Alors qu’il s’apprête à affronter Chaos dans le cadre de la Rainbow Six Pro League, Léo Robine retrace un début de carrière qui pourrait inspirer petits et grands.
Comment se fait-on repérer lorsqu’on a 15, 16 ou 17 ans ? D’autant plus quand il n’existe pas encore de centre de formation ou de structures professionnelles disposant d’une vraie académie sur Rainbow Six...
Qu’on soit jeune ou pas jeune, c’est toujours le même circuit, il faut commencer en amateur. Tu as deux manières d’y arriver : tu as un peu la première voie, où tu vas stick avec une équipe - avec laquelle vous allez monter ensemble. C’est un peu la meilleure. Et sinon tu as la voie un peu plus particulière où t’es dans une équipe et tu as un meilleur niveau que ton équipe. Tu vas te servir de tout ce que les joueurs autour de toi peuvent t’apporter en termes d’expérience pour devenir meilleur. Et si malheureusement l’équipe traine en termes d’ambitions, que vous avez des divergences de visions sur le long terme et sur la compétition, il vaut mieux partir et trouver une autre équipe avec les mêmes ambitions.
Mais comment se démarquer de l’extrême concurrence présente à l’heure actuelle dans le subtop de la discipline ?
Le plus simple, ça reste de faire des cups en amateur, de se faire repérer parce qu’on est bon, de monter dans une équipe qui a les moyens de se faire repérer en Challenger League ou sur les événements français. Et à partir de là, tout part en fait. Le fait d’être reconnu c’est important, parce que c’est à partir de là que tu apparaîtras sur une liste de recrutement.
Une liste de recrutement ?
À chaque fois qu’on fait un recrutement dans un roster de haut niveau, il y a une liste de personnes qui est décidée avec le coach et l’équipe. Avec un ordre dans cette liste, sur qui s’assimilerait le mieux dans l’équipe. Le but c’est d’avoir un bon niveau, une bonne image dans tout ce qu’il y a autour du jeu, qui pourra faire qu’on aura un avantage dans cette liste et qu’on pourra devenir un choix intéressant par rapport aux autres.
Pour ta part, tu as commencé à être reconnu chez DizLown, une équipe de joueurs mineurs qui obtenait de bons résultats en Lan. Quelles étaient les clefs de cette réussite ?
Aujourd’hui, si je dois analyser notre succès avec DizLown, je dirais qu’il est relatif. Parce qu’on était absolument pas attendus ni préparés par les autres. Le fait de jouer en Pro League là, toutes les semaines, je vois une très grosse différence dans la préparation. On est analysé sur tous les angles par je ne sais combien d’équipes. À chaque fois qu’on joue un match, l’équipe en face nous a préparé pendant plusieurs heures. C’est ultra-important. Alors que nous, quand on était avec DizLown, on avait un bon effectif, avec des joueurs de talents, mais on faisait toujours la même chose. Encore, encore et encore. Pour éviter d’avoir à s’adapter de trop, pour éviter qu’on fasse trop d’erreurs de tenue de flancs. Car quand t’es jeune, tu bouges beaucoup, tu n’es pas assez patient. Apporter du cadre à ce jeu-là, c’était avoir des strats en attaque qui ne bougeaient pas beaucoup. Du coup, le fait de faire toujours la même chose c’est très bien - ça nous permettait de fonctionner contre des équipes pros qui ne nous avaient pas analysés -, mais si DizLown s’était qualifié en Challenger League ou en Pro League ça aurait été beaucoup plus difficile.
Tu penses que vous n’auriez pas performé en Challenger League ?
On aurait dû s’adapter, arrêter de faire des strats en attaque qui étaient toujours pareilles… Je dirais que notre succès était principalement dû au fait qu’on faisait toujours la même chose. On était bon, avec un effectif de joueurs qui savaient bien jouer, ça permettait de faire des résultats qu’on n’attendait pas. Maintenant est-ce que c’était suffisant pour performer en Challenger ou en Pro League ? Je ne pense pas. Parce qu’il n’y avait pas du tout toute cette partie adaptation et renouvellement de niveau. Si on nous mettait dans nos retranchements en nous contrant et en faisant de l’anti-strat, je ne pense pas qu’on aurait été capable de réagir.
