Crédit image: @G2esports
Hier, la communauté de League of Legends retenait son souffle alors que se déroulait un duel au sommet. Une finale décisive venant couronner le nouveau Roi d'Europe, le Classico : Fnatic contre G2 Esports. On avait rarement assisté à un tel spectacle, car ce Best of 5 était finalement le point culminant d'une saison absolument rocambolesque.
Comme la quasi totalité des événements aux quatre coins du monde, le League of Legends European Championship est frappé de plein fouet par l'épidémie du coronavirus.
Le 13 mars, au lieu de SK Gaming et MAD Lions, Eefje "Sjokz" Depoortere apparaît seule sur le plateau du LEC. Devant les yeux ébahis de milliers de spectateurs, et sur un ton reflétant la gravité de la situation, celle-ci déclare que Riot Games a décidé d'interrompre le Split par mesure de sécurité.
Pourtant, quatre jours plus tard, l'éditeur annonce le déploiement d'un dispositif exceptionnel permettant d'assurer la continuité du championnat. Pour la première fois en huit saisons, le LEC se déroulera en ligne, chacune des équipes jouant depuis sa gaming house respective. Ni public, ni scène, ni lumières : la fin du Spring Split et les Playoffs seront disputés à distance, comme s'il ne s'agissait que de scrims.
Et pourtant, l'enjeu reste de taille, car ce Spring Split 2020 revêt une importance toute particulière pour Fnatic et G2 Esports. Avec six titres de champions en poche, les Samouraïs talonnent désormais Martin "Rekkles" Larsson et son équipe, qui les narguent encore du haut de leurs sept trophées. Bien plus qu'un titre isolé, l'issue du segment de printemps viendra réaffirmer la supériorité de Fnatic ou permettre à G2 de se revendiquer Roi d'Europe.
Covid19 : 0 - LEC : 1
Au final, l'interruption de la ligue, et sa reprise pour la semaine 8 le 20 mars, n'ont pas changé grand chose à la donne. Dominants durant les quatre premières semaines, les G2 Esports ont poursuivi leur winning streak, et Fnatic s'est contenté d'égaliser, semblant incapable de prendre la première place. Comme si rien n'avait véritablement changé, G2 a achevé le split en première place, tandis que Fnatic et Origen se disputaient la seconde place au coude-à-coude.
On aurait cru voir le Summer Split 2019 se répéter à nouveau, toutefois les MAD Lions sont venus créer la surprise en décrochant la quatrième place. Personne ne s'attendait à ce que ces rookies parviennent à ce stade de la compétition, pourtant les Lions ont démontré un potentiel incroyable au cours des dernières semaines. Et ce, notamment en parvenant à vaincre G2 en semaine 5 — un exploit que même Fnatic n'est pas parvenu à accomplir.
Derrière eux, Misfits et Rogue ont décroché les deux derniers seed : mais, avec le nouveau format des Playoffs, leurs chances demeuraient maigres. Placés en Losers' Bracket, les deux équipes n'avaient pas le droit à l'erreur. On s'attendait à ce qu'elles ne soient que des obstacles mineurs pour les favoris du championnat. Et sur ce point, on n'a pas été déçu.
MAD Lions, les briseurs de prophétie
Comme pour chaque phase de Playoffs, un schéma évident s'était dessiné sous la plume des premières théories. Tout le monde imaginait déjà la rencontre entre Fnatic et G2 Esports en demi-finale. Pourtant, si cette prophétie s'est partiellement accomplie avec la victoire de Fnatic contre Origen, un grain de sable est venu bouleverser les prédictions des parieurs les plus aguerris.
MAD Lions, cette équipe de rookies débarquant de nulle part, a upset 3-2 des G2 Esports méconnaissables, envoyant les champions en titre en Losers' Bracket et leur arrachant au passage leur place en demi-finale.
"Il essayent de répliquer le même système, la même idée [que FunPlus Phoenix]" expliquait le toplaner de Fnatic Gabriël "Bwipo" Rau au micro de Laure Valée quelques semaines plus tôt. Et c'est peut-être cela qui leur a permis de vaincre.
