L’événement de Bilgewater a apparu sur le client. Dans la foulée, un gros dossier est sorti par Riot sur le site de League of Legends. La refonte de notre Gangplank, n'est que la partie visible de l'iceberg. Notre Jack Sparrow accro aux oranges et au rhum n'est qu'une pièce du trésor qu'est Bilgewater. Découvrez ici la cité pirate sous son véritable visage.
L'événement touche à sa fin. Pour cela, Gangplank reviens à la vie, et sera disponible bientôt, avant la fin de l'événement. Mais ce n'est pas tout, vous pourrez aussi avoir la possibilité de débloqué le skin Capitaine Gangplank. Les détails sur ce skin sont disponibles dans la mise à jour sur l'article de la refonte du pirate, ici.
Bilgewater : la Marée rougeoyante repartira vers le large dans un peu plus d'une semaine, avec dans sa cale tous ses packs, ses produits dérivés, ses icones de récompense et ses modes de jeu. Que vous vouliez prendre part au micmac du marché noir, ajouter le skin gratuit Capitaine Gangplank à votre garde-robe ou mettre le grappin sur les trésors de Bilgewater, vous avez jusqu'au 10 août à 11h00 (CEST).
C'est la première fois que nous faisons un choix aussi fort dans l'histoire du jeu, alors nous allons commémorer cet événement avec le skin Capitaine Gangplank, qui représente le pirate tel qu'il était avant les événements de Bilgewater : la Marée rougeoyante. Tous les joueurs possédant Gangplank et jouant une partie en matchmaking entière avec lui (ou l'ayant déjà fait) pendant l'événement recevront ce skin Capitaine Gangplank gratuitement.
Rassurez vous, Gangplank sera de nouveau disponible avant la fin de l'événement, si vous n'aviez pas eu le temps de le jouer avant qu'il soit mort.
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Épilogue
Chaos, Déchéance, But
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La ville de Bilgewater se dévorait elle-même. Les rues étaient remplies par les hurlements des désespérés et des mourants. Des brasiers brûlaient dans les bas quartiers et les cendres retombaient sur toute la cité. Tout contrôle était perdu, et tous les gangs cherchaient maintenant à remplir le vide laissé par la chute d'un seul homme. Une guerre était née de ces simples mots : Gangplank est mort.
Des ambitions forcenées et des vendettas mesquines se déchaînaient soudain.
Sur les quais, des baleiniers éventrèrent un pêcheur au harpon et laissèrent son corps pendre au bout d'un cordeau.
Au plus haut sommet de l'île, les portes majestueuses qui se dressaient depuis la fondation de Bilgewater furent abattues. Un chef de gang qui se cachait fut arraché à son lit par un rival. Ses hurlements ne cessèrent que quand son crâne fut écrasé contre le marbre de son propre escalier.
Le long des quais, un Galure rouge en fuite essayait de compresser une sanglante blessure à la tête. Il regarda par-dessus son épaule mais ne vit aucun signe de ses poursuivants. Les Crochets crantés s'étaient retournés contre les Galures. Il lui fallait aller au repaire pour prévenir ses camarades.
Il tourna à l'angle, hurla pour appeler ses frères à prendre les armes et à se joindre à lui. Mais ses cris s'étranglèrent dans sa gorge. Les Crochets se tenaient devant l'antre des Galures. Des tripes s'enroulaient autour de leurs lames. Un sourire cruel défigurait la face à peine humaine de leur chef.
Le Galure rouge eut le temps de grogner un ultime juron.
De l'autre côté de la baie, dans une allée paisible, un médecin déployait tout son art. L'or qu'on lui avait remis était suffisant pour acheter ses services... et son silence.
Il lui avait fallu une demi-heure pour enlever les lambeaux de manteau sur la chair en charpie de son patient. Le docteur avait vu des blessures ignobles par le passé, mais jamais un tel moignon. Il fit une courte pause, terrifié par la réaction que ses prochains mots allaient déclencher.
« Je suis désolé... Je ne peux pas sauver votre bras. »
Dans les ombres de la pièce éclairée à la chandelle, la silhouette d'un homme déchiqueté se dressa péniblement sur ses pieds. Son bras valide jaillit comme un fouet pour prendre le médecin à la gorge. Il souleva lentement le chirurgien, le décolla du sol et le plaqua contre le mur.
Pendant un moment horrible, la brute demeura impassible, observant l'homme qu'il tenait. Puis il le lâcha.
