Avant de commencer, il est important de préciser que cet article ne s'appuie pas sur des chiffres précis, ces derniers n'étant tout simplement pas disponibles pour le public. Il n'empêche que lorsque l'on reconstitue un peu l'histoire des ligues compétitives de Riot Games, difficile de ne pas être perplexe sur certains points. Nul ne peut nier que Riot Games (et indirectement Tencent) est l'entreprise qui a le plus fait avancer l'esport cette dernière décennie, et leur engagement à ce sujet est indéniable. Malgré tout, cela ne veut pas dire que l'on doit tout prendre pour parole d'évangile, et certains points restent débattables.
Le nouveau format compétitif et économique de LoL, résumé en quelques lignes
Pour simplifier grandement, Riot Games a annoncé qu'il y aurait désormais trois splits partout dans le monde, et qu'un nouvel événement international marquerait le début d'année, avec un format qui devrait évoluer régulièrement. Les ligues de l'Asie du Sud-Est ont fusionné en une seule ligue, tandis que les Amériques seront désormais regroupées en deux conférences : nord et sud. Si cela ne change pas grand chose aux représentations des différentes régions sur la scène internationale, cela bouleverse totalement le calendrier compétitif. La première compétition internationale aura lieu en mars, et le MSI est décalé au mois de juillet.
Actuellement, à mi-juillet la majorité des régions sont dans la seconde moitié de leur Summer Split. Mettre le MSI en juillet signifie donc que soit les équipes auront un temps de préparation pour les Worlds bien plus court qu'à l'heure actuelle, soit que les splits vont être plus courts (moins probable vu le délai entre le premier event inter et le MSI), soit les Worlds seront encore plus décalés vers la fin d'année.
Riot Games a aussi annoncé une évolution de son modèle économique pour les équipes participant aux compétitions officielles. Il consiste à créér un Global Revenue Pool (GRP), qui regroupera en gros les gains lié aux contenus numériques estampillés LoLEsports (pass du MSI/Worlds, skins, emotes). Ces gains seront ensuite divisés de cette façon :
- Parts générales : 50 % du GRP sont reversés aux équipes de rang 1 (équipes ayant eu les meilleurs résultats).
- Parts compétitives : 35 % du GRP sont alloués à la compétition. Cette somme est répartie en fonction des performances compétitives, en deux tranches : une selon les classements dans la ligue régionale, et l'autre selon les classements dans les événements internationaux.
- Parts du fandom : les 15 % restants du GRP dépendent de la popularité. Cela récompense les équipes qui développent un fandom puissant pour leurs joueurs, leur ligue et leur équipe.
Riot Games a prévu de renforcer le GRP avec 50% des autres revenus directs liés à l'esport, une fois qu'ils auront récupéré leur investissement annuel sur le circuit compétitif. Le but est surtout de permettre aux équipes d'avoir une meilleure vision de leurs gains.
Problèmes liés à ces changements
Tout d'abord, il faut rappeler que dans toutes les régions franchisées, Riot Games a demandé aux équipes de payer une somme proche de 10 millions de dollars pour participer à la ligue, leur promettant bien évidemment un retour sur investissement. Dans un communiqué publié en mars 2024, John Needham (président de l'esport chez Riot Games) avouait même qu'ils avaient dû appliquer des garanties minimales aux revenus de la ligue (supérieurs aux revenus effectifs dus aux teams), accélérer le versement de ces parts, et étaler davantage le frais des versements de participation (les 10 millions du début).
Malgré toutes ces décisions, il est difficile d'estimer si avoir une équipe professionnelle sur League of Legends est rentable aujourd'hui. La plupart des équipes restent discrètes à ce sujet, mais plusieurs détails sont troublants. Le plus parlant est encore le communiqué des équipes de LCK fait en ce début d'année 2024, qui disait en gros que les retombées financières sont loin d'être équivalentes à l'investissement exigé par l'éditeur.
En plus de ça, il ne faut pas oublier que malgré le fait que Riot Games ait présenté l'année 2023 comme un énorme succès sur le plan esportif, avec entre autres une grosse augmentation des audiences générales surtout en LEC et LCK, le retour de certains sponsors et la prolongation de contrats avec beaucoup de partenaires historiques, l'entreprise n'a pas hésité à licencier une partie non négligeable de sa masse salariale (11%), dont beaucoup de postes liés à l'esport. Cette décision tranche pas mal avec l'optimisme affiché.
