Xavier Oswald est copropriétaire et CRO du club OG Esports, l’une des organisations esportives les plus populaires au monde. Recherche de sponsors, merchandising, projets spéciaux : tels sont, en partie, les quêtes de celui qui est en charge de faire tourner la machine qui arbore les deux taureaux de la marque Red Bull. Plus récemment, il s’est occupé du lancement d’une section sur Counter-Strike. Un autre titre de la scène Valve, sur laquelle sa structure brille via son statut de géant de DotA 2.
Peux-tu présenter le parcours qui t’a mené jusqu’à l’esport, puis OG par la suite ?
J’ai toujours été un joueur de jeux vidéo. Et lorsque je suis rentré en France, après une longue période d’expatriation, je me suis beaucoup intéressé à l’esport, complètement par hasard. Je me suis dit qu’il y avait quelque chose à faire, qu’il y allait avoir une croissance économique autour du secteur. J’ai constaté qu’il y avait très peu de sites internet qui en dépeignaient les aspects marketing et économiques. J’ai donc décidé de créer un site web où j’ai traité cette actualité en français et en anglais. Et en parallèle de ça, j’organisais tous les mois des conférences sur l’esport, en B2B. J’animais et je modérais des tables rondes, avec des professionnels de l’esport et d’autres acteurs non endémiques. Très rapidement, j’ai fait du consulting pour des médias, des clubs, des enseignes… J’ai rencontré - puis sympathisé avec - Nicolas Maurer qui est le directeur général de Vitality. Il a souhaité qu’on travaille ensemble, donc j’ai intégré Team Vitality pour m’occuper de la stratégie, du business development, du sponsoring, des levées de fond, de l’implication en LEC… Puis, après la deuxième levée de fond, j’ai estimé que le cycle de tout ce que je pouvais apporter à Vitality était fait. J’ai décidé de les quitter, pour rejoindre quelque temps après OG.
Pourquoi avoir fait ce choix-là ?
OG est la plus grosse structure sur DotA 2. Avec, aujourd’hui, 4 Majors et un double titre de Champions du monde. Mais ce qui m’a intéressé au départ, c’était de rejoindre une marque mondiale avec une grosse fanbase partout dans le monde. Et pas seulement française. Puisque chez OG, on a 40% de notre fanbase en Asie, 40% en Europe, et puis 20% aux États-Unis. C’est une marque très forte et puissante à l’international, avec aussi deux copropriétaires qui sont à la base des joueurs : Johan « N0tail » Sundstein et Sébastien « Ceb » Debs, avec lesquels je partage non seulement une vision, mais aussi les valeurs - un peu différentes de ce qui peut se trouver ailleurs - de ce qu’on peut faire ensemble au sein d’un club d’esport.
Cette expérience chez Vitality, concrètement, qu’est-ce qu’elle t’a le plus apportée pour la suite ?
Hum… Ce qui m’a le plus servi… C’est probablement de mieux comprendre le rôle des éditeurs dans l’écosystème esportif. La différence d’entre mes différents parcours professionnels qui m’ont amené à travailler chez Vitality, et qui j’étais après être passé chez Vitality, c’est une meilleure compréhension des rapports de force, notamment avec les éditeurs.
Pourquoi ne pas avoir essayé d’aider Vitality à franchir ce cap de la mondialisation, plutôt que de rejoindre OG qui jouissait déjà de cet aspect-là ?
J’ai estimé, après presque deux ans de collaboration, que j’avais apporté à Vitality tout ce que je pouvais apporter. Je pensais aussi que mon parcours, qui est assez international puisque j’ai travaillé aux États-Unis et en Amérique du Sud, m’orientait davantage vers une structure à dimension internationale. Et puis, surtout, c’était un coup de cœur avec Johan et Ceb. Je suis quelqu’un qui est… un peu plus senior on va dire, que la moyenne des gens qui travaillent dans l’esport. Et en rencontrant ces deux personnes, je me suis retrouvé quinze, vingt ans en arrière, avec l’énergie et la force de pouvoir mener un projet avec des gens qui sont sur la même longueur d’onde, à 100%.