Paniqué, le docteur s'étouffa dans une quinte de toux pendant que la silhouette marchait jusqu'à l'arrière de la pièce. Passant sous la lanterne du chirurgien, le patient s'arrêta devant un meuble usé par l'âge. Méthodiquement, il ouvrit les tiroirs l'un après l'autre, comme à la recherche de quelque chose. Il trouva enfin ce qu'il cherchait.
« Chaque chose doit avoir un but », dit-il en regardant son bras mutilé.
Il sortit quelque chose du tiroir et le lança aux pieds du médecin. La lanterne fit briller l'éclat d'acier d'une scie à os.
« Coupez, toubib. J'ai du travail. »
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ACTE III : première partie
Le sang, La vérité, La Jeune Camarde
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De nouveau, les poings me frappent. Je chute et je heurte le plancher du navire de Gangplank. Les bracelets en fonte me rentrent dans la peau des poignets.
Je suis remis sur pieds et on m'agenouille de force à côté de TF. De toute façon, je vois mal comment mes jambes pourraient me porter même si je le voulais.
La colossale ordure qui a pour mission de me frapper est plus ou moins floue devant mes yeux.
« Eh, fiston », lui dis-je, « tu t'y prends comme un manche. »
Je ne vois pas venir le coup suivant. Je ressens juste une explosion de douleur et je retombe sur le pont. Une fois de plus, on me relève avant de m'agenouiller. Je crache du sang et des dents. Puis je souris.
« Ma grand-mère tape plus fort que ça, moussaillon. Et elle est morte et enterrée depuis cinq ans. »
Il avance pour me frapper de nouveau, mais un ordre de Gangplank l'arrête net.
« Ça suffit. »
J'ai du mal à rester droit, j'essaie de me concentrer sur les contours flous de Gangplank. Ma vision se stabilise. À sa taille, je vois qu'il porte le fichu couteau de TF.
« C'est toi, Twisted Fate ? Il paraît que tu n'es pas mauvais, et je ne suis pas du genre à mépriser un bon voleur », dit Gangplank. Il approche et fixe TF. « Mais un bon voleur n'est pas assez bête pour me cambrioler. » Il s'accroupit et me regarde dans le blanc des yeux.
« Quant à toi... Si tu avais deux sous de jugeote, tu aurais mis ton fusil à mon service. Mais c'est trop tard. »
Gangplank se relève et nous tourne le dos.
« Je ne suis pas un homme déraisonnable », continue-t-il. « Je n'exige pas qu'on s'agenouille devant moi. Je ne veux qu'un peu de respect, mais vous n'avez pas l'air de connaître le sens de ce mot. Je ne peux pas laisser ce crime impuni. »
Son équipage avance comme une meute de chiens pour la curée. Mais je ne leur donnerai pas la satisfaction de me voir trembler.
« Faites-moi plaisir », dis-je en désignant TF du menton, « tuez-le d'abord. »
Gangplank ricane.
Il fait signe à un matelot qui fait sonner la cloche du navire. Des dizaines d'autres cloches lui répondent dans la ville. Les ivrognes, les marins, les boutiquiers se déversent dans les rues. Cette ordure veut des spectateurs.
« Bilgewater nous regarde », dit Gangplank. « Offrons-lui un spectacle ! Sortez la Jeune Camarde ! »
On entend des hurlements de joie et le pont résonne de la cavalcade des marins. Ils sortent un vieux canon. Il est rouillé et rongé par l'âge, mais il reste beau.
Je jette un coup d'œil à TF. Il a la tête baissée et il ne dit rien. Ils lui ont pris ses cartes... après les avoir longtemps cherchées. Ils ne lui ont même pas laissé son stupide chapeau de dandy, c'est maintenant un salopard consanguin dans la foule qui l'arbore.
Depuis que je connais TF, il a toujours eu un plan de secours sous la main. Aujourd'hui il n'en a pas et il semble totalement abattu.
Parfait.
« Tu n'as que ce que tu mérites, traître ! », lui dis-je avec mépris.
Il me lance un regard. Il y a encore du feu quelque part au fond de lui.
« Je ne suis pas fier de ce qui... »
« Tu m'as laissé pourrir ! »
« On a tout essayé pour te faire sortir. Ça a coûté la vie à toute la bande ! On a perdu Kolt, Wallach, Brique, tout le monde, rien que pour essayer de sauver tes miches d'obstiné ! »
« Mais toi tu t'en es sorti. Et tu sais pourquoi ? Parce que tu es un lâche. Et rien de ce que tu pourras dire n'y changera jamais rien. »
Ma réplique lui fait mal. Il ne répond rien. Sa dernière velléité de résistance disparaît. Il n'est plus rien.
