Nous y voilà enfin, le dénouement d’une saison entière de préparation destinée à l’affrontement final qui couronnera la nouvelle équipe championne du monde. Si le système des LCS a de bons côtés, il ne laisse malheureusement que très peu de place aux affrontements internationaux. Les comparaisons entre les équipes des différentes régions faites au cours de la saison sont le résultat de quelques matchs ponctuels (IEM, MSI…) donnant naissance à différentes analyses plus ou moins éclairées, généralisées et déformées à l’extrême pour tenir la communauté en haleine avant la seule compétition internationale digne de ce nom. Contrairement à un sport classique, les joueurs entament les matchs dans les mêmes conditions : ici, pas d'avantages physiques sur son adversaire, tout le monde est logé à la même enseigne et une simple erreur d’une équipe trop sûre de soi peut conduire à une surprise, notamment dans les phases de poule.
Il est néanmoins possible de dégager des tendances, et cet article sera le premier d’une série visant à couvrir les quatre groupes des Championnats du monde. L’objectif est de dresser un portait des différents acteurs, leurs forces et leurs faiblesses, afin de pouvoir apprécier à sa juste valeur l’évènement à venir. Commençons donc par le Groupe A, véritable colonie de vacances comparativement aux autres groupes, mais qui n’en reste pas moins intéressant et qui paradoxalement a le plus gros potentiel de surprises. |
CLG : l'âge d'or ? |
En tant que tête de série nord-américaine, les CLG étaient assurés de se retrouver dans un groupe plus abordable que leurs confrères C9 et TSM, mais le tirage au sort a dépassé leurs attentes. Pour la première apparition de Doublelift aux Championnats du monde en tant que joueur, CLG arrive en tant que favoris pour sortir des poules, la pression sera-t-elle trop forte ?
Pas sûr, après quelques années d’errance sous la direction d’un HotshotGG hésitant, CLG semble avoir enfin trouvé son jeu. Cette équipe est très certainement la meilleure équipe jamais proposée par l’organisation américaine, avec l’arrivée cette saison de Pobelter sur la midlane qui a apporté la pièce manquante à l’arsenal de CLG. Nous sommes peut-être finalement entrés dans le fameux « Age d’or » tant attendu par les fans de CLG, d’autant plus que la méta qui servira de cadre aux Worlds semble avoir été créée pour les protégés de Hotshot.
La toplane devrait être la lane la plus importante du tournoi au vu des champions joués et de leur potentiel de carry. Or Zionspartan est exactement l’homme de la situation, lui qui n’a par le passé jamais hésité à porter son équipe sur les épaules : on se souvient du backdoor avec Nasus lors de Dignitas contre TSM ou de sa partie d’anthologie avec Jax lors d’un match opposant Coast à XDG. Acclamé cette saison par ses pairs, vient enfin l’heure de son véritable test. Si Zionspartan réussit à développer son jeu, CLG pourrait se révéler être un adversaire terrifiant.
Zionspartan, le joueur clé de ces Championnats du Monde pour CLG
Azir et Viktor, maîtres incontestés de la midlane lors de la saison d’été, ayant reçu des nerfs significatifs à l’approche des Worlds, la midlane devrait être plus ouverte en terme de champions joués et nécessitera que les joueurs réussissent à s’adapter. Bien que ce sujet ait récemment fait polémique, la solo queue est un bon indicateur de la capacité d’un joueur à maîtriser différents champions d’un point de vue technique, et Pobelter s’est toujours fait remarquer pour son classement personnel, parfois en décalage avec ses performances en LCS jusqu’à son arrivée chez CLG. S’il n’est pas le joueur phare de l’équipe, il réussit à faire son travail avec excellence sans pour autant absorber trop de ressources, avec notamment 31,2% des dégâts infligés de son équipe pour seulement 22,6% des ressources lors des Playoffs – soit le midlaner avec la part de l’or de son équipe la plus faible.
Le problème numéro 1 de CLG sera la présence de Xmithie à la compétition, mise en danger par un problème de visa qui devrait amener Huhi à le remplacer. Si les résultats des scrims restent apparemment satisfaisants en son absence, cette incertitude pourrait bouleverser l’équilibre de la machine CLG. Xmithie a un rôle de jungler « support », en contraste avec son agressivité à l’époque de Vulcun, et il cherche à donner un soutien à ses lanes pour permettre aux carrys de CLG de ne pas être surpris par les offensives adverses. À l’inverse d’un Rush qui recherche en permanence l’affrontement, Xmithie est le dépositaire du jeu de CLG, contrôlant le rythme de la partie dans l’ombre à la manière de Cyanide dans l’ancienne équipe Fnatic. Peut-être que Huhi se révèlera tout aussi complémentaire aux besoins de son équipe, mais pour l’instant la question reste en suspens.
