« Nous sommes en guerre ». À quelques heures de l’allocution imminente d’Emmanuel Macron nous privant de sortie pour cause de Covid-19, certains se ruent au supermarché le plus proche pour acheter de quoi tenir en papier toilette pendant un an. Ne jugez pas, à chacun ses priorités. Dans le même temps, sur la planète CS:GO, Vitality commence très mal sa confrontation contre GODSENT, lors de la journée inaugurale de la Saison 11 de Pro League. Le match se joue en ligne - restriction imposée à cause des péripéties liées au Coronavirus - et ce n’est finalement pas plus mal pour l’un des dix joueurs réunis sur le serveur.
L’intéressé se surnomme Misutaaa. Son intronisation au sein de l’équipe, à la place d’Alex, leader en jeu et capitaine sortant, a fait couler beaucoup d’encre. Le petit Misu (17 ans) ne semble pas prêt, selon les dires, car trop précoce, avec son visage juvénile et tous les yeux rivés sur sa future performance. Il a du talent à revendre, et son parcours n’est pas sans rappeler celui du meilleur joueur de l’année 2019, certes, mais tout cela n’est-il pas prématuré ?
Les espoirs et les doutes placés sur lui sont nombreux. Après tout, la réorganisation tactique de la formation orpheline d’Alex laisse perplexe et on se demande logiquement à quel point un joueur peut sauter autant de paliers d’un seul coup, en plus de devoir feat comme il se doit avec la situation. Le poids d’une première à très haut niveau est bien réel, lui aussi, et suffirait à balayer d’un revers les capacités du minot. Même s’il peut jouer tranquillement depuis sa chambre, et donc sans la pression de devoir se déflorer dans une LAN de très haut niveau, l’enjeu est conséquent. Parce que la Pro League, parce que Vitality et parce que ce surnom de futur ZywOo.
Sauf que, bonne nouvelle : la pression, Misutaaa semble paré pour la gérer plutôt facilement. Malgré le départ poussif des Vitality et ce 7 à 1 rapidement encaissé sur Vertigo, le jeune franco-albanais rester solide et laisse son CS s’exprimer, sans trembler. Alors que RpK prépare déjà la remuntada, qu’apEX s’accommode du lead, que shox brille par à-coups, et surtout que ZywOo n’arrive pas à rentrer dans sa partie, Kévin Rabier, lui, fournit une prestation très intéressante (1,23 de rating sur HLTV), qui le placera au rang de deuxième joueur le plus impactant de son équipe au sortir du Bo3.
Au-delà d’une comparaison avec ses nouveaux coéquipiers, Misutaaa a ainsi répondu présent pour sa première rencontre à niveau professionnel, à 17 ans seulement, et c’est un message fort. Sur Counter-Strike, la France est également en guerre. Celle du renouvellement de talents. Et des recrues comme celle-ci ne se refusent pas.
« Un jour je serais le meilleur Rifler »
De près comme de loin, Misutaaa rime avant tout avec humilité, sang-froid, et dans le même temps une capacité à muscler son jeu, à faire preuve de caractère. Sans transition aucune. Comme au moment d’aller chercher - en équipe - sa première victoire pour sa première confrontation en Pro League, sur une équipe de GODSENT dont la moyenne d’âge frôle avec les 25 printemps. Soit 7 années de plus que lui, oui. Vous l’aurez sûrement compris : celui qui a tapé dans l’œil de Vitality n’est pas là par hasard.
Après avoir découvert Counter-Strike 1.6 dans un cybercafé de l’Europe de l’Est, Misutaaa lance sans vraiment le savoir sa carrière en France, en participant aux diverses LANs proposées, dont la Gamers Assembly 2016, alors qu’il a à peine 14 ans. De quoi placer parfaitement sur l’échelle de la précocité un diamant brut qui sera par la suite polishé par flex0r - hybride des rôles de joueur, entraîneur et père improvisé - qui va rapidement faire du petit Kévin une machine.
Vient alors le premier point de comparaison avec ZywOo : une invitation à intégrer très rapidement le cercle très fermé et relevé de la FPL (FaceIt Pro League). Là où il est rendu possible, pour l’élite des plus jeunes joueurs, de côtoyer un S1mple et les autres cadors de la scène mondiale, alors qu’on est mineur et sans véritable expérience internationale. Cette FPL, ZywOo l’a soulevée par trois fois consécutives, ce qui lui avait permis de faire résonner davantage sa réputation.
Repéré en partie grâce à des fragmovies qui mettront en avant - directement par intraveineuse - ses talents souris en main, le phénomène de mode Misutaaa commencera plus ou moins lui aussi avec cette FPL, en prenant compte de quelques années de décalage. Même si plus loin qu’une histoire de vidéos et d’une intégration très brève dans la FPL, c’est le soutien d’un certain… Shox qui résonnera peut-être le plus avec la trajectoire entreprise en amont par ZywOo. Deux tweets, l’un destiné à ZywoO, l’autre en direction de Misutaaa, séparés de plusieurs années, et pourtant le même message adressé par une des légendes de la scène française, grossièrement traduit par : croyez-en mon expérience, il faut faire attention à ces petits gars. Ils pourraient faire très mal.
