Crédit : Maxwell/Los Angeles Times
En août 2018, le magazine Kotaku publiait "Inside The Culture Of Sexism At Riot Games", une enquête révélant des pratiques discriminatoires répandues au sein des locaux californiens de l'éditeur de League of Legends. Au mois de novembre cette même année, deux femmes assignent Riot Games dans le cadre d'un recours collectif, qui compte aujourd'hui un millier de plaignantes ayant collaboré avec la compagnie depuis 2014. Au principal motif de leur action : la dénonciation d'une culture du sexisme au sein de l'entreprise, et une violation de la California Equal Pay Act, la loi de l'État sur l'équité salariale entre les hommes et les femmes.
Au siège de Riot Games, à Los Angeles, une grève de cent cinquante membres du personnel frappe la compagnie au mois de mai 2019. Tous protestent notamment contre une clause d'arbitrage forcée en cas de litiges. Cette stipulation, présente dans le contrat de travail, est généralement favorable aux employeurs et ne permet pas de faire reconnaître la responsabilité de l'entreprise. L'institutionnalisation de cette pratique avait notamment conduit Google, Facebook et Uber à y renoncer en cas de harcèlement au travail, dès le début de l'année 2019. Peu après, Riot Games s'était fendu d'un communiqué en forme de repentir.
C'est peu avant le passage à l'année 2020 que les deux parties parviennent à un accord, chiffré à dix millions de dollars pour l'ensemble des demandeurs. Les personnes indemnisées sont alors dûment représentées par le cabinet d'avocats Rosen & Saba, qui a directement mené les négociations auprès de l'éditeur. Pourtant, le deal est épinglé, fin janvier, par deux agences gouvernementales, selon les révélations du Los Angeles Times. La DFEH et la DLSE, qui agissent comme deux régulateurs, remettent en question le montant de l'accord. Dans leur compte-rendu, la DFEH estime le chiffrement des dommages et intérêts des plaignantes à 400 millions de dollars.
Des rapports qui insinuent une possible collusion
Au sens de la DFEH (Department of Fair Employment and Housing), Riot Games a cherché à « minimiser » l'étendue des dédommagements envers les femmes concernées. De plus, l'autorité pointe « qu'aucun changement exécutoire des politiques de l'emploi, dans une entreprise présumée en proie au sexisme, ne fait partie de l'accord ». La DLSE (Division of Labor Standards Enforcement) est allée jusqu'à formuler la demande de pouvoir intervenir officiellement dans les discussions, voyant dans cet accord de principe un moyen pour Riot Games de se départir de toute violation des conditions de travail de ses employées.
Concernant le montant à neuf chiffres avancé par les régulateurs, celui-ci est indexé sur la base de la disparité salariale hommes/femmes constatée par les deux agences. Par la voix de son porte-parole Joe Hixson, Riot Games a balayé un dossier juridique qualifié de « scandaleux » et de « clickbait ».
« Nous sommes particulièrement consternés que le rapport minimise et ignore les efforts que nous avons faits en matière de diversité, d'inclusion et de culture au cours des dix-huit derniers mois. Nous sommes impatients de porter notre cause devant la Cour », a déclaré l'éditeur, résolu à prouver sa bonne foi.
Mais les accusations ne s'arrêtent pas là. Dans son rapport, la DLSE n'hésite pas à mettre en cause la représentation juridique des plaignants, qui aurait commis de nombreuses irrégularités. Selon l'autorité, le cabinet Rosen & Saba n'aurait pas fait preuve de la « diligence nécessaire » lors des négociations, une formule qui rassemble les obligations légales de vigilance et d'information pour les avocats. Rosen & Saba auraient par conséquent avantagé Riot Games au dépens de ses clients, selon la DLSE.
Pire, les conclusions des régulateurs ont jeté un soupçon de collusion autour de l'arbitrage de cette affaire. L'agence met en cause la possible existence d'accords parallèles entre Riot Games et Rosen & Saba, aux dépends des plaignants. La DLSE pointe à ce titre le manque d'expérience du cabinet Rosen & Saba, et va jusqu'à évoquer des irrégularités au cours de la procédure. En réponse à ces allégations, les avocats ont vivement nié toute collusion dans leur démarche de conciliation.
Selon des documents juridiques transmis à la Cour, Riot Games indique que « l'accusation du DFEH selon laquelle Riot Games et les plaignants se sont entendus pour régler rapidement cette affaire en médiation est une erreur de caractérisation flagrante ».
« Nous avons travaillé dur avec l'avocat représentant des parties pour parvenir à négocier un accord qui, collectivement, est juste pour tout le monde », a réagi Joe Hixson dans les colonnes du Los Angeles Times. « Maintenant, la DLSE tente de perturber cet accord dans un dossier rempli d'inexactitudes et de fausses allégations », affirme le porte-parole de l'éditeur.
Les rapports de la DFEH et de la DLSE ont conduit les plaignantes à changer leur fusil d'épaule. Le collectif est désormais représenté par l'avocate Genie Harrisson, connue pour avoir soutenu des plaintes contre la société d'Harvey Weinstein. « Ces femmes courageuses se sont prononcées contre l'inégalité des sexes et le sexisme, et je veux m'assurer qu'elles soient équitablement rémunérées », a tout de suite prévenu l'avocate.
Un an jour pour jour après son enquête qui avait mis en lumière une "bro culture" endémique dans les bureaux de Riot Games, Kotaku publiait un article intitulé "Riot Employees Say Company Has Made Real Progress Fixing Its Sexism Issues,", qui faisait le constat de réels progrès de la part de la firme dans sa lutte contre le sexisme au travail.