ZA/UM, voilà un nom de studio étrange qui ne doit pas vous dire grand chose. Et pour cause, Disco Elysium est leur premier jeu, mais pas leur première œuvre. Avant d'être un studio de jeu indépendant, c'est avant tout un collectif culturel Estonien. Écrivains, photographes, critique, journalistes etc. c'est un beau petit monde qui s'est rassemblé sous cette bannière pour sortir, ce mardi 15 octobre 2019, un CRPG d'enquêtes policières. Mais attention, ce n'est pas exactement ce que vous pensez.
- Genre : CRPG, Enquêtes
- Date de sortie : 15 octobre 2019
- Plateforme : PC
- Développeur : ZA/UM
- Éditeur : ZA/UM
- Prix : 39,99€
- Testé sur : PC
Attention : le jeu ayant été fait en anglais, certains termes ou expressions ne seront pas traduits, afin d'éviter une traduction littérale qui leur ferait perdre de sa substance.
Funky Cops
Imaginez, vous vous réveillez un matin, avec la plus grosse gueule de bois de votre vie, en slip, dans une chambre d'hôtel en bazar. Jusque-là, on dirait un mauvais mardi avec Jean-Louis Borloo, mais rajoutez alors une amnésie rétrograde sur le tas, et vous obtenez la peur d'un bon paquet de gens. De plus, vous vous rendez compte que vous vous parlez à vous-même, mais pas comme le ferait un vieil homme sénile. Vous parlez aux différentes parties de votre personnalité, à vos sens, à votre cerveau et même à votre horrible cravate. Ces parties de votre esprit sont en lien avec votre intellect, votre psyché, votre motricité ou votre physique. Au début de votre partie, vous allez pouvoir choisir quelques archétypes sélectionnés par les développeurs, ou bien en faire un vous-même, et décider si vous faites un gros bourrin sensible, un intello habile de ses doigts ou même quelqu'un de parfaitement équilibré. Votre choix permettra de définir quelles sont les parties de votre corps qui vous parleront et qui interviendront le plus lors des dialogues (aussi appelé skills dans le jeu, qu'on traduira par compétences).
Un état des lieux sera fait sur votre condition par votre Physical Instrument et votre seuil de douleur, votre perception essaye de vous situer dans l'espace, votre imagination commence à vous jouer des tours, votre suggestion vous dit qu'allumer la lumière n'est pas une bonne idée, soutenue par votre volonté. Alors vous cherchez vos vêtements et vous sortez, pour parler avec la première personne pour essayer, a minima, de savoir qui vous êtes et ce que vous faites là. Vous voilà face à une jeune femme et, de nouveau, vos compétences rentrent en compte lors de votre discussion. Votre empathie va tenter de vous dire ce que ressent la personne en vous voyant, votre Half Light (la peur de vous-même et des autres) vous dira que vous avez l'air complètement misérable et que vous faites peur à regarder. Ces compétences interviendront suivant les différents points que vous leur avez attribués, plus ils sont haut, plus leurs interventions seront pertinentes (cependant, leurs effets seront différents suivant leur score).
C'est la mécanique principale de Disco Elysium, et la plus intéressante. Elle permettra à n'importe quel joueur d'avoir une expérience différente d'un autre, tout dépendra des choix qu'il fera au moment d'attribuer ses points à chaque montée de niveau. Pour contrebalancer certains choix, vous aurez même la possibilité d'internaliser certaines pensées ou convictions que vous débloquerez au gré de certains dialogues. Celles-ci prendront un certain temps pour se débloquer et vous permettront, par exemple, d'augmenter votre capacité maximum des compétences d'intelligence ou de se redonner un point en moral pour chaque réplique moralisatrice. Mais vous êtes avant tout dans un jeu d'enquête (et donc d'instinct), vous allez donc devoir avancer à tâtons, avec parfois la conviction que vous ne savez absolument pas ce que vous faites. En effet, malgré votre amnésie, vous allez rapidement comprendre, au travers de quelques rencontres fortuites, notamment celle de votre nouveau partenaire Kim Kitsuragi, que vous êtes un détective pour le compte de la RMC (la police du coin) et que vous êtes arrivés ici il y a trois jours pour enquêter sur un meurtre (mais à la place, vous avez fait la bringue). Et, tout comme vous, votre personnage va alors petit à petit en apprendre plus sur son environnement, son passé, ses actions, etc. L'amnésie, pourtant très courante dans les RPG pour justifier la découverte du joueur en même temps que le personnage, n'a jamais été aussi bien utilisée qu'ici, tant elle aide à ce point à construire votre personnage tout en proposant des enquêtes constantes sur votre passé (en plus du meurtre).