Il s’agissait donc d’une opportunité à ne pas rater…
C’était vraiment un coup de cœur quand je les ai rencontrés. Vraiment. Deux personnes avec lesquelles j’avais envie de bosser et, pour moi, c’était d’autant plus facile puisque la marque OG était déjà hyper forte. Il y avait un diamant brut qui ne demandait qu’à être poli, et l’idée de faire croître ce club était hyper excitante. Aujourd’hui, tu as OG qui est l’une des marques d’esport les plus importantes en Europe, alors qu’on n’a quasiment rien fait, qu’on est en fond propre et qu’on a encore tout à développer. Et ça, c’est hyper important.
Parlons du business modèle d’OG : dans une émission diffusée par L’équipe Esport, tu as affirmé qu’OG est l’un des seuls clubs esportifs rentables à haut niveau. Si ce n’est le seul. Peux-tu développer ce point ? Y a-t-il une recette magique ?
Il n’y a pas de recette magique. Il y a ce qu’est OG, et la puissance d’OG. L’esport est mondial et, aujourd’hui, quand on va voir des partenaires, marques ou éditeurs, ce qu’ils voient en OG et ce qu’on leur montre, c’est notre puissance de frappe au niveau mondial. On a des fans partout. En Europe de l’Est et du Nord, aux États-Unis - où on est très fort contrairement à ce qu’on pourrait croire -, en Asie du Sud-Est et en Chine, où OG est la marque et le club d’esport occidental le plus célèbre. On a des partenaires qui valorisent ce qu’on peut construire ensemble, étant donné qu’on est une marque connue partout dans le monde. Ça, c’est la première chose. La deuxième chose, c’est que la façon dont on se développe, parce qu’on est en fond propre, et parce qu’on n’a pas levé des dizaines de millions d’euros, nous oblige à avoir les pieds sur terre, et à ne pas dépenser inconsidérément, sachant qu’on ne peut pas dépenser l’argent qu’on n’a pas. Ce qui explique, peut-être, qu’on fait les choses un peu différemment. On a peut-être un rythme de développement un peu moins effréné que les autres, mais il nous donne, du coup, les moyens d’être rentables. Ce qui peut être une exception dans le secteur. Et puis, tu auras aussi remarqué qu’on est seulement présents sur deux jeux. On n’est pas sur dix jeux, parce que, pour nous, ça n’a pas trop de sens de multiplier les jeux : tu perds tes fans en leur racontant des histoires différentes. Un fan de CS:GO ne s’intéresse pas forcément à DotA, ou à Fortnite et Clash Royale. On a donc mis en place aussi une vision de développement qui n’est pas basée que sur le sponsoring.
Y a-t-il d’autres sources de revenus qui vous permettent de vous démarquer ? Comme le merchandising par exemple ?
Il est illusoire et trompeur de faire croire que le merchandising va te faire atteindre le seuil de rentabilité. Le merchandising va peser à hauteur de 10 ou 15% de tes revenus, et donc c’est très bien, mais ce n’est pas ce qui te fait vivre. Ce qui manque aujourd’hui dans l’esport, ce sont les droits de diffusion, de chaînes TV ou de plateformes de streaming. Ça va venir, ça prend un peu de temps, mais en attendant que ça vienne, il faut rester pondéré dans les dépenses. Parce qu’aujourd’hui on vit essentiellement du sponsoring.
Pour résumer le tout : vous avez réussi à vous développer grâce au sponsoring, à ne pas dépenser plus que de raison, le tout en profitant du boost de notoriété qu’à pu vous octroyer vos victoires à The International...
Exactement ! Ça nous donne aussi des moyens de nous développer sur d’autres secteurs d’activités, dont je ne peux pas trop parler. Aussi, on a une énorme force qui est notre marque internationale. On a beaucoup de marques locales, à l’étranger, qui nous sollicitent pour faire des partenariats. Contrairement à des clubs qui sont nationaux, qui ont la majorité de leur fanbase sur un pays, et donc un marché forcément limité. Quand le nôtre est mondial.
Au niveau esportif pur, qu’est-ce qui fait la différence chez OG selon toi ?
