Crédit photo : Timo Verdeil (Léo Maurice) et Guillaume Anjoran (Yann-Cédric Mainguy)
Après Misfits Gaming en 2019, LDLC OL est venu arracher le titre des European Masters au nez et à la barbe des Polonais de chez K1CK Neosurf. Se faisant, la LFL semble désormais asseoir une nouvelle domination sur la scène des European Regional Leagues, faisant oublier celle de l’Espagne et de l’Allemagne. D’autant plus que l’acte est loin d’être isolé, et que la victoire de LDLC s’accompagne d’une place en quarts pour GamersOrigin.
Au sommet de l’Europe, et malgré l’absence d’une finale franco-française, les deux équipes témoignent par leurs résultats que la LFL est effectivement la meilleure ligue des ERL. Les raisons sont nombreuses, et elles s’enracinent plus loin qu’on pourrait l’imaginer...
La France, pionnière de l’esport
Ce qu’est aujourd’hui le monde de l’esport est bien loin de ressembler à ce qu’il fut lors de ses balbutiements, vingt années auparavant. “T’avais pas d’argent, t’avais rien,” raconte Léo Maurice, “tu faisais vraiment ça par passion. Alors que maintenant c’est un métier.”
BroodWar, Warcraft III, Starcraft II, Counter-Strike, la France a en effet été une des premières nations européennes à accueillir l’esport en son sein. Et, à leurs balbutiements, les scènes compétitives de ces différentes licences étaient bien loin de ressembler à ce qu’elles sont aujourd’hui. Plus encore, des dizaines d’années ont été nécessaires avant de voir émerger les structures qui peuplent aujourd’hui le paysage compétitif.
“Effectivement, nous, on a connu l’esport sans argent, que eux ne connaîtront probablement jamais,” raconte Yann-Cédric Mainguy, “mais y a quatre ou cinq ans, c’était encore une vraie galère d’envoyer des joueurs en LAN, à chercher les hôtels les moins chers possibles. Maintenant on peut prendre les hôtels qui sont à cinq minutes ... enfin y a véritablement eu une évolution.”
Aux premières heures de la scène française de League of Legends, à l’époque où des équipes comme Millenium, Eclypsia ou AAA constituaient l’avant-garde de l’esport, les arnaques en tous genres pullulaient comme du chiendent. Que ce soient des joueurs qui n’avaient pas été payés, ou des organisations frauduleuses qui disparaissaient avec les prize pool, la scène française a certainement eu son lot de dramas et de tragédies. “Et ça, ça a été pendant des années,” commente Yann-Cédric Mainguy, “et du coup, les gens qui sont maintenant staff ont pas envie de faire ce qu’on leur a infligés.”
Plutôt que de gangréner la scène française, ce phénomène a au contraire eu un effet positif, devenant une véritable force. Contrairement à d’autres pays européens, la France a eu des dizaines d’années pour épancher son lots d’arnaques, et pour professionnaliser les organisations esportives qui portent son drapeau à l’international. Cette ancienneté est devenue expérience, et est aujourd’hui un véritable atout pour des équipes françaises comme LDLC OL ou GamersOrigin.
“Dans certains pays les personnes qui commencent à arriver dans l’esport sont des jeunes gens qui n’ont pas connu cette époque là,” explique Yann-Cédric Mainguy, “nous on sait ce qu’on peut proposer, y en a d’autres qui croient qu’ils peuvent proposer des choses incroyables, et en fait ils se plantent parce qu’ils ont mal calculé leurs coûts, ou pour diverses raisons.”
Fortes de cette ancienneté et de l’expérience qui l’accompagne, les équipes française peuvent aujourd’hui proposer d’excellentes conditions d’encadrements, un atout non-négligeable quand il s’agit de recruter la dernière “pépite” de la scène européenne. Et pour Yann Cédric-Mainguy, c’est justement cela qui permet à GamersOrigin et LDLC OL de danser au sommet de la LFL, et désormais de l’Europe.
