Deux dramas ont agité la communauté StarCraft II ce week-end : l'affaire BaseTradeTV et le clash entre FireCake et Dayshi à la ZOTAC Cup #237. Bien qu'a priori elles n'aient aucun rapport, ces deux faits divers ont pourtant de nombreux points communs, qui m'ont donné envie de partager mon point de vue sur des attitudes qui sont malheureusement difficiles à éviter.
Les faits
Si vous suivez un peu la scène SC2, vous connaissez sûrement BaseTradeTV. Les deux compères qui la composent, Rifkin et ZombieGrub, commentent de très nombreuses compétitions online et en organisent quelques autres. Elle est américaine, il est canadien, et à eux deux ils tentent de dynamiser une scène NA moribonde.
Le 10 décembre au soir, ils organisaient la qualification américaine du Fight Before Christmas, leur dernier tournoi en date. Seulement voilà, un tricheur s'était incrusté à la fête et il fallut plusieurs heures aux admins, après avoir été alertés, pour confirmer avec certitude le verdict. Manque de bol, le type avait avancé d'un round entre temps et il était déjà 23h30.
La logique aurait voulu que le qualifier soit suspendu, ou que la portion de l'arbre polluée par le tricheur soit entièrement rejouée. Mais il était tard, Rifkin venait d'enquiller près de quatorze heures de cast pratiquement sans pause. De fâcheuses coupures internet et d'électricité avaient déjà repoussé la qualification d'une journée, et aucun des admins auxquels il avait l'habitude de confier ses tournois n'était disponible. Autant de raisons qui l'ont poussé à choisir de ne pas retarder encore la fin du tournoi et de donner la victoire au dernier adversaire du tricheur, lésant au passage tous les adversaires précédents du vilain.
À ce stade, le premier lésé, un joueur zerg du nom de Carnage lâcha un pavé dans la mare TeamLiquid, expliquant la situation et demandant aux organisateurs de tournois d'être plus précautionneux à l'avenir. Arguant qu'il aurait voulu avoir une chance de montrer ses capacités, Carnage explique que les admins ont mis près de trois heures avant de réagir et que, l'eussent-ils fait à temps, il aurait eu une chance d'avancer dans la qualification.
La polémique est bien engagée, mais on n'en est pas encore au drama, qui naîtra de la réponse de Rifkin. Il y explique tous les déboires que sa structure a rencontrés avant la qualif, mais surtout il conclut son poste par « et soyons honnêtes, Carnage, tu n'avais aucune chance de te qualifier ». Drama. Les esprits s'échauffent, « comment peux-tu dire ça ? » et autres « j'ai jamais aimé Rifkin de toute façon ». L'erreur de Rifkin ? Il persiste et signe, visiblement fatigué et ayant un grand besoin de vacances, puis finit par laisser tomber. Il a d'ailleurs posté un long message d'excuses hier sur Reddit.
Côté français, dimanche 14 décembre voyait les quatre demi-finalistes du Championnat francophone concourir dans une Zotac un peu spéciale puisque les francophones étaient invités à y participer en masse pour remporter de menus cadeaux.
Le tournoi se déroule dans la bonne humeur, tout le monde étant bien fatigué mais heureux après la victoire de Dayshi la veille au soir. Les quatre frenchies avancent jusqu'à l'arbre final, et le hasard veut que Dayshi affronte FireCake en quarts de finale, dans un remake de la finale du Championnat francophone aussi fortuit qu’appétissant.
Autant vous le dire clairement : les deux loustics ne s'apprécient pas trop, et on n'en est plus au stade de se tirer la bourre gentiment. Non, l'animosité est à peine voilée et le mépris réciproque domine tous leurs échanges.
La première game du Bo3 se lance cependant au bout d'un moment, mais Dayshi la quitte presque instantanément. La raison ? FireCake avait pris la race terran, et Dayshi a de bonne foi pensé qu'il s'agissait d'une erreur. FireCake réclame la victoire, et les esprits s'échauffent pendant une dizaine de minutes, Dayshi ayant apparemment menacé le joueur punchLine de lui casser la gueule. FireCake finira par revenir sur sa position, le Bo3 reprend à 0-0 mais il veut jouer terran alors qu'il est habituellement zerg. Loin de vouloir réellement jouer terran, FireCake lancera le regame en soulevant son centre de commandement et le faisant voler dans un coin de la carte, obligeant par la même Dayshi à perdre une bonne quinzaine de minutes avant de pouvoir aller, de facto, tuer la seule structure de son adversaire. Bis repetita dans la seconde partie, Dayshi gagne 2 à 0.
