La rencontre s'est enflammée d'un coup, avant d'être éteinte par les officiels. Dans son premier match retour en Ligue Française de League of Legends, la LFL, GamersOrigin a laissé échapper une victoire qui lui tendait les bras contre Vitality.Bee. Ironie du sort, les remaniements au sein de la composition alignée par l'académie Vitality — qui restait sur une dernière semaine blanche — ont depuis été contestés par les instances de la ligue, qui ont pointé un conflit de titulaires avec l'équipe mère du LEC. Déclarés forfaits pour un soir, les circonstances vont en la faveur d'un GamersOrigin à qui tout sourit depuis janvier.
Arrivés avec six victoires pour deux défaites à mi-parcours, les GO ont réussi à négocier le virage de 2020 pour leur deuxième saison en LFL. Au cœur de leur nouveau dispositif, figure un visage déjà familier, celui de Loïc "Toucouille" Dubois, qui découvre à dix-huit ans sa première ligue professionnelle avec des rouge et blanc bien rodés. Vainqueur de l'Open Tour 2019 avec IZI Dream, la recrue phare de GamersOrigin a donné le ton pour l'année à venir depuis son départ tonitruant contre Solary en ouverture, fin janvier. Le midlaner avait remporté la palme de la rencontre avec son Lucian au cours d'une victoire éclair de 21 minutes de jeu.
Malgré les aléas du début de la phase retour, plus une victoire indue, Vitality.Bee reste bel et bien le grand méchant loup de cette saison pour le midlaner. « Ce sont les plus durs à jouer. Ils sont imprévisibles. À n'importe quel moment, ils sortent de nulle part, ils t'engagent à cinq, et boum ! ».
À l'aller comme au match retour, Toucouille a joué deux fois LeBlanc contre le favori. Dans les deux parties, deux Voleur d'Âme de Mejai trônent dans son inventaire et en disent long sur les traits facétieux du personnage, fort d'un naturel et d'un humour bien à lui à l'ombre des caméras. « Il y a des gens qui m'ont dit, un jour : "tu pourrais peut-être passer pro". Je me suis dit "cool", en plus je ne savais pas trop quoi faire de ma vie », résume-t-il en large s'il doit faire un bond de trois ans en arrière.
« Je ne voyais pas bien comment je pouvais en faire un métier. Pour moi, c'était plein de mecs de vingt piges qui galéraient, et qui étaient chez eux au chômage à rien faire. Et qui touchaient au mieux trois cent euros par mois ».
En 2017, les équipes françaises capables d'assurer des revenus décents se comptent sur les doigts d'une main. Toucouille intègre Beyond The Rift, le premier projet de Fabien Bacquet, avant que le manager ne parte fonder Gentside, où Saken et Trayton se révéleront au grand public tout au long de la première année de l'Open Tour.
« J'étais au lycée. Mes parents n'étaient pas "chauds" : je n'avais pas beaucoup de garanties à leur offrir. Le mieux que je pouvais leur dire, c'était : "je crois qu'il y aura un petit salaire, je ne suis pas sûr". Trois ou quatre cent euros, pour des parents, ce n'est pas très rassurant ». À seize ans, le jeune joueur décide d'une longue pause de la compétition après une première expérience de quelques mois, et rate le mercato pour l'année 2018. Toucouille se retourne vers la compétition lorsque Abuzorus, le manager de l'équipe MiF (Made in France), le convainc de revenir à la midlane.
« Abu' m'a chauffé. Il m'a dit qu'il avait un super projet, et moi, je voulais reprendre. Je pense que c'était un des meilleurs projet que je pouvais espérer pour repartir. Je n'étais qu'avec des joueurs à temps plein, et motivés ».
La petite structure défraie notamment son effectif à la Gamers Assembly, à la DreamHack Tours ainsi qu'à l'Occitanie Esport 2018. À cette époque, les places des podiums sont verrouillées par Gentside, GamersOrigin, Vitality Academy ou Team LDLC. De MiF à Supremacy, la seconde moitié de l'année 2018 débouche sur une sixième place honorable pour Toucouille, dès la première édition de l'Open Tour.
