Les League Championship Series existent depuis désormais huit ans, mais cela fait déjà très longtemps que l'âge d'or de la scène américaine semble révolu. Enchaînant les performances sinon médiocres ou pour le moins mitigées, traînant autant de casseroles qu'une voiture de jeunes mariés, la ligue américaine est plus ou moins devenue la risée de la scène compétitive de League — mais il n'en a pas toujours été ainsi.
Aux premières heures de la scène compétitive internationale, les LCS étaient simplement divisées en deux branches, EU et NA — et le reste du monde restait une sorte de boîte de Pétri, bourrée d'événements régionaux et locaux qui échappaient au contrôle de Riot Games. A vrai dire, il n'y avait pas de circuit à proprement parler, puisque la scène toute entière reposait sur des compétitions préexistantes comme la Dreamhack, les MLG ou encore les IEM — mais ça commençait tout doucement à se former.
A l'époque, la scène américaine était florissante, notamment grâce à l'impulsion d'organisations comme Counter Logic Gaming. Forte de deux rosters, CLG NA et CLG EU, la structure a fait rayonner League of Legends dans le monde occidental avant de devenir l'apocalypse de performance qu'on connaît aujourd'hui. L'Amérique du Nord est LA première région de League, et pendant plusieurs années ses représentants sont parvenus à maintenir un pied dans le haut de la compétition. Cloud9, TSM, Team Liquid — plusieurs grandes organisations de la scène américaine — rappellent à chaque édition des Worlds que les NA sont toujours là. Mais, année après année, elles dégringolent dans le classement — en témoigne la débandade catastrophique de l'année passée.
Pour justifier cet absence de prouesses, on invoque une demi-douzaine de raisons. Le ping élevé sur les serveurs américains*, le trop plein de joueurs importés qui ne parviennent pas à briller autant en LCS que dans leur région initiale et l'incapacité totale des différentes organisations de la scène à scouter et former proprement les talents de demain.
Ce qui en ressort, c'est que la scène américaine est vieillissante, qu'elle ne laisse que très peu de places aux rookies, préférant importer des vétérans d'autres régions à prix d'or, sans véritablement leur donner un environnement propice à leur épanouissement. Et, en l'absence d'opportunités, beaucoup de joueurs américains prometteurs perdent simplement l'envie de grind jusqu'au sommet. Comment leur en vouloir ? Après tout, qui souhaiterait jouer en Academy pendant des années en attendant comme le messie une chance de jouer en LCS ?
Au fil des années, on a vu des dizaines de talents européens, chinois ou coréens s'envoler pour Los Angeles, afin souvent d'y terminer leur carrière dans l'opulence — au sein d'une ligue dont le niveau de jeu et l'intensité sont loin d'égaler celles où ils ont fait leurs armes — mais rarement dans la performance.
La seule limite à cette addiction étrange, c'est la règle des imports, qui stipule qu'un roster ne peut posséder que deux joueurs dont la résidence ne correspond pas à la ligue régionale dans laquelle il joue. Et pourtant, cette régulation, à laquelle toutes les équipes du circuit compétitif se soumettent, semble indisposer les organisations de la scène américaine.
A tel point qu'elles ont officiellement demandé à Riot Games d'en être libérées.
* D'une zone à l'autre de l'Amérique du Nord, le ping peut varier énormément. En effet, si les joueurs de la côte Ouest n'éprouvent qu'une faible latence — puisque les serveurs de League of Legends sont installés à Chicago — en revanche ceux de la zone centrale et de la côte Est doivent parfois jouer avec, en moyenne, entre 40 et 150+ ms.
Les LCS : un statut d'exception
Les NA sont devenus, au moins dans l'imaginaire collectif, une sorte de paradis doré pour joueurs retraités — une petite oasis de performance, où l'on vient juste pointer. Et, quand on sait que le salaire annuel d'un joueur américain avoisine en moyenne 400,000$, quand on apprend que Cloud9 a racheté le buyout de Perkz à 5 millions, quand on voit, de nos petits yeux de fans de Marvel, que Team Liquid a signé un partenariat avec Disney — ça paraît difficile de nier que les LCS semblent complètement déconnectés de la réalité des autres ligues. Et c'est d'autant plus inexplicable que c'est complètement décorrélé de leurs performances à l'international.
