Fidèle à sa réputation d'agitateur underground, Devolver nous revient aujourd'hui avec un jeu de Vile Monarch qui se moque quelque peu de la législation. Weedcraft Inc, comme son nom l'indique clairement, est en effet dédié à la culture et au deal de beuh dans le seul but de faire fortune. Dans un esprit purement mercantile, il s'agit donc d'un véritable jeu de gestion où l'on doit conquérir le marché en jonglant avec le budget, la concurrence, les salariés, mais aussi ici les forces de l'ordre puisque cette activité n'est pas toujours autorisée, à moins de détenir une licence et de résider dans une ville ayant légalisé l'usage récréatif de la weed, ou tout au moins médical. Mais cela suffira-t-il à nous faire planer ?
- Genre : Gestion Botanique
- Date de sortie : 11 avril 2019
- Développeur : Vile Monarch
- Éditeur : Devolver Digital
- Plateforme : PC, Mac
- Prix : 16,79 €
- Testé sur : PC
Savoir se cacher derrière un écran de fumée
Si de prime abord, Weedcraft Inc peut sembler être un titre opportuniste misant sur la provocation (gros plans sur des joints ou des têtes bien épaisses dans la bande-annonce dévoilée à l'E3) pour attirer un certain public, il n'en est rien ou, tout au moins, il n'est pas que cela. En effet, il se propose de fournir une certaine réflexion sur une question faisant débat aux États-Unis depuis plusieurs années déjà : la légalisation du cannabis. Le sujet est certes délicat et le jeu surfe avec la morale, mais il s'agit-là d'un véritable jeu de gestion avec son scénario, ou plutôt ses scénario puisqu'il en propose deux.
Dans le premier scénario intitulé Croissance, qui est le scénario de base, nous incarnons Johnny Woodson, un jeune homme de 24 ans qui doit cesser ses études à la MBA (Master of Business Administration) après une seule année d'études suite au décès de son père d'un cancer. De retour à Flint (Michigan), il retrouve alors son frère Clyde, bien plus marginal que lui et qui s'est lancé dans la production de hashish durant la maladie de papa. Il vous entraînera ainsi dans son business en mettant à profit à la fois ses connaissances pas toujours très fréquentables et vos capacités de businessman pour prendre le contrôle du marché de la weed sur la ville avant d'avoir des ambitions plus grandes, à un niveau national.
La culture installée par Clyde dans le sous-sol de la maison familiale sera votre point de départ. Il vous faudra équiper correctement cette pièce pour faire pousser votre gagne-pain le mieux possible en recherchant à la fois le meilleur rendement et la meilleure qualité afin de conquérir le marché. Il ne restera alors plus qu'à écouler votre stock et à vous agrandir petit à petit grâce aux bénéfices réalisés. Mais il faudra pour cela bien gérer votre budget (électricité, loyers, employés...) pour éviter la banqueroute ainsi que les forces de police pour ne pas finir derrière les barreaux. Et lorsque votre destin national vous ouvrira les bras, vous pourrez commencer par choisir d'aller à Fargo (Dakota) où l'usage médical est légalisé, histoire d'avoir quelques commerces légaux tout en alimentant la consommation récréative de manière illégale, ou Boulder (Colorado) où tout est légalisé, mais la concurrence plus rude.
Dans le second scénario, plus avancé et intitulé Au nom de la loi, c'est dans la peau de Jerome Watkins que vous vous lancerez dans le business juteux de la beuh. Celui-ci est un afro-américain de 50 ans qui peine à obtenir un emploi après 15 années passées derrière les barreaux pour trafic de stupéfiants. Il retrouve alors un de ses anciens complices, Matty, qui dirige désormais un commerce tout à fait légal d'herbe. À Denver, la marijuana a en effet été totalement légalisée depuis son incarcération. Même si le trafic au noir continue d'exister, on peut désormais avoir pignon sur rue tout à fait officiellement à condition d'avoir acheté une licence. Le talent de Jerome combiné à la réputation de Matty devrait pouvoir leur permettre de dresser un empire. Mais il faudra faire face à une concurrence exacerbée, en commençant par Slim Tim, un ancien associé de nos deux complices.
Les doigts jaunes mais la main verte
À première vue, Weedcraft Inc pourrait passer pour un jeu mobile. Les graphismes qu'ils proposent, tout en style comic, sont de qualité, mais restent en effet assez simples. Ce ne sont en tout cas pas eux qui devraient faire chauffer votre carte graphique et ce ne sont clairement pas les polygones du titre qui marqueront les esprits. Le résultat est toutefois plutôt joli et agréable à l’œil. Les animations ne sont pas non plus légion. À part les quelques éléments animés dans les villes (véhicules, piétons) et les quelques animations des salles de culture lors de l'arrosage ou de la taille, ce sont des dessins qui s'enchaînent pour montrer les personnages et leurs réactions à vos choix lors des discussions, pas de quoi casser trois pattes à un canard, là non plus, mais le résultat reste encore une fois tout à fait honorable. Le petit fumet qui s'échappe des plantes lorsqu'elles sont à maturité et prêtes à être cueillies est par exemple bien sympathique.