Dans ma ZA/UM, ZA/UM, ZA/UM
Alors attention, il faut tout de même se préparer pour deux choses, tout d'abord, comme tout CRPG qui se respecte, Disco Elysium est un livre interactif, illustré et gigantesque. Préparez-vous à lire des tonnes et des tonnes de textes, que ce soit avec un personnage principal, un passant, ou même une boîte aux lettres. Les facultés de votre héros font qu'il peut engager un dialogue avec n'importe quel objet, allant jusqu'à questionner une boîte aux lettres pour savoir comment elle se sent (avant de lui taper gentiment le haut de la coque, comme la brave boite aux lettres qu'elle est). Et plus vous interagirez, plus vous aurez de chance de découvrir des quêtes secondaires, aussi bien écrites que la principale. Mais, et c'est le point le plus important, c'est aussi intégralement en anglais, dans un vocabulaire soutenu qui plus est. Nous avons passé 52 bonnes heures, le jeu sur un écran et google trad sur l'autre, tellement certains mots utilisés étaient parfois pointus, voire archaïques. Un frein non négligeable pour quelqu'un d'anglophobe, une simple difficulté pour les autres qu'il faudra prendre en compte, même si vous êtes bilingue.
Et inutile de compter sur une traduction, ou du moins, pas d'ici demain la veille, Disco Elysium est d'une rare qualité d'écriture, chaque phrase utilise un vocabulaire et un rythme précis, couplé avec un tas de jeux de mots qu'il serait difficile de traduire sans faire capoter tout l'effort qui a été fait. Il y a aussi un gigantesque travail d'un point de vue culturel, vous évoluez dans la ville de Revachol, au quartier Martinaise. Ce dernier traîne un lourd passif de guerre et de révolution, transformée maintenant en un repaire de reclus de la société, et en un des plus gros lieux de passage pour les différents camions et bateaux de transport de marchandises. De ce fait, les personnages viennent tous d'endroit différents, avec leurs accents, leurs expressions, leur culture. C'est quelque chose qui est d'autant plus appuyé par les excellents doublages des personnages, que ce soit René, le retraité à l'accent franchouillard et appuyé, jouant à la pétanque avec son ami Gaston, ou bien le tenancier de l'hôtel Garte, aux manières très snob et désinvolte d'une certaine classe british. Il y a une vraie science du langage et de l'accent qui rajoute un cachet et une personnalité à chaque personnage que vous rencontrez, pourtant déjà bien riches par la qualité de leur écriture.
Disco tech
L'univers a quelque chose de très intemporel et indéfinissable. Le jeu nous dit assez rapidement que nous sommes en '51, sans plus de précision sur le siècle (malgré les différentes fois où on peut le demander auprès des personnages). Alors, on essaye de se raccrocher à ce qui nous entoure, et certains lieux transpirent clairement la moquette des années 60-70, le disco est même régulièrement cité, mais c'est alors qu'on aperçoit une voiture qui semble tout droit sortie du début du vingtième siècle. Puis on entend du post-rock des années 2000 ou de l'électro, on nous parle de flipper (pas le dauphin, le jeu de billes), le port industriel semble être plutôt emprunté aux quais gigantesques des années 80-90, etc. Bref, le jeu tiens absolument à ce qu'on se perde et qu'on se laisse dériver avec ce flot continu d'inspiration. La Direction Artistique nous rappellera parfois les ruelles marronnasses de Dishonored, avec ce côté "fait main" de toutes les textures, où l'on peut voir les coups de pinceau ou les estampes des éponges baignées de peinture, rajoutant une texture palpable aux décors. Surtout que les portraits des différents protagonistes sont eux aussi faits à la peinture, souvent pour rajouter du détail absent aux modèles 3D, un peu plus grossiers. Le jeu reste, quoi qu'il en soit, très agréable à parcourir et à regarder.