“On va être capable d’attirer les meilleurs joueurs, même au niveau européen. On a un bon encadrement, qui donne le bon mindset aux joueurs. Du coup, même si c’est pas toujours nous qui gagnons, même si c’est pas toujours vous qui gagnez, on arrive toujours à se tirer la bourre.”
Le centre d'entraînement de GamersOrigin. // Crédit photo: GamersOrigin
L’esprit LAN
Encore une fois, et sans véritable surprise, la France cultive son exception. Car la scène française de LoL possède son propre microcosme depuis de nombreuses années, un véritable écosystème reposant sur le circuit des LANs et dont le point de départ est l’Open Tour.
Comme la Lyon e-Sport, ces événements qui rythment habituellement l’année ont malheureusement été annulés ou reportés en raison du coronavirus. “Les cinq premiers mois de l’année sont les plus enivrants en terme de résultats et de team-building avec les joueurs,” regrette Yann-Cédric Mainguy,”Le reste de la saison, c’est un peu plus online. C’est ce qui me rend mélancolique cette année.”
Car pour le directeur esport de GamersOrigin, le circuit des LANs est plus qu’une expérience incroyable, c’est aussi le berceau de l’esprit compétitif français. “L’esprit LAN” est venu bercer la nouvelle génération de joueurs français dès leurs premiers pas sur la scène.
“Tu prends Toucouille ou Shemek, de purs produits de la scène LAN française, lorsqu’ils vont en LAN, c’est vraiment ‘je rentre dans l’arène’. [...] T’arrives le matin, tu vas te tuer toute la journée, tu finis super tard le soir parce que t’as eu plein de problèmes de déconnexion… Je pense que ça, c’est une force supplémentaire en France qui n’existe pas dans les autres ligues.”
Un peu à l’image de l’entraînement des Spartiates, l’émulation des jeunes talents français se déroule dans les différentes arènes que sont les LANs, venant forger et raviver régulièrement leur esprit de compétition.
Vers l’Europe, et au-delà
Malheureusement, pour les organisations comme GamersOrigin et LDLC OL, les European Masters représentent un plafond de verre derrière lequel il n’existe aucun trophée à décrocher. Après avoir brillé sur le sol français en LFL et en LANs, puis à l’échelle européenne avec les EM, le parcours des équipes s’achève avant d’avoir connu véritablement la gloire.
“Si là, aujourd’hui, en ayant gagné les European Masters, LDLC avaient un slot en play-in des Worlds ou une next step après les EU Masters,” déclare Yann-Cédric Mainguy, ”ce serait intéressant oui.”
Force est de constater que le LEC est complètement déconnecté des European Regional League, empêchant celles-ci de dépasser leur simple statut de ligues nationales et faisant d’elles une sorte de division européenne de seconde zone. Sinon de rejoindre le LEC, le rêve de la gloire à l’international semble aujourd’hui inaccessible.
Justement, ni LDLC OL, ni GamersOrigin ne viendraient refuser une opportunité de jouer en LEC si jamais elle se présentait. “Ca nous plairait, c’est sûr,” commente Léo Maurice, “mais ça a un coût et si t’es pas sûr des retombées derrière, c’est compliqué d’investir.”
“Moi je commence à être un peu plus âgé, j’ai 35 ans, si je pouvais être en LEC au moins une saison avant de prendre ma retraite…,” s’enflamme Yann-Cédric Mainguy, “Pouvoir aller comparer un peu ce qu’on vaut nous — moi en tant que manager — c’est tout un rêve.”
Au delà des contraintes du réel, les deux équipes partagent la même ambition : porter leurs couleurs depuis la France jusqu’à l’international. Le chemin est encore long à parcourir, et le fait que le LEC soit une ligue fermée reste un écueil de taille se dressant sur la route d’organisations comme GamersOrigin ou LDLC OL. A vrai dire, il s’agit du seul véritable obstacle, car, dans un monde où la LFL pourrait affronter le LEC, Yann-Cédric Mainguy est plutôt confiant au sujet du résultat.
