Pour la sortie officielle du nouvel opus de la franchise Call of Duty, Black Ops Cold War, nos collègues de Mein-MMO ont eu l'opportunité d'interroger Dan Bunting (Co-Studio Head chez Treyarch) sur le travail de son équipe consacrée au jeu. Les origines, les inspirations, le mode solo ou encore l'importance et Warzone pour la franchise... Tout a été passé en revue !
Il y a un peu plus de dix ans, les premiers Black Ops ont fait leur apparition. Aujourd'hui, 10 ans plus tard, ils font partie des deux séries les plus réussies de la franchise Call of Duty — avec Modern Warfare. Pensiez-vous à l'époque que les Black Ops connaîtraient un tel succès ?
Dan Bunting : "Nous ne commençons jamais à développer un jeu en pensant à l'endroit où le voyage nous mènera. Nous nous occupons d'une chose à la fois, c'est comme ça que ça a toujours été. [...] Quand nous développions les Black Ops, je pense que personne ne se disait : "Est-ce que ce sera une franchise ou une sous-série ?" En gros, c'était juste : faisons ce jeu cool du mieux qu'on peut. Et c'est comme ça que nous abordons chaque titre. Nous essayons juste de faire un bon jeu à chaque fois, et si cela mène quelque part, c'est tant mieux.
Dans les titres les plus récents, nous avons tendance à nous concentrer sur l'Histoire. Nous aimons donner plusieurs fils conducteurs afin que le scénario puisse se développer dans plusieurs directions, en fonction de l'orientation du jeu. C'est quelque chose que nous faisons maintenant, mais nous ne procédions pas comme ça avant."
Aujourd'hui, dix ans plus tard, les Black Ops ont maintenant une certaine tradition. Qu'est-ce qui définit les Black Ops ? Qu'est-ce qui fait que les Black Ops sont des Black Ops ?
D.B. : "Je pense que ce que les Black Ops font essentiellement pour tisser des liens avec les gens, c'est qu'ils se basent sur des théories de conspiration. Ils embrassent suffisamment l'histoire et la réalité pour créer un lien avec le monde réel, pour que certaines personnes disent : "Oh oui, je me souviens de ça" ou "j'ai lu ça en cours d'histoire" ou quelque chose comme ça. La série traverse donc l'histoire réelle. Ce n'est pas ce qui fait les gros titres, c'est plutôt ce qui se trouve entre les lignes.
Il y a tant d'informations secrètes qui se sont sûrement perdues au cours de l'Histoire, et tant d'anecdotes de cette époque qu'on ne connaîtra jamais : cela laisse assez de place à l'imagination. Et les gens aiment cette direction conspiratrice, elle rend tout simplement tout plus excitant et intéressant. C'est un phénomène naturel autour duquel nous construisons notre jeu. Nous sommes tous humains, nous essayons tous de comprendre les drames. Mais en raison du manque de transparence et d'objectivité, nous commençons à combler nous-mêmes les pans qui manquent à l'appel. Et en général, c'est comblé par des choses beaucoup plus passionnantes qu'elles ne l'étaient dans la vie réelle. Et c'est exactement ce sur quoi les Black Ops ont toujours été basés. C'est un monde où il s'agit de ce qui se passe derrière l'Histoire. Cela fait partie du succès de toutes ces années.
Et Cold War était l'occasion pour nous de revenir aux racines des premiers Black Ops, à l'époque de la Guerre Froide avec toutes ses théories de conspiration, ce qui fait la particularité de cette série."
Depuis Black Ops 1, la série était devenue de plus en plus futuriste. Pourquoi êtes-vous revenu à l'expérience classique des Black Ops avec la Guerre Froide ?
D. B. : "Il nous a semblé que c'était le bon moment. Lorsque vous lisez les forums, ce que les gens écrivent sur Internet, vous constatez une véritable nostalgie autour des Black Ops. Et il semble que cette nostalgie soit devenue plus forte ces dernières années. C'est peut-être une réaction au fait que nous sommes allés dans le futur et que les gens voulaient quelque chose d'opposé justement. Mais aussi parce que l'époque dans laquelle nous vivons actuellement offre aussi le scénario parfait pour cela. Lorsque vous regardez ce qui se passe dans le monde en ce moment, il existe de nombreux parallèles effrayants avec la situation de la Guerre Froide. Les tensions augmentent, la polarisation politique s'accentue, il existe toutes sortes de théories de conspiration sur les gouvernements ou sur les acteurs de la scène politique mondiale. Ensuite, il y a le problème des fake news, tout le climat de ce qui se passe en ce moment... Revenir à cette époque nous semblait être exactement ce qu'il fallait en ce moment. Cela devrait plaire à beaucoup de monde."