Je pense que même TF n'est pas aussi bon comédien. Ma colère s'évanouit.
Je me sens fatigué, soudain. Fatigué et âgé.
« Tout a tourné de travers », dit-il. « On est peut-être tous les deux à blâmer, mais je ne mentais pas. On a essayé de te tirer de là. Peu importe. Crois ce que tu veux. »
Il faut un moment pour que cette phrase me touche. Et davantage de temps encore pour que je réalise que je le crois.
Il a raison, voilà la vérité.
Je fais les choses à ma façon. Depuis le début. À chaque fois que je suis allé trop loin, il a couvert mes arrières. C'est toujours lui qui nous a sortis du pétrin.
Mais ce jour-là, je ne l'ai pas écouté. Je ne l'ai plus écouté depuis.
Et aujourd'hui, je nous ai tués.
Soudain, TF et moi sommes hissés sur nos pieds et entraînés vers le canon. Gangplank le caresse, comme si c'était un chien de chasse de pure race.
« La Jeune Camarde m'a toujours été fidèle, alors saluons sa retraite comme il se doit. »
Les marins entourent le canon d'une lourde chaîne. Je commence à comprendre ce qui va se passer.
TF et moi sommes collés dos à dos, et la chaîne nous est passée aux chevilles et aux poignets. Un cadenas se ferme dans un claquement. Nous sommes ligotés et attachés au canon.
Une porte d'embarquement s'ouvre sur le côté de la coque et l'on fait rouler le canon jusque devant l'ouverture. Les quais de Bilgewater sont bondés de spectateurs.
Gangplank place le talon de sa botte sur le canon.
« Cette fois, je ne peux rien faire pour nous sortir de là », dit TF par-dessus son épaule. « J'ai toujours su que je mourrais par ta faute. »
Un rire m'échappe. Je n'avais plus ri depuis longtemps.
Nous sommes entraînés vers le rebord du navire, comme le bétail vers l'abattoir.
Je suppose que c'est là que mon histoire prend fin. J'ai bien profité des occasions que j'ai eues. Mais la chance finit toujours par tourner.
C'est à ce moment seulement que je comprends ce que je dois faire.
Doucement, malgré mes menottes, je cherche à atteindre ma poche arrière. Elle est toujours là. La carte que TF a laissée derrière lui dans l'entrepôt. Je voulais l'enfoncer dans la gorge de son cadavre.
Ils ont fouillé TF pour trouver ses cartes. Mais pas moi.
On est enchaînés dos à dos. Je n'ai aucun mal à lui donner la carte sans que personne ne le remarque. Je le sens hésiter.
« Vous faites une piètre offrande, mais c'est mieux que rien », dit Gangplank. « Saluez la Grande Barbue de ma part. »
Avec un geste à la foule, Gangplank fait basculer le canon vers l'eau. Il crève la surface sombre en une gerbe d'éclaboussures et coule rapidement. Sur le pont, la chaîne qui y est accrochée commence à se dérouler.
Au bout du compte, je crois enfin TF. Je sais qu'il a tout essayé pour me délivrer, comme à chaque fois depuis que nous sommes côte à côte. Pour une fois, c'est moi qui peux lui proposer une issue. Je lui dois bien ça.
« Tire-toi. »
Il commence sa gestuelle, fait tourner la carte dans ses doigts. La puissance afflue et je ressens une pression pénible à l'arrière de mon crâne. J'ai toujours détesté être à portée quand il fait ses tours.
Et puis il disparaît.
Les chaînes qui retenaient TF tombent sur le pont avec un cliquètement et la foule pousse des hurlements. Les miennes, de chaînes, sont toujours solidement en place. Je ne vais pas m'en sortir, mais rien que voir la tête de Gangplank, ça vaut le coup.
La chaîne du canon m'arrache au sol. Je frappe durement le pont et je grogne de douleur. En un instant, je suis précipité par-dessus bord.
L'eau froide me coupe la respiration.
Je suis englouti. Je sombre rapidement, entraîné vers les profondeurs.
ACTE III : deuxième partie
Les profondeurs, Combat dans les ténèbres, Paix
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La carte que Malcolm place dans ma main peut facilement me transporter jusqu'au quai. Je suis si près du rivage et, de là, la foule est parfaite pour me laisser disparaître. Je pourrais avoir quitté cette île abjecte en une heure. Et cette fois, personne ne me retrouverait.