Maintenant que tu es en Pro League, avec le recul nécessaire, si tu devais nous livrer des gros potentiels actuels qui pourraient envisager de jouer en Pro League un jour, lesquels seraient-ce ?
Des jeunes qui ont du potentiel, il y en a énormément et c’est très dur, comme ça, de n’en dire que quelques-uns. Évidemment, je pense à mes anciens teammates de chez DizLown. Pour moi, Blaz - même s’il est banni temporairement - a un potentiel incroyable. Krunch aussi a un potentiel incroyable. Donc forcément, tout de suite, je pense à eux. Mooti aussi a un potentiel de fou, même si pour lui c’est plus une question d’ambitions. Après, une équipe que je surveille en ce moment et que je trouve super parce qu’elle me fait vraiment beaucoup penser aux DizLown d’il y a un an, ce sont les nouveaux DizLown. Une bande de cinq mecs qui trainent sur les cups amateurs, sont underages et commencent à avoir un jeu beaucoup plus cadré en prac'. Ils sont en train de beaucoup progresser en équipe et moi ça me fait dire qu’ils sont capables de surprendre. Dans cette équipe-là, tu as vraiment du très bon potentiel.
Puisqu’on parle des joueurs mineurs, que penses-tu de la récente restriction d’âge imposée par l’éditeur du jeu quant à ses tournois, notamment en France ?
Je trouve ça évidemment dommage. Avoir un jeu comme Rainbow Six et y jouer quotidiennement quand on a 16 ans, ce n’est pas dangereux pour la santé ; quand on voit tout ce que ça peut apporter de manière positive. Il faut arrêter de dire que ça rend violent, il y a des études qui sont sorties là-dessus - qui prouvent bien qu’il n’y a pas de corrélation entre jouer à des jeux vidéos violents et être violent. Moi, si j’en suis là, c’est grâce aux événements français. Grâce au fait qu’on a pu se montrer avec DizLown et jouer contre des équipes pros en Lan ; montrer qu’on avait du niveau alors qu’on était tout jeune. Et si à l’heure actuelle s’il y a un deuxième mec comme moi et qu’il veut faire pareil, il ne peut pas.
Tu dis que le jeu vidéo peut apporter des choses positives. Lesquelles par exemple ?
Souvent, on a énormément de préjugés sur les jeux vidéos quand on n’est pas dans cette sphère-là. À savoir : c’est une réalité virtuelle, les gens s’enferment complètement, ils ont un rythme de vie pourri, ils mangent mal... Ça, ce sont les préjugés du jeu vidéo. Maintenant, c’est comme tout. [L’esport], tu peux en faire de bonnes choses. Si tu commences à t’ouvrir au monde, à discuter avec des gens qui viennent d’Allemagne, d’Espagne, voire d’outre-Atlantique, que tu commences à développer tes langues étrangères tout en jouant autour de ta passion, c’est génial.
D’ailleurs, tu as appris l’anglais grâce aux jeux vidéos ou c’est venu en complément ?
À l’école, je n’étais déjà pas trop mauvais en anglais. Mais ça a été un complément de dingue de pouvoir jouer en anglais tous les jours. À quinze ans, j’ai eu ma première équipe internationale, avec trois Allemands qui parlaient très bien anglais et qui étaient cinq à six ans plus âgés que moi. Grâce à ça, j’ai pu entrainer mon Anglais pendant tout un été. Donc les jeux vidéos tu peux en faire quelque chose de super positif. Ça peut développer ta créativité, ton sens de l’analyse, ton anticipation, tes langues étrangères, ta culture…
J’imagine que tu peux aussi apprendre à te contrôler sur un plan émotionnel ?
Tout à fait ! Je pense à Blaz, par exemple, qui était un peu sanguin avant de nous rencontrer. Il est devenu beaucoup plus calme et beaucoup plus reculé. Avec juste des conseils qu’il appliquait en jeu, il a grandi humainement. Et tu vois, ça je trouve que c’est génial de grandir de sa passion comme ça.
Toi tu as grandi encore plus vite ! À 18 ans, tu es déjà dans un roster qui évolue au plus haut niveau du monde professionnel de Rainbow Six. C’est un parcours très peu répandu. Quel est l’ingrédient mystère dans ton cas précis ?
