Si l'on pouvait penser de prime abord que les choses semblaient rentrer dans l'ordre pour Activision Blizzard King, c'est sans doute parce que les nouvelles se faisaient plus discrètes ces derniers temps, moins rocambolesques dirons-nous. C'était sans compter sur un article publié par le Wall Street Journal ce mardi 16 novembre 2021, au titre pour le moins troublant : "Le directeur d'Activision, Bobby Kotick, était au courant depuis des années des allégations pour harcèlement sexuel planant sur le géant du jeu vidéo". Ah !
L'article de Kirsten Grind, Ben Fritz et Sarah E. Needleman rapporte ainsi non seulement que Bobby Kotick aurait été informé des actes délictueux (le harcèlement sexuel est effectivement un délit, comme indiqué par service-public.fr) qui étaient commis au sein de son entreprise, mais aussi qu'il se comportait lui-même de façon plus que problématique avec les salariées de l'entreprise. Jennifer Oneal, l'ex co-directrice de Blizzard Entertainment, en aurait d'ailleurs fait les frais et aurait, selon les mêmes sources, quitté son poste et l'entreprise pour cette raison principalement.
Caprices, menaces et harcèlement
L'un des éléments les plus anciens révélés (ou rappelés) par le Wall Street Journal est sans doute l'affaire de Cynthia Madvig qui, bien qu'elle n'ait eu que peu de visibilité lorsqu'elle a éclaté en 2007, fut citée dans l'article en question afin de démontrer que la tendance capricieuse et même hargneuse du directeur d'ABK n'est pas toute jeune.
Cynthia Madvig était l'hôtesse de l'air personnelle de Robert Kotick. Elle a été licenciée après avoir accusé le pilote du millionnaire, Phil Berg, de méconduite sexuelle à son égard. Pourtant, elle a choisi de poursuivre son ex-patron en justice pour licenciement abusif. Après quelques remous, c'est finalement en 2010 que Cynthia Madvig a eu gain de cause, contraignant Bobby Kotick à lui verser la somme de 1,5 million de dollars.
Cependant, et même si les preuves de ce versement n'existent a priori plus, le Wall Street Journal mentionne que le directeur d'Activision était à l'époque très remonté contre Cynthia Madvig, allant même jusqu'à la menacer directement : "Je vais vous détruire !" se serait-il exprimé.
Le Blog LA Times mentionnait d'ailleurs déjà en 2010 que l'un des médiateurs expliquait à l'époque "M. Kotick souhaitait détruire l'autre partie et ne surtout pas payer quoique ce soit à Mme Madvig. M. Kotick a réalisé qu'il ne s'agissait pas d'une idée judicieuse, pourtant il a affirmé "valoir plus d'un demi milliard de dollars et qu'il n'aurait aucun remord à en dépenser la moitié dans les honoraires des avocats". Le même médiateur avait par ailleurs affirmé dans une interview ultérieure "M. Kotick a dit qu'"il ne serait pas extorqué de la sorte et qu'il ruinerait la plaignante et son avocat, tout en s'assurant que Mme Madvig ne soit plus jamais en mesure de travailler."
Mais, à l'époque, ces allégations ont été remises en question et disputées par Anthony Glassman, l'avocat de Robert Kotick, expliquant notamment que nombre de citations provenaient de conversations privées, sorties du contexte et souvent fausses. Bien que juridiquement cela se défende sans doute, pour le commun des mortels, de tels propos donnent surtout la sensation que M. Kotick est prêt à tout pour protéger ses intérêts et ruiner la vie de ceux qui se mettraient en travers de son chemin.
Dans le même article, il a également été révélé que le directeur d'Activision avait menacé une salariée 16 ans plus tôt. Il avait en effet laissé sur son répondeur un message vocal, la menaçant ouvertement de mort. Le porte-parole d'Activision a répondu récemment à cette allégation, déclarant que Bobby Kotick avait présenté ses excuses 16 ans plus tôt à ce sujet.
Selon le Wall Street Journal :
L'affaire Dan Bunting
Une autre révélation publiée ce même jour, là encore par le Wall Street Journal, mentionne que Robert "Bobby" Kotick serait un sauveur. Un sauveur dites-vous ? Oui, un protecteur de harceleurs notoires selon le célèbre journal américain.
Il est ici question du tristement célèbre scandale de l'affaire Bunting, en 2017. Pour rappel, ce scandale avait éclaté lorsqu'une salariée de Treyarch, l'un des studios d'Activision, avait accusé Dan Bunting, qui en était alors le co-directeur, de l'avoir harcelée sexuellement après une nuit de beuverie. Une enquête en interne avait alors été lancée en 2019, mais le directeur d'Activision serait, selon le Wall Street Journal, intervenu en faveur de l'ex co-directeur.
"Ex" co-directeur car, oui, Dan Bunting a finalement quitté ses fonctions en octobre 2021 après l'enquête du Wall Street Journal, en amont de la publication de cet article peu élogieux. C'est ainsi que quatre ans après le début de cette affaire, les choses semblent s'éclaircir. Néanmoins, le porte-parole d'Activision affirme qu'une enquête externe avait eu lieu en 2020 et avait tranché en faveur de sanctions disciplinaires à l'encontre de Dan Bunting plutôt que de son renvoi définitif. Selon ce même porte-parole, Bobby Kotick ne serait pas impliqué dans le recrutement, la rémunération et le renvoi de la plupart de ses salariés, Dan Bunting compris.