Bien sûr, la plupart des organisations enrôlées au sein des LCS sont aussi présentes sur d'autres scènes esportives, ce qui leur permet de dégager des revenus et d'attirer des sponsors autre part que dans la sphère de League — mais ça n'explique pas pourquoi les joueurs des LCS reçoivent un tel traitement, ni même pourquoi les vétérans des autres régions sont rachetés à prix d'or. En réalité, il paraît difficile d'expliquer comment les organisations américaines ont pu en arriver à de telles extrémités ou de telles proportions. La réalité nous invite pourtant à pointer du doigt l'absence totale de régulation de la part de Riot Games à part, justement, la règle des imports.
Quelques semaines plus tôt, Travis Gafford rapportait que certaines organisations des LCS se seraient adressées à Riot Games afin d'officiellement demander le retrait de la célèbre règles des imports. Bien qu'à l'état de rumeur, la nouvelle avait fait les gros titres, en raison de l'ampleur des conséquences qu'une telle décision pourrait engendrer. Que ce soit uniquement les LCS, ou bien le circuit compétitif tout entier, un monde sans ce commandement ultime laisserait la porte ouverte au chaos. Et, si je souriais à moitié en vous rapportant la nouvelle, j'affiche désormais un visage beaucoup moins serein face aux dernières révélations. Car Gafford affirme, dans une de ses dernières vidéos, que la totalité des équipes des LCS seraient effectivement emballées par la suppression de la règle des imports.
Sauf qu'il y a un hic, parce que ladite règle est en réalité une régulation internationale, qui existe précisément pour donner corps aux régions compétitives de League of Legends. En d'autres termes, les LCS ne peuvent pas échapper à la règle des imports, à moins que toutes les ligues régionales n'en soient elles aussi libérées — ou tout du moins qu'elles reçoivent une compensation en échange. Après tout, quelles que soient les ligues, les équipes qui participent à la course aux Worlds et au MSI dans leurs diverses régions sont sensées être sur un pied d'égalité. Et Riot chaperonne l'intégrité de la compétition en s'assurant que tous les participants soient traités de la même manière.
Tout ou rien : c'est un petit peu ce qui ressort de cette histoire. Car, si les LCS se libéraient de la règle des imports en solitaire et continuaient de participer aux Worlds, les autres ligues pourraient aisément crier à l'injustice — car les organisations américaines disposeraient alors d'un net avantage.
Mais, et si les LCS ne communiquaient plus dans le même circuit compétitif que les autres ligues régionales ? Et si Riot Games prenait la décision folle de séparer le circuit américain du reste du monde, pour en faire une super ligue internationale ?
"Tout le monde parle de simplement supprimer les règles des imports en LCS, mais c'est ennuyeux. Le move de génie, ce serait de maintenir toutes les régions verrouillées pour les ligues régionales (LCS, LPL, LEC, LCK, etc.) et de créer une super ligue mondiale sans restriction régionale, avec 20 équipes. Je veux regarder ça."
Bye bye LCS
C'est vrai que j'adore me moquer des LCS, ne serait-ce parce que ca fait toujours du bien de raviver un peu les braises de la vieille et désormais obsolète rivalité entre les LCS NA et les LCS EU. Cela dit, je préférerais ne pas avoir à le faire car, ce qui compte vraiment, c'est le succès global de la scène compétitive de League of Legends. Dans cette logique, ça n'a plus rien d'amusant d'avoir un cancre qui, non content de traîner les pieds, désire aussi un statut de privilégié.
Je refuse de croire que les différents administrateurs et décideurs de ces organisations n'ont pas conscience des potentielles conséquences que leur demande aurait, parce que cela prouverait leur totale méconnaissance de l'esport sur League. Car il ne fait absolument aucun doute que le retrait de la politique des imports sonnerait simplement le glas du modèle de ligues régionales que Riot Games cherche à polir depuis presque 10 ans. Pour la simple raison que cela reviendrait à détruire tout ce qui fait l'identité de chacune des ligues régionales.
Dans cette logique, le fait que toutes les organisations des LCS aient demandé, à demi-mot ou non, la suppression de la règle des imports est une insulte à la scène compétitive toute entière. Car, s'ils savent que la régulation est internationale, ils comprennent bien que leur requête équivaut soit à détruire la scène esport de LoL, soit à leur accorder un statut d'exception. Et si la seconde solution était choisie, cela reviendrait à avoir le beurre, l'argent du beurre, et même la main de la crémière. Cela reviendrait à accorder un avantage, un privilège aux organisations des LCS et, en toute honnêteté, rien ne le justifie.