Et puis je ne vois plus dans mon esprit que la face enragée de Graves engloutie par les flots.
Le saligaud.
Je ne peux pas l'abandonner. Pas après ce qui s'est passé la dernière fois. Je sais quoi faire.
La pression monte et je disparais.
En un instant, je suis juste derrière Gangplank, prêt à agir.
Un de ses marins me repère. Il a l'air stupéfait, comme s'il essayait de comprendre comment je suis arrivé là. Pendant qu'il réfléchit, je le frappe en plein visage. Il s'effondre dans une foule de matelots médusés. Ils se retournent vers moi en sortant leurs sabres. Gangplank mène l'attaque et vise ma gorge.
Mais je suis plus rapide. En un geste parfaitement maîtrisé, je glisse sous les lames d'acier et récupère la dague d'argent accrochée à la ceinture de Gangplank. Derrière moi, j'entends un juron à faire s'écrouler un palais impérial.
Je fonce sur le pont en rangeant le couteau à ma ceinture, juste au moment où la chaîne va disparaître. Je bondis et j'attrape le dernier maillon d'acier à la seconde où il bascule par-dessus bord.
La chaîne m'entraîne avec elle et je réalise soudain ce que je viens de faire.
L'eau monte vers moi à grande vitesse. Pendant une seconde, je suis tenté de lâcher la chaîne. Je suis né chez les nomades fluviaux et je ne sais pas nager : c'est ma malédiction depuis toujours. Aujourd'hui, ce sera ma mort.
J'avale une dernière bouffée d'air. Puis une balle frappe mon épaule. Je hurle de douleur et, juste avant d'être entraîné sous les flots, mes poumons se vident.
L'eau froide me gifle le visage tandis que je m'enfonce dans l'océan.
Je suis en plein cauchemar.
La panique s'empare de moi. J'essaie de la juguler. J'en suis presque incapable. D'autres balles percent l'eau autour de moi. Je coule toujours.
Tout autour, les requins et les raies mantas font des cercles. Ils goûtent le sang. Ils me suivent dans les abysses.
Tout n'est que terreur. Plus de douleur. Mon cœur résonne jusque dans mes oreilles. Ma poitrine est en feu. Il faut que j'empêche l'eau d'entrer. Je suis plongé dans les ténèbres. Trop profond. Pas de retour possible. J'en suis sûr maintenant.
Mais je peux encore sauver Malcolm.
Un choc en dessous de moi et la tension de la chaîne se relâche. Le canon a touché le fond.
Je me tire avec la chaîne vers les profondeurs. Je vois une forme sous moi. Je pense que c'est Graves. Je me hale vers lui.
Soudain, il est juste devant moi, bien que je distingue à peine ses traits. Je crois qu'il me fait un signe. Il est furieux que je l'aie suivi.
Je sens venir l'évanouissement. Mon bras est engourdi et mon crâne est pris dans un étau.
Je lâche la chaîne, je ressors la dague. Ma main tremble.
Je me débats dans la pénombre. Par je ne sais quel miracle, je parviens à trouver la serrure des menottes de Graves. Je tâche de l'ouvrir avec la lame, comme je l'ai fait cent fois déjà. Mais mes mains ne cessent de trembler.
Même Graves doit être terrifié. Ses poumons doivent être sur le point de lâcher. La serrure ne bouge pas.
Que ferait Malcolm ?
Je remue la dague. Aucune finesse. Force brute.
La lame glisse. Je crois que je me suis coupé la main. Le couteau tombe. Dans les abysses. Et voilà... Est-ce qu'elle brille ?
Au-dessus de moi, un rouge flamboyant. Rouge et orange... Partout. C'est beau... Alors c'est ça, mourir ?
Je ris.
L'eau afflue.
Tout est si paisible.
ACTE III : troisième partie
Ruines et feux, Conclusion, Le pire est toujours sûr
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Miss Fortune observait le port depuis le pont de son navire, le Syren. Ses pupilles reflétaient les flammes tandis qu'elle considérait l'ampleur de la destruction qu'elle avait provoquée.
Il ne restait du bateau de Gangplank que des ruines incendiées. L'équipage avait été tué dans la détonation, s'était noyé ou avait été déchiqueté par les essaims de raies mantas.
Cela avait été magnifique. Un sublime soleil nocturne avait embrasé l'obscurité.