Dans son communiqué de mars 2024, John Needham disait aussi ceci : "Par exemple, nous avons ouvert de nouvelles catégories de sponsors d'équipe et ajusté nos politiques et notre calendrier compétitif pour débloquer davantage de possibilités et permettre aux équipes et joueurs de participer à d'autres événements tiers, ce que les joueurs demandaient depuis longtemps". Cette possibilité offerte aux joueurs semble intéressante, mais avec un événement international et un split supplémentaire, les équipes auront-elles vriament l'occasion de participer à d'autres événements (sans même parler des jeux Asiatiques et autres compétition nationales relativement courantes en Asie) ?
Enfin, on peut parler du GRP. Si le système de répartition peut sembler intéressant, il peut aussi très vite devenir injuste en fonction des nouveaux formats. Si l'on se base sur le format du LEC actuel, on peut se demander comment des équipes comme GIANTX peuvent espérer croquer un bon bout du gâteau. L'équipe pourrait bien terminer sa saison avec seulement neuf matchs officiels joués, ce qui la gênera grandement pour attirer des sponsors, lui fera gagner peu de fans, mais en même temps, elle touchera une part moins importante du GRP. Récompenser les équipes en fonction de ce qu'elle apporte à la ligue que ce soit en terme de résultats ou d'engagements est parfaitement logique et défendable, mais il faut aussi mettre en place de bonnes conditions pour que les teams aient la possibilité de générer le dit engagement, ce qui n'est pas le cas avec le format actuel du LEC (seule région majeure à trois splits).
Enfin, il faut aussi dire un mot sur la proposition en apparence généreuse de renforcer le GRP avec 50% des revenus liés à l'esport, une fois que Riot Games est rentré dans ses frais. Sans chiffres précis, il est impossible de savoir ce que représente potentiellement cet apport, et si jamais ils ont du mal à rembourser leur propre investissement, l'apport sera finalement très faible.
Rentabiliser l'esport, une idée étrange ?
C'est l'une des volontés clairement affichées de la part de Riot Games, mais c'est un concept qui reste un peu étrange. Historiquement, l'esport est avant tout une vitrine publicitaire, dont les retombées sont difficiles à estimer. Il est certes possible de faire quelques estimations au niveau des skins et autres goodies numériques vendus, mais d'autres conséquences sont impossibles à chiffrer. Aurait-il été aussi simple pour Riot Games de lancer leur circuit Valorant et d'attirer des investisseurs sans les succès obtenus sur le circuit LoL ? À combien chiffre-t-on le fait que le nom du studio restera collé à celui de l'esport pendant encore au moins 10 ans ?
Combien de joueurs ont (re)lancé le jeu après avoir regardé une compétition sur LoL ? Combien ont poussé leurs amis à les rejoindre pour goûter aux plaisirs du jeu en team ? Sur tous ces joueurs, combien ont finalement craqué pour un skin ou un champion ? Même en prenant des estimations très basses, sur la centaine de millions de joueurs, cela peut représenter un apport non négligeable. Et sur cet apport, combien retomberait après dans le GRP ? Au vu du peu de skins esport disponibles, et en ajoutant le fait que certains des champions les plus populaires n'ont même pas un seul skin esport (Jinx, MF, Yasuo, Yi etc), il semble évident que l'esport peut rapporter de l'argent à Riot Games, mais qui ne tombe pas dans un revenu lié à cette discipline.
ll est évidemment possible de rentabiliser des contenus entièrement liés au divertissement, la WWE (ligue pro de catch aux USA) en est un parfait exemple. Seulement pour l'esport sur LoL, pousser les joueurs à investir directement dedans est plus compliqué. Pourquoi investir dans un skin esport, sur un champion que l'on ne joue pas ? Les emotes et autres icônes sont plus universelles, mais encore une fois pourquoi mettre de l'argent là dedans, au lieu de s'offrir un skin sur notre champion de cœur ? (l'argument parce que mon champion de cœur est Zac et que ses skins sont éclatés est valide, mais ne sera pas retenu ici)
Indirectement, la communication de Riot Games met l'accent sur le fait que pour l'esport soit rentable et que les équipes retrouvent un certain équilibre financier, les joueurs doivent investir dans le groupe de cosmétiques estampillé esport. Prétendre que Riot Games demande aux joueurs de payer pour de la pub indirecte pour LoL n'est pas totalement exagéré. Bien sûr, le circuit compétitif sur LoL est aujourd'hui plus que cela, et le considérer uniquement comme la vitrine du jeu serait très réducteur. Mais cela n'empêche pas d'avoir la désagréable impression que l'on demande encore aux joueurs d'aider leur jeu de cœur à croître, alors que le dit jeu de cœur continue de battre des records en terme de bénéfices bruts, et de nombre de joueurs.