La présence de Xmithie reste la grande inconnue pour l'équipe nord-américaine
Enfin la botlane, le « Rush Hour », devrait tenir toutes ses promesses. Doublelift est en confiance, après une saison excellente il s’adonne actuellement à un record du monde de pentakills en solo queue coréenne, et son style de jeu convient parfaitement à une méta de plus en plus tournée vers les « hypercarrys » qu’il affectionne tout particulièrement, notamment Tristana, Vayne ou Jinx. Aphromoo est lui la source d’initiation principale de l’équipe, à la manière d’un YellOwStaR chez Fnatic, et est lui aussi en pleine forme. Attention cependant à une trop forte dépendance de l’équipe aux ouvertures créées par Aphromoo qui pourraient être réduites à néant par un bon support en face, notamment GorillA connu pour sa Janna.
Le style de jeu de CLG est imprévisible, explosif de par la nature de ses joueurs et le potentiel de carry pouvant venir des trois lanes. Pour développer son jeu, CLG se repose sur une gestion méthodique du début de partie et des lanes fortes, qui cherchent l’affrontement direct tout en maîtrisant les éventualités de laneswap dont ils sortent en général avec de l’avance. Lors des playoffs, CLG affichait un différentiel moyen de 1 100 d’or à quinze minutes, traduit dans les faits par 6 victoires pour 0 défaite. Certes la région nord-américaine n’est pas la région la plus forte, mais il ne faut pas oublier la performance de CLG qui apparaît au regard de ses dernières performances comme largement au-dessus de la compétition locale, à la manière d’un Fnatic en Europe. Rien n’est assuré, car CLG est capable du pire comme du meilleur, mais nul doute qu’ils ont les armes pour briller lors de cette compétition.
KOO Tigers : le Cloud 9 coréen |
Étoiles montantes de la saison de printemps, les KOO Tigers (alors GE Tigers) sont arrivés aux IEM Katowice en tant que favoris, pour repartir la queue entre les jambes après l’humiliation infligée par les Chinois de Worlds Elite en demi-finales. Cet échec cuisant a plongé l’équipe dans le doute, permettant à SKT T1 de redevenir l’équipe dominante des LCK, pendant que les KOO Tigers préparaient leur retour. Montant en puissance pendant la saison d’été, les KOO Tigers semblaient être revenus à leur niveau d’antan et s’inclinèrent en demi-finales des Playoffs contre KT Rolster (2-3) pour échouer à la troisième place, suffisante pour une qualification automatique aux points.
Si les joueurs des KOO Tigers sont des vétérans de la scène, le succès de leur collaboration n’était pas forcément attendu. Annoncés sur la pente descendante, les joueurs et l’organisation ont su créer une alchimie transformant ces quelques joueurs sur le retour en machine implacable. Leur style n’est pas sans rappeler celui des Cloud 9 lors de leurs premières saisons, se reposant sur des lanes solides et révélant tout leur potentiel à partir du milieu de la partie, au travers de prises de décisions efficaces, de teamfights maîtrisées et de mouvements punissant les erreurs adverses.
Les KOO Tigers, la révélation coréenne de la saison 5
Comme les CLG, le style des KOO s’adapte bien à la méta actuelle avec Smeb – le toplaner – qui peut sans problème prendre le rôle de carry, lui qui est vu par beaucoup comme un des meilleurs toplaners au monde. Au cours des Playoffs cependant, PraY et Kuro ont su monter d’un cran et apporter la quantité de dégâts dont leur équipe avait besoin, respectivement 31,6% et 29,2%, témoignant encore une fois des menaces multiples de cette équipe – trait partagé par toutes les grandes équipes dominantes, trois joueurs susceptibles de carry qui se donnent le tour suivant les compositions et l’évolution de la partie.
Si Kuro a réussi à briller avec Viktor – il fut le premier à le populariser sur la scène professionnelle – il a rencontré plus de difficulté avec Azir, qui devrait à priori être le choix le plus prisé des deux lors des Worlds. Hojin est lui un jungler agressif qui pourrait perturber les plans d’une équipe comme CLG, avec notamment des champions de prédilection comme Rek’Sai, Evelynn et Lee Sin. Il ne semble par contre pas toujours en réussite sur Gragas (trois victoires pour trois défaites sur la saison), faiblesse qui pourrait éventuellement être exploitée par leurs adversaires.