La moitié de la ville l'avait vu. Gangplank lui-même n'avait pas pu manquer ça, comme elle l'avait prévu. Il ne pouvait pas ne pas exhiber Twisted Fate et Graves devant tout Bilgewater. Il fallait qu'il rappelât à chacun pourquoi personne n'avait intérêt à le doubler. Pour Gangplank, les gens n'étaient que des outils destinés à maintenir le contrôle, et c'est ce cynisme qui avait entraîné sa chute.
Des hurlements et des glas se répondaient dans toute la ville. La nouvelle se répandait comme un incendie.
Gangplank est mort.
Elle esquissa un sourire.
Ce qui s'était passé ce soir n'était que la conclusion. Engager TF, avertir Graves, tout ça dans le seul but de faire diversion auprès de Gangplank. Il lui avait fallu des années pour aller au bout de sa vengeance.
Le sourire de Miss Fortune s'évanouit.
Depuis la seconde où il avait jailli dans l'atelier de sa famille, le visage couvert par un foulard rouge, elle se préparait à ce moment.
Sarah avait perdu ses deux parents ce jour-là. Elle n'était qu'une enfant, mais il n'avait pas hésité à l'abattre elle aussi alors qu'elle regardait sa famille saigner sur le sol.
Gangplank lui avait donné une leçon cruelle : on a beau se sentir en sûreté, tout ce qu'on a, qu'on a construit, qu'on aime peut disparaître en une seconde.
La seule erreur de Gangplank avait été de ne pas s'assurer qu'elle était morte. Sa colère et sa haine l'avaient soutenue pendant la nuit glaciale qui avait suivi, et toutes les nuits depuis.
Pendant quinze ans, elle avait mis en place tout ce dont elle avait besoin ; attendant son heure, attendant qu'il baisse sa garde, satisfait de la vie qu'il s'était bâti. C'est là seulement qu'il serait en mesure de tout perdre. C'est là seulement qu'il comprendrait ce que cela signifie de perdre son foyer. Son monde.
Elle aurait dû se sentir extatique. Elle se sentait vide.
Rafen, en la rejoignant, tira Sarah de sa rêverie.
« Il est mort. C'est fini. »
« Non », répliqua Miss Fortune. « Pas encore. »
Elle tourna le dos au port pour regarder Bilgewater. Sarah avait espéré que le tuer mettrait fin à sa haine. Mais elle n'avait fait que rompre ses liens. Pour la première fois depuis ce jour sinistre, elle se sentait vraiment puissante.
« Ce n'est que le début », dit-elle. « Je veux que soient punis tous ceux qui lui sont loyaux. Je veux la tête de ses lieutenants sur mon mur. Brûle tous les tripots, toutes les tavernes, tous les entrepôts qui portent sa marque. Et je veux son cadavre. »
Rafen en fut secoué. D'autres avaient prononcé de semblables ordres déjà. Jamais elle.
ACTE III : quatrième partie
Un ciel rouge, Au fond des océans, Réconciliation
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J'ai beaucoup pensé à la manière dont je mourrais. Enchaîné comme un chien au fond de l'océan, je dois dire, ça ne m'avait jamais traversé l'esprit. Heureusement pour moi, TF réussit à forcer la serrure de mes menottes juste avant de perdre son couteau.
Je me débarrasse des chaînes. J'ai besoin de respirer. Je me tourne vers TF. Le pauvre ne bouge plus. Je le prends au col et je m'élance vers la surface.
Tandis que nous montons, tout devient soudain d'un rouge éclatant.
Une onde de choc me renverse. Des morceaux de fer coulent autour de nous. Un canon s'enfonce dans les abysses. Un bout de gouvernail. Des corps, aussi. Un visage couvert de tatouages me regarde avec stupeur. La tête décapitée disparaît ensuite lentement dans les profondeurs obscures.
Je nage plus vite, mes poumons prêts à exploser.
Je crève enfin la surface, je recrache de l'eau salée et j'avale tout l'air que je peux. Mais c'est à peine respirable. La fumée m'étouffe et me brûle les yeux. J'ai vu des incendies dans ma vie, mais jamais rien de semblable. C'est le monde entier qui semble noyé dans les flammes.
« Enfer... », m'entends-je murmurer.
Le navire de Gangplank n'est plus. Des débris flottent sur toute la baie. Des morceaux de bois retombent partout. Une voile embrasée s'abat devant nous, menaçant de nous couler définitivement, TF et moi. Des hommes en feu cherchent désespérément à échapper au brasier en se jetant à l'eau. On dirait qu'il n'y a plus que soufre, cendres et mort, dans une odeur de cheveux enflammés et de peau fondue.