En vrai, je m’y attendais à cette question-là un jour ou l’autre (rires). Je pense que le plus important, vraiment, c’est que ce soit ta passion. Il faut aussi te joindre à des gens qui sont prêts à tout sacrifier pour aller très loin. Car tu sacrifies énormément de choses. J’ai passé trois ans à faire des horaires impossibles : me lever à 7 heures du matin pour les cours, revenir à 19 heures, prac’ tous les soirs pendant 3 heures en étant fatigué. Mais juste parce que c’est ta passion et que tu veux tellement tout donner pour arriver un jour à vivre de ça… Faut que tu sois prêt à le faire. Prêt à faire ce sacrifice personnel qui est incroyable. Quand t’as une famille, une copine, des potes et que tu ne peux pas sortir le soir parce que tu dois t’entrainer… Voilà, ce sont des sacrifices que t’es obligé de faire.
Tout cela reste commun à pas mal de joueurs qui sont dans une optique de devenir professionnel. Mais il y a un bien d’autres aspects qui ont été déterminants pour toi, non ?
Gérer son image. On ne le dit pas assez, mais c’est super important. Si les gens n’ont pas une bonne opinion de toi, si tu rages, si tu n’es pas prêt à travailler, si tu n’aides pas pour les strats, si tu n’aides pas ton coach, que tu n’es pas coachable… Ce sont autant de barrières que tu te mets dans la vie pour être recruté plus tard. C’est important d’être toujours quelqu’un de positif. Le positif apporte du positif. Si t’es sympa avec tes teammates, ils te le rendront plus tard quand on leur demandera : « Eh ! t’as joué avec ce mec. Est-ce qu’il était sympa ? Est-ce que c’était un bon coéquipier ? » Ça aussi, c’est super important. Après, le reste, pour moi ce n’est pas une question de talent. Tu commences avec un avantage par rapport aux autres ? OK, tu le cultives. Et si tu n’as pas un super avantage par rapport aux autres, bah tu travailles encore plus dur pour y arriver.
Au fait, comment s’est déroulé ton transfert chez LeStream ? Qui t’a contacté en premier et quelle a été ta réaction ?
Tout s’est fait en face à face et beaucoup plus tôt que ce que les gens le pensent. Ça s’est fait à la Paris Games Week. On va faire simple : je viens de me faire kick de Pro League, ce n’est pas la joie. Je vais jouer la 6Cup avec un mix de potes. On fait une perf’ catastrophique et individuellement ça a été mon pire event, de toute ma carrière. J’ai fait vraiment de la merde. Je sors de scène, j’ai perdu contre l’équipe qui vient de me kick [Supremacy], donc là je me dis que ça va être dur de rebondir dans ma carrière. Tout de suite après, dans les coulisses, je vois Fufu et Scok avec qui je converse à propos de la défaite. On refait le match et là je vois Risze qui pope dans la discussion. Et à la fin de la discussion il me dit : « Écoute, faut qu’on te parle avec Crapelle. Il t’enverra un message dans l’aprèm. On se cale un petit truc, il faut que je te parle. » Risze, je ne lui avais jamais parlé avant. C’est un mec que j’admirais justement pour son image, parce que tout le monde en dit du bon et aussi parce qu’il est juste monstrueux.
Du coup, ça t’a mis la puce à l’oreille…
Je suis là, en mode : « Attends, c’est l’un des meilleurs joueurs francophones du moment. Il est - pour moi - dans l’équipe francophone qui a le mieux marché sur ce jeu et là il veut me voir pour parler avec son coach. Qu’est ce que c’est ? Est-ce qu’ils vont me proposer une place de remplaçant ? » Je ne voyais pas ce que ça peut être d’autre qu’une offre. D’autant plus qu’il y avait déjà eu des bruits de couloirs comme quoi j’étais sur leur fameuse liste de recrutement s’ils étaient un jour amenés à faire un changement. Du coup arrive ce fameux meeting en fin de journée. J’avais tremblé durant trois heures, car j’étais impatient de savoir ce que c’était. Et le moment fatidique arrive enfin : « voilà, on va faire des changements dans l’équipe. Voici les raisons des changements... » Et arrive le moment où ils me disent « nous on aimerait te prendre dans l’équipe. Tu devras être à plein temps, tu mets en pause tes études, voilà ce que t’auras en conditions de salaires, de vie et de jeu. Voilà l’équipe que tu vas rejoindre si tu dis oui. » Sur le moment, je me suis senti vraiment chanceux. C’est quelque chose que j’attendais depuis des années et ce pour quoi je me bats depuis toujours, donc j’étais vraiment content. Puis je me retourne et je regarde le stand Rainbow Six. Je me dis que ma famille est venue me voir pour la première fois. Ma mère qui a des difficultés à se déplacer parce qu’elle a un handicap, mais qui a fait l’effort de venir, ma copine qui est là, mon frère… Je les réunis tous autour de moi et je leur dis : voilà l’offre que j’ai là. Est-ce que j’arrête mes études et je me lance ?
