldur's Gate 3, sont d'ailleurs loin d'être à l’abri. C'est donc un exercice difficile, et il est vraiment dommage de voir tant d'excellents jeux passer sous le radar des joueurs. C'est aussi pour cela que je n'aime pas les early access.