J'ai du mal à garder TF à la surface. Il est beaucoup plus lourd qu'il n'en a l'air, et mes côtes cassées n'aident pas. Un morceau de coque charbonneux flotte à proximité. Il a l'air assez solide. Je nous hisse tous deux dessus. Ce n'est pas un canot de sauvetage, mais ça fera l'affaire.
Je peux enfin jeter un coup d'œil sérieux à TF. Il ne respire pas. Je frappe sa poitrine des deux poings. Il recrache soudain des litres d'eau de mer au moment où je commence à avoir peur d'enfoncer sa cage thoracique. Je m'écroule à côté de lui et secoue la tête pendant qu'il récupère lentement.
« Espèce de crétin ! Pourquoi tu es revenu ? »
Il lui faut une minute pour répondre.
« J'ai décidé de faire les choses à ta façon », marmonne-t-il. « Pour voir ce que ça fait d'être un âne têtu. » Il crache encore de l'eau. « J'ai connu mieux. »
Les pires prédateurs marins sont à la curée autour de nous. Mais je ne me sens pas une âme de pâtée et je sors les pieds de l'eau.
Un matelot crève la surface et tente de monter sur notre radeau. D'un coup de botte en plein visage, je le repousse. Un tentacule s'enroule autour de son cou et le tire vers le bas. Les poissons auront de quoi s'occuper un moment.
Avant que la viande fraîche ne vienne de nouveau à manquer, j'arrache une planche à notre embarcation et je pagaie loin de ce buffet à volonté.
Je m'agite pendant ce qui me semble durer des heures. Mes bras sont lourds et me font mal, mais je ne suis pas assez bête pour m'arrêter. Quand j'ai enfin mis de la distance entre le massacre et nous, je m'écroule dos aux planches.
Je me sens aussi vide qu'un fusil après la chasse. Je regarde la baie. Elle est rouge du sang de Gangplank et de son équipage. Pas un survivant en vue.
Comment se fait-il que je respire encore ? Je suis peut-être l'homme le plus chanceux de Runeterra. Ou alors TF a assez de chance pour deux.
Je vois un cadavre dériver non loin. Il a quelque chose de familier. Je reconnais le petit matelot consanguin de Gangplank, toujours coiffé du chapeau de TF. Je le lui arrache et le rends à son propriétaire. Il n'a même pas l'air surpris, comme s'il était sûr que le galurin lui reviendrait finalement.
« Il ne nous reste plus qu'à retrouver ton fusil », dit-il.
« Quoi, tu veux replonger ? », lui dis-je en désignant les profondeurs.
TF devient vert.
« On n'a pas le temps. Je ne sais pas qui a fait ça, mais il a laissé Bilgewater sans patron », lui dis-je. « Ça va très vite tourner à la foire d'empoigne. »
« Tu veux dire que tu peux vivre sans ton flingue ? »
« Peut-être pas. Mais je connais un très bon armurier à Piltover. »
« Piltover... », répète-t-il, perdu dans ses pensées.
« Ce n'est pas l'argent qui manque là-bas, ces temps-ci », dis-je.
TF réfléchit un moment.
« Hmm. Je ne suis pas sûr de vouloir de nouveau m'associer à toi. Tu es encore plus bête qu'autrefois... »
« Pareil pour moi. Je ne suis pas sûr de vouloir un partenaire qui s'appelle Twisted Fate. D'où ça sort, un nom pareil ? »
« Je trouve ça beaucoup mieux que mon vrai nom ! », ricane TF.
« Ça se défend. »
Je souris. C'est comme au bon vieux temps. Puis je prends un masque sévère et je le regarde droit dans les yeux.
« Juste un détail : si tu essaies encore de me laisser porter le chapeau, je te fais sauter la tête. »
Le rire de Fate s'éteint. Un moment, il me rend mon regard. Puis il sourit.
« Marché conclu. »
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ACTE II : première partie
Mêlée sur les quais, Le Pont du boucher, Un barrage
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Je tousse en crachant des vapeurs noires. La fumée de l'entrepôt incendié m'enflamme les poumons, mais je n'ai pas le temps de reprendre mon souffle. TF est en train de s'enfuir, et je refuse de passer encore une éternité à lui courir après dans tout Runeterra. Tout doit finir cette nuit.
Cette enflure me voit venir. Il repousse quelques dockers pour se frayer un passage sur le quai. Il essaie d'utiliser la carte qui lui permettra de disparaître, mais il n'a pas le temps de se concentrer.