Mais son talent indéniable, Toucouille a dû le confronter à sa santé depuis le premier jour. Car il est atteint d'une pathologie, la maladie des os de verre, qui est susceptible de limiter ses déplacements. « Elle est passée dans le film Incassable, du coup, elle est un peu connue, alors qu'elle est super rare », comme en atteste le joueur. Dans les faits, ses os sont plus fins et plus fragiles que la moyenne, et le blanc de ses yeux légèrement bleuté.
« J'ai de la chance que ce soit "soft" pour moi. Il y a des personnes qui sont obligées de vivre en fauteuil roulant toute leur vie ». Trois, voire quatre fractures depuis tout petit, ne l'ont pas empêché de pratiquer sans contre-indications et de se maintenir au haut niveau. Auprès de ses parents, Toucouille parvient d'ailleurs à négocier une année sabbatique, après le Bac, pour tenter sa chance.
« Pour passer de semi-pro à pro, il faut faire ses preuves, et il faut en plus être à plein temps. J'étais en Terminale quand la LFL a été créée et Team aAa voulait me recruter, mais j'avais un emploi du temps pas très compatible. Les jours de match, je finissais à dix-huit heures, par exemple. Et puis presque toutes les équipes de LFL avaient déjà de bons mids », se souvient le midlaner.
Les grands mercatos n'arrivent qu'une fois par an, durant la période de novembre à décembre. En parallèle du démarrage de la LFL, Toucouille continue les tournois au gré des LANs pendant les premiers mois de 2019. Il s'essaye avec plusieurs équipes et change de coéquipiers, parmi tous les joueurs qui n'ont pas été retenus par la ligue française. Puis, il achève son pèlerinage en compagnie de Vince, Bloody, LaFleur et Nolan, qui deviendra par la suite le roster complet de l'équipe IZI Dream.
« IZI Dream voulait se lancer et ils n'avaient rien du tout. La première fois où l'équipe et IZI Dream se sont rencontrés, pour voir ce qu'on pouvait faire ensemble, c'était une bonne expérience, à ce qu'on m'a dit ». Le club Aixois a sorti le grand jeu et Toucouille n'est pas du voyage, retenu par ses parents, soucieux du trajet à parcourir. Mais il raconte l'histoire comme s'il y était.
« On n'était pas prêts pour ça : on y est allé en avion, aller-retour Paris jusqu'à leur ville, pour aller voir un match du PAUC, le club de handball qui est derrière IZI Dream. C'était contre le PSG en plus, il y avait beaucoup de monde. On a eu accès à des supers loges, à un super hôtel et tout le monde était un peu sous le choc : jusque-là, en Open Tour, on avait juste l'habitude de se faire entuber de tous les côtés. On a signé tout de suite ».
Le bootcamp commence à la mi-juin de l'année dernière. « C'était juste après mon Bac, en fait. Mes coéquipiers ont eu quatre ou cinq jours de bootcamp sans moi, j'ai fini le Bac et direct, j'ai pris un train pour Aix », résume Toucouille, comme pour marquer d'une pierre blanche le début d'une nouvelle ère.
IZI Dream concourt dans la deuxième édition de l'Open Tour, qui voit son format évoluer à travers des tournois-étapes en ligne, chaque mois. L'équipe s'engage dans la compétition avec un léger retard, lors de la troisième étape. Rapidement, IZI Dream trouve en Bastille Legacy son rival pour cette année d'Open Tour : l'équipe de Decay remporte à ce titre les troisième et quatrième étape de la compétition. « Bastille Legacy avait le titre à portée, et ils se sont ratés sur une étape. Donc on s'est retrouvé à la première place », rappelle Toucouille. Le format très punitif de l'Open Tour, rompu aux "Best of 1", est en partie responsable de la déroute des BTL dès le premier tour de la septième étape, remportée par les Aixois.
« Mathématiquement, on était sûrs de rien. Mais si on gagnait les deux dernières étapes, on était vainqueurs. Et on a réussi à faire ça ».