À mon avis, tu as dû te décider très vite…
La nuit porte conseil. Même si en m’endormant je savais déjà ce que j’allais dire (rires). Je me lève le lendemain et je me dis que c’est impossible de renoncer. C’est fou, c’est le rêve, je me bats tellement pour ça qu’il n’y avait même pas besoin de réfléchir. Je vais regretter toute ma vie si je ne dis pas oui. Donc j’ai pris mon téléphone et j’ai envoyé le message à Crapelle.
L’organisation de LeStream Esport permet aujourd’hui à ses éléments Rainbow Six de vivre en Gaming House. De quelle manière cela affecte-t-il ton quotidien ?
Beaucoup de gens pourraient te dire d’imaginer que t’as le boulot à ta porte tous les jours. D’imaginer que tu vis « dans » ton boulot. Ça peut être quelque chose de mauvais. Il y a beaucoup de spécialistes du travail qui vont te dire qu’être à 100 % sur ton lieu de travail, vivre sur ton lieu de travail ce n’est pas bon. Mais en fait, toutes ces personnes-là ne se rendent pas compte du milieu dans lequel on est. On est dans l’esport ! Notre passion a toujours été d’être devant le PC. On a toujours un peu vécu dans notre chambre pour bosser, ce n’est pas un problème. Surtout que les mecs avec qui tu passes beaucoup de temps, généralement tu t’entends bien avec. Évidemment, comme dans n’importe qu’elle équipe t’as des tensions à un moment. T’as des choses qui vont mal se passer et cette fois-là tu devras affronter les mecs en face à face parce qu’ils vont te dire : « bah ouais ! t’as fait de la merde là », et ils sont là, en face de toi. Mais en même temps si tu veux grandir et si tu veux être professionnel, tu te dois de prendre sur toi les critiques. Au final, ça fait partie de ton job, donc ça ne peut pas être un problème quand tu vis en coloc’. C’est juste productif.
Comment se déroulent tes journées ?
J’ai un rythme bien calé. La journée type c’est : tu te lèves, il est 12h ou 13h, tu te douches, tu manges. À 14h, c’est entraînement, session de visionnage de vidéos et autres exercices théoriques individuels ou collectifs, jusqu’à 17h. De ce moment à 19h j’ai du temps libre pour faire ce que je veux. Ensuite, on repart sur un deuxième entraînement qui est un prac’. Il faut savoir qu’on bosse à moitié de nuit. Toutes les autres équipes ne sont pas forcément à temps complet, donc on est obligé de faire des practices tard le soir. Tu finis ton prac’ vers minuit, tu prends quelques heures pour toi : il est vite 3h du matin. Tu t’endors et ainsi de suite.
Ça ne te laisse que très peu de temps pour toi au final…
Après, les doubles entraînements c’est un rythme très soutenu et on n’en fait pas tout le temps. Donc heureusement, on fait attention à ne pas faire plus de deux ou trois jours par semaine comme ça, pour que des fois on ait notre aprèm pour faire autre chose. Pour sortir, faire du sport...
Votre intensité d’entraînement a justement dû s’accélérer drastiquement ces dernières semaines, notamment pour la préparation du match face à Chaos - avec une qualification pour les Finales de Pro League en cas de victoire. Comment appréhendes-tu le match et quel est ton moyen d’évacuer la pression ?