Sur le plan de la bande son, notons qu'il n'y a aucune parole, contrairement à ce que peuvent laisser supposer les bandes annonce, tout est textuel et, à part quelques lignes oubliées de-ci de-là, entièrement traduit en français. En revanche, des bruitages et des morceaux de musique de qualité accompagneront votre aventure. Ceux-ci ne sont toutefois pas non plus très nombreux et finiront vite par tourner en boucle. Même si cela ne s'avère pas non plus très gênant, vous finirez vite par vous en rendre compte.
Techniquement, le jeu tourne globalement sans encombre. Nous avons toutefois rencontré quelques phases de freeze assez surprenantes qui ont parfois fait échouer la taille parfaite de nos plans. De même, les résultats des contrats ont généré l'affichage de deux personnages en superposition, donnant ainsi un drôle de résultat. À part cela, rien de particulier à signaler. L'interface est très complète et permet de visualiser et gérer rapidement son empire en quelques clics. On retrouve en effet non seulement les objectifs des missions, les villes et les lieux où l'on est implantés, nos employés, notre stock et les produits distribués dans les différents lieux, mais on peut également visualiser l'état de la vigilance policière et de la concurrence. On dispose aussi d'un panneau du temps pour jouer avec la vitesse d'écoulement de celui-ci ou l'arrêter, ainsi que d'une vignette indiquant le niveau de notre personnage et permettant d'accéder aux avantages que l'on peut acquérir en conséquence.
Débutant comme ex-étudiant MBA ou ex-taulard, vous évoluerez en effet au fur et à mesure que vous progresserez dans deux niveaux d'influence : le côté convenable et le côté louche. Chacun permet de débloquer pour chaque nouveau niveau atteint des avantages que l'on peut acheter pour être encore plus performant. Ceux-ci concernent quatre domaines : le réseautage (influences, obtention d'information), la culture (rendement, équipement), la vente (efficacité, contrebande), et la recherche (mutation, concentration, sélection de la dilution). Vous passerez ainsi par différents statuts comme apprenti, toxico, imbécile heureux ou encore gros dealer. Comme vous vous en doutez et comme vous avez déjà sans doute pu vous en rendre compte, le jeu ne manque en effet pas d'humour dans ses propos. Et plus votre entreprise grandira, plus il y aura d'activité à gérer, comme les contrats dégotés sur le darknet, ou les transports à mettre en place entre les villes, largement de quoi s'occuper.
Un jeu qui fait tourner
Bien qu'il y ait de multiples éléments à gérer dans Weedcraft Inc, le cœur du jeu réside dans la culture des plants, l'objectif étant d'avoir toujours plus et toujours mieux. Pour cela, il va falloir faire grandir au maximum ses plantations en les taillant régulièrement et avec le bon timing, même si comme le précisent tout de même les développeurs, cela ne se passe pas ainsi dans la réalité. Et pour la qualité, il faudra jouer sur la température grâce à des ventilateurs, l'humidité à l'aide d'humidificateurs et le taux de NPK (azote, phosphore, potassium), sachant que cela varie d'une espèce à l'autre, d'où la difficulté. De plus, pour connaître les bonnes proportions, il faudra tâtonner ou une fois monté un laboratoire de recherche, dépenser les points acquis pour encadrer puis cibler précisément le taux idéal de chaque élément chimique ainsi que la température et le taux d'humidité optimaux. Et c'est lors de l'arrosage que les conséquences à la hausse ou à la baisse se feront sentir.
Avant d'être rentable, chaque lieu nécessitera donc du temps et de l'investissement, sachant qu'il faudra aussi penser aux extracteurs d'odeurs ou aux commerces de façade pour détourner l'attention de la police. Le problème est que lesdits extracteurs consomment aussi de l'électricité, tout comme l'indispensable éclairage qui produit de surcroît de la chaleur et nécessite donc l'addition de ventilateurs, eux-mêmes consommateurs d'électricité. Et une trop grande consommation électrique augmentera la vigilance policière, pouvant ainsi générer une descente et une saisie de notre herbe. Pour éviter les ennuis mieux vaudra donc faire copain copain avec les agents de quartier ou, mieux, le commissaire de police ou, à défaut, les espionner pour recueillir des informations utiles afin de les faire chanter, à moins de parvenir à les soudoyer à grand coup de dollars. Une fois ralliés à votre cause, il n'y aura plus de soucis à se faire, mais attention à ne pas trop négliger le niveau de vigilance policière, car ils peuvent très bien être démasqués, mis à pied et remplacés par de nouveaux collègues moins accommodants du jour au lendemain.