En live, peu de tout ceci se voit. YoGo et Corto au cast sont avertis dès le départ que la situation est tendue, et tentent de calmer les choses. Alors qu'ils sont dans la seconde partie (le regame), les échanges sont si violents que les deux casters refusent de montrer la partie et finiront par carrément la quitter pour suivre les games de MarineLorD. Tout l'IRC demande à corps et à cri de voir la bagarre, « montre-nous YoGo » « on veut voir ! », etc. Drama. FireCake expliquera plus tard, dans les commentaires du suivi Zotac de Millenium, qu'il n'avait de toute façon pas le temps de finir la Zotac avant de prendre son train, et voulait donc « tenter des trucs en terran contre Dayshi ».
Du fair-play et du bon sens
Le premier mot que ces deux histoires m'inspirent est : triste. Au risque de passer pour une donneuse de leçon - que j’admets volontiers être cependant - à l'heure où l'eSport est à une étape clé de son développement et où, comme le disait récemment Alex Garfield, pratiquement pas un jour ne passe sans qu'un grand média s'intéresse à notre milieu, est-ce vraiment cette image-là que nous voulons donner de notre discipline ? Probablement pas.
Pourtant, ce ne sont pas tant les échauffements d'esprit que j'ai envie de montrer du doigt. L'eSport, tout comme le sport traditionnel ou les jeux de cartes, est un milieu avant tout composé de passionnés. Si certains y participent à plein temps, d'autres le voient comme un hobby et sont d'ailleurs prêts à y consacrer de nombreuses heures en dehors de leur travail. Or on ne fait pas d'omelette sans casser des œufs, et il me paraît tout à fait normal qu'une passion aussi chronophage implique des émotions fortes, dans le bon sens comme dans le mauvais. Que la pression et la fatigue poussent Rifkin ou FireCake et Dayshi à avoir des réactions disproportionnées ? C'est compréhensible.
Mais finalement c'est en voulant se faire justice soi-même qu'on en vient à adopter l'attitude anti-sport contre laquelle on tentait de se défendre en premier lieu. En réagissant publiquement et à chaud, Rifkin s'est exposé au courroux de ceux qui le jugeaient. La même chose s'applique à FireCake et Dayshi : en tentant de se justifier, chacun s'expose au tollé des observateurs.
Make love, not swarm hosts.
C'est donc bien là qu'est le point important selon moi. Des échauffements et du craquage venant de personnes autant investies dans l'eSport sont facilement excusables, mais nous, la plèbe, qu'avons-nous à gagner à nous ébahir devant le sang versé ? On a l'impression de voir une foule de badauds devant une bagarre de rue. Chacun y va de son jugement, de son pronostic, et tout le monde prend un plaisir malsain à faire partie de ce qui, au fond, ne sont que des non-événements. Et tout ça pour quoi ? Pour être au courant de LA conversation du jour. Pour pouvoir raconter aux copains et se marrer à coups de « FireCake c'est vraiment un abruti » « C'est navrant de voir que Dayshi n'a toujours pas évolué ». Ce faisant, on - et je m'inclus dans le processus - ne fait qu'alimenter le système et les attitudes que justement on est en train de juger avec mépris.
Pourtant, c'est humain. Nous sommes nous aussi des passionnés, et nous nous approprions l'histoire du jour parce que nous sommes membres de la communauté. Cette façon que nous avons de juger une histoire sous l'angle sous lequel on nous la présente, de vouloir donner notre point de vue, c'est un peu une façon détournée de clamer notre passion du jeu et de sa scène. Mais pour l'amour de cette passion, essayons de ne pas nous abaisser à tout et n'importe quoi. Il y aura toujours des tricheurs, et de bad-manners. La seule chose que nous pouvons faire c'est passer notre chemin et refuser de leur donner de l'importance, tout simplement parce que ce ne sont pas ces valeurs-là que nous défendons.
Play it like Ji Su.