Selon le Wall Street Journal :
La culture du silence
Comme si cela ne suffisait pas, en juillet 2018 Bobby Kotick a reçu un e-mail de la part de l'avocat de l'une des anciennes salariées de Sledgehammer Games, l'un des studios d'Activision. Dans celui-ci, le directeur était tenu informé que la salariée en question avait subi des sévices sexuels en 2016 et 2017 de la part de son superviseur après avoir consommé de l'alcool sur le lieu de travail.
Malgré le signalement de ces crimes au département des Ressources Humaines de Sledgehammer, aucune suite n'a jamais été donnée, d'où l'e-mail envoyé au directeur d'Activision qui était alors menacé de poursuites judiciaires. Dans les mois qui suivirent cet e-mail, Activision a obtenu un accord à l'amiable avec la femme victime de ces crimes, pourtant le Conseil d'administration d'Activision Blizzard n'aurait, selon ses membres, jamais été tenu informé de ces allégations.
Par la suite, lors des récentes révélations concernant la "Frat Boy Culture" régnant dans l'entreprise, Bobby Kotick a nié être au courant de quoi que ce soit à ce sujet auprès du Conseil d'administration de l'entreprise. Pourtant, certains documents internes à l'entreprise indiqueraient, selon le Wall Street Journal, que le directeur d'Activision Blizzard était bien au courant de tout cela depuis bien longtemps déjà au même titre que d'autres haut placés de l'entreprise, et tous les ex-salariés informés de telles situations auraient été priés de garder le silence.
Finalement, il semblerait que les membres du Conseil d'administration de l'entreprise aient réclamé des comptes à Bobby Kotick lors des révélations concernant le suicide de l'une des salariées après la publication en interne de photos intimes d'elle. Il se serait contenté d'affirmer que "les problèmes culturels au sein de l'entreprise sont centralisés chez Blizzard Entertainment" et qu'ils auraient été résolus bien des années plus tôt. Des propos que la porte-parole d'Activision, Helaine Klasky, a réfuté en ajoutant que "M. Kotick n'était pas tenu informé de chacun des rapports de méconduite au sein d'Activision Blizzard, au même titre qu'il ne pouvait raisonnablement pas être tenu informé en permanence de l'ensemble des problèmes que subit le personnel de l'entreprise".
Jennifer Oneal : la face cachée de l'iceberg
Bien sûr, que serait l'affaire Activision Blizzard sans mentionner le récent et très étrange départ de Jennifer Oneal, ex co-directrice de Blizzard Entertainment en fonction pendant seulement... trois mois !
Elle expliquait en effet au début du mois de novembre 2021 qu'elle cédait sa place de co-directrice à Mike Ybarra, son ancien associé, de façon discrète et en prétendant qu'elle avait foi en la direction de Blizzard Entertainment. Pourtant, les raisons de ce départ précipité, dévoilées par le Wall Street Journal, sonnent bien différemment. Dans l'article susmentionné, on découvre en effet que Jennifer Oneal n'avait aucune confiance en la direction d'ABK. Pire encore, qu'elle aurait été moins payée que son homologue, MIke Ybarra, et qu'elle aurait été harcelée sexuellement au cours de sa carrière chez Activision avant d'obtenir le poste de co-directrice de Blizzard.
Selon le Wall Street Journal :
Pour rappel, le communiqué officiel de Jennifer Oneal publié au moment de son départ début novembre 2021 expliquait notamment qu'elle avait foi en la direction de Blizzard Entertainment, en Mike Ybarra donc. Le message semblait être plutôt bien passé et prometteur (bien que l'on imaginait des histoires un petit peu sombres au fond, ne nous le cachons pas). On comprend désormais mieux pourquoi elle exprimait sa confiance en la direction de Blizzard Entertainment précisément, et pas celle d'Activision Blizzard King dans sa globalité.
L'un des éléments intéressants serait désormais sans doute de découvrir si l'actuel directeur de Blizzard Entertainment était informé de la situation ou pas...
Les salariés d'Activision Blizzard King se mobilisent
En réponse à ces nouvelles accusations extrêmement graves, les salariés d'Activision Blizzard King qui s'étaient réunis sous la bannière du comité A Better ABK quelques mois plus tôt ont organisé une marche en protestation à la présence de Robert Kotick. La réclamation des manifestants est claire : la démission de Bobby Kotick.
Épisode V : Bobby contre-attaque
Dans une vidéo dont les propos ont été traduits ci-dessous, le directeur d'Activision Blizzard King s'est exprimé au sujet des récentes allégations dont il fait cette fois directement l'objet. Il s'adresse dans celle-ci directement à ses salariés et collaborateurs en survolant vaguement les accusations le ciblant et qualifiant l'article du Wall Street Journal d'avoir "une vision inexacte et trompeuse de l'entreprise, de lui personnellement ainsi que de ses dirigeants", des propos qui rappellent d'ailleurs ceux tenus quelques semaines plus tôt par Frances Townsend, étrangement.
Voici la traduction du communiqué de Robert Kotick :
Le Conseil d'administration d'Activision Blizzard s'exprime
Quelques heures après le début de ce nouveau scandale, le Conseil d'administration d'Activision Blizzard a finalement pris la parole en faveur de Robert Kotick.
Une déclaration que les salariés de l'entreprise n'ont que peu apprécié, tout particulièrement ceux de Blizzard Entertainment qui ont dans certains cas exprimé publiquement leur profonde déception. Une nouvelle fracture semble s'être formée entre la tête de l'entreprise et les salariés. De nombreux soutiens ont par ailleurs été publiés sur les réseaux sociaux en faveur des salariés d'Activision Blizzard King, réclamant par la même occasion la démission de Robert Kotick.