Aujourd’hui, l’eSport est solidement ancré dans la culture suédoise. Dans cette partie, nous allons essayer de voir comment le phénomène s’est démocratisé.
Un phénomène davantage culturel que sportif
En Suède, l’eSport est plutôt perçu comme un phénomène culturel que sportif. En effet, le Ministère de la Culture traite davantage les questions liées à l’eSport que le Ministère des Sports.
Maddelisk sur l’eSport et le sport en Suède
L’eSport n’est pas complètement accepté comme un sport en Suède, mais il s’en rapproche de plus en plus. L’eSport commence à prendre une place de plus en plus grande dans les médias. Peu à peu, les mentalités évoluent et de plus en plus de gens considèrent que l’eSport est un sport à part entière.
En outre, des organisations comme la DreamHack ont tout intérêt à jouer la carte du « phénomène culturel » en raison des exonérations de taxes. Récemment, les organisateurs de la DreamHack ont d’ailleurs gagné un procès intenté contre l’État en réclamant que la DreamHack soit considérée comme un évènement « culturel », en conséquence de quoi la TVA appliquée est seulement de 6% sur les tickets (contre 25% environ sans cet abattement). Sur une DreamHack, l’économie d’échelle réalisée grâce à ce statut est colossale puisqu’elle se chiffre en centaines de milliers d’euros (source – Jnytt).
La SVEROK et la DreamHack, deux structures-clés
Les deux organisations que sont la SVEROK et la DreamHack sont véritablement les pierres angulaires sur lesquelles s’est appuyé le sport électronique suédois pour se structurer et se développer. Ces structures ont énormément contribué à la démocratisation de l’eSport dans le pays.
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La SVEROK est en quelque sorte la fédération suédoise des jeux (jeux de société, jeux de plateau, jeux de cartes, jeux de rôle, airsoft ou encore paintball, mais pas les jeux de pari). Elle compte plus de 135 000 membres à son actif et chapeaute plus de 1 000 sous-structures dont certaines en lien avec l’eSport. Sa mission est d’aider les clubs à s’organiser, de promouvoir les jeux et de gérer les aides de l’État. Ce système a permis la création de nombreuses petites associations qui organisent des LAN locales, partout en Suède. LaLuSh est convaincu que cela a aidé énormément à démocratiser l’eSport : « c’est grâce à ce type de réseau qu’autant de gens s’intéressent à l’eSport et achètent leur billet pour aller aux évènements comme la DreamHack ».
Il y a de plus en plus de personnes qui se regroupent en associations pour organiser des petits tournois comme l’University Star League. Ces gens font un travail impressionnant. Leurs évènements se sont toujours très bien déroulés pour la simple et bonne raison que ce sont des passionnés qui adorent l’eSport. Le prochain tournoi USL sera organisé dans quelques mois au cinéma IMAX Cosmonova à Stockholm.
La DreamHack est un monument en Suède : « The World Largest Digital Festival » (record homologué au Livre des Records Guinness !). La DreamHack, ce sont des tournois eSport, des concerts en live, des concours d’art digital (photos, dessins, films d’animation, etc.) et un salon d’exposition pour les sociétés de l’univers des jeux vidéo et de l’informatique. Depuis 2002, il y a deux versions annuelles de l’évènement : la Summer et la Winter, les deux se déroulant à l’Elmia Exhibition and Convention Centre de Jönköping en Suède. Depuis 2011, l’évènement est devenu nomade et trois nouveaux rendez-vous ont été programmé : Stockholm, Valence en Espagne et Bucarest en Roumanie. Bref, s’il y avait une liste des 7 merveilles du monde de l’eSport, la DreamHack en ferait assurément partie !
La DreamHack existe depuis un sacré bout de temps, mais l’eSport n’a pas toujours occupé la première place de l’évènement. Au début, les tournois étaient organisés sur CS, Brood War et Quake, avec des dotations convenables, mais c’est l’arrivée de SC2 qui a véritablement chamboulé les choses. Il faut se souvenir que, jusqu’en 2011, la DreamHack était une petite société qui comptait 8 salariés seulement. Le reste du DreamHack Crew était constitué de volontaires (environ 500 pour les éditions récentes). Aujourd’hui, la DreamHack emploie une cinquantaine de personnes.