On admet communément que les organisations du monde de l'esport ne parviennent pas encore à dégager de bénéfices réels. En d'autres termes, elles investissent à perte — et il semble difficile de leur reprocher de vouloir parvenir à être enfin profitables. A cet égard, je comprends la motivation de faire florir les LCS en les transformant en une ligue internationale. Du point de vue des organisations, il est évident que le retrait de la règle des imports permettrait de dégager des revenus substantiels. Après tout, une ligue internationale rassemblant, en théorie, les meilleurs joueurs du monde ferait sans doute de très bon chiffres en termes d'audience, tout en attirant de nombreux sponsors potentiels.
En revanche, du point de vue des joueurs américains — et tout particulièrement de la prochaine génération qui fait actuellement ses armes — ce serait absolument dramatique. Non seulement l'arrivage permanent de vétérans occulterait le talent des jeunes joueurs américains, mais surtout la scène actuelle vivrait une hécatombe totale. Pourquoi parier sur Spica si tu peux avoir Canyon ?
Pour les joueurs, pour la scène, ce serait une sorte de Ragnarök — mais, au final, est-ce que ce ne serait pas pour le mieux ?
Hakuna Matata
Autrefois cœur de la scène compétitive, les LCS sont désormais le simple satellite d'un circuit qui les dépasse complètement, et duquel ils semblent soudainement vouloir se libérer. Et si certains souhaiteraient peut-être conserver la ligue américaine au même niveau que les autres ligues, j'aurais tendance à suggérer le contraire. Après tout, s'ils désirent se ranger en marge des autres ligues régionales, grand bien leur fasse. S'ils souhaitent faire de la ligue régionale américaine une arène internationale et chaotique, je serai le premier à les applaudir
Mais qu'on ne vienne plus me parler de "homegrown talent", qu'on arrête le bullshit autour de la scène académique et surtout, qu'on ne vienne pas se plaindre lorsque la scène américaine pullulera de joueurs coréens et chinois, tandis que que les anciens tauliers diront adieu à leur carrière. Car, en l'absence de règles des imports, ce serait simplement la loi de la jungle — ou plutôt de celui qui a le plus gros portefeuille, puisqu'il n'existe pas de salary cap comme en NBA. Ce serait la loi de la performance absolue, et à l'extrême. La plus juste du point de vue de la compétition, la moins équitable du point de vue humain.
Et la situation est d'autant plus terrible que les joueurs de la scène américaine se retrouvent littéralement pris entre deux feux. D'un côté, le risque de perdre leur emploi pour un joueur étranger ; de l'autre, la prise de conscience que, sans la règle des imports, c'est probablement ce qui se passerait. D'ailleurs, la NA Player's Association n'est pas restée silencieuse puisque son président, Darshan, a pris la parole au micro de Gafford afin de communiquer la posture collective des joueurs des LCS. Evidemment, ils sont majoritairement opposés à ce que la régulation soit retirée, et ils l'auraient fait savoir s'ils n'avaient pas craint, déjà, pour leur carrière.
En effet, un ou plusieurs joueurs des LCS, dont l'anonymat est conservé, ont pris contact avec le YouTuber Gbay99 afin de révéler que leur ou leurs organisations respectives leur avaient strictement interdit de mentionner le sujet sur leurs différentes plateformes de communication. (stream, réseaux sociaux, etc.) Aussi fou que ca puisse paraître, cette censure semble bien avoir eu lieu, car Darshan confirme que la Player's Association est montée aux créneaux pour dénoncer la situation auprès de Riot Games.
De tous les côtés, le sujet est aussi dramatique qu'épineux, et j'ai du mal à croire que la règle des imports puisse finalement être levée, mais...
Et si elle l'était ?
Et pourquoi pas, après tout. Oublions un instant le fait que des organisations esportives ont cherché à réduire au silence certains de leurs joueurs sur un sujet dans lequel ils ont tout à fait leur mot à dire.
Riot Games reste maître de son circuit, et je serais mal placé pour vouloir leur imposer quoi que ce soit. S'ils souhaitent libérer les LCS de la règle des imports, je me vois mal faire un sitting devant leurs locaux pour protester. Par contre, je conserverai un regard acéré sur le reste du circuit. Car, évidemment, si les LCS disposent d'un statut d'exception, si on leur accord un statut en marge, en dehors du circuit compétitif, si les organisations américains possèdent un avantage sur celles du reste du monde, alors il paraît normal qu'elles soient exclues des compétitions internationales auxquelles participe le reste du circuit..