Il faut aussi savoir que Disco Elysium est un jeu très politique, mais il le fait avec assez de bienveillance pour vous laisser libre choix dans la construction de votre personnage. Serez-vous le flic fasciste que vous avez toujours rêvé d'être ? Ou bien un brave communiste, défenseur de la classe ouvrière ? Ou alors vous vous sentez l'âme d'un ultra-libéraliste macho ou d'un moralisateur centriste ? Qu'importe, c'est vous qui choisissez, et le jeu vous emmènera très souvent sur des terrains glissants, en parlant de supériorité de race, d'ouvrier sacrifié pour la bonne cause, d'auto-justice, de sexisme, etc. dans le seul but de vous faire prendre position et d'analyser un peu mieux votre personnalité, car le jeu a une véritable mémoire, il n'oubliera strictement rien de vos actions. Voyez tout cela comme un gigantesque Jeu de Rôles, dont le maître du jeu serait quelqu'un avec une imagination débordante et un temps de réaction proche de la milliseconde, voulant à chaque fois vous pousser dans vos retranchements. Et surtout, donnez-lui beaucoup d'humour absurde, car c'est bien l'un des points culminants de l'écriture, avec tout un tas de situations qui feront l'objet d'anecdotes d'anthologie lorsque vous parlerez du jeu à vos proches autour des boissons gazeuses houblonnées (ou d'un thé, on ne juge pas).
Mais beaucoup de texte, ça rime souvent avec pas beaucoup de gameplay. Et c'est assez inévitable ici, malheureusement. L'architecture du jeu se compose tel un vieux point'n click en 3D, vous évoluez dans une carte fermée (mais très jolie, il faut bien le dire), bourrée de temps de chargement, où vous allez cliquer pour indiquer à votre personnage où aller, ramasser des objets, interagir avec les décors et vous balader dans quelques menus. Pendant certains moments de flottement, où les allers-retours seront fréquents, certains joueurs pourraient s'ennuyer. Il y deux seules vraies idées de gameplay dans le titre. Tout d'abord, ça se jouera avec les vêtements que vous ramassez ou que vous achetez. Ceux-ci vous donneront différents bonus sur vos compétences, de quoi accentuer l'absurdité de certains dialogues où vous êtes avec une casquette de croupier, un t-shirt filet de pêche, des mocassins, un pantalon de sport et un joli nœud papillon, juste parce que l'ensemble vous donne ce qu'il faut en points manquants pour réussir un dialogue ou une action importante.
Ensuite, vos enquêtes ne se résolvent pas toutes seules, il vous faudra trouver les bonnes preuves avant d'arriver à la solution, même si, malheureusement, certaines fois, une compétence particulière sera nécessaire pour arriver à vos fins. D'ailleurs, le jeu souffre, malheureusement, du syndrome "save/load" pour les dialogues avec un jet de dés, il arrive que dans certains cas, on se laisse tenter de sauvegarder avant, et de recommencer en boucle jusqu'à avoir un tirage parfait (si on tire un double six, c'est un succès obligatoire). On aurait aimé que le résultat soit tiré une fois par le jeu et fixe, afin de sentir un peu plus de tension dans nos choix et nos tentatives. Surtout qu'à chaque fois que vous dormez, certains de ces dialogues aux jets de dés se réinitialisent, vous donnant une nouvelle chance (vous pouvez aller jusqu'à 10 jours en tout).
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