J’ai toujours été un mec anxieux donc ça n’aide pas forcément. Mais au final, avec l’expérience de trois années à faire des pracs et des matchs compétitifs, ça va mieux. Ça peut quand même te bouffer le jour même, te prendre aux tripes. J’en parlais d’ailleurs avec Biboo avant-hier. Il me disait que tous les jours où tu as match, tu sens que t’as envie d’y aller. C’est du stress positif. Maintenant l’état d’esprit c’est que c’est le match le plus important de la saison pour moi. Celui où il ne faut pas se louper. Beaucoup de gens nous donnent favoris aussi, donc c’est une pression en plus à gérer. Mais clairement, j’appréhende le match comme n’importe lequel autre. En plus, on va mettre le paquet sur la préparation. Je sais qu’on sera prêt. On l’est toujours à chaque match.
La place de favoris, on ne peut pas dire que tu l’as énormément connue chez Supremacy. Qu’est-ce qui n’a pas fonctionné là-bas pour toi ?
Je retiens beaucoup de positif de cette époque. Les joueurs avec qui j’étais étaient des crèmes. Peu importe ce qu’il s’est passé, on a toujours gardé la tête haute et gardé le mental. Et ça, c’est incroyable parce que je pense qu’il y a peu d’équipes qui auraient survécu à un truc comme ça. D’un côté personnel, j’ai beaucoup évolué. Parce que j’ai joué en Pro League, j’étais Leader in Game, donc j’ai appris beaucoup de choses sur la vision du jeu. On a essayé beaucoup de choses pour que ça fonctionne. J’ai essayé trois leads différents : un lead très cadré à la Vitality et Empire ; un lead semi-encadré à la Vitality, mais, si tu vois quelque chose, tu t’adaptes à la G2 ; et un lead calqué sur G2, en essayant de construire une attaque adaptée en fonction des informations qu’on récupère au drone. Ces trois leads différents m’ont fait beaucoup progresser. Même si c’était beaucoup d’échecs, avec tous les changements de rôles et d’opérateurs, je pense qu’on en est tous ressortis en ayant progressé.
Pour en revenir à ta gestion des matchs d’aujourd’hui : as-tu des rituels pour te débarrasser du mauvais stress ?
Il y a une petite liste de choses à faire… (rires). Bon déjà, première étape quand tu vas faire ton match, c’est d’aller aux toilettes pour évacuer tout le stress, tu vois ce que je veux dire (rires) ? C’est très important ! Ensuite, l’eau sur le visage, de l’eau chaude sur les mains pour avoir les mains bien chaudes. Après on arrive, on lance le jeu, le MOSS et le Wire. Pendant ce temps-là, on ferme les yeux et on écoute le remix de Au cœur de la nuit de Worakls. Soit cette musique-là, soit la musique du Six Invitational. À chaque match j’écoute ça au moment où je suis dans le lobby, pendant que les casters font la présentation du match. Nous on est tous là, dans le lobby, et moi j’ai cette musique-là dans les oreilles.
En mode Ligue des Champions quoi…
Comme si je rentre sur le terrain, ouais. Après évidemment t’as le coach qui fait les rappels de préparation, donc la musique n’est pas trop forte, mais il faut absolument ces musiques-là, sinon je perds mon match (rires).
Tu as l’air d’être très proche de Risze. Quelle est votre relation ? Est-ce un collègue, un ami ou, carrément, une sorte de grand-frère ?
Dans cette équipe j’ai l’impression que tout le monde est ami avec tout le monde. Maintenant pour Risze c’est vraiment particulier. C’est le capitaine de l’équipe, mais aussi le plus âgé. Il a ce rôle de « grand-frère » que doit avoir un capitaine. Plus particulièrement avec moi parce qu’il parle français, donc ça rapproche tout de suite ; on a été collègue de chambre sur le premier tournoi international que j’ai fait ; c’est lui qui a facilité mon intégration dans l’équipe ; c’est lui qui était là à chaque fois que j’étais en stress pour me déstresser et faire un gros travail en disant : « on croit en toi, il n’y a pas de soucis, soit confiant » ; c’est souvent lui qui a les mots importants pour moi. Et ce regard, cette attention particulière pour que je me sente intégré dans l’équipe. Bref, je lui dois beaucoup et évidemment ça crée une relation particulière.