La botlane est sans aucun doute l’ancre de cette équipe, PraY et GorillA étant des joueurs d’expérience et en pleine forme. Si on se souvient de la performance du second sur Janna lors des précédents Championnats du monde, PraY a brillé tout au long de la saison notamment lors des compositions dites « Juggermaw » (composition construite autour de Kog’Maw dopé par Lulu et d’autres champions comme Janna en support et Nunu en jungle), où il a livré des performances impressionnantes notamment contre KT Rolster à la saison de printemps.
Le «Juggermaw», stratégie chère aux KOO Tigers
Annoncés par beaucoup comme les favoris de ce groupe, les KOO Tigers devront néanmoins vaincre leurs démons, et notamment réussir à s’imposer dans les moments importants. S’ils ont certes eu des parcours impeccables en saison régulière, ils ont jusqu’à présent toujours trébuché à la dernière marche : défaite en demi-finales de la saison d’été contre KT Rolster, défaite en finale contre SKT T1 à la saison de printemps, et surtout la déroute lors de leur seule apparition internationale aux IEM. Certes SKT T1 est une équipe autrement plus impressionnante que CLG, mais à l’époque World Elite ne devait à priori pas leur faire peur. L’opposition contre CLG devrait être le point culminant de cette poule, avec le duel entre Smeb et Zionspartan qui sera un véritable match dans le match.
Flash Wolves : l'imprévisible outsider |
Voilà la plus grosse inconnue de ce groupe : que valent vraiment les Flash Wolves ? Les équipes issues des LMS sont toujours imprévisibles, faisant certes partie d’une région de second plan mais bénéficiant du même engouement pour le jeu que les autres régions asiatiques, et d’une proximité avec les meilleures régions permettant des échanges bénéfiques. Même si cela remonte à quelque temps, les Taipei Assassins avaient bien créé la surprise lors de la saison 2 en allant au bout de leur rêve et en remportant les Worlds. Cependant cette année ce n’est pas Toyz qui défendra les couleurs des LMS, mais bien les Flash Wolves qui ont vaincu les Hong Kong Esports de l’ancien champion du monde pour arracher leur qualification.
Les FlashWolves, une équipe atypique venue jouer les trouble-fête
S’ils arrivent dans de bonnes conditions aux Worlds, la saison n’a pas été si facile pour les Flash Wolves. Leur toplaner Steak a été particulièrement critiqué, notamment pour son incapacité à jouer autre chose que Maokai : sa phase de lane est faible et ses téléports pas toujours au point. Les tentatives de l’équipe pour lui trouver un remplaçant se sont révélées désastreuses, ce qui a conduit à réintégrer leur capitaine par dépit. A la manière d’un Hai chez Cloud 9, Steak semble avoir un impact positif sur l’équipe en dehors du jeu, et la faiblesse des toplaners de la région n’a pas permis de trouver une alternative viable.
Karsa, le jungler, propose un style de jeu agressif autour des champions aux dégâts physiques, notamment Lee Sin, Rek’Sai et Rengar – son champion de prédilection. Récemment arrivé dans l’équipe, il réussit à imposer une pression intéressante en début de partie tout en ne négligeant pas la vision qu’il doit apporter à son équipe.
Le point focal de l’équipe est Maple, le midlaner, aussi à l’aise sur des assassins comme Zed ou Diana que sur des mages plus classiques comme Viktor, Azir ou Ahri. Il bénéficie d’une excellente synergie avec Karsa, et est le centre de toutes les attentions de l’équipe qu’il porte sur ses épaules (35,8% des dégâts de l’équipe lors du tournoi de qualification regional). Contrairement aux autres équipes dirigeant actuellement leurs ressources sur la toplane, les Flash Wolves préfèrent jouer sur leurs forces que s’adapter à la méta, trait de caractère qui trouve un écho dans leur propension à jouer Varus en carry AD.
La botlane est elle aussi sujette à débat, notamment le carry AD. Si le coréen KKramer a été titulaire pendant la saison, connu pour jouer principalement Ezreal et Vayne ainsi que pour sa tendance à utiliser l’objet « Au bout du rouleau » [Wit's End] sur les carrys AD, c’est bien NL et son Varus qui lui a ravi le poste lors des qualifications régionales. Aucune certitude sur ce poste, mais le style très particulier des deux joueurs risque de rendre les compositions des Wolves assez prévisibles en fonction du joueur titulaire. Enfin SwordArt, le support vétéran de l’équipe, est lui le meilleur support incontesté de sa région sur lequel son équipe peut compter, brillant cependant sur les champions protecteurs plus que les champions initiateurs.
