Crédit photo : Fredrik Samuelson
Elle s'appelle Maya "Caltys" Henckel et pour beaucoup elle incarne un symbole dans le monde compétitif très fermé de League of Legends. Pourquoi ? Parce que la jeune ADC suédoise a accompli ce qu'aucune joueuse n'était parvenue à faire avant elle : rejoindre un roster mixte au sein de la division un de l'Esports Balkan League, une des European Regional Leagues. Dans un univers très largement dominé par une gente masculine surreprésentée, le recrutement de Caltys au sein de l'équipe croate Valiance est un geste fort et symbolique. C'est une véritable démonstration venant prouver que les femmes peuvent êtres compétitives, au même titre que les hommes.
Par opposition à cet argument, d'aucuns citeront certainement l'aventure des Vaevictis Esports, ce roster intégralement féminin qui avait terminé la saison 2019 de la ligue russe en 0-28. Toutefois, si les rose et noir jouaient effectivement au sein d'une Ligue régionale supplantant théoriquement les ERL, force est de constater que leur légitimité à un tel niveau de compétition était très largement questionnable.
Caltys, elle, a le niveau de ses ambitions.
L'appel de l'esport
Originaire de Stockholm, en Suède, la jeune ADC est aussi à moitié coréenne du côté de sa mère. "J'aime bien dire que c'est de là que je tire mes mécaniques," plaisante-t-elle. Gameuse dans l'âme depuis sa plus tendre enfance, elle emprunte le chemin pavé par sa grande soeur Klara et fait d'abord ses armes sur console avant de s'orienter vers les jeux PC et, quoique League of Legends soit désormais son gagne-pain, elle se souvient encore de premières heures passées sur Phantom Hourglass, ainsi que sur Spirit Tracks (The Legend of Zelda, Nintendo DS).
C'est là que Caltys découvre sa passion pour le monde vidéoludique, avant de se tourner vers la Faille en Saison 4. Alors âgée de 12 ans, la jeune gameuse ne comprend pas grand chose à ce qu'elle fait, sans vraiment saisir la notion même d'itemization. Elle se retrouve aux commandes d'une Annie full Ad, et termine la partie dans la Fontaine, en claquant un AFK rageur qu'aujourd'hui encore elle n'a pas oublié.
Cela dit, elle s'entête et continue de jouer. À l'époque, le mode draft ainsi que le pick order n'existent pas vraiment sur League, et elle oscille entre les rôles de midlaner et d'ADC, ou parfois même de support, en jouant Caitlyn ou Annie — deux champions alors recommandés pour les débutants. Pourtant, malgré ces débuts que certains pourraient qualifier de difficiles, Caltys sent déjà l'appel de l'esport.
"Je savais dès le début [que je voulais devenir pro]," raconte-t-elle, "j'ai toujours aimé la compétition et j'ai assisté à mon tout premier événement League of Legends en 2015. Les finales d'été du LEC avaient lieu à Stockholm cette année-là et j'y suis allé avec mon père. En voyant les joueurs sur scène, j'ai su qu'un jour je voudrais jouer là aussi."
Et ce rêve de gosse, Caltys a tout fait pour le réaliser. D'ailleurs, sa première game compétitive, elle s'en souvient encore. Alors âgée de 15 ans, elle participe à son premier tournoi offline, un petit événement suédois qui lui laissera un très mauvais souvenir. "Malheureusement, le seul souvenir que j'ai de ce tournoi, c'est le harcèlement que j'ai subi de la part de l'équipe ennemie à cause d'une décision des organisateurs du tournoi. C'est probablement le pire tournoi auquel j'ai participé," raconte-t-elle.
Pourtant, cet événement ne la freine en rien, elles continue de faire ce que font tous les aspirants pros : elle grind le ladder de League. Grandmaster depuis la saison 10, la jeune ADC écume les rosters 100% féminins pendant plus de trois ans avant d'acquérir un slot en EBL. Après avoir brièvement rejoint les exceL Ladies en 2018, et une fois le lycée fini, elle décide d'interrompre ses études pour rejoindre l'organisation Out of the Blue, une équipe française sponsorisée par Airbus qui à l'époque faisait office de pionnière en matière d'esport féminin.
Un parcours de combattante
Nous sommes alors en 2019 et, sous la bannière bleue et blanche, Caltys termine les deux splits de la Ligue féminine en 2e place, pour finalement remporter la finale des Playoffs face au roster féminin de Beşiktaş Esports, une équipe turque. Après cela, les filles d'OoB s'envolent d'abord pour Madrid puis pour Dubai afin de participer au GIRLGAMER 2019 Esports Festival, un événement qu'elles remportent finalement haut la main, en s'imposant 3-0 face à Grow uP Girls EU. Malheureusement, cette aventure "hors des sentiers" s'achève sur cette victoire et ce trophée, et la plupart des filles d'OoB décident de prendre leur retraite — mais pas Caltys.
La jeune suédoies rejoint ensuite le roster féminin de l'équipe anglaise Resolve, une équipe anglaise, avant de faire un passage express chez 1. ECF e.V. puis chez Team Revive. Et finalement, en janvier dernier, après presque trois ans de grind, elle obtient enfin l'opportunité qu'elle attendait : une place au sein de Valiance.
Cet objectif atteint pourrait signifier une fin en soi, un accomplissement. Caltys, elle, "n'est pas complètement satisfaite de ses réalisations jusqu'à présent, peut-être parce qu'elle s'est fixé des objectifs très élevés." Comme beaucoup, la jeune ADC rêve du LEC, "un de ses rêves à long terme" mais, elle le sait, les places y sont très chères. "Pour pouvoir jouer en LEC, il faut s'investir énormément et même là, c'est extrêmement difficile," explique-t-elle. "Ma plus grande inquiétude, c'est de savoir si je peux atteindre le niveau nécessaire pour y jouer ou non."
D'autant que, malheureusement, le chemin vers le sommet européen de l'écosystème compétitif de LoL est pavé de défis supplémentaires pour les femmes.
"Tu dois faire affronter toutes les difficultés que rencontrent les personnes qui essaient de passer pro, ce qui est déjà beaucoup — mais en plus de ça tu dois faire face à d'autres désavantages liés au fait d'être une femme," confie Caltys. "La plupart des gens supposent immédiatement que tu es nulle au jeu, en se fondant [juste] sur des stéréotypes."
La jeune joueuse raconte qu'elle doit souvent prouver à ses détracteurs que son niveau de jeu n'est pas un mythe — et même là, "ce n'est pas toujours suffisant." En témoigne cette anecdote lunaire qu'elle ajoute comme une cerise sur le gâteau : à ses débuts chez Valiance, un potentiel coach aurait questionné la capacité de l'équipe à atteindre les playoffs juste parce que "l'ADC était une fille."
"On m'a dit très tôt le type de choses auxquelles je devrais faire face si je voulais devenir joueuse professionnelle," conclue Caltys, "j'espère qu'un jour cela changera pour le mieux." En attendant, et ce sont ses propres mots, Caltys est juste une joueuse. "Jouer dans une ERL1 est un grand pas pour moi," affirme-t-elle, "mais il y a beaucoup d'autres personnes qui sont dans la même situation. Quand je suis en jeu, mon genre ne me rend pas différente des autres."