C’est très simple : ce que j’explique souvent, c’est qu’OG est un club d’esport. On est là pour gagner et performer. On n’est pas là pour faire du streaming, des opérations spéciales, de l’entertainment… Nous, notre objectif, c’est le sport, la compétition. Si j’en reviens à ce que je te disais tout à l’heure : Johan et Ceb. Tu as deux champions qui ont une vision qui dépasse leur simple discipline. Aujourd’hui, Ceb a arrêté de jouer sur DotA. Il est devenu responsable de la performance du club, et il mène à la fois l’équipe DotA, mais aussi l’équipe CS:GO. Et la méthode qu’on a, qui est liée aux valeurs d’OG, au fait qu’on est un club possédé par des joueurs et qui met tout en place pour que les joueurs puissent performer dans les meilleures conditions, c’est aussi LA différence. C’est une énorme valeur ajoutée. Et, crois-moi, les joueurs le savent et le sentent. Nos joueurs sur CS:GO ont rejoint OG pas seulement parce qu’OG est une marque magnifique et un club qui performe, mais aussi pour l’environnement et les personnes qui encadrent le club.
Ce côté « différence assumée » qui fonctionne, jusqu’à preuve du contraire, résonne un peu comme un mouvement précurseur…
Précurseur ? Je ne sais pas… Ce serait peut-être un peu présomptueux. Mais en tout cas ça marche et ça plaît aux joueurs. Ça, c’est sur.
Finalement, OG serait-il fait du même bois qu’un Astralis ?
Ce que Ceb et Johan ont construit autour d’OG, dans le cadre de DotA 2, est venu bien avant Astralis. Après, chacun à ses méthodologies. Astralis a une méthodologie qui provient du monde du sport, avec un directeur sportif qui est un ancien champion du Monde de Handball ; la méthodologie qui mise en place par Ceb et Johan, elle, ne provient pas du tout du monde du sport. Elle provient d’une démarche empirique, construite avec leurs dix années d’expérience de joueurs et de capitaines dans l’esport.
Tu l’as rappelé en amont : vous êtes doubles Champions du monde en titre. Quelles vont-être les clefs pour aller chercher un troisième succès de rang au TI ?
Comme pour tout résultat sportif, je dirais de la bonne cohésion. On a vécu trois changements, dont la perte de Ceb. Mais on a récupéré le meilleur joueur du monde, Sumail ; le meilleur joueur du Sud-Est asiatique, voire d’Asie, MidOne ; et l’un des meilleurs supports européens, Saksa. Tout en gardant Topson, l’un des meilleurs joueurs de la planète, et Johan qui est le meilleur capitaine qu’on puisse avoir. Donc, sur le papier, je te dirais qu’on a une Dream Team. La question c’est : comment vont-ils fonctionner ensemble ? Vont-ils trouver une alchimie ? Et vont-ils performer ? Honnêtement, je n’en ai absolument aucune idée. J’aurais adoré que le Major (N.D.L.R de Los Angeles) ne soit pas annulé (N.D.L.R finalement reporté en ligne depuis, à cause de la pandémie de Covid-19), puisqu’on aurait assisté à notre premier tournoi avec ce groupe. Je sais qu’on performe plutôt bien en entraînement, après on verra pour la compétition. Je suis plutôt optimiste, même si pour gagner un Championnat du Monde il y a plein de paramètres. Comme la valeur des autres équipes. La scène de DotA étant hyper compétitive… Donc très compliqué de deviner comment ça va se passer, même si j’ai plutôt confiance en l’encadrement qu’on a en place.
En parlant de la perte de Ceb : il est devenu l’une des plus grandes figures de l’esport français à l’international. Quel est son statut et quels vont être ses objectifs désormais chez OG ?
Il n’y a qu’à voir la déclaration d’Aleksib durant la BLAST de CS:GO, qui répète trois fois « jamais » lorsqu’il dit qu’il n’avait jamais rencontré quelqu’un comme Ceb auparavant. Sa valeur sportive, d’encadrement et de compréhension de la compétition, ce qu’il apporte dans son discours, est aujourd’hui reconnue au-delà des frontières.
Officiellement, quelles fonctions va-t-il occuper ? Quel nom aura son poste ?
Il est en charge de la performance au sein du club…
Il n’y a pas de titre officiel pour ça ?
Il est co-owner majoritaire avec Johan, il est en charge de la performance et a un rôle sportif prépondérant… Je pense qu’on pourrait appeler ça : Head of performances.