En parlant d'Histoire, dans quelle mesure l'histoire de Cold War est-elle basée sur des événements réels ? On dit qu'une partie de ces informations provient de dossiers déclassifiés de la CIA qui étaient auparavant privés.
D. B. : "Nous racontons une histoire fictive, nous l'avons toujours fait. Ce que nous avons beaucoup apprécié, c'est de retourner dans l'Histoire, de regarder certains événements et de nous dire : "OK, on voit ça en surface. Cela pourrait nous inspirer, pour une mission ou pour un personnage." Mais tout ce qui se trouve au-delà de ce point est la plupart du temps inconnu, et c'est là que nous créons nos propres arcs narratifs. C'est là que nous nous amusons en tant que développeurs et que conteurs.
Un bon exemple est Perseus, notre méchant (dans Cold War). C'était un véritable personnage historique. Il y a eu beaucoup de spéculations sur qui c'était vraiment, mais cela n'a jamais été découvert. C'était comme si cette personne avait disparu. Et nous avons pensé que cela ferait un méchant approprié pour Black Ops."
Avec Cold War, Black Ops propose une campagne solo complète. Pourquoi ? Voyez-vous un intérêt croissant pour le contenu mono-joueur ou existe-t-il une demande plus importante pour des expériences multijoueurs comme Warzone ?
D. B. : "Pour être honnête, nous voyons les deux. Je pense qu'il y a un plus grand intérêt pour les contenus et les mode Histoire en solo ces dernières années. Tout simplement parce qu'une grande partie de l'industrie est passée aux jeux en ligne multijoueurs. Une campagne solo basée sur une histoire est généralement un contenu que l'on termine une seule fois, pour ensuite passer à autre chose. Mais je pense qu'il y a un intérêt accru, une demande accrue. Les joueurs veulent plus de ce qu'ils avaient avant. Je ne sais pas si c'est beaucoup plus qu'avant, mais nous constatons une augmentation globale. Il y a plus de joueurs qui se précipitent sur le multijoueur qu'auparavant et nous voyons également plus de joueurs qui jouent au mode Campagne. Les joueurs passent simplement plus de temps à jouer aux jeux vidéo..."
Voulez-vous rester dans le cadre de la Guerre Froide à l'avenir ou y aura-t-il encore des scénarios futuristes dans les Black Ops ?
D. B. : "Comme je l'ai dit auparavant, on ne sait jamais. Nous voulons simplement faire connaître le jeu, que les gens passent un bon moment dessus. Nous voulons offrir un bon contenu frais qui divertit les joueurs. Nous verrons bien où cela nous mènera, mais je pense que la façon dont nous concevons actuellement les jeux va bien plaire aux gens — un peu plus terre à terre, immersif, et peut-être même un peu plus lent que par le passé. Je pense qu'aujourd'hui, nous sommes exactement là où notre public veut que nous soyons et nous verrons où tout cela nous mènera."
Black Ops 4 était un bon jeu, il préparait la scène pour Warzone, mais il a été régulièrement critiqué — surtout à cause des microtransactions. Quelles sont les principales leçons que vous avez tirées du prédécesseur de Cold War ?
D. B. : "L'équipe était très fière de Black Ops 4 et l'entrée dans le genre du Battle Royale était quelque chose de très spécial (avec Blackout). À cette époque, nous avions tous joué à de nombreux titres du genre en tant que fans. Il était donc naturel pour nous d'aller dans cette direction et de créer un tout nouveau terrain de jeu multijoueurs à grande échelle. Même si le Battle Royale est en fin de compte une expérience multijoueur, je pense que les joueurs l'adorent en raison de son caractère sandbox. Rien n'est prévisible, il y a ces moments uniques que vous ne pouvez pas reproduire plus tard. C'est quelque chose que beaucoup de joueurs aiment, qu'ils soient extrêmement compétitifs ou plus occasionnels.