Tout n’a pas toujours été rose pour la DreamHack. Peu de gens le savent, mais en 2010, la DreamHack a connu une grave crise. En effet, G3X le président d’alors, a été évincé de la compagnie par la famille Ohlén, qui a tout simplement liquidé les parts de G3X dans la DreamHack, en rééditant les actions (si vous avez vu le film The Social Network, c'est la même chose que ce qui est arrivé à Eduardo Saverin). G3X accusait Bengt Ohlén, le père de Robert Ohlén (le « boss » actuel de la DreamHack), d’avoir commis des abus. Dans le même temps, la dette de la société avant la DreamHack Summer 2010 s’élevait à 600 000 €. La famille Ohlén a depuis renfloué les caisses et est depuis seul maître à bord.
La Suède a désormais deux championnats nationaux : la Svenska Esportcupen organisée par la SVEROK avec un cash prize total de 800 000 SEK (environ 90 k€) pour 2013 et l’Esport-SM par la DreamHack avec 400 000 SEK à la clé pour 2013. Les deux tournois sont organisés de la même façon avec des qualifications locales dans plusieurs villes, ce qui permet de promouvoir les nouveaux talents de la scène eSport de demain.
Counter Strike, le détonateur
Counter Strike a été l’élément déclencheur de la vague d’eSport qui a déferlé sur la Suède à partir des années 1999-2000. À partir de là, les générations de suédois qui se sont succédé ont baigné dans la culture du sport électronique. Les années passant, les jeunes joueurs se sont orientés vers d’autres jeux comme WoW, CoD, Battlefield, MineCraft, etc. Mais le virus eSport s’est véritablement propagé en Suède avec CS.
Cette « CS mania » s’explique principalement par les excellents résultats des équipes suédoises. Les joueurs de Team 9, NiP et SK Gaming ont quasiment tout raflé en CPL au début des années 2000.
Quelques années auparavant (1997), les premiers signes avant-coureurs étaient apparus avec Quake, mais CounterStrike a vraiment été LE jeu qui a marqué la culture de la jeunesse suédoise et qui a grandement contribué à rendre les jeux vidéo populaires à travers le pays.
À l’époque, je me rappelle que chaque fois que j’allais dans un cybercafé, le jeu phare était Counter Strike. À partir du moment où tu mettais le pied dans un cyber, Counter Strike était un passage obligé, un rite initiatique si bien que tout le monde savait comment jouer et participer à des parties de Counter Strike.
Tous les Suédois nés entre les années 80 et 90 ont été contact avec Counter Strike d’une manière ou d’une autre. J’imagine que ça a été un peu la même chose avec l’avènement du phénomène Brood War en Corée, toute proportion gardée bien évidemment.
Pour l’anecdote, j’avais invité mon ami Johan "face" Klasson dans un cybercafé pour la première fois de sa vie, pour jouer à StarCraft. Nous avons fini en faisant une partie de Counter Strike par équipe et cet ami est finalement devenu joueur pro à CS !
Une foultitude de sites web réduite aujourd’hui à peau de chagrin
Si la mayonnaise de l’eSport a aussi bien pris en Suède, c’est notamment grâce aux médias qui ont toujours été très actifs.
Dès le début de l’aventure, de nombreux sites web dédiés aux jeux vidéo et au sport électronique se sont créés. Ces sites ont amené beaucoup de visibilité aux joueurs, aux équipes, aux tournois et à l’eSport au sens large. Parmi les portails d’information les plus célèbres, on peut citer NordicGamers, GamingEye, GosuGamers (qui était un site suédois à la base), Fragbite, Rakaka ou encore GeekBoys qui est devenu par la suite XSreality et plus tard ESReality.
