Prenez votre respiration avant de vous plonger dans cette interview-fleuve passionnante et passionnée que Désiré Koussawo a pris le temps de se livrer à quelques jours de la cérémonie d’ouverture de la 14ème édition de la Gamers Assembly.
- Partie n°1 : Son parcours IRL et eSport jusqu’à aujourd’hui
- Partie n°2 : La Gamers Assembly : évolutions, nouveautés et perspectives
- Partie n°3 : Le Festival GeeX, le circuit des Masters, une Fédération eSport
[M] BigCrook : Bonjour Désiré ! Le printemps est arrivé, la belle saison… de l’eSport en France ?
Désiré Koussawo : Oh alors là très franchement, je n’irai pas jusque-là. Je pense qu’on est dans une période ascendante, c’est-à-dire qu’on est effectivement dans une période où l’économie du sport électronique commence à trouver son modèle ou du moins ses modèles.
Maintenant, on n’a pas de chance parce que cette courbe est ascendante au niveau de l’eSport mais elle arrive en pleine crise économique, ce qui freine finalement le déploiement ou l’explosion de ce marché.
Donc c’est un peu frustrant parce qu’on sent qu’on est vraiment dedans et que c’est le moment et puis en même temps, les autres acteurs qui pourraient nous accompagner ne sont pas disponibles et sont assez frileux pour s’investir.
J’ai lu que tu jouais très peu aux jeux vidéo : jouer ou organiser, il faut choisir ?
[rires] Oui très clairement, il est très difficile aujourd’hui dans l’économie de l’eSport de pouvoir envisager de passer des heures et des heures à jouer à haut niveau ou même en loisir pour avoir un niveau correct et à côté de ça, organiser des évènements comme la Gamers Assembly ou le GeeX ou d’autres circuits comme les Masters. C’est vraiment très compliqué.
J’ai essayé sur League of Legends notamment. J’ai joué avec mon fils de 15 ans pendant quelques mois et très vite, je me suis rendu compte qu’il fallait que je choisisse entre jouer avec mon fils ou préparer l’organisation de la Gamers Assembly.
Peux-tu nous dresser ton portrait IRL dans les grandes lignes ?
Alors tout d’abord, car beaucoup de gens n’y croient pas, il faut savoir que je tire sur mes 45 ans. Je suis d’origine togolaise même si je n’ai pas beaucoup vécu au Togo. Je suis né en France, j’ai vécu mes dix premières années en France. Puis j’ai passé quelques années au Togo et je suis revenu à dix huit ans pour entrer à la fac à Poitiers. Depuis, je n’ai plus quitté Poitiers et je me suis beaucoup investi dans la vie associative, plus dans la partie club informatique car je suis un grand passionné de nouvelles technologies et d’informatique. J’ai donc pris la présidence du club informatique de Saint-Benoît au Sud de Poitiers et qui est aujourd’hui le siège de Futurolan et qui a atteint jusqu’à 200 adhérents.
C’est comme ça que j’ai mis un peu le doigt dans le secteur associatif et c’est comme ça aussi que je suis arrivé au gaming puisque certains de jeunes qui participaient au cours d’informatique sont venus me voir une fois pour savoir s’ils pouvaient emprunter des PC pour aller dans une LAN Party. A l’époque je ne savais pas du tout ce qu’était une LAN Party. J’ai découvert ce monde-là et de fil en aiguille, je me suis associé avec les organisateurs de cette fameuse LAN Party qui était la première Gamers Assembly et on a créé ensemble Futurolan pour monter la deuxième GA. Et petit à petit, je dirais que le hasard des bonnes rencontres, notamment celle de René Monory qui était à l’époque le Président du Conseil Général de la Vienne a accompagné le mouvement.