Avec Black Ops 4, nous avons aussi appris beaucoup d'autres choses. Par exemple, concernant l'exploitation des jeux de manière directe. Avec Black Ops 3, nous avions encore le modèle traditionnel, avec des DLC qui sortaient tous les trimestres. Black Ops 4 avait une structure saisonnière, où nous devions rafraîchir l'ensemble du jeu tous les deux mois. Ce fut une expérience formidable et éducative pour toute l'équipe. Et c'est là que nous nous sommes dit pour la première fois : le contenu est vivant, le contenu change, se développe constamment. Nous avons appris comment organiser l'équipe autour d'un tel modèle.
Nous avons également appris que de nombreux joueurs s'intéressent toujours au mode solo. Une des questions principales était de savoir s'il y avait une demande croissante. Et cela nous a vraiment montré que les gens voulaient cela. (...) Black Ops 4 marchait bien, mais on s'est aperçu que les gens avaient envie du mode solo, de plus en plus.
C'était aussi une époque où le modèle de l'industrie changeait. On était coincé entre les anciens DLC, les systèmes basés sur le loot, et le passage à un modèle de jeu à service. Je pense que c'est là que nous avons beaucoup appris sur la façon de bien mettre en place le contenu après le lancement."
Il y a eu une alpha et une bêta ouverte sur le multijoueur de Cold War. Il y a eu beaucoup de réactions. Quels ont été vos principaux enseignements à cet égard ?
D. B. : "C'est quelque chose d'extrêmement précieux pour nous, en tant que développeurs, car nous vivons de ce retour d'informations constant. C'est des retours que nous aimons avoir quand nous avons encore le jeu en interne, mais aussi après sa sortie. Nous devons écouter notre public.
Je pense que les gens ont vu que nous avons fait beaucoup de changements entre l'alpha et la bêta. Principalement sur le système de mouvement et l'équilibrage des armes. C'est toujours une histoire de gameplay, au final. Les armes sont-elles équilibrées ? Leur gameplay est-il agréable ? Comment se comporte le héros ingame ? Entre la version bêta et le lancement, il y a eu encore plus de modifications. Je dirais donc que la première chose à faire est de régler les systèmes d'armes et de mouvement.
Ensuite, il y a le système Scorestreak. Cette année, nous avons mis en place un nouveau système qui vous permet de conserver vos points même après votre mort. A chaque fois qu'on change quelque chose dans notre franchise, les réactions des gens sont très polarisées. Certains demandent des changements immédiats, d'autres exigent qu'on ne touche à rien. C'est toujours une lutte constante entre des points de vue différents. Mais le système Scorestreak est passionnant car, pour la première fois, il facilite les choses à des joueurs qui n'ont pas l'habitude de réaliser des Scorestreaks. Il leur donnera donc accès à des contenus qu'ils n'ont peut-être pas eus dans les jeux précédents. Notre plus grand défi consistait à équilibrer le tout. Parce que les killstreaks, scorestreaks ou tout autre système que vous utilisez, c'est quelque chose de très important pour nos fans hardcore et compétitifs. Il faut donc essayer de trouver l'équilibre entre ces deux sortes de joueurs, et cela n'a pas été facile. Mais je pense que nous avons fait du bon travail. Tout le monde devrait trouver son plaisir sur le jeu, les joueurs qui sont nouveaux dans le jeu, qui y jouent occasionnellement ou qui n'ont pas l'habitude d'avoir accès aux Scorestreaks, ainsi que les joueurs qui aiment tryhard bien plus.
Et puis, pour finir, nous avons amélioré un peu tous les domaines : la partie sociale, les systèmes de progression, etc..."
Pour moi et d'autres joueurs, il semble qu'il y ait un changement d'orientation, que ce soit à propos des sorties annuelles d'un Call of Duty ou encore de Warzone. Je veux dire, Cold War est intégré dans Warzone et non l'inverse. Quelle est l'importance de Warzone pour Cold War ?
D. B. : "Warzone est incroyablement important. C'est un immense champ de bataille pour les joueurs, c'est free-to-play : tellement de joueurs y ont accès... Et plus important encore, ce mode amène les gens sur Call of Duty. Il alimente l'écosystème global des joueurs de la licence. Dans le passé, on disait qu'on aimait telle ou telle série de Call of. Dorénavant, vous n'avez plus à choisir. Maintenant, si vous aimez Call of Duty, cela vous amène dans cet écosystème avec notre énorme communauté de joueurs connectés à travers tous les jeux de la licence. Et Warzone est le lien entre tout ça.
