Si vous êtes un fan de League of Legends depuis les premières heures, il existe un son qui est capable de vous donner la chair de poule… rien que par le pouvoir de la nostalgie.
Et si vous ne comprenez pas de quoi je parle… voilà un indice.
Ceux d'entre vous qui ont l'oreille musicale auront sans doute reconnu Silver Scrapes, de Danny McCarthy, une musique commandée par Riot Games en 2012 et qui est devenue une des traditions les plus célébrées de la scène compétitive de League.
Quand un Bo5 entre dans sa dernière game, juste avant la draft, vous allez entendre Silver Scrapes. Mais pourquoi cette chanson ? Qu'est-ce qu'elle a de particulier ? Et surtout, depuis quand Riot Games en ont-ils fait une tradition ?
En fait, tout ça commence par un échec total. Parce que la scène esport de League of Legends n'a pas toujours été la super-production qu'on connaît, capable de résister à tous les défis — même quand il s'agit d'une pandémie.
En octobre 2012, lors des Championnats du Monde de la Saison 2, Riot Games faisait ses premiers pas dans le monde de la diffusion et de l'esport. Les grands de l'époque, c'était les IEM et la Dreamhack — et le circuit compétitif de League reposait très largement sur ces événements. Mais, pour la première fois, et contrairement à l'édition précédente, cette fois là Riot avait décidé de faire cavalier seul et d'organiser les Worlds à Los Angeles, non loin de leurs bureaux.
Sauf qu'à l'époque la technologie n'était pas aussi fiable, et le studio n'avait sûrement pas la même expérience qu'aujourd'hui. Et Riot Games s'est confronté à beaucoup, beaucoup de problèmes techniques. Non vraiment, beaucoup. Entre le stream qui crache en permanence, la connexion Internet des joueurs qui est complètement instable, ou simplement les ordinateurs qui décident de rendre l'âme aléatoirement en plein milieu d'une partie — Riot Games vit alors l'enfer.
Et ce calvaire atteint son paroxysme le 6 octobre lors du dernier quart de finale du tournoi opposant CLG EU à Team World Elite. L'équipe chinoise remporte la première game du Bo3 et 12 minutes après le début de la deuxième, Internet saute, le stream s'éteint et tous les joueurs sont déconnectés. On refait la draft, et on relance la game. Et cette fois-ci c'est CLG EU qui l'emporte. Les deux équipes sont désormais au coude à coude, alors que débute la troisième game.
Pourtant, plutôt qu'une game sanglante, World Elite comme CLG EU s'enferment dans un duel de passivité, qui énerve très largement l'audience. Avec une compo favorisant l'hyper engage, la formation européenne attend le moment parfait pour forcer le teamfight, tandis que l'équipe chinoise cherche au contraire à pousser ses adversaires à l'erreur. Les deux équipes se regardent dans le blanc des yeux, tournent autour des objectifs, et cherchent à voler du temps au point que le match s'éternise.
Enfin, à la 59e minute, le teamfight tant attendu arrive et soudain Internet crash encore. Forcément, le public est un petit peu échaudé.
Les officiels décident de recommencer la 3e game, avec la même draft — sauf qu'au bout de 25 minutes, ça crashe encore. Et cette fois-ci, le problème est suffisamment conséquent pour que le match ainsi que le stream soient interrompus pendant plusieurs heures. Riot Games annonce enfin la reprise mais, comme un coup du sort, quelques instants avant que le match ne soit relancé, le PC de Krepo, le support de CLG EU, crashe. Définitivement.
Un officiel de Riot monte sur scène et annonce la fin de l'événement. La demi-finale est repoussée, le studio se répand en excuses, mais le mal est fait. Parce que, durant les heures de pause technique qui ont rythmé cette journée infernale, le stream officiel des Worlds a diffusé Silver Scrapes en boucle. Et, aux quatre coins du globe, des centaines de millier de joueurs sont désormais incapable de se débarasser de la dubstep qui coure dans le fond de leur crâne sans jamais s'arrêter.
D'ailleurs, si on se la remettait ?
Cette réussite est d'autant plus impressionnante que Silver Scrapes a été écrite en quatre jours par un petit artiste alors inconnu, le tout sur un vieux dell tout pourri, qui déjà à l'époque faisait office de relique d'un autre temps. Rien ne pouvait prédire que le son alors produit par Danny McCarthy deviendrait un hymne pour une communauté tout entière.
Et c'est pourtant ce qui s'est passé, juste parce que quelqu'un chez Riot a laissé tourner le son en boucle pendant des heures. Quelques jours après la demi-finale, Silver Scrapes cumulait déjà plus de 500 000 vues, un chiffre plutôt conséquent compte tenu de l'époque.
D'une certaine manière, le son était devenu une moquerie, un moyen pour la communauté de critiquer, et à juste titre, la production de la deuxième édition des Worlds. Et c'est là, à cet instant précis, que Riot Games a fait le move de génie.
En fait, et c'est là que c'est intelligent, les Bo5 sont souvent joués lors d'étapes importantes d'un tournoi, la plupart du tempsà partir des demi-finales — et 2-2 c'est le score où tout est possible, où chaque équipe est dos au mur. C'est le score de la tension, de l'intensité — le score qui met les joueurs comme les spectateurs aux abois.
Plutôt que de nier son échec, Riot Games a choisi de l'accepter…Plutôt que de subir la vanne, le studio a choisi de l'embrasser et d'utiliser Silver Scrapes pour rallier les fans autour de la scène compétitive de League of Legends.
Mais comment ? Comment est-ce que le studio a accompli ce tour de passe-passe ?
C'est assez simple: ils ont sorti l'artillerie lourde. Tout le monde, des casters aux joueurs, en passant par les spectateurs, s'est mis à headbanger sur Silver Scrapes. Et puis, le public s'y est mis à son tour. Ça a donné lieu à des remix et à des covers, et progressivement c'est devenu le son de la hype.
Aujourd'hui, on peut l'entendre toute l'année, au détour des Playoffs de telle ou telle ligue, mais c'est sur la scène des Worlds que Riot Games a construit la légende de Silver Scrapes, en associant cet hymne à des rencontres d'anthologie. C'est un peu comme la madeleine de Proust. Quand on entend les premiers accords, on se rappelle immédiatement des Bo5 incroyables dont on a été le spectateur et, un instant, on revit les mêmes sensations.
Silver Scrapes, c'est le récit d'un meme, d'une vanne, qui fait désormais partie intégrante des traditions de la scène compétitive de League of Legends. C'est la chronique d'un accident qui aurait pu faire la risée de Riot Games, mais qui a été habilement transformé pour devenir une force.
Et si chaque édition des Worlds apporte désormais un nouvel hymne pour célébrer l'événement, Silver Scrapes possède une aura spéciale et unique. Car c'est un bout d'histoire de Riot Games, un souvenir des premières années de League of Legends. Warriors, Rise, Legends Never Die, Phoenix, Take Over, les chansons des Worlds s'enchaînent année après année, bénéficiant d'une gloire temporaire… mais celle de Silver Scrapes promet déjà d'être éternelle.