Y a-t-il une implication autre que financière de la part de la marque Red Bull dans votre organisation ? Dans le football, elle a fondé et fait en très peu de temps de Leipzig l’un des clubs les plus performants d’Europe…
Non. Red Bull est notre partenaire principal. Un partenaire très important, très fidèle, sur lequel on peut compter pour plein de choses. Ils produisent énormément de contenu. Pour eux, nous sommes aussi un partenaire principal, tant en termes de communication qu’en termes de résultats. Il n’y a aucune équipe qui apporte aujourd’hui autant qu’OG à Red Bull. C’est pour ça qu’ils ont investi et choisis de tourner un documentaire sur nous, qui s’appelle Against the Odds. Mais ça ne va pas plus loin. Il n’y a pas de partenariat capitalistique de la part de Red Bull.
Petite singularité : OG est récemment devenu le premier club esportif à lancer sa cryptomonnaie, via l’application Socios. Peux-tu expliquer, pour les moins connaisseurs de ce type d’initiative, pourquoi a-t-elle lieu et, avec des mots simples, que va-t-elle apporter à votre organisation ?
Il s’agit d’un moyen complètement nouveau, et sans limites d’inclure nos fans dans la vie du club. Alors, évidemment, on les inclut sur des décisions qui ne sont pas critiques. On ne fera jamais un sondage pour savoir quel héros sera pick pendant la finale d’un TI, c’est clair. Par contre, il y a plein de moyens d’impliquer les fans dans des décisions du club. Par exemple, le premier sondage qu’on a fait, ça a été de décider quel va être le design du drapeau OG in-game, visible pendant la draft et dans le jeu. Il y a plein d’autres sujets et idées, qui vont permettre d’interagir avec les fans, qu’on veut lancer. OG est le seul club d’esport à avoir fait ça, avec un partenaire plutôt prestigieux qui compte parmi ses clubs : le Paris-Saint-Germain, l’AS Roma, la Juve, le Barça… Et parmi cette pléiade de clubs, tu auras maintenant OG. Pour nous, cet aspect de socios nous a plu. L’ADN d’OG, c’est vraiment le lien direct avec ses fans, et c’est ce qui fait sa spécificité.
Concrètement, comment cela se passe pour un socio potentiel, au niveau de ses achats ? Est-ce qu’il y a des montants minimums à placer pour pouvoir participer aux fameuses décisions ?
On a ouvert notre Fan Token Offering jusqu’à début avril. Donc tu peux acheter des tokens OG au prix d’un dollar. Tu peux en acheter un, deux, trois, cinq, dix, mille… Peu importe, quand tu en possèdes un, ça te donne le droit de participer au vote. Tu ne dépenses pas un token pour voter. C’est le fait d’en posséder un qui te donne accès à tous les votes. Tu peux aussi vendre tes tokens par la suite, comme n’importe quelle cryptomonnaie. Mais pour nous, le plus important avec le token lancé à un dollar, c’est le fait d’avoir plein de fans qui possèdent au moins un token et qui pourront interagir. C’est ça le plus important.
Plutôt ambitieux tout ça. Comme le fait d’avoir décidé de monter une formation internationale sur CS:GO, avec l’objectif assumé de connaître la même réussite que sur DotA 2…
C’est très simple : il y a trois jeux majeurs aujourd’hui dans l’esport. DotA 2, on y est. League of Legends, c’est en mode franchises, donc c’est compliqué. Et il y a CS:GO. Pour nous, notamment Ceb et Johan qui sont fans du jeu CS:GO et de sa scène qui est hyper compétitive, il y avait une certaine logique naturelle de se positionner sur Counter-Strike. Ça, c’est pour la partie sportive. Et puis, après, pour la partie écosystème et économique, il y avait aussi le changement et l’évolution profonde du circuit avec la création et la rénovation de ligues, comme BLAST et l’EPL. On avait donc un timing avec : la volonté de rentrer sur la scène, l’opportunité - avec le shuffle en septembre dernier - d’avoir pas mal de joueurs avec lesquels on pouvait discuter, le tout combiné avec l’intérêt des nouvelles ligues.
Qui a mené les discussions auprès des joueurs ?
Ceb ! Il a mené les négociations et les recrutements.
Quelles ont été vos plus grandes difficultés pour vous installer sur Counter-Strike ?