Le fait qu’il y est autant de confiance entre vous ne risque pas de déborder sur le plan professionnel ? Dans le sens où il devient parfois difficile de séparer le côté ami et le côté collègue au moment d’aborder les critiques...
C’est vraiment marrant que tu touches à ce point-là parce que j’ai une anecdote (rires). En fait, la première grosse critique que j’ai prise de la part de toute l’équipe est venue d’un prac’. Ça faisait quelque temps que je faisais des erreurs à la con et il était temps que je réagisse là-dessus. On venait de me mettre depuis pas longtemps sur le rôle de hard breacher et j’avais encore beaucoup de mal à ne pas me donner. Il faut être très safe quand on joue à ce poste, car c’est comme le gardien de but au foot : quand tu fais une erreur, ça pénalise toute l’équipe directement, instantanément et de manière super forte. Et c’est donc [Risze] qui m’a fait la dernière réflexion avant que je change. Il me l’a fait très durement pour que ça me touche et venant de lui, encore plus évidemment, ça pesait lourd. Mais c’est notre boulot et comme je te le disais : prendre la critique c’est super important. C’est grâce à ça que je suis là aujourd’hui ; c’est parce que j’ai toujours écouté et essayé de progresser sur ce qu’on me disait. Aujourd’hui, j’arrive à faire la part des choses. T’as tout le côté perso, l’amitié, et t’as tout le côté boulot. Si on te fait une réflexion sur le travail, tu réagis comme un pro : « Ouais, d’accord. Je vais bosser dessus », et ce n’est pas parce que ça vient de Risze ou de Crapelle que ça doit avoir une différence.
On t’a récemment intégré à notre équipe type de la dixième journée de Pro League S9 (face à Na’Vi). Tu étais sur un poste plutôt nouveau pour toi, mais cela ne t’a pas empêché de réaliser une partie riche en kills et en stats d’efficacité. Le fait de t’être reconverti en support - hard breacher plutôt que support - flank holder, au final, ça a l’air de te faire du bien…
Le call de me placer sur ce rôle est venu d’une discussion avec Hicks, Risze et Crapelle, après le Six et notre mauvaise performance. Même si ce n’était pas directement lié, ils se sont dit : Hicks joue hard breacher par défaut parce qu’avant personne ne pouvait le jouer. Alors que c’est un des meilleurs flex du monde. Pourquoi est-ce qu’on ne met pas Hicks en support - flex et Alphama, qui est prêt à tout apprendre et tout jouer, en hard breacher ? Ça va lui apprendre à jouer plus safe tout en mettant Hicks dans son rôle de prédilection. C’était pour moi la meilleure décision à prendre parce que le fait d’arriver dans un tel rôle, ça m’a mis une grosse claque. Au début, c’était dur, mais au final j’ai énormément appris sur comment jouer de manière plus safe et comment progresser instantanément sur tous mes axes de travail. C’est totalement bénéfique au niveau de l’équipe et pour mon niveau.
Le rôle de support - flank holder qu’occupe actuellement Hicks est un peu moins connu et compris du grand public. Que peux-tu nous dire à propos de ce rôle ?
C’est le second support. Tu dois être très patient, droner un maximum pour supporter les coéquipiers, garder des zones, tenir des angles et être capable de changer d’opérateurs d’un round à l’autre pour que ton utilité soit intéressante. Du coup, tu développes peu ton propre jeu, mais tu sers l’équipe. Je pense que ce rôle-là va mieux à Théo [Hicks] parce que c’est son rôle de prédilection. C’est un mec qui est très patient de base, qui est très intelligent, qui une bonne vision de jeu. Ça peut aussi lui permettre de lead plus facilement.
Sinon, le turn avec Clash contre la Team Secret : tu nous expliques ?
Je me retrouve en un contre un avec le diffuseur à l’étage en dessous. Le mec est proche et moi avec un bouclier. Je me dis que je n’ai plus le choix et dans ma tête ça fait une étincelle. Je m’approche de lui, je vois qu’il commence l’animation du cut [mettre un coup mortel, à courte portée], du coup je me retourne ; il commence à me tirer dessus en ratant les balles, j’ai le temps de me retourner une nouvelle fois et de le tuer. Il a un peu paniqué. C’est Fonkers, il jouait son deuxième match de Pro League. C’est un joueur qui est exceptionnel, très bon et qui a beaucoup de potentiel, mais il est un peu inexpérimenté, alors j’en ai profité (rires).