L'électricité n'a pas pour seul inconvénient d'attirer l'attention, elle a aussi un coût régulier, tout comme les loyers à payer pour pouvoir exercer notre activité, ou nos employés pour nous décharger d'une partie du travail (culture, vente, espionnage), et tout ceci génère des charges fixes mensuelles à surveiller pour éviter d'être à découvert en début de mois après les avoir réglées. Trop de découverts entraîneront en effet la banqueroute et attireront les huissiers. Il est toujours possible toutefois de contracter un prêt à 8% sur 30 mois, mais si cela n'est pas suffisant, ce sera le game over, tout comme si on se fait serrer par la police. Il faudra alors tout recommencer ou alors charger une sauvegarde et tenter de faire mieux.
Même s'il est vraiment très difficile de se faire arrêter, en général, se sont les employés qui le seront avec une saisie de la production, pour éviter la tôle, il reste la possibilité de charger ses sous-fifres, mais il faudra alors les libérer en payant leur caution si l'on ne veut pas que leur moral en pâtisse. Ceux-ci peuvent en effet très bien présenter leur démission, ou pire, nous dénoncer. Or, il est souvent préférable de les conserver dans notre équipe, car en travaillant, ils gagnent de l'expérience que l'on peut utiliser pour monter leur niveau en culture, vente ou relationship, même si cela entraîne ensuite la réclamation d'un salaire plus conséquent de leur part. Notons tout de même que, à part pour enquêter sur les ragots, ils sont d'une utilité toute relative tant ils sont lents dans leur exécution. Il sera donc préférable de tout faire soi-même pour être plus productif, d'autant plus que les résultats au niveau de la taille seront bien meilleurs de notre part et que les avantages que l'on peut acquérir, que ce soit en taille, en arrosage ou encore en vente, concernent les situations ou nous accomplissons les tâches personnellement. Ceci est donc un regret, car on se retrouve avec un gameplay à la répétitivité croissante au fur et à mesure que le business prend de l'importance.
Si l'on rajoute à cela le fait que les indispensables discussions pour obtenir des informations ou des services, que ce soit avec la police, les employés, les concurrents ou encore les magistrats et les hommes politiques, tournent elles aussi beaucoup en rond. En effet, les questions de base sont non seulement toujours les mêmes, cela passe encore, mais les réponses également, y compris les petites anecdotes personnelles qui nous sont confiées. Même les blagues sont recyclées. Au début, cela surprend et puis on se rend vite compte que les lignes de dialogues ne sont finalement pas si nombreuses et on cesse rapidement de les lire, les connaissant par cœur. De même, une fois que l'on a trouvé un sujet permettant de faire monter notre côte auprès d'un personnage, il suffit de l'utiliser ad nauseum pour obtenir ensuite tout ce que l'on veut de sa part. Un aspect qui est vraiment le gros point noir du jeu, dommage.
Il en est de même avec la concurrence qui cherchera à être plus incisive ou à nous nuire en détruisant par exemple nos plants et notre matériel dans la chambre de culture, les évènements invoqués et les propos tenus sont sans cesse les mêmes. En parlant de concurrence, plus l'on vend dans un lieu et plus celle-ci est réduite. Pour cela il faudra jouer sur les produits proposés, leur prix et la qualité en fonction des moyens et des attentes de chaque groupe social (SDF, habitués, sportifs, artistes, célébrités, métalleux, touristes, voyous, retraités, religieux, malades du cancer...), y compris en terme de goût (terre, floral, sucré, pin, skunk, chimique, citron...) et d'effet (bonheur, fringale, antidépression, antidouleur, ramollissement, béatitude, rire idiot, créativité, audition ou goût amélioré, sommeil douillet, libido exacerbée, trip ultime, talents sociaux surhumains, pensées marxistes profondes...). De nouveaux clients peuvent aussi être attirés par les commerces de façade, comme les hipsters avec un studio TV ou les étudiants avec une pizzeria. On peut enfin remporter la bataille et faire fuir la concurrence, mais de nouveaux candidats arriveront rapidement, et il faudra donc recommencer. Il est également envisageable de jouer sur la sphère politique pour faire évoluer les lois, que ce soit sur le plan thérapeutique ou récréationnel, afin de se débarrasser du problème policier, ou encore changer la société et la manière dont le monde nous perçoit grâce à des campagnes marketing et de sensibilisation. Notons enfin que les laboratoires permettent non seulement de connaître les meilleures conditions de culture, mais aussi de créer de nouvelles variétés hybrides qui feront notre réputation.
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