La plus grosse difficulté, qui prend du temps, mais on va dire que ce n’est pas spécifique à CS:GO, ça a été les discussions avec les joueurs, les clubs et les ligues. Il y a aussi une dimension économique, puisqu’il faut faire un budget et s’y tenir. Nous, on n’a pas d’argent illimité, donc il faut composer aussi dans le cadre de notre budget.
Recruter intelligemment en somme…
Alors ça... On verra dans un an si on a été intelligent ou non. Mais, en tout cas, on a recruté en fonction des opportunités, de ce qu’on pouvait faire. Je pense qu’on a une équipe plutôt solide, et il faut juste qu’elle exploite son potentiel au maximum. Ça prend du temps, mais on est plutôt confiants.
Pourrait-on dire que le modèle de réussite estampillé OG est, grosso modo, transposable d’une discipline à l’autre, et que les résultats vont venir d’eux-mêmes ?
On l’espère ! Tout ce qu’on a mis en place sur DotA, on l’applique à CS:GO.
Il s’agirait donc d’un simple copié-collé ?
Alors, tu l’adaptes… Mais oui, sur la méthodologie, et sur les valeurs, la façon dont on mène les entraînements, comment Ceb discute avec les joueurs et les encadre : c’est la même chose que sur DotA.
Dans la foulée de l’arrivée d’OG sur la scène CS:GO, l’équipe a connu une situation assez clivante, comme plein d’autres clubs, à savoir : choisir entre l’engagement dans l’ESL Pro League ou dans Flashpoint. Qu’est-ce qui a fait pencher la balance vers la Pro League ?
Il y avait effectivement une volonté d’OG d’être présent dans l’une des trois ligues majeures qui se présentaient, à savoir : BLAST, l’EPL et Flashpoint. BLAST était en avance et a fait le choix, très tôt, de nous intégrer. Il nous manquait donc l’un des deux autres championnats. On a discuté très en amont avec l’ESL sur notre potentielle intégration au sein de la Pro League, et puis on a eu l’opportunité, aussi, de discuter avec Flashpoint. Ce qui a fait la différence ? C’est le consensus, à peu près général, de la part des clubs européens sur le fait que ça faisait davantage sens d’aller en EPL. Plutôt que dans Flashpoint, qui est peut-être un projet plus risqué, avec une vision complètement différente, puisque c’est la première ligue esportive au monde avec de l’ownership. C’est-à-dire que les clubs fondateurs de la ligue possèdent la ligue. Ce qui est une grosse différence par rapport à ce qui existe aujourd’hui dans l’esport. Que ce soit sur Overwatch, Call of Duty ou League of Legends. Et c’est ça qui était attractif pour n’importe quel club. Il y a aussi une question de calendrier, de timing : il fallait se décider vite. On est ravi de faire partie de la Pro League qui est l’une des ligues les plus compétitives au monde sur CS:GO. Ce qui compte le plus pour OG, c’est de performer au sein des meilleures compétitions. C’est notre essence même.
Que penses-tu, à titre personnel, de la bataille de ces différentes ligues ?
Je pense que ça va être compliqué d’avoir trois ligues à haut niveau mondial sur CS:GO. On verra, mais je ne suis pas sûr que trois ligues puissent coexister. Économiquement hein, parce qu’en termes compétitifs et de spectacle ça peut être très intéressant, mais le temps d’attention des fans n’est pas extensible à l’infini…
Toi qui dois composer maintenant sur les deux jeux majeurs de Valve, pourrais-tu nous expliquer pourquoi cet éditeur semble - d’un point de vue extérieur - accorder beaucoup plus d’importance à DotA 2 qu’à CS:GO ?
Je pense que DotA a une place chez Valve qui est très importante. C’est leur bébé. Je ne suis pas d’accord quand on dit que Valve délaisse complètement CS:GO, je ne pense pas que ce soit le cas du tout. Mais DotA se rapproche quand même du jeu parfait. Après, quand on voit ce qu’il s’est passé à l’automne dernier lorsque des initiatives ont fleuri autour de CS:GO (N.D.L.R une tentative de certains organisateurs de tournois de s’emparer d’un monopole), on ne peut pas dire que Valve a laissé faire… Ils font très attention à ce qu’il se passe.
Y a-t-il d’autres scènes qui intéressent aujourd’hui OG ? Collaborer avec d’autres éditeurs en vogue, comme Riot Games, fait partie de vos intentions ?
