Le changement n'est jamais facile à accepter, notamment dans le milieu du jeu vidéo. Les nouvelles normes s'imposant à l'industrie s'expliquent par deux causes principales : la fabrication des jeux est plus coûteuse et nous disposons de beaucoup plus de technologie.
S'inscrivant dans ce processus d'évolution de l'industrie, de nombreuses entreprises optent pour une recette simple : créer des titres qui durent. "En tant que service" est devenu un mantra facile à réaliser sur le papier, mais difficile à accomplir dans la réalité.
Nous ne nous rendons probablement pas compte que ce changement ne s'applique en réalité que sur des bases utilisées à leur plein potentiel. Comment sommes-nous passés de limitations qui ne permettaient que de générer une illusion de liberté à d'autres qui offrent tant de possibilités, donnant le sentiment d'être infinis ?
L'envie de liberté
Nous avons eu la chance de parler de tout cela avec Joe Ziegler. En plus d'être un employé de longue date de Riot Games et l'actuel directeur de Valorant, il peut se vanter d'avoir fait partie de Pandemic, une filiale d'Electronic Arts qui a fermé ses portes en 2009 et s'est consacrée au lancement de titres solo, principalement des mondes ouverts.
Ziegler, toujours souriant, démystifie le changement en parlant de liberté : "Ils peuvent sembler complètement différents, mais j'ai appris beaucoup de choses à Pandemic. Il y a une nuance. Nous y faisions surtout des mondes ouverts et l'idée principale était de créer des systèmes interactifs qui doivent répondre aux attentes du joueur (...) J'ai beaucoup appris sur la façon de résoudre le même problème de multiples façons".
La liberté peut être mesurée, et dans de nombreux titres actuels, elle tend à être infinie. Le code est une prison qui, par définition, limite notre cadre d'action, mais même dans les jeux les plus linéaires, nous trouvons une capacité croissante d'interprétation contextuelle. Le défi reste le même, mais les développeurs disposent de nouveaux outils pour le relever.
Le changement n'est pas nécessairement négatif, et il permet simplement de donner toute sa mesure à ce que les studios veulent créer. De nombreux jeux étaient irréalisables avant que toute l'expérience et les progrès technologiques nous amènent là où nous en sommes aujourd'hui. Mais qu'est-ce que tout cela a à voir avec les jeux multijoueurs ?
Coup de pouce à la créativité
Les titres multijoueurs sont formés à partir d'une accumulation d'expériences individuelles. Même si le but est de jouer en équipe, chaque joueur n'est conscient que de son expérience personnelle et les autres sont là avec le même but que les PNJs : apporter un objectif commun au jeu et nous fournir des contextes différents à résoudre. D'une certaine manière, ils ont la même fonction que les rencontres aléatoires qui apparaissent lorsque nous progressons dans certaines zones de la carte dans un jeu solo.
La différence est que l'homme n'est pas la proie du code : il fait des erreurs, des jeux spectaculaires et il peut se déplacer mieux que n'importe quelle intelligence artificielle. Nous savons que nous sommes confrontés à un adversaire qui réfléchit à comment résoudre un problème et qui nous met face à une variable qui peut prendre des valeurs infinies et nous oblige à porter la liberté à son expression maximale.
"Vous avez beaucoup de choix et chacun d'entre eux est important. Si vous vous plantez, vous vous faites tirer dessus et vous mourrez. Vous devez faire les bons choix, mais il y a de la place pour la créativité avec les outils qui vous sont donnés. Il s'agit de savoir comment vous allez vous échapper, distraire les gens en créant un leurre... et vous devez tout mettre ensemble. Le multijoueur compétitif n'est rien d'autre qu'un environnement multi-sélectionné", a commenté Ziegler à ce sujet.
Aucune décision n'est meilleure qu'une l'autre, mais du point de vue du développement, nous avons le choix de laisser le joueur être libre ou de lui faire jouer un rôle. La décision est importante et elle va faire une énorme différence dans la mesure où l'expérience peut être changée au sein d'une communauté.
L'ingrédient clé
Avec toutes ces cartes en main et en s'adaptant aux nouvelles possibilités du marché — dont certaines ont été créées par Riot Games avec la redéfinition du free-to-play avec League of Legends — l'éditeur a décidé de créer Valorant : un titre PvP multijoueurs dans lequel la liberté a un rôle fondamental et qui donne de l'espace à la créativité. Cependant, il manque un ingrédient clé dans la recette "comment créer un jeu vidéo à succès" qui semble parfois mis de côté : il faut que ce soit amusant.
