Chapitre III : 24 heures pour un miracle
C’est le matin du 21 mars. Otz s’éveille, puis ouvre twitter, une nouvelle spectaculaire l’y attend : The_Happy_Hob, un autre runner, vient de réussir la God Run : 5 jeux From Software d’affilée sans être touché.
Hob est notamment passé par Dark Souls 2, il ne s’est embêté ni des Boss optionnels ni des DLC mais l’exploit reste époustouflant. Si Otz réussit aujourd’hui, les deux runs les plus difficiles de l’histoire de Dark Souls auront été complétées à quelques heures d’intervalle.
Le live est lancé. Il s’arrête à chaque jonction pour se remémorer le plan pour des 5 prochaines minutes. Il a résumé toute la run sur des dizaines de fiches qui s’empilent sur son bureau. Les interactions avec le chat sont réduites au strict minimum, quelques mots échangés aux feux de camp qui font autant de bien au runner qu’à son public.
Un boss bien particulier doit être tué dès le début de la run. Un trio en l’occurrence : l’explorateur, le vieux soldat et le pilleur de tombes. Amoureusement surnommé « Gank Squad » par la communauté. C’est le pire affrontement après le Roi d’Ivoire. Pas question de les affronter après 9 heures de run, il faut s’en débarrasser maintenant. Pour le Roi d’Ivoire c’est différent, il a stoppé Otz aux portes de la gloire deux fois déjà : il va y passer en dernier.
Une seule méthode permet de vaincre la Gank Squad sans être touché : courir, en boucle, et sans jamais s’arrêter. Dans la grotte qui sert d’arène, poursuivi par le vieux soldat et le pilleur de tombes, Otz court tout en esquivant en rythme les flèches que l’explorateur décoche depuis le centre de la caverne. Son unique arme : les nuages de poison qu’il invoque derrière lui, et peut-être aussi la patience d’attendre que ses poursuivants meurent intoxiqués. Les coureurs sont rapides, les flèches plus encore, une seule erreur et c’est la mort.
Otz est justement est en train de courir, il se laisse tomber d’une corniche (la grotte n’est pas plate), puis remonte une pente rocheuse pour revenir à la salle principale. Soudain, sa caméra pivote, le mouvement n’est pas naturel, il regarde sur sa gauche et le pilleur de tombes est là, à un centimètre, en train d’armer son coup. Otz esquive à la dernière fraction de seconde.
Il l’a senti venir, il s’est douté que le pilleur l’attendrait en haut de la rampe. Comment ? Parce que lorsqu’il a chuté de la corniche, seuls les bruits de pas du soldat résonnaient derrière lui. S’il n’entend plus qu’un seul poursuivant, alors c’est que le deuxième l’attend quelque part en embuscade. La run est sauvée sur cette esquive, bientôt un an depuis que le challenge a débuté et Otz connaît maintenant suffisamment bien le jeu pour savoir que quelque chose ne va pas au bruit des pas du boss sur le sol de l’arène.
Le chat s’enflamme. « C’est la run ! » « C’est aujourd’hui ! ».
L’épreuve continue trois, cinq, sept heures. On frôle la catastrophe au moins une fois par heure. À un moment, les nerfs d’Otzdarva le rattrapent : il se téléporte au dernier feu de camp et prend quelques instants pour respirer et remettre ses idées en place
Et puis comme il ne semble pas vouloir commettre la fatidique erreur, le voilà, pour la troisième fois, face au Roi d’Ivoire.
Le chat est en panique, les prières se multiplient. Les « I WAS HERE » se disputent la place avec les « PLEASE HOLD ME ». Plus de 6 000 personnes regardent.
Les sbires sont éliminés, le Roi entre dans l’arène et …. Otz sort une nouvelle arme.
Il a toujours affronté le Roi d’Ivoire avec une seule lame : « Espada Ropera », la meilleure rapière du jeu, rapide, puissante, implacable (poétique en plus, puisque Otzdarva est espagnol).
Et il a toujours manié Espada Ropera à deux mains, pour infliger plus de dégâts. Mais alors que le roi s’avance, la légendaire rapière part dans sa main droite, et une rapière ordinaire apparaît dans sa main gauche.
Ce n’est pas un détail. Dans ce jeu, changer d’arme c’est changer d’animations. Avec deux rapières, les mouvements sont différents, et donc les timings sont différents.
