Avant de rentrer dans le vif du sujet de ce petit billet d'humeur, un brin de contextualisation s'impose. Comme beaucoup de gamers frôlant dangereusement la trentaine, WoW a été la première énorme claque vidéoludique de mon existence. Je me souviens encore, sur le chemin de retour du collège, fantasmer (c'est le mot qui s'impose) sur mes périples à venir en Azeroth, ainsi que sur les voyages que j'allais commencer, "incarné" virtuellement dans mon perso. Wow, c'était aussi ma première vraie expérience online. Je prenais conscience, littéralement, de la toute puissance d'internet, et du fait que les gens pouvaient s'interconnecter dans des mondes fantastiques.
Tout ça pour dire que nul autre jeu vidéo au monde ne me rend plus nostalgique que WoW. La satisfaction de rendre son personnage plus fort, de lui apprendre de nouvelles techniques et de se frotter à des monstres et instances de plus en plus redoutables, c'est quelque chose que je n'ai jamais réussi à retrouver nulle part ailleurs.
Sésame, ne t'ouvre pas
Et puis les années passent. Je suis contraint de lâcher WoW pour un temps, même si le MMO continue d'habiter mes pensées, de manière plus distante. Et quelques années plus tard, une poignée de mois après la sortie de MOP il me semble, je réinstalle le jeu. Ma toute première impression est grandiose. Les graphismes sont devenus somptueux, et je me replonge avec délice dans l'univers de WoW.
Mais très vite, un autre sentiment commence à me titiller. Les niveaux s'enchainent à toute vitesse, et l'évolution de mon personnage ne m'accorde plus autant de plaisir qu'avant. Plus besoin d'ouvrir mon registre de quêtes pour lire, façon jeu de rôle, les missions palpitantes qui s'offrent à moi, et savoir où aller et qui vaincre. Tout est indiqué sur la minimap, devenue un GPS portatif haut de gamme. Les donjons, autrefois sacro-saintes instances dont on ressortait épuisé mais heureux, se sont transformés en turbo-boosters d'équipements. Plus besoin de dire bonjour ni de nouer le lien avec d'autres aventuriers. Le groupe se fait automatiquement, puis se défait, et on est téléporté au donjon suivant. Et bis repetita. La petite saveur de réussir un donjon s'est changée en gavage façon fast food. On enchaine. Le temps file. Pas le temps de s'attarder.
Et je ne vous ai pas encore parlé des Sésames. De petits "bonus" qui font naitre vos personnages directement niveau 50 ou 60, à l'orée du contenu de l'extension la plus récente. Alors là le leveling est carrément dissout dans l'espace-temps. Exit le plaisir d'apprendre à découvrir son personnage et sa classe pas à pas. Celui-ci est livré clés en main, paré pour les instances inédites. Alors certes, les sésames sont optionnels, et Blizzard ne nous impose pas de commencer notre aventure au niveau 50. Mais ils ont scellé le cercueil de la montée de niveaux, laborieuse mais ô combien exaltante.
Le gaspillage des mondes merveilleux
Je relis le début de mon billet, et j'avoue que ça fait un peu vieux ronchon, qui pense que "c'était mieux avant", etc. Mais laissez-moi vous expliquer pourquoi, de mon point de vue, le leveling "à la dure", c'était cool. Outre le côté "satisfaisant" d'améliorer son personnage chéri niveau après niveau, il y a aussi l'enjeu de chérir Azeroth et ses merveilles.
Ado, quand mon père me demandait "de quelle taille" était le monde que j'arpentais virtuellement, je lui répondais qu'il me faudrait littéralement plusieurs dizaines d'heures de marche avec mon troll pour en traverser ne serait-ce qu'un continent. Et il était scotché. Bon ok : quelques années plus tard j'ai appris que j'exagérais un peu, puisque Kalimdor ne fait en réalité que 20 kilomètres du nord au sud.
Mais tout de même : des kilomètres et des kilomètres de paysages magnifiques. Des toundras glaciales aux déserts arides, en passant par des marécages sombres et des forêts luxuriantes. World of Warcraft, c'est aussi un monde fantastique d'une profondeur inouïe. Le tout parsemé de PNJ ayant chacun une histoire, des anecdotes et des secrets. Et je passe le couplet sur l'architecture des villes, les décors détaillés des objets présents dans les bâtiments, et bien évidemment le bestiaire colossal de chaque petite région. World of Warcraft, c'est, comme son nom l'indique, un monde, un vrai. Travaillé avec soin pendant près de deux décennies par de très talentueux développeurs. Mais ça, on a tendance à l'oublier quand on se téléporte de donjon en donjon à la vitesse de la lumière, sans prendre le temps de faire une quête, car "trop longue et pas assez worth en EXP".
Le titan devenu hydre à deux têtes
Alors que reste-t-il du WoW de mon adolescence quand chaque nouvelle extension balaie d'un coup d'un seul des dizaines de régions à explorer ? Quand chaque nouveau continent vide puis rend obsolètes tous les précédents ? Quand il devient possible de monter 50 niveaux sans quitter Orgrimmar, en enchainant les runs de donjons identiques ?
C'est avec WoW Classic, en 2019, que Blizzard apporte une réponse à toutes ces questions (et à tous les vieux nostalgiques comme moi). Un retour aux sources, enthousiasmant certes, mais qui peut aussi se lire comme un aveu de faiblesse. Directement lié au fait de na pas avoir su créer une seule grande expérience de jeu, satisfaisante pour les vétérans, les joueurs occasionnels et les débutants.
Personnellement, j'aurais aimé me délecter de chaque extension à mon propre rythme, sans être contraint de passer en vitesse accélérée les opus que je n'avais pas eu le temps de pratiquer lors de leurs sorties. L'expérience de jeu, sur Retail, me parait affreusement tronquée. Et c'est dommage, car il me semble que chaque extension comporte son lot de détails savoureux et de régions somptueuses, trop vite enterrés après l'intronisation d'un nouvel opus.