As-tu l’impression que des vestes se sont retournées ? Qu’il y a plus de confiance envers toi depuis l’extérieur de l’équipe maintenant que tu livres de très belles prestations en Pro League ?
C’est marrant parce qu’on était à l’anniversaire de Théo il n’y a pas longtemps et il y avait Spark et Biboo [de la Team Vitality]. On discutait de mon entrée dans l’équipe et de comment je l’ai ressentie. Le transfert était très loin de faire l’unanimité dans le cercle professionnel. En face de moi tu avais Liven et Renshiro, des monstres de la scène française en termes de palmarès, qui se font éjecter de la meilleure équipe de France - désolé Biboo, mais pour moi Millenium c’était la meilleure équipe de France (rires) -, et moi qui les remplace après une saison catastrophique chez Supremacy. Évidemment, je peux tout à fait comprendre les doutes qu’il y a eu autour de moi. Mais quand je suis rentré dans l’équipe, ce qui comptait ce n’était pas ce que les gens pensaient à l’extérieur, mais ce que les gens pensaient à l’intérieur. Si mes coéquipiers avaient confiance en moi, alors j’allais pouvoir progresser.
Il faut dire qu’il y avait une place à prendre... Des joueurs qui étaient en place dans le game depuis longtemps et qui se sont dit que c’était leur chance. Et au final ils voient Alphama, 18 ans…
Tout à fait, il y avait des monstres de la scène française qui étaient possiblement approchables, qui auraient pu être des recrues potentielles et bonnes pour cette équipe-là. Sauf qu’on me voit débarquer alors que j’étais très loin d’être le meilleur choix sur le papier. Maintenant, avec tout le travail qu’on a fourni avec l’équipe ; que ce soit au niveau des strats ; de mon rôle de hard breacher, que je commence de mieux en mieux à gérer ; de toutes ces bonnes stats en matchs, je pense que je commence à convaincre les gens que j’avais ma place. Après, ce qui compte le plus pour moi ce sont les mots de Crapelle après le match où l’on a gagné sur Banque contre Mouz. Même si je ne fais pas une partie exceptionnelle sur ce match là, il a dit que j’avais prouvé que je suis à ma place dans cette équipe et que je suis là pour rester. Pour moi, c’est vraiment ce qui compte.
De toute façon, on est dans un secteur qui va t’exposer de plus en plus médiatiquement. Dans la presse, sur les réseaux sociaux, dans les sujets de conversation, tu seras jugé très souvent...
Au début, c’est compliqué parce que tu n’es pas habitué. Surtout quand tu ne fais pas l’unanimité, les gens te jugent très durement sur tes premiers matchs. C’était très difficile pour moi. Je me rappelle de la DreamHack Winter : c’est mon premier événement international en Lan. Je ne fais pas une bonne perf’ parce que je suis stressé. C’est notre première apparition officielle, beaucoup de gens pensent que je n’ai pas ma place… Donc je ne fais vraiment pas un bon match et je me fais un peu démonter au niveau des critiques. Et c’est là qu’intervient ce rôle de grand frère qui est génial chez Risze. Il est venu me rassurer et m’a dit : « Ne t’inquiète pas. Ne fais pas attention à ces commentaires-là. De toute manière ces gens-là sont peut-être jaloux de toi ou de la position que tu as. Fais attention aux critiques qu’on te donne nous, c’est ça le plus important. » Et j’ai beaucoup appris de ça.
T’es-tu fixé des objectifs de durée dans l’esport ?
Tant que je peux faire de ma passion mon métier, que ça me plait, je continuerais. Et après, tout dépend de quand le jeu s’arrêtera ou de quand je n’aurais plus le niveau ou d’opportunités. Dans ce cas-là est-ce que j’essaie de rebondir dans le milieu de l’esport grâce à mes contacts et tout ce que j’ai fait avant dans mes études ? Ou est-ce que je reprends des études que j’ai mises en pause, pour avoir un diplôme ? Cette décision viendra le moment venu. Sur une échelle de temps, c’est impossible à prévoir.
Crédits photos : Rainbow Six Esports Brasil et DreamHack