“On connaît le niveau des équipes en face, on sait ce qu’on vaut nous et on sait qu’on aurait tout à fait des cartes à jouer pour gagner des matchs. Peut-être pas aller en Playoffs, mais en tout cas avoir un bon niveau… pas être complètement ridicules.”
Et après...
Des premiers pas de l’esport en LAN à l'écosystème compétitif absolument massif développé par Riot Games, Yann-Cédric Mainguy et Léo Maurice font partie de ces acteurs qui ont accompagné la naissance de la scène française de League of Legends. Ils ont connu les galères et les arnaques des premières années, la création des EU LCS puis leur rebranding en LEC, le passage des ligues ouvertes aux franchises, l’absence d’argent puis son afflux, les échecs répétés puis les réussites méritées.
“Tant que y a des gens qui resteront passionnés, il restera un pan de l’esport qui ira dans la bonne direction,” commente Yann-Cédric Mainguy
Loin des clameurs de l’arène, force est pourtant de constater que la passion ne suffit pas pour répondre aux exigences financières du monde réel. Encore aujourd’hui, le fait de gérer une organisation esportive reste une affaire complexe et rarement lucrative. Comme le Chief Gaming Officer de H2K Gaming, Richard “Rich” Wells l’expliquait bien dans une vidéo il y a quelques mois, même les équipes du LEC ont des difficultés à joindre les deux bouts. Et les organisations jouant en LFL semblent loin d’échapper à cette situation.
Derrière cette volonté de rendre l’esport profitable, on retrouve avant tout l’espoir de pouvoir un jour le pérenniser, pour faire durer dans le temps tout ce qui a été construit ces vingt dernières années. Dans cette entreprise, les sponsors et leurs investissements jouent évidemment un rôle qui ne peut être négligé, non pas afin de simplement enrichir les organisations, mais pour donner vie aux rêves de leurs membres.
“L’argent est là pour que les gens puissent passer du temps dessus sans être la rue,” explique simplement Léo Maurice,”. Que ce soit le staff, les organisateurs,... Tu peux pas travailler à plein temps en étant bénévole, c’est pas possible.”
Tout travail mérite salaire, et la professionnalisation de la scène française de League of Legends est sans aucun doute un des ingrédients de sa réussite. Et, face à l’afflux grandissant des nouveaux sponsors, à toutes les échelles de la compétition, on se prend facilement à rêver.
On imagine des arènes où les équipes pourraient jouer leurs matchs à domicile, en étant entourées de leurs publics. On fantasme sur un monde où certains Lycées français posséderaient des cours de League of Legends. L’idée fait sourire, mais la question de la légitimité revient tour à tour dans les bouches de Yann-Cédric Mainguy et Léo Maurice. Qui pour certifier l’encadrement esportif de ces athlètes en herbe ? Qui pour s’assurer que ce nouvel appareil éducatif ne reproduise pas les erreurs d’hier ?
Au final, s’il n’existe pas de cours de LoL, c’est probablement parce que le besoin ne s’en est jamais fait sentir. Car les organisations comme LDLC OL et GamersOrigin remplissent déjà ce rôle de repérer et d’éduquer les jeunes talents de la scène française.
“Je pense qu’on a un microcosme qui se développe très bien de lui-même,” conclue Yann-Cédric Mainguy, “J’imagine que le ministre des sports travaille main dans la main avec l’Enseignement Supérieur pour gérer les STAPS, et peut-être que ce sera le cas un jour pour nous aussi. En attendant c’est pas ça qui nous empêche d’être performant, d’aller de l’avant, de montrer que la France est très forte en esport. Parce qu’on a des talents incroyables quels que soient les jeux.”
La France a, non pas un, mais des incroyables talents. Et cela même au-delà de l’arène de la LFL. Car dans les coulisses, la scène française de LoL grandit et se pérennise grâce à des figure de l’ombre. Des managers qu’on oublie souvent alors qu’ils sont les architectes même de l’esport.