D'autres Crochets sortent de partout, comme des fourmis à un pique-nique. Avant qu'ils ne puissent bloquer son passage, TF envoie quelques-unes de ses cartes explosives et balaie les ennemis. Une poignée de truands, ça ne fait pas le poids. Moi, c'est autre chose. Je viens récolter mon dû et TF le sait. Il dévale le quai aussi vite qu'il le peut.
Son échauffourée avec les gars du port me donne juste assez de temps pour le rattraper. Il me voit et s'abrite derrière un immense ossement de baleine. Mon fusil réduit son bouclier en miettes et une pluie de fragments d'os retombe autour de nous.
Il rétorque en essayant de m'arracher la tête, mais une balle détruit sa carte en plein vol. Elle explose comme une bombe et nous renverse tous les deux. Il bondit sur ses pieds et file. Je tire aussi vite que mon tromblon en est capable.
Des Crochets approchent avec des chaînes et des sabres. Je me retourne et les transforme en chair à pâtée. Avant que les tripes ne retombent sur le quai, je pivote de nouveau. Je vise TF, mais un tir de pistolet me cloue sur place. Encore des Crochets, et mieux armés.
Je m'accroupis derrière une vieille coque de chalutier pour riposter. Un simple clic. Je dois recharger. J'introduis des munitions dans le cylindre, évacue ma colère en crachant sur le sol et me replonge dans le chaos.
Tout autour de moi, des balles font voler en éclats les caisses de bois. Un bout de mon oreille est emporté. Je serre les dents et j'avance, appuyant sur la détente. Destinée broie tout. Un Crochet cranté perd sa mâchoire inférieure, un autre est propulsé dans la baie. Un troisième s'effondre dans une mare de sang.
J'aperçois TF qui s'échappe en direction des quais-abattoirs. Je passe en courant un pêcheur qui pend des anguilles. L'une d'elles, fraîchement débitée, déverse ses organes sur le quai. Le pêcheur se tourne vers moi en agitant un crochet.
BOUM.
J'arrache sa jambe.
BOUM.
Et puis sa tête.
Je repousse une immonde carcasse de poisson-rasoir et je continue. Je m'enfonce dans le sang jusqu'aux chevilles, et ce n'est pas que du sang de poisson. De quoi donner une attaque à un dandy comme TF. Même avec moi à ses trousses, il ralentit pour préserver au mieux ses vêtements.
Mais avant que je ne puisse approcher, TF accélère brusquement.
« Affronte-moi de face ! »
Quel genre d'homme fuit ses problèmes ?
Un bruit attire mon attention à droite. Deux Crochets sur un balcon. Je tire et l'ensemble s'effondre au sol.
La fumée des détonations et la poussière des débris sont si épaisses que je n'y vois plus rien. Je me fie au son de ses talons de fillette sur les planches de bois. Il fonce vers le Pont du boucher, au bout des quais-abattoirs. La seule issue pour quitter l'île. Pas question de le laisser filer.
Lorsque j'arrive à hauteur du pont, je vois TF piler à mi-chemin. Je pense d'abord qu'il a abandonné. Puis je comprends : de l'autre côté, une masse de truands armés de sabres bloque le passage. Je ne recule pas pour autant.
TF se retourne et m'aperçoit. Il est coincé. Il jette un coup d'œil vers l'eau. Il envisage de sauter, mais je sais qu'il ne le fera pas.
Il n'a plus d'options. Il se met en route vers moi.
« Écoute, Malcolm. Il est inutile que nous mourions ici. Dès que nous serons sortis de ce... »
« Tu t'enfuiras encore. Tu n'as jamais rien fait d'autre. »
Il ne répond pas. Soudain, ce n'est plus moi qui l'inquiète. Je me retourne pour voir ce qu'il fixe.
Derrière moi, je découvre toute la racaille capable de porter un sabre ou un pistolet déferler sur les quais. Gangplank a sonné le branle-bas général. Une condamnation à mort, ça vaut bien ça.
Mais pour moi, aujourd'hui, vivre n'est pas le plus important.
ACTE II : deuxième partie
Près du but, Au-dessus des abysses, Plongeon
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Les Crochets ne se pressent pas. Plus la peine. Nous sommes dans la nasse. Derrière eux, tous les coupe-jarrets de Bilgewater semblent avoir été invités à la fête. Pas d'issue.