Auréolé de son titre de champion de l'Open Tour dès sa première année, IZI Dream vise la LFL. L'intégration de l'équipe au plus haut niveau français est une belle récompense pour tout le club, mais Toucouille a du mal à dissiper ses doutes. Confronté à la réalité du niveau de la ligue lors des Underdogs 2019, il se remémore avoir éliminé Solary, puis Misfits Premier, avant de « s'être fait souiller par GamersOrigin », trois à zéro, en demi-finale.
« Je voyais un peu les limites d'IZI Dream. Je sentais que l'année d'après n'allait pas être meilleure si je restais avec eux. J'ai eu de bonnes équipes de LFL qui m'ont contacté : c'était inattendu pour moi », témoigne celui que le public a tout de suite adopté, en tant que figure de proue de la deuxième vague de talents charriée par l'Open Tour en France.
Cet engouement autour de sa personne, le midlaner le renvoie à l'addition entre l'attente des fans et sa petite réputation. « Au précédent split, tout le monde s'attendait à me voir en LFL. On pensait vraiment que j'allais y être, et les gens étaient aussi heureux d'avoir la LFL pour enfin me voir jouer. Donc les spectateurs sont un peu restés sur leur faim, je pense ».
Recruté par GamersOrigin à l'intersaison pour la saison 2020, Toucouille place les infrastructures de l'équipe et la qualité de son encadrement au centre de son engagement. À Paris, il dispose de grands locaux tous neufs, et de son propre appartement, à deux pas.
« On a besoin d'être encadrés, d'être avec des joueurs cools et qui ne s'engueulent pas. Il faut que le staff gère, et c'est le cas ici », affirme le midlaner, qui parle d'expériences passées. « Le pire, c'est que c'est toujours des petits conflits, et vu qu'il n'y a personne pour les gérer, ça s'amplifie, et c'est juste chiant. Tu arrêtes de progresser ».
Et puis, forcément, pour un joueur rookie qui a fait ses armes en 2017 et en 2018, le nom de GamersOrigin a une résonance toute particulière lorsqu'on jette un œil à l'armoire à trophées de l'équipe. Ce gage de qualité, Toucouille l'a retrouvé auprès de son nouveau coach Finlay "Quaye" Stewart, ex Fnatic et MAD Lions, mais aussi auprès de ses nouveaux coéquipiers. Pour Yann-Cédric Mainguy, Directeur esport de GamersOrigin, le retour de Shemek, toplaner des GO durant la saison dorée de 2017, a pesé lourdement dans la balance.
« Shemek était notre préférence pour la toplane cette saison, et il s'avère qu'il pratiquait beaucoup en duo avec Toucouille. À l'époque, Toucouille était chez IZI Dream, donc pas prenable sur le papier. Il nous a signifiés que son contrat se terminait bientôt, et qu'il pourrait nous rejoindre en même temps que Shemek. On a fait une proposition, et on est tombés d'accord très vite ».
« Pour ce split là, j'ai déjà envie qu'on réussisse en tant qu'équipe. Après, personnellement, j'ai aussi envie de progresser en tant que personne », déclare au bout du compte la nouvelle mascotte de la LFL.
« Quand j'étais à l'école, j'étais un peu renfermé. Chez IZI Dream, un peu aussi. Je n'allais pas trop vers les autres, je ne connaissais pas trop les joueurs et les équipes de LFL. J'ai adoré répondre aux interviews lors de l'ouverture par contre, de parler de moi, et peut-être inspirer d'autres gens ».
Et au staff de s'assurer, par l'intermédiaire de son directeur, du mot de la fin. « On est très heureux de bosser avec Toucouille, tout se passe très bien depuis le début : Toucouille progresse extrêmement vite, et est un véritable moteur dans l'équipe. Pour moi, c'est le meilleur midlaner de la ligue aujourd'hui ».
Merci à Toucouille et à GamersOrigin d'avoir répondu à nos questions.
Crédits : BTR, Supremacy, @Krok_esport