A côté de ça, j’ai une vraie vie puisque je suis informaticien. Au départ j’ai fait des études d’AES – Administration Economique et Sociale – jusqu’à l’obtention de la Maîtrise. Après, j’ai commencé une thèse en Droit. Ensuite, je souhaitais vraiment retourner dans l’informatique donc j’ai décidé de faire une formation spécifique à l’Ecole Supérieure de Commerce de Poitiers où j’ai fait une formation qui s’appelle Management des Systèmes d’Informations et à la suite de ça, je suis entré dans le monde professionnel en tant que responsable des systèmes d’informations dans une PME au départ. Et aujourd’hui, je suis dans la fonction publique puisque je suis responsable des systèmes d’informations dans une régie du Conseil Régional Poitou-Charentes, donc je suis un agent de la fonction territoriale et mon patron, c’est Ségolène Royal. C’est donc elle qui préside à ma destinée en tant que citoyen IRL !
Enfin, j’ai une petite famille puisque j’ai trois garçons qui ont 15 ans, 11 ans et 7 ans dont un, le grand, qui est passionné de League of Legends et qui est très branché sur Chips et Noi. Chez moi, c’est très jeux vidéo pour les gamins.
Comment ta vocation pour l’eSport est-elle née ?Très clairement, je n’ai jamais eu de vocation pour l’eSport. Moi, ma vocation, c’est plus d’accompagner l’organisation d’évènements que je trouve très rassembleurs. Pour être un peu plus précis sans faire de psychologie à deux balles, j’ai été président d’un club informatique pendant presque dix ans et en fait je me suis rendu compte que dans ces clubs, les adhérents viennent et payent entre 60 et 70 voire 100 Euro pour venir chercher un service et on se retrouve très rapidement dans une relation de client-fournisseur, c’est-à-dire qu’on est sensé apporter un service aux adhérents. Parfois ça peut être frustrant parce que malgré tout, on est bénévole et on a l’impression de toujours donner et par moment, il y a besoin de quelque chose, on ne peut pas fournir cela et on a cette sensation de culpabilisation de pourquoi on n’a pas fait ce qu’on avait promis de faire.
Il se trouve que quand j’ai rejoint Futurolan, quand j’ai créé Futurolan avec des amis, je me suis rendu compte que les gens payaient aussi – pas 100 Euro par an mais plutôt 10 Euro par an – et ces gens-là payaient pour se donner. Tous les gens aujourd’hui qui payent à Futurolan sont des gens qui participent à l’organisation de la GA. L’esprit est complètement différent et c’est ça qui m’a séduit. Cela aurait pu être du badminton, de la cuisine, n’importe quelle autre activité mais cette sensation de se dire qu’on est dans une association où finalement tout le monde donne, où quelque part on paye pour trimer.
J’ai trouvé l’idée très séduisante et c’était vraiment une grande famille qui se mettait en place avec une vraie motivation car même si ce n’est que 10 Euro, quand on paye alors qu’on sait qu’on va donner, c’est qu’on est motivé. Au début, on ne faisait pas payer et on avait des gens qui étaient là pour être là. Le fait de dire « je donne 10 Euro » et bien mince quoi, tous ceux qui ont donné 10 Euro, je sais que je peux compter sur eux et pour moi, c’est important, c’est ce qui me pilote aujourd’hui.
Après évidemment, il y a la nouvelle technologie qui me pousse aussi et qui fait que j’ai un réel intérêt à participer mais c’est vraiment cet esprit de partage qui me motive encore aujourd’hui pour organiser cette GA.
Quelles sont les personnes qui ont le plus compté pour toi dans cette aventure ?
Ce sont clairement les membres de l’association et en premier Olrik et Olivier Colas qui était le président de l’association qui a créé la première Gamers Assembly. Le fait de les avoir rencontrés, son frère Vincent – Vince - et lui, m’a permis de découvrir un monde que je ne connaissais pas et j’avoue que j’ai un peu halluciné et j’ai beaucoup discuté avec eux. Ils sont toujours dans l’association d’ailleurs : Olrik est mon vice-président, Vince est mon secrétaire et surtout ils sont très impliqués dans l’organisation de l’évènement.