L’histoire des débuts de rakaka.se est assez drôle car, pour avoir plus de vues sur leur site, Ponde et Greykarn (anciennement chez fragbite) faisait de la pub pour rakaka.se en spammant fragbite.com. Chaque fois qu’un article était publié sur Fragbite et que ce sujet avait déjà été traité par Rakaka. Ponde laissait un commentaire sur l’article de Fragbite du type : « Trop tard Fragbite, Rakaka a publié ce sujet il y a deux heures, soyez plus rapides la prochaine fois ! » ou « Fragbite, merci de citer votre source : rakaka.se », juste pour les troller et amener davantage de visiteurs sur Rakaka ^^. La stratégie a été payante puisque la plupart des lecteurs de Fragbite se sont mis à fréquenter Rakaka !
Aujourd’hui la plupart de ces sites ont disparu, le dernier en date étant Rakaka qui était pourtant l’un des portails d’information sur l’actualité eSport les plus visités en Europe. En effet, la plupart des membres de la rédaction ont été recrutés par la DreamHack. En état de mort clinique depuis juin dernier, un billet acide a officialisé la fin du site, il y a quelques jours à peine. Fragbite a désormais pignon sur rue… ou plutôt sur toile.
De l’eSport à l’école, à la télé et au Mac Do’ !
L’eSport fait désormais partie de la vie courante des Suédois.
L’eSport est un sujet qui est traité dans les instituts universitaires et fait l’objet de publications scientifiques tout à fait sérieuses. Par exemple, trois chercheurs de l’université de Söderstörn ont ainsi publié en 2007 un article intitulé « Exploring e-sports: A case study of gameplay in Counter-Strike » qui explique comment l’environnement du joueur interfère avec sa manière de jouer (source).
Plusieurs chaînes de télévision suédoises diffusent désormais les évènements eSport en direct. La chaîne suédoise nationale et publique SVT assure depuis 2012 la retransmission des phases finales des DreamHack. Pour la DreamHack Summer 2013, la finale du tournoi Leagues of Legends a été programmée en prime time le dimanche soir ! TV6, la chaîne de la TNT qui diffuse en Suède des compétitions sportives majeures comme l’UEFA Champions League de football ou le Championnat du monde de Formule 1, a retransmis le tournoi Dota 2 TI3.
Le week-end dernier, j’ai regardé le TI3 à la télé. L’évènement était retransmis depuis les studios de la DreamHack, avec Hellspawn qui couvrait l’évènement sur place et en direct depuis Seattle ! En matière de couverture médiatique, on peut difficilement faire mieux.
ToD : « Internet ne marchait pas à l’hôtel donc j’ai du allumer la TV pour regarder StarDust remporter le tournoi ! » (source - traduction)
Enfin, voici un fait divers relevé par Dorian Costanzo de vakarm.net au sujet d’une opération de com’ réalisée par Mac Donald’s en Suède. L’histoire assez anodine en apparence, est assez révélatrice de la façon dont l’eSport est ancré dans la mentalité suédoise.
Dorian Costanzo sur « Le McNiP dans les McDo's suédois ! » (source)
Il y a quelques semaines, la chaîne de restauration rapide a lancé un grand concours nommé MyBURGER 2013. Les Suédois ont pu proposer des burgers personnalisés qui ont été soumis dans un premier temps à un vote public. Les dix sandwichs ayant récolté le plus de voix ont été présentés devant un jury qui a élu le burger qui sera commercialisé en automne dans les McDonald's du pays. […] Le burger à l'image de Ninjas in Pyjamas sera bel et bien vendu en Suède durant un temps limité.
Une anecdote décalée qui en dit long sur le statut du sport électronique en Suède. À noter qu'un McHeaton et un McFisker étaient en lice, mais leurs auteurs n'auraient pas répondu à l'invitation pour la phase finale du concours.
Vous me direz qu’en France, c’est la même chose puisque Mac Donald’s propose régulièrement le sandwich « M », le tag de Millenium !