Hasard ou non, les voilà tous les trois réunis aujourd’hui au sein de Vitality. Une organisation qui semble assumer la volonté d’aller chercher les meilleurs talents dès leur sortie du berceau, et d’en faire des stars internationales.
Petit frère veut grandir trop vite
Avant de savoir si Misutaaa est le nouveau ZywOo, il serait pertinent de définir dans un premier temps ce qu’est un ZywOo. Littéralement, le Zywooisme, ce serait d’être français et devenir le premier joueur de l’histoire à remporter le titre de meilleur joueur du monde après seulement une année d’exercice dans le monde professionnel. Sans porter atteinte au potentiel et au talent déjà possédé par Misutaaa, il sera quasiment impossible pour lui de devenir ce ZywOo. Tout simplement parce qu’il n’aura qu’une seule année pour tenter l’exploit et que très peu de conditions joueront en sa faveur.
De facto, Misutaaa est Misutaaa. Un français plein de capacités, semble-t-il précoce dans sa capacité à franchir les paliers - toute proportion gardée, étant donné qu’on ne l’a vu jouer qu’un seul match professionnel jusqu’ici -, prédestiné à aller loin, mais en aucun cas attendu pour aller remporter, dès l’année prochaine la récompense individuelle la plus prestigieuse délivrée par HLTV pour un joueur de CS:GO.
Il s’agirait donc de ne pas s’emballer. Comme dans le Football, lorsqu’un jeune athlète français commence à performer et acquiert dans la foulée le titre de « nouveau Zidane ». Sur Counter-Strike, il n’existe qu’un seul Zinedine ZywOo, et ce n’est pas parce qu’on aimerait voir Misutaaa lui emprunter une carrière similaire, qu’il faut pour autant le traiter en « nouveau ZywOo ».
D’autant plus quand le gamin part avec une multitude de données interrogatives en plus. Dans un projet déjà en place, revisité dans l’urgence à cause du départ précipité de l’un de ses fondateurs. Ce qu’il faut comprendre par là : quand ZywOo a démarré son aventure chez Vitality, on savait qu’il lui faudrait du temps. On était surtout prêt à lui en laisser, parce que l’organisation n’avait pas forcément d’obligation de résultat sur le très court terme. Court étant, dans la situation de Misutaaa, un grand euphémisme.
C’est un fait : au contraire d’un ZywOo ayant eu le temps de passer tranquillement son Baccalauréat avant de s’engager chez les Vés, Misutaaa devra réviser pour ses épreuves tout en se préparant - professionnellement - à disputer un Major de Counter-Strike.
Aussi, ZywOo a montré au fil du temps une aptitude pour porter son équipe avec une classe mondiale, ce qui lui a valu d’emmagasiner très rapidement de lourdes responsabilités. L’équipe s’est mise à jouer autour de lui, pour lui et à travers lui. Ce qui devrait continuer encore longtemps, dans un schéma de joueur star que l’on met dans les meilleures dispositions pour le faire briller. Si Vitality choisit - à travers les décisions de son coach et de ses joueurs les plus influents - de continuer à faire confiance à ZywOo, alors Misutaaa devra se mettre lui aussi au service de ZywOo.
Est-ce une mauvaise chose ? Pas du tout. Puisqu’on ne lui demande pas d’être le nouveau ZywOo. L’objectif premier de celui qui aura « encore tout à découvrir » - selon son coach Rémy « XTQZZZ » Quoniam - étant d’absorber un maximum de ce qu’une formation express au niveau mondial peut apporter. Que ce soit dans le jeu comme en dehors.
Puisque Misutaaa s’apprête à connaître les déplacements à travers le monde, la pression médiatique et publique qu’engendre le fait de devenir une personnalité célèbre, le poids des résultats et des performances jugées à la loupe… Bref, tout un attirail d’adaptation et de remises en question très difficiles pour tout joueur, encore plus à un âge aussi bas.
Plus qu’un simple copier-coller de ZywOo que certains aimeraient nous servir à toutes les sauces, Misutaaa a désormais les moyens d’écrire sa propre légende, et la possibilité d’incarner à merveille le potentiel renouveau de la scène française. Comme un symbole, ce dernier a inscrit le round final de la première map face à GODSENT d’une fort belle manière, quand ZywOo l’a imité sur la seconde. Et c’est ce dont Vitality aura besoin : un ZywOo et un Misutaaa main dans la main. Ce qui nous emmène sur une expression tout droit venue d’Albanie, l’une des terres de laquelle est issue Misutaaa, à savoir : « Bon chance ».