Oui, bien sûr. On est très attentif à ce que fait Riot Games. L’objectif d’OG est d’être le meilleur club sur les jeux majeurs de l’esport. Le fait qu’on soit aujourd’hui sur deux jeux de Valve est un hasard complet. C’est-à-dire qu’on n’est pas allé sur CS:GO parce que c’est un jeu de Valve. On est sur deux jeux de Valve, parce que CS:GO et DotA sont des jeux de Valve. CS:GO aurait été un jeu d’Activision, on serait quand même allé dessus.
Nous nous étions déjà rencontrés il y a de ça longtemps et vous ne cachiez pas votre curiosité pour Rainbow Six qui vit aujourd’hui d’intéressantes mutations dans sa structuration esportive. Est-ce qu’on peut imaginer voir OG y débarquer à l’avenir ?
Alors… On pourrait voir OG arriver sur beaucoup de jeux. Maintenant, notre façon de faire c’est de mobiliser toutes nos ressources sur les jeux sur lesquels on est présents. Ce qui explique qu’OG n’est pas présent sur cinq, six, sept ou huit jeux. Parce qu’aujourd’hui, il est impossible de performer sur tous les jeux. En tout cas, chez OG, vu l’état de développement du club, ce serait déraisonnable. Non pas économiquement, mais sportivement. Et ce n’est surtout pas notre façon de faire. On s’est lancé sur CS:GO en octobre dernier, ce n’est que le début de l’histoire. On a besoin de mettre en œuvre toutes nos ressources pour performer dessus, tout en maintenant un niveau de performance exceptionnel sur DotA 2. Donc tu comprendras qu’on a beaucoup d’opportunités, il y a beaucoup de gens qui viennent nous voir pour qu’on se lance sur Fifa, sur Rainbow Six, sur tel ou tel jeu. Ce n’est juste pas dans notre façon de faire aujourd’hui. Ce qui ne veut pas dire qu’on n’ira pas sur Rainbow Six. C’est juste qu’à court terme, quel que soit les qualités de la scène, et quel que soit les qualités des changements qui sont opérés - par exemple par Ubisoft, mais aussi Supercell qui fait un excellent travail sur Brawl Stars, ou ce que Riot Games va faire sur Valorant, il y a plein de choses hyper intéressantes pour plein de jeux -, ça a à voir avec la façon dont nous on fait les choses. Et comment on aborde les sujets.
Le moment venu, Rainbow Six ou Valorant seraient quand même des choix logiques, puisqu’ils sont un mix entre le FPS qu’est CS:GO et le MOBA qu’est DotA, sur lesquels vous êtes déjà présents…
Oui. Rainbow Six, j’adore ce jeu. Ce mélange de FPS et de personnages qui ont des rôles et des attributs particuliers, je trouve ça très intelligent. J’adore ce que fait Ubisoft sur la scène, mais encore une fois : aller sur Rainbow Six alors qu’on vient juste de se lancer sur CS:GO, ce ne serait pas sérieux de notre part. C’est un jeu qui est hyper intéressant, et on s’ouvrira sur d’autres jeux, c’est sûr, mais on ne veut pas aller sur 25 jeux… Il y aura aussi des arbitrages à faire. Par exemple, on ne va pas aller à la fois sur Valorant, Rainbow Six et PUBG, tu vois ?
Avant d’évoquer le plus gros thème de l’entretien, selon toi, pourquoi DotA 2 peine-t-il à trouver son public en France ?
Je pense que le jeu est plus difficile d’accès que League of Legends. Il est plus dur. Et puis les stratégies de Valve et de Riot sont complètement différentes. Riot a fait un travail exceptionnel de structuration des scènes locales. Ce qui n’est aujourd’hui pas le cas de Valve, qui a une philosophie différente, libertaire, de laisser aller et de laisser faire. Ce qui va changer un peu, puisque la formule du circuit professionnel de DotA va évoluer l’année prochaine. Il y aura plus de choses en local, ce qui est une très bonne nouvelle. Ensuite, LoL est porté, notamment en France, par des influenceurs, par des médias comme Solary, des O’Gaming. Donc, aujourd’hui, si tu t’intéresses à l’esport et aux MOBA : entre LoL et DotA, il n’y a pas photo. Entre le fait que DotA soit plus difficile, plus complet, et que tous tes potes jouent à LoL et pas à DotA, bah forcément ça rend les choses plus compliquées.