Nous avons beaucoup appris de Blackout : cela nous a permis de mettre un pied dans l'univers du Battle Royale et de comprendre comment mettre en place et gérer un jeu à service de manière solide. Je pense que nous avons franchi une nouvelle étape et nous sommes très enthousiastes quant à ce que ça va apporter à la franchise à l'avenir."
Avec l'intégration de Modern Warfare et Cold War dans Warzone, vous avez choisi la meilleure solution pour tous les joueurs. Mais certains affirment qu'il n'y a aucune raison de passer à Cold War si on possède Modern Warfare, ou si on joue principalement à Warzone en multijoueur. Qu'avez-vous à répondre à cela ?
D. B. : "Pour moi, il n'y a aucun souci. Ce que nous voyons, c'est un public multijoueur plus large que jamais. Les gens viennent, essaient Warzone, se font une idée du Battle Royale et voient ensuite tout le reste du contenu. Et puis ils se disent l'un à l'autre : "Je veux essayer ça, parce que ça a l'air vraiment cool. C'est ainsi qu'ils entrent dans le multijoueur de Modern Warfare, ou de Cold War [...] Cela ouvre des portes pour beaucoup de joueurs, des portes qui n'existaient pas auparavant. Nous avons une population de joueurs qui s'intéressent à tous les aspects du jeu, que ce soit le mode Campagne, le multijoueur classique ou encore Warzone.
Je pense que les différents secteurs se complètent et ne se font pas concurrence. Il y a des joueurs qui jouent traditionnellement en 6v6 ou qui jouent en compétition, et vous les voyez partir en Battle Royale et s'amuser. Et dans l'autre sens, vous voyez des joueurs qui commencent par l'expérience du Battle Royale et passent ensuite au multijoueur traditionnel. [...] Nous voyons donc de plus en plus de joueurs essayer les deux. Et l'expérience multijoueur traditionnelle de base se porte mieux que jamais."
Vous avez de grands projets pour le contenu multijoueur d'après lancement. Cold War sera intégré dans Warzone. Mais Warzone est encore principalement influencé par Modern Warfare, et toute la carte aussi. Cela va-t-il changer ?
D. B. : "Nous avons beaucoup de projets pour l'avenir, mais il est trop tôt pour en parler. Mais je peux vous dire que l'équipe et moi sommes impatients, et qu'il y aura des rebondissements narratifs intéressants."
Qui est le concurrent le plus sérieux de Call of Duty Black Ops Cold War ?
D. B. : "Avec toute l'expérience que j'ai, je n'ai jamais su qui est notre plus grand concurrent, parce que l'industrie évolue trop rapidement. Nous cherchons simplement à faire de notre mieux à chaque fois. C'est vraiment un défi pour nous. Cela peut sembler un cliché, mais nous sommes notre propre concurrence. Nous essayons toujours de battre notre meilleur jeu d'avant. Pour nous, il s'agit de nous améliorer et de faire le meilleur jeu possible à chaque fois. Je ne pense jamais à ce que font les autres jeux. Et cette année, je suis vraiment fier de l'équipe, surtout compte tenu des circonstances qui touchent tout le monde en ce moment. Le travail à domicile a été un changement radical et je suis très fier de ce qu'ils ont accompli."
À votre avis, de quoi les Black Ops ont-ils besoin pour rester pertinents et efficaces au cours des dix prochaines années ?
D. B. : "Quand je regarde les dix dernières années, une grande partie de cette période a été marquée par la capacité à s'adapter, à changer, à se réinventer. Et aussi d'être toujours en mesure de surprendre les joueurs. Je pense qu'au cours de la dernière décennie, les joueurs ont montré qu'ils aiment la série, ils aiment ce que Black Ops représente — les personnages, l'époque, l'ambiance, l'angle de l'histoire. Cela convient bien aux joueurs. Et je ne pense pas que cela va changer. Donc, tant que nous continuerons à nous réinventer, à surprendre les joueurs, cela devrait continuer pendant un certain temps."