Ce dernier point est très important pour les Flash Wolves, puisque la critique qui leur a été faite régulièrement au cours de la saison visait leur incapacité à initier les combats proprement, Steak n’étant généralement pas en mesure de remplir cette tâche sans que SwordArt ou Karsa ne réussissent à le suppléer. Cette équipe a en tous cas les moyens de créer la surprise, en mal comme en bien, et risque de venir jouer les trouble-fête dans le groupe A.
PaiN gaming : quitte ou double |
C’est tout le Brésil qui sera derrière cette équipe annoncée comme la meilleure équipe Wildcard de l’histoire des Championnats du monde. Dotée d’un trio de carrys efficace, chacun capable de s’illustrer sur leur lane, paiN affiche un jeu tourné vers l’agression et la prise de risque. Ses joueurs sont parmi les plus populaires du Brésil et considérés comme les meilleurs à leur poste dans la région, avec la force de caractère et l’expérience nécessaires pour au moins assurer le spectacle.
Kami, la star brésilienne et midlaner de paiN Gaming
Mylon (le toplaner) propose une phase lane dominante, mais le carry principal de l’équipe reste Kami le midlaner, considéré comme le meilleur joueur brésilien, qui profite de sa synergie avec SirT en jungle. Le style de paiN est moins binaire que celui des Flash Wolves, mais Kami restera la menace principale de l’escouade brésilienne, aussi bien capable de jouer des champions offensifs que défensifs comme Orianna ou Lulu – particulièrement contestée ces derniers temps.
BrTT, certainement un des joueurs favoris des Brésiliens, peut jouer quasiment tous les carrys AD et s’était même fait un nom pour sa maîtrise de Draven. Si ce champion reste peu joué, il n’en reste pas moins dévastateur entre de bonnes mains et peut être une arme susceptible de créer la surprise pour paiN. En effet il est indéniable que l’équipe brésilienne n’arrive pas favorite, et il leur faudra venir bousculer leurs concurrents avec peut-être des picks un peu moins conventionnels pour amener leurs adversaires en terrain inconnu.
Dioud, joueur français du groupe A et support de paiN Gaming
Il faudra aussi compter sur Dioud, quatrième joueur français à participer à ces Championnats du Monde, qui a récemment livré de très bonnes prestations malgré quelques critiques reçues au cours de la saison. La barrière de la langue semble parfois poser quelques problèmes de coordination au sein de l’équipe, qui n’a pas toujours brillé par ses décisions stratégiques et sa phase de sélection des champions. Ces soucis se sont légèrement estompés en fin de saison, ce qui laisse présager le meilleur pour paiN Gaming, équipe explosive et expérimentée à ne pas négliger.
Pronostics |
CLG a les armes pour venir chercher les KOO Tigers, avec des lanes dominantes et une bonne maîtrise du début de partie, ils pourraient mettre à mal les plans des Coréens qui peineraient à installer leur jeu plus macro. Le problème de CLG est leur tendance à prendre trop de risques, qui pourrait à la fois s’avérer payante comme sceller leur sort contre une équipe de ce calibre. Le raisonnement ici est d’imaginer les deux équipes jouant à leur niveau optimal, auquel cas CLG pourrait tout à fait se débarrasser d’une équipe en mal de succès lors des moments clés. Reste à savoir si le manque d’expérience en BO 5 ne fera pas défaut à l’équipe nord-américaine, alors que les KOO Tigers sont habitués à ce genre d’exercice.
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Le duel entre les deux dernières places suit le même raisonnement : paiN est une équipe explosive, en confiance, possédant de fortes individualités et sur une bonne dynamique. À l’inverse les Flash Wolves ont des défauts évidents dans leur équipe : un toplaner fragile, une incertitude sur le carry AD et un style se reposant trop sur leur midlaner. Or paiN a justement un midlaner d’exception – relativement à la scène brésilienne bien entendu – qui pourrait tenir tête à Maple. Si paiN réussi à hausser son niveau de jeu d’un point de vue stratégique, les Brésiliens peuvent prétendre à une performance lors de ces Championnats du monde. |
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Note : ce classement est fait en supposant que Xmithie sera bien aux Worlds, l’analyse étant trop hypothétique avec Huhi – auquel cas il est probable que les KOO Tigers leur ravissent la première place. |
En voilà un classement étrange, qui suscitera très certainement de nombreuses contestations ! Cependant cette issue reste plausible, et pourrait devenir une réalité si les équipes jouent à leur meilleur niveau. En opposition avec le classement attendu (et statistiquement plus probable) KOO/CLG/Flash Wolves/paiN, celui-ci s’intéresse au potentiel du jeu de chaque équipe plus qu’à la comparaison supposée des différentes régions, à la fois difficile et biaisée par les informations incomplètes dont chaque expert du dimanche prétend disposer.
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