L'expression "ce ne sont que des jeux" peut être un peu difficile à entendre, mais elle a un sens. Le but ultime peut varier, mais comme dans la grande majorité des films ou des romans, il s'agit généralement de s'amuser. Un objectif qui implique des centaines d'heures de tests jouables chez le développeur et qui passe avant tout le reste.
"La première chose est le gameplay (...) Nous n'avons pensé qu'à ce qui était le plus amusant pour nous. C'est l'aspect le plus important et il a fallu deux ans avant de penser à autre chose. C'était le processus inverse comparé à presque tous les jeux". Bien qu'il s'agisse d'un produit Riot Games, ils ne le considéraient même pas à l'esport à l'époque.
La base de la conception de Valorant a toujours été de créer un jeu où l'on peut s'affronter à tous les niveaux. Un titre qui correspond à la définition de jeu esport qui serait donnée dans les manuels s'ils existaient. Cependant, les sports électroniques ne sont ni nés ni créés. Pour Ziegler "ils sont l'évolution naturelle des titres basés sur la compétition et l'habileté".
"Le problème est que les gens essaient de faire de l'esportif sans comprendre de quel type de compétition on parle. Ils pensent au spectacle, mais pas au jeu. Cependant, il s'agit de créer un bon jeu, intéressant et impressionnant. C'est à cela qu'il faut penser quand on veut créer un sport électronique. Nous ne nous sommes penchés sur cet aspect particulier qu'assez tardivement. La première chose était de créer quelque chose qui serait extrêmement compétitif et qui deviendrait quelque chose de plus que si les joueurs le voulaient".
Miser sur le long terme
La combinaison d'un gameplay compétitif et amusant, qui offre de la liberté au joueur, suggère aussi quelque chose d'important pour tout studio dédié au développement de jeux vidéo : la longévité. C'est le principe de base de ce qu'on appelle les jeux vidéo en tant que service et il permet un meilleur retour sur investissement. Cependant, la décision de créer un titre capable de s'étendre dans le temps exige également une série de compromis.
Le marketing n'est pas nécessairement lié à une expérience de jeu négative. CS:GO est l'une des références évidentes pour Valorant (et Joe Ziegler ne le cache pas), mais depuis un an le FPS de Valve n'a reçu de aucune nouvelle fonctionnalité. Il est donc difficile de le définir comme un jeu en tant que service. Pourquoi pensez-vous que les jeux avec des personnages singuliers sont devenus si populaires ?
C'est évidemment une décision qui change complètement le gameplay et pour le directeur de Valorant, elle permet de "créer des approches différentes pour chaque jeu". C'est une petite restriction de la liberté en termes de micro-jeu, un petit sacrifice qui donne de la variété à l'ensemble, renforçant l'esprit d'équipe et les aspects tactiques — motivation identique à celle qui est à l'origine des différences entre les cartes.
C'est une situation qui est mise en avant lorsque l'on évoque l'Operator, par exemple. Cette arme bien pensée, basée sur l'esprit d'équipe, est devenue un vrai problème en raison du manque de coordination des joueurs.
Les avantages de ce service
"Valorant se déroule dans une version fictive de la Terre, dans un futur proche, et cela nous donne la possibilité de créer un univers que nous pouvons ensuite commencer à peupler. Plus nous pourrons travailler sur l'histoire et le lore, plus il y aura de l'engouement pour le contenu à venir".
Valorant peut être un jeu où l'essentiel est le gameplay. Cependant, la décision de créer tout un univers offre aussi des avantages évidents concernant la quantité de contenus pouvant être introduits. La possibilité d'augmenter le nombre de personnages pour peupler cette Terre fictive devient une obligation pour coller à l'étiquette du jeu en tant que service. C'est donc une adaptation au marché avec des conséquences positives pour le consommateur et le joueur.
Conclusions
La création d'une scène compétitive ne nécessite aucune sorte de magie. Quant au changement, nous sommes un peu à mi-chemin : les jeux vidéo ne sont plus ce qu'ils étaient parce que rien ne l'est plus.
Des années d'évolution et d'expérience ont modifié le modèle commercial pour élargir les possibilités et accroître la diversité des produits disponibles. Chaque année, il y a plus de jeux vidéo que la précédente et il est normal de s'y perdre. Cependant, leur origine conceptuelle reste identique à celle qui a pu motiver les jeux Pandemic, Nintendo ou de tout autre développeur.
Contenu original par Bruno "GalleGutsito" Ouviña.