Pour toi, quelles seraient les solutions envisageables pour que DotA 2 et son esport se démocratisent davantage ?
Je pense qu’il y a déjà beaucoup de choses qui sont faites. En France tu as la FroggedTV qui fait beaucoup de choses, qui organise une ligue professionnelle, réalisée l’année dernière en partenariat avec l’ESL. Je pense que l’évolution prochaine du circuit, qui va être régionalisé, avec des relégations puisque ce sera un modèle complètement ouvert, et la possibilité de passer d’une troisième division à une deuxième et pourquoi pas une première division européenne, toujours dans cette philosophie de circuit ouvert, peut créer des vocations et peut dynamiser la scène.
Tu penses qu’on pourrait avoir, comme pour la LFL ou la R6FL, un championnat qui permettrait à ses meilleures équipes de se rendre dans des compétitions internationales par la suite ?
Je pense qu’il est très sérieusement envisageable d’avoir effectivement un circuit - national, je ne sais pas, mais au moins un circuit européen - avec une troisième division amateur en ligne, qui te mènerait à une seconde division et une première division. Je sais que c’est l’un des objectifs de Valve. Et il existerait alors des passerelles qui n’existent pas sur un League of Legends, où tu ne peux pas passer par exemple de la LFL au LEC.
De manière quasi révolutionnaire, et tu l'as parfaitement exposé, Valve a annoncé une profonde restructuration de son circuit esportif et de son écosystème à travers le DotA Pro Circuit. Quelle a été ta réaction quand tu as appris toutes ces nouveautés ?
Très content. Je trouve que l’évolution du circuit est hyper positive. Les modalités ne sont pas encore complètement fixées, on discute beaucoup avec Valve sur le sujet. Mais on aura la chance, en Europe, d’avoir le championnat le plus relevé au monde pour notre discipline, ce qui n’est par exemple pas le cas sur League of Legends. Qu’on ait ce circuit, ce championnat en Europe, c’est une super nouvelle.
Avec un peu plus de recul, tu ne vois aucun point noir à ces transformations ?
Non, non, non. Honnêtement, sur le principe, il n’y a pas de point noir. Le sujet c’est vraiment de voir comment on va réussir à utiliser l’annonce de Valve. Comment va-t-on réussir à optimiser ce qui a été annoncé ?
Penses-tu que cela va permettre à DotA 2 de franchir un nouveau palier et d’aller concurrencer activement League of Legends qui semble toucher beaucoup plus de monde jusqu’à aujourd’hui ?
Je ne sais pas si c’est l’objectif d’aller concurrencer League of Legends. Je ne sais pas si c’est un objectif en soi. Je pense, cependant, que ça peut donner un énorme coup de fouet en Europe à DotA. Et surtout, permettre à beaucoup de gens de s’y intéresser. Ça, j’en suis persuadé. Je trouve le jeu super sympa à regarder. C’est plus spectaculaire, avec plus de fights. Plus difficile à comprendre, mais c’est un beau spectacle. Et en Europe on aura les meilleures équipes avec Team Secret, OG, Nigma, Team Liquid, NiP… Je pense même que, comme T1 qui s’est lancé sur DotA, la situation sera de nature à ramener d’autres gros clubs.
Tu as participé à un débat très intéressant sur les modèles de ligues utilisées en esport. Selon toi, lesquels vont être les plus fiables sur le long terme ? Les ligues fermées franchisées à la Overwatch League ? Celles semi-fermées comme sur CS:GO ? Ou celles comme sur Rainbow Six et DotA qui restent ouvertes et favorisent le revenue sharing pour ses meilleurs élèves ?