Derrière la défaite de G2 se dissimulait une raison bien plus complexe que la simple allergie à un style de jeu importé de Chine. Car, au début des Playoffs, dans la lignée du role swap de Luka "Perkz" Perković et de Rasmus "Caps" Borregaard Winther, les champions en titre avaient décidé de faire évoluer leur propre style. Rejetant le 1-3-1 qui fut la source de leur succès, les Samouraïs avaient choisi d'adopter des stratégies plus orientées vers les teamfights. Et cette défaite contre MAD Lions semblait démontrer leur incapacité à se saisir pleinement de ce nouveau plan de jeu.
David contre Goliath, le retour
Pourtant, le destin n'avait pas fini de se moquer. Tandis que les G2 Esports remontaient l'arbre de tournoi, écrasant Origen sur leur passage, les MAD Lions se faisaient corriger 0-3 par Fnatic. Au final, les Lionceaux ont retrouvé les Samouraïs en finale du Losers' Bracket pour un match retour décisif.
Avant même qu'il ne commence, ce Best of 5 avait déjà pris l'allure d'un affrontement épique, où David rencontrerait Goliath pour la seconde fois. Toutefois, la donne était bien différente, car lors de l'interview faisant suite à la victoire de Fnatic, Bwipo était venu exposer les vulnérabilités ainsi que les faiblesses des Lions. Et les G2 Esports étaient assis au premier rang de ce cour magistral.
Sans véritable surprise, la fronde ne suffit pas cette fois-là et, après un florilège de problèmes techniques, les Lionceaux s'inclinent. Pourtant, il en fallait plus pour venir à bout du moral de ces rookies, désormais bien connus pour l'atmosphère au sein de leur roster. Même dans la défaite, Marek "Humanoid" Brázda conservait son sourire.
"Ahah, je pense que nous nous sommes beaucoup amusés — surtout Andrei [ndlr: Orome]," ironise le jeune midlaner, "Durant les pauses de la dernière game, on savait que c'est déjà un peu perdu, donc on a décidé de s'amuser en jouant un style un peu 'ARAM'."
Une véritable scène, c'est peut-être ce qui a manqué aux Lionceaux pour remporter ce Best of 5. Car si les acclamations des spectateurs génèrent un stress qui accompagne au quotidien les vétérans les plus chevronnés, elles prodiguent aussi une énergie incroyable — ce genre d'énergie qui permet de déplacer des montagnes, ou de vaincre lorsque cela paraît impossible.
"Je trouve ça triste," commente Humanoid au sujet de sa finale Losers' Bracket contre G2 Esports. Aux côtés de Splyce, le jeune midlaner de MAD Lions a goûté l'année dernière à la scène des Playoffs ainsi qu'à celle des Worlds — et sa conclusion sur le format en ligne est attendue. " Jouer sur la scène, c'est juste beaucoup mieux, parce qu'il y a la hype. Aujourd'hui, on aurait dit un jour normal. On a juste joué un scrim, mais au lieu de ça c'était un match officiel."
Pourtant, MAD Lions n'a pas à rougir. Les rookies du split ont achevé un parcours honorable, décrochant une 3ème place aussi inattendue qu'inespérée.
"On a décroché la troisième place, ce qui est loin d'être mauvais pour une équipe composée de quatre rookies," explique Humanoid, "Au début, on visait juste les Playoffs parce qu'on n'était vraiment pas bons puis, au fil de la saison, on a réalisé qu'on pouvait prétendre à mieux que la sixième ou la septième place. Je ne m'attendais pas à être troisième, je pense que nous avons surpassé les attentes de beaucoup de personnes."
Effectivement, les Lionceaux ont défrayé la chronique, et ils se dressent déjà comme des concurrents redoutables pour le Summer Split.
Une finale au sommet de l'Europe
Le fil du destin semblait avoir retrouvé la direction qu'on lui prêtait quelques semaines plus tôt. Et, hier, G2 Esports s'apprêtait à rencontrer Fnatic en finale pour un duel au sommet dont l'issue venait couronner les nouveaux Rois d'Europe.
Du côté de Fnatic, on n'imaginait même pas la défaite. "Je crois franchement que le trois va finir de notre côté du tableau des scores," commentait Bwipo avant la finale, "Je ne sais pas combien de games il faudra pour y parvenir, mais c'est juste mon sentiment."