Du côté du chat, prières et panique laissent place à l’incrédulité, puis à l’indignation. « C’est ta dernière chance et tu vas essayer une nouvelle technique ? » «Au bout d’un an ? » « Qu’est-ce que tu fous ? »
Ce style de combat, il a été travaillé en off-stream. Ses deux précédentes défaites contre le Roi proviennent en grande partie d’un manque de dégâts. Otz n’a jamais réussi à vaincre le boss avant qu’il n’atteigne sa phase 2, où les fenêtres d’esquive de ses attaques passent de « petites » à « ridicules ». Manier deux armes, ça coûte cher en stamina, mais dans ce combat la stamina n’est pas un problème. Le problème c’est de démolir ce foutu roi avant que celui ci ne lance une attaque qui dure 25 frames.
Peut-être espère-t-il aussi que changer de style de combat lui offrira la miette de concentration supplémentaire dont il a besoin. De la même façon qu’un joueur de FPS joue mieux lorsqu’il vient de changer légèrement sa sensibilité, le cerveau perçoit une fine différence par rapport à d’habitude et fait des efforts supplémentaires pour compenser.
Otz se lance dans le combat de la dernière chance avec une arme jamais vue durant ses quelques 400 précédentes tentatives en stream.
Les cœurs de plus de 6 000 viewers battent au rythme des coups du Roi et des esquives d’Otz. Les rapières font énormément de dégâts mais n’ont pas de portée, le chat hurle à chaque coup manqué. Devant son écran, on recroqueville ses jambes contre sa poitrine et on se serre les mains ensemble, les plus courageux continuant d’alimenter le chat.
Le Roi fait un pas en arrière, il entame son passage en stade 2. Otz court droit sur lui, Espada Ropera et sa jumelle lui transpercent la poitrine. C’est fou les dégâts que peuvent faire deux rapières.
« Put that crown down, it’s ours now »
Le Roi d’Ivoire disparaît dans un nuage de cendres. Le combat semble avoir duré plusieurs minutes, il a duré 51 secondes. Le chat implose.
The_Happy_Hob avait hurlé de joie en terminant la God Run, Otz soupire, d’un soupire profond qui fait descendre ses épaules de plusieurs centimètres. Ses mains montent jusqu’à son visage. La qualité de la webcam ne permet pas de savoir s’il pleure.
Otz reprend la manette et ouvre son inventaire, à l’intérieur : une craie, utilisée depuis toujours par les joueurs de Dark Souls pour se laisser des messages entre les mondes. Il s’agenouille là où le roi est mort pour inscrire « visions de joie » sur les pierres de l’arène.
C’est une mécanique emblématique de la série, ces messages. Ils sont visibles par tous les joueurs qui passent là où ils ont été inscrits. Si le message est jugé utile, il peut être upvoté et son auteur gagne alors quelques points de vie. Très peu, juste assez pour dire « quelqu’un vous remercie pour ce message ».
Vous vous souvenez de l’Anneau de Pierre-Larme ? Otz ne l’a pas oublié cette fois, il a donc très peu de vie. Pourtant, immédiatement après avoir inscrit son message, ses points de vie s’envolent.
On ne peut pas les voir sur l’écran d’Otz, mais ils sont là. Des dizaines de chevaliers, d’archers, de magiciens, d’aventuriers... des dizaines de joueurs chacun dans leur partie, descendus en même temps que lui jusqu’au trône du Roi d’Ivoire pour rendre leur hommage à celui qui a repoussé la barrière du possible. Et la barre de vie d’Otz continue de se remplir, comme une centaine d’accolades données à travers les mondes.
Temps de la run : 09:00:27. Hits : 0. La partition est maîtrisée.
Remerciements spéciaux :
- Otzdarva : pour avoir gracieusement aidé à la création de cet article. Découvrez sa chaîne Youtube et sa chaîne Twitch. Découvrez aussi la run dans son intégralité sur se chaîne secondaire.
- Cwtfern : pour l'autorisation d'utiliser son illustration en vignette. Découvrez sa page Instagram.
Au jour de publication de cet article, et à l'approche du premier anniversaire de la run, Otzdarva reste l'unique personne à avoir jamais réussi Dark Souls 2 en All Bosses No Hit.