À l'extrémité du pont, interdisant ma fuite vers les bas quartiers de Bilgewater, je crois voir tous les Galures rouges de la ville. Ils règnent sur la rive est. Gangplank a la main sur eux, comme sur les Crochets et comme sur presque toute cette satanée cité.
Derrière moi, il y a Graves qui approche à grand bruit. Cet imbécile obstiné se moque de la situation dans laquelle nous sommes. C'est vraiment incroyable. Comme autrefois. On est dans les sables mouvants et il refuse d'écouter.
Je voudrais pouvoir lui expliquer ce qui s'est passé à l'époque, mais à quoi bon ? Il ne me croira pas. Quand il a une idée dans la calebasse, pas la peine d'essayer de le raisonner. D'autant que le temps presse.
Je me colle à la rambarde. Je vois les poulies et les treuils suspendus sous le pont et, beaucoup plus bas, l'eau. Ma tête tourne et mon estomac me tombe dans les talons. Je reflue vers le milieu du pont et je comprends dans quelle situation je me trouve.
Au loin, je distingue le navire aux voiles noires de Gangplank. Une armada de canots en provient et s'approche à grands coups d'aviron. Tous ses hommes foncent vers nous.
Impossible de passer les Crochets, impossible de passer les Galures et impossible de raisonner cette bourrique de Graves.
Il ne me reste qu'une solution.
Je monte sur la rambarde du pont. Nous sommes encore plus hauts que je ne le pensais. Le vent fait claquer mon manteau comme les voiles d'un navire. Je n'aurais jamais dû revenir à Bilgewater.
« Saute et va en enfer ! », dit Graves. Y a-t-il du désespoir dans sa voix ? Ça le tuerait que je meure avant la confession qu'il attend de moi.
Je prends une profonde inspiration. C'est vraiment très haut.
« Tobias, descends », dit Malcolm.
Je m'arrête. Je n'ai plus entendu ce nom depuis si longtemps.
Puis je saute.
ACTE II : troisième partie
Représentation, Un observateur, Dans la nuit
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L'Hydre de bronze était l'une des rares tavernes de Bilgewater qui n'était pas couverte de sciure. On n'y renversait guère les boissons, les dents y restaient généralement dans les bouches. Mais cette nuit-là, on pouvait entendre ses clients jusqu'au Promontoire des plongeurs.
Des hommes d'excellente réputation, aux moyens confortables, se lançaient dans des chants douteux célébrant des actions pires encore.
Et là, au milieu d'eux, se tenait la responsable des festivités.
Elle tournoya sur elle-même, proposa un toast au capitaine du port et à son guet. Ses somptueux cheveux rouges virevoltaient, captivant le regard de tous les hommes qui restait rivé à elle.
Les verres se remplissaient aussitôt vides : la sirène aux cheveux de feu y prenait garde. Mais ce n'est pas pour l'alcool que les clients restaient à la taverne. C'était pour son prochain sourire.
Au milieu de la joie générale, la porte s'ouvrit. Un homme aux vêtements simples entra. Avec le genre de discrétion qui requiert des années de pratique, il alla au bar et demanda un verre.
Au centre de la foule disparate, la jeune femme s'empara d'une chope de bière.
« Mes chers amis, je crains de devoir partir à présent ! »
Le guet du port protesta avec force récriminations.
« Allons, allons, nous nous sommes bien amusés », dit-elle affable. « Mais j'ai encore beaucoup de choses à faire et vous êtes tous très en retard pour votre tour de garde. »
Elle sauta sur une table et les regarda avec un air triomphant.
« Que la Mère Serpent nous accorde sa pitié pour nos péchés ! »
Elle s'illumina de son plus captivant sourire, souleva la chope jusqu'à ses lèvres et engloutit la bière en une gigantesque gorgée.
« Surtout les plus gros ! », ajouta-t-elle en abattant le verre sur la table.
Elle essuya la mousse sur sa bouche et dans un rugissement général lança un baiser à tous.
Comme des laquais devant leur reine, les clients s'écartèrent.
Le capitaine du port lui tint élégamment la porte. Il voulut quémander un dernier regard, mais elle s'était escamotée dans la foule avant qu'il n'ait eu le temps de se relever de sa courbette.
À l'extérieur, la lune avait disparu derrière le Nid des citoyens et les ombres de la nuit semblaient venir à la rencontre de la jeune femme. Chaque pas qui l'éloignait de la taverne gagnait en assurance. Son attitude d'insouciance s'évaporait pour révéler sa vraie nature.
Son sourire, son air de