"Quoique tu fasses, tu finiras toujours par regretter d'avoir perdu une finale. Même si tu places tes attentes bas, tu te sentiras toujours mal après la défaite. Peu importe que tes attentes soient basses. C'est pour ça que, lorsque je suis allé aux Worlds en 2018, j'ai tout simplement visé le sommet. Peu importe ce que je fais : si je perds en quarts ou en groupes, ce sera nul. Alors je vais juste aller de l'avant et dire : "Je vais gagner les Worlds". Et c'est la même logique ici".
Avant même que la draft ne commence, l'ambiance était déjà surréelle. Au lieu d'une cérémonie d'ouverture épique marquant la fin du split et le début de la finale, le DJ Robin Schulz mixait devant un fond vert. Malgré un contexte sans précédent, Riot Games avait déployé des efforts considérables pour assurer le spectacle.
"Caps a eu une épiphanie."
Après ce show des plus étranges, Fnatic et G2 se sont enfin retrouvés dans la Faille pour une finale expéditive et — soyons honnêtes — presque scriptée. Car les Samouraïs n'ont fait aucun quartier de leurs adversaires, démontrant une maîtrise et une propreté de jeu absolument édifiantes. Jamais on ne les avait vus aussi précis, et il semblait alors impossible de croire qu'il s'agissait de la même équipe qui, une semaine plus tôt, s'inclinait devant MAD Lions.
En réalité, c'était au tour de G2 Esports de donner une leçon de League of Legends. Et c'est précisément ce qu'ils ont fait. D'une main de maître, les Samouraïs ont déroulé leur plan de jeu, emportant les deux premières games du Best of 5 durant la phase de draft, avant même de poser le pied dans la Faille.
Le succès de leur réussite ? Au micro de Laure Valée, Marcin "Jankos" Jankowski raconte que "Caps a eu une épiphanie" à la veille du match : Kog'Maw et Lulu en botlane pour contrer le célèbre duo Aphelios / Tahm Kench, très prisé par Fnatic.
Et cette révélation a porté immédiatement ses fruits, prenant tout simplement Fnatic de court lors des deux premières games. Lors de la troisième, Rekkles et son équipe ont eu un sursaut et sont parvenus à prendre le contrôle de l'early game. Pourtant, après un tour de magie faisant presque office de signature, les G2 ont récupéré l'ascendant — puis leur troisième victoire.
En tongs et chaussettes
Le spectacle auquel on assiste alors est incroyable, encore plus que n'importe quelle cérémonie du LEC. En chaussettes ou en tongs (voire même les deux), chacun des membres de G2 vient soulever le trophée, livré tout spécialement à leur gaming house berlinoise par un coursier mandaté pour l'événement. Une poignée de confettis vole dans les airs et, tour à tour, les joueurs et le coaching staff se dirigent au centre de la pièce pour célébrer un instant leur gloire sous les applaudissements amusés du reste du groupe.
Difficile de considérer pleinement cette victoire, alors qu'ils se trouvaient quelques mois plus tôt sur la scène de l'Accor Hotel Arena pour affronter FPX en finale des Worlds. Dans l'ombre de cette défaite, et à la lumière du septième trophée du LEC s'ajoutant sur leur étagère, les G2 Esports semblent de nouveau se dresser comme les meilleurs représentants que l'Europe puisse avoir. Et ce malgré le fait que plusieurs de ses joueurs sentent peu à peu les années peser.
Jankos ou Perkz : l'un comme l'autre commencent à envisager l'après LEC, sans pour autant oublier la rivalité indémodable qui les oppose aux LCS.
"Si je deviens nul au jeu, alors les LCS feront sens. Si je vais en Amérique du Nord, j'irai pour les dollars, tu vois," conclut le jungler polonais en explosant de rire.
On est encore loin d'un tel événement, car le regard de G2 Esports se tourne à nouveau vers les Worlds — et Jankos comme Perkz souhaitent toujours ajouter ce trophée à leur collection. D'ici là, le prochain Summer Split aura une saveur toute particulière, car une nouvelle victoire de G2 pourrait marquer la suprématie de l'équipe sur le championnat européen. Avec un huitième titre, les Samouraïs deviendrait l'équipe la plus récompensée de l'histoire du LEC, juste devant Fnatic.
Fnatic, G2 — qui sera finalement sacré sur le trône d'Europe ? Réponse à l'issue du Summer Split.
Sources
- Entretien individuel avec Humanoid
- Interviews post-match réalisées par Laure Valée
- EUphoria Saison 5 Episode 14