Une autre personne qui a été très importante pour moi qui a permis de prendre un vrai virage dans cette aventure du sport électronique mais surtout dans l’aventure de la GA, c’est René Monory qui nous a quittés il y a quelques années mais sans qui, la GA n’aurait jamais pu mettre les pieds au Palais des Congrès du Futuroscope. C’est vraiment lui qui a cru en nous alors que peu de monde à l’époque pouvait se douter que le jeu vidéo allait devenir ce qu’il est devenu aujourd’hui. Et encore aujourd’hui, à chaque fois que j’ai l’occasion, je rends hommage à sa mémoire pour le remercier de nous avoir permis cette aventure. C’était vraiment un grand bonhomme, avec le Futuroscope, il l’a vraiment prouvé.
Au cours de ce parcours, quels sont les meilleurs moments que tu as vécus…
Les moments qui m’ont marqué, c’est la première cérémonie d’ouverture au Futuroscope en 2003. Ca m’a vraiment scotché de me dire : « on y est, c’est vrai ! ». C’est un des moments-clés. Après, ce sont plein de rencontres : la rencontre avec Bill Gates, la rencontre avec le PDG de Microsoft France, les rencontres avec des grands bonhommes, etc. A chaque fois, je me dis que sans la GA, ça ne serait jamais arrivé.
Ce sont plein de moments comme ça : la Gamescom, la Paris Games Week, etc. A chaque fois que je vais dans des évènements de ce type-là, je me dis que j’ai quand même de la chance même si c’est du temps, c’est de l’argent. Ce sont des immenses satisfaction de me dire que par exemple, il y a le lancement de StarCraft HotS il y a deux semaines, j’ai été invité et s’il n’y avait pas eu la Gamers Assembly, je n’y aurais pas été.
J’ai plein de petits moments comme ça où je me dis que c’est dur car il faut prendre du temps sur sa vie de famille, sur son boulot en posant des congés, mais il y a ces petites satisfactions de se dire que je participe à une vraie aventure !
…mais aussi les situations les plus difficiles que tu as du surmonter ?
Parmi les pires moments, il y en a un qui me reste vraiment à l’esprit, c’est la Gamers Assembly 2007 où on a fini l’année avec plus de 25 000 Euro de déficit après la manifestation et où il a fallu faire appel à l’épargne publique notamment, à ma propre épargne et à celle de mon vice-président. Il a fallu qu’on sorte chacun 5 000 Euro pour éponger les dettes et qu’on emprunte de l’argent à gauche et à droite. C’est quelque chose qui m’a marqué parce que ça aurait pu être la fin de la GA si Olrik et moi n’avions pas fait cet investissement personnel – qu’on a récupéré depuis – et si les prêteurs ne nous avaient pas fait confiance. Ca a été pour moi le pire moment parce que j’ai vraiment cru que c’était fini, que la GA était finie.
C’est ce qui pilote aussi un peu ma réflexion sur l’avenir de l’eSport et de la Gamers Assembly en particulier. Aujourd’hui, c’est hors de question, c’est fini, ça ne se fera plus, on ne dépensera pas d’argent qu’on n’a pas. Ca veut dire en clair que même si les joueurs râlent souvent sur le prix des évènements, sur le manque de dotations. On l’a tenté une fois, c’est-à-dire qu’on a essayé d’avancer l’argent en 2007 sans l’avoir pour proposer un évènement de qualité mais certains partenaires ne nous ont finalement pas suivi, c’est nous qui avons payé. Donc ce ne sera plus le cas désormais sur les Gamers Assembly.
C’est pour ça aussi qu’on n’annonce jamais les lots trop en avance parce qu’on n’annonce que les choses dont on est sûrs. C’est pareil pour le GeeX, on ne fera pas un évènement à Paris à 50 Euro alors qu’il n’est pas viable à moins de 100 Euro. Je pense qu’il est temps que les gens comprennent que le sport électronique avec le niveau qu’il a atteint aujourd’hui avec des évènements comme on voit en Allemagne, en Suède, en Espagne ou aux Etats-Unis, doit se donner les moyens d’exister. Il faut que l’économie de l’eSport se mette au niveau de ce qu’elle coûte.
Avec René Monory lors de la Gamers Assembly 2003,
première au Palais des Congrès du Futuroscope
(Crédit photo : Gamers-Assembly.net)