Je suis persuadé que le modèle ouvert est le meilleur modèle esportif, notamment en matière de spectacle. Cette idée de parcours exceptionnel qui te mène au sommet, comme ça existe dans certains sports, pour moi c’est le meilleur storytelling, le meilleur spectacle et la meilleure façon d’engager les fans. C’est aussi la meilleure façon de garantir que tous les matchs sont joués à fond. Parce qu’on voit bien dans des ligues fermées, par exemple en NBA, que l’équipe qui n’a plus rien à jouer à la mi-saison, ou le 15ème contre le 16ème, ça n’intéresse personne. Et puis les joueurs s’en moquent un peu. Ou alors, si, pour travailler les stats individuelles, à la limite… Donc je pense que le système ouvert est le meilleur système. Maintenant, je comprends l’intérêt du système fermé et, nous-mêmes, on ne pourrait se refuser par principe une participation à une ligue fermée. La preuve, c’est qu’on participe à BLAST qui est une ligue quasiment fermée. On y participe, et ça ne nous pose pas de problème philosophique. Même si on adore les systèmes ouverts, comme sur DotA où c’est à la vie, à la mort. Où il faut se battre.
Au travers de ces débats de ligues, il en va surtout de la survie des clubs esportifs…
Ce qui est sûr, c’est qu’il faut rééquilibrer la balance et donner les moyens aux clubs de générer des revenus au-delà de ce qui existe dans le sponsoring. On ne peut plus avoir de clubs qui payent les joueurs, font le marketing, font le contenu, prennent les risques, et participent à des compétitions organisées par les éditeurs, tout en récoltant des miettes de la valeur qui est créée. Ça, ce n’est plus possible, et tout le monde l’a bien compris, y compris les éditeurs. C’est pour ça que les évolutions sont intéressantes, et pour reprendre ta question sur DotA : ça fait partie des sujets qui sont encore en suspens et en discussion. Comment on créer la meilleure compétition possible ? Là je parle de l’Europe et du meilleur produit qui peut bénéficier au maximum pour les clubs. Parce que ce l’idée pour eux, aujourd’hui, ce n’est pas de se dire : on capte tous les revenus et puis on est super riche. Ce n’est pas ça l’idée. L’idée c’est : comment on génère des moyens supplémentaires pour permettre aux clubs de faire encore plus de choses, y compris dans la relation avec les fans. Il y a plein de clubs qui sont hyper frustrés parce qu’ils n’ont pas les moyens de produire suffisamment de contenu qui permettrait à leur fan de suivre l’aventure de leurs joueurs préférés.
Afin de renforcer leur identité…
Ouais ! Crois-moi, on investit beaucoup sur les contenus. Nos joueurs jouent le jeu, on fait plein de choses, et c’est pour ça que les fans adorent aussi OG. C’est parce qu’ils peuvent suivre sur nos réseaux sociaux tout ce qu’on fait…
Imaginons que le format de l’Overwatch League ou de la CoD League, avec des équipes ancrées localement dans des villes, se popularise. Comment OG et son identité mondiale vont-ils faire ?
Sur DotA, il va y avoir des ligues régionales. On va voir si elles seront en online ou en LAN, mais je ne pense pas qu’il y ait une logique de stade. Je pense que cet argument sur l’Overwatch ou la CoD League, d’avoir physiquement une arena, est plutôt louable. Notamment le fait de générer des revenus supplémentaires avec le ticketing. On verra si c’est un pari gagnant. Après, en ce qui concerne la localisation d’OG ? C’est une bonne question, mais notre force c’est d’être une marque mondiale. Donc on ne peut pas être partout, on ne peut pas avoir un siège à Singapour, un autre à Shanghai, à Londres et à New York. C’est compliqué.
Comment statuer sur l’origine de la structure dans ce cas ?
Il y a d’autres moyens de faire. On peut, en fonction de nos équipes, se développer plus ou moins dans tel ou tel pays, ou dans telle ou telle ville. Tu vois bien par exemple que sur League of Legends, beaucoup de clubs ont choisi Berlin (N.D.L.R lieu des studios du LEC) parce que League of Legends est leur jeu principal et que du coup ça fait sens pour eux. Après, est-ce qu’il ya des milliers de personnes qui seraient prêtes à suivre leur équipe là où elles se rendent ? Je ne sais pas…
Le Coronavirus impacte grandement le monde actuellement. L’esport n’échappe pas à cette question et voit une multitude de ses tournois annulés ou reportés, comme le Major de Los Angeles auquel vous deviez participer. Quel est ton ressenti sur ce point ?
Comme tout ce qui est événementiel, l’esport est touché. Mais la chance de l’esport c’est d’avoir une grande activité en online, donc il sera moins touché que le sport. Même si l’industrie reste fortement touchée, c’est sûr.
Crédit photo de couverture : MercadoNegro