Hier, alors que je sortais d'une énième soloQ éreintante sur League of Legends, je suis tombé au détour des réseaux sur un billet d'humeur qui n'a pas particulièrement réussi à calmer ma tension. Il s'agissait de l'article du Magazine Marianne signé par Jérémie Peltier au sujet de l'esport. Ce n'est pas tous les jours que les médias généralistes s'intéressent à notre humble sphère. Malheureusement, trop souvent, c'est pour traiter des mêmes sujets. Soit c'est pour parler du débat interminable entre sport et esport, qui commence à nous faire souffler, soit c'est pour parler des fameux "problèmes" de l'esport sur la santé de la jeunesse, avec un air faussement intéressé mais vraiment supérieur. Quand on rajoute la confusion, toujours aussi courante entre pratique du jeu vidéo et esport, on aboutit sur le triplé gagnant. Ce billet d'humeur coche toutes les cases, pour ne rien changer, malheureusement.
Pour être totalement transparent, ma première réaction fut de serrer le poing. Mais je me suis rappelé que dans un article édito, chacun était libre d'exprimer son opinion et que derrière cette méconnaissance affichée du milieu esportif, il y avait sûrement une volonté de divertir en faisant le buzz. J'ai donc décidé de rebondir avec mon propre billet, que j'ai baptisé, avec humour, "L'esport pour les nuls, l'esport pour Marianne". Je m'excuse d'avance pour les boomers qui se sentiront offensés ainsi qu'aux Mariannes qui se prendront une balle perdue. Mais s'adresser directement à Jérémie Peltier m'aurait semblé un poil trop violent, un poil trop visé, alors que l'objectif principal de ces lignes est de tendre une main pour instaurer un dialogue. En d'autres termes, des punchlines, sûrement, mais pas de clash.
Les propos qui suivent n'engagent que l'auteur de ces lignes.
Confondre jeux vidéo et esport, le péché originel
Précisons avant de commencer qu'ici, sera seule utilisée l'orthographe "esport". Comme il faut prendre certains néophytes par la main afin qu'ils ne mélangent pas tout, ce petit rappel me semble nécessaire. Dans le milieu du jeu vidéo compétitif, personne ou presque n'utilise l'orthographe e-sport, qui nous rappelle des débats sombres, souvent imposés par des acteurs totalement extérieurs à la sphère. Bref, ce n'est qu'un petit détail, surtout comparé à l'immense confusion qui parsème l'intégralité de l'article. Du début à la fin, l'auteur semble confondre esport et simple pratique du jeu vidéo. Si la confusion est bien commode pour critiquer, blâmer et descendre le sport électronique, elle mettra en colère les initiés et délégitimera surtout le propos de l'auteur.
Il faudra cependant faire preuve de clémence et il faut avouer que les frontières de l'esport ne sont pas toujours nettes, même pour les puristes. Mais l'esport, par essence, désigne la pratique compétitive du jeu vidéo. Si on veut prétendre la comparer au sport, avec ou sans bienveillance, il faut donc avoir l'honnêteté de placer le curseur sur les Worlds de League of Legends, les Majors de CS:GO, le circuit VCT de Valorant ou l'EVO (versus fighting). Mais dans l'article en question, on navigue dans le brouillard. On parle de temps dépensé sur les écrans, de nuits passées à jouer ou de matchs FIFA. On est très bien placé pour savoir que le jeu vidéo et l'esport posent des questions d'addiction et de santé. Mais tous les éléments cités n'ont pas grand-chose à voir avec l'esport. Personne ne prétendra faire de l'esport quand il farm un donjon jusqu'à 3 heures du matin avec ses potes. Ce ne sera pas plus le cas lorsqu'un joueur de FIFA se régalera de packs FUT. L'esport c'est du jeu vidéo, mais le jeu vidéo, ce n'est pas forcément de l'esport ! C'est un peu comme si je prétendais faire du sport, quand je passe la serpillière dans ma cuisine. L'activité peut être physique voire sportive, mais ce n'est pas du sport. Si jamais je me casse la figure en glissant sur le sol mouillé (c'est connu : les joueurs de jeux vidéo sont des bons à rien), je n'aurai pas le culot d'aller consulter un médecin du sport pour me soigner... Dans tous les cas, cette confusion joue un peu le rôle de péché originel et plombe énormément le propos. L'esport n'a de sens qu'en tant que pratique compétitive du jeu vidéo.
L'esport n'a ni besoin du sport, ni besoin de Macron
L'autre point qui a nous tendu en tant que fan d'esport, ce sont les fausses intentions qu'on nous prête dans l'article de Marianne... Le premier, c'est cette prétendue irrésistible volonté de reconnaître l'esport en tant que sport "comme les autres". Franchement, c'est un peu démodé et cette problématique est aujourd'hui plus aguicheuse qu'autre chose. L'esport s'est développé de son côté avec son circuit, ses commentateurs, ses structures, ses compétitions, son public, ses histoires et ses propres héros. Évidemment, il y a toujours des acteurs qui naviguent un peu entre les deux (Schalke 04, le PSG, le FC Nantes...). Mais l'esport n'a pas foncièrement besoin du sport pour grandir et se faire connaître. On ne se mouille pas trop en disant que pour l'immense majorité des fans, voir le sport électronique intégrer les JO n'est pas une question vitale. Certains pensent même qu'il vaudrait mieux rester séparés pour ne pas perdre son identité.
Pour finir, il faut aussi parler du cas Macron... Si Marianne pense atteindre l'esport en attaquant Macron, c'est avant tout un énorme CSC (but contre son camp). Il est vrai que ce dernier multiplie récemment les appels du pied, notamment avec ses annonces en marge du ZEvent 2022. Mais le Président de la République n'est pas vraiment un acteur de l'esport intégré et représentatif de la communauté. Pour beaucoup, c'est plus un arriviste qui essaye de récupérer les voix de la jeunesse.
Si Marianne juge que les déclarations d'Emmanuel Macron sont maladroites, intéressées et parfois malvenues, ça tombe bien. Dans l'esport, c'est un sentiment partagé par énormément de fans. Pour terminer, je ne suis pas particulièrement choqué par l'article en question. L'esport a l'habitude d'être décrié et regardé de haut. Mais ce qui me gêne vraiment, c'est le manque de respect envers les joueurs professionnels, notamment français, qui sont indirectement traînés dans la boue à cause des grosses approximations. Si jamais tu tombes sur ce message, Jérémie Peltier, j'espère que tu auras trouvé l'échange aussi intéressant que divertissant. Si tu as envie de pousser le débat, n'hésite pas à nous faire signe, je suis certain que l'émission La Quotidienne sur la chaîne Twitch MGG serait prête à t'ouvrir ses portes pour continuer le dialogue. Sinon on te donne rendez-vous au Major de Paris, ce serait dommage de rater cette dinguerie !