Afin de préserver l'intégrité de la compétition, les LCS devront renoncer aux Worlds et au Mid-Season Invitational. Quitte à couper les ponts, autant le faire bien.
Bien sûr, la meilleure solution serait sans doute de donner naissance à un nouvelle ligue qui serait, elle, libérée de la règle des imports — tandis que les LCS continueraient de joueur leur rôle au sein du circuit international. Mais, j'imagine bien que ce n'est pas ce que les organisations américaines souhaitent, car les slots franchisés de cette nouvelle ligue seraient sûrement contestés par des organisations du monde entier. Non, ce qu'elles semblent demander, c'est un passe-droit afin de rattraper leur retard.
Car la situation dramatique des LCS n'a absolument rien à voir avec les performances de ses représentants à l'international. En fait, la scène américaine goûte simplement les conséquences de ses propres extravagances — et ce serait proprement scandaleux qu'elle ne paye pas les pots cassés. Alors, qu'on leur donne leur ligue internationale, et qu'ils aillent jouer dans leur coin. Et on sera très heureux de récupérer les rookies américains en LEC.
L'heure de l'addition
Parce qu'il est là le problème. Les LCS n'ont cessé, au fil des années, d'investir dans le présent, sans jamais parier sur le futur.
Les autres ligues l'ont bien compris : quel que soit son talent, un joueur finira toujours par ranger son clavier et sa souris. Ses performances, son succès, et sa réussite sont temporaires, comme le sont celles de son équipe. Et, à cet égard, les organisations qui composent le circuit compétitif de League of Legends se doivent de porter leur regard vers l'avenir. Grâce aux European Regional League, et aux European Masters, l'Europe a su développer, au cours des années passées, des modèles permettant de pérenniser la scène compétitive en identifiant et en formant les talents de demain.
En comparaison, les LCS Academy font pâle figure, d'autant que j'ai rarement vu un système censé promouvoir les talents de demain être frappé d'autant d'immobilisme. Et c'est d'autant plus flagrant cette année que le LEC a accueilli pléthore de jeunes talents venus des ERL — comme Jezu, Vetheo, Blue, ou encore TynX.
Ce qui est absurde dans tout ça, c'est qu'on a vu des talents américains émerger l'année dernière, et que la Saison 2021 semblait enfin annoncer une sorte de renouveau pour les LCS. Avec Doublelift et Bjergsen à la retraite, la porte était grande ouverte pour que de nouvelles stars émergent. D'autant que les initiatives ne manquent pas pour donner de l'espace aux jeunes joueurs, comme le programme 100 Thieves Next, mis en place par l'organisation éponyme. Malgré l'absence d'un système efficace pour véritablement les scouter, des rookies sont parvenus à se faufiler jusqu'au plus haut niveau de compétition américaine — prouvant certes leur détermination, mais surtout qu'ils en avaient sous le pied. Et, malgré ça, les organisations de la région souhaiteraient faire sauter la règle des imports ? Non mais, à ce niveau là, c'est du troll.
J'ai du mal à croire que Riot Games puisse donner suite à une demande aussi folle, mais le simple fait qu'elle puisse avoir été formulée en dit long. Vue du reste du monde, la situation n'est pas seulement ridicule ou absurde, elle est inadmissible. Car les organisations américaines semblent chercher à aller au putsch et réclament une solution à court terme, un tour de passe-passe, pour se sortir du marasme de leur scène, un raccourci pour immédiatement obtenir des résultats et des performances. Et tout ça sans le moindre respect pour leur propres joueurs, ceux du reste du circuit — ou même des autres ligues et organisations et de ce qu'elles ont construit collectivement au cours des huit dernières années.
Une casserole de plus pour les NA... quel gâchis.
Sources
- The Loadout, "The average LCS player is getting paid about $400k per year"
- Travis Gafford, "LCS PA President Darshan speaks out on Owner Import Rule push, confirms some players silenced"
- Gbay99, "LCS Owners Tried to SILENCE Players and Staff Over the Import Rule — League of Legends Esports"
- Dotesports, "100 Thieves creates the 100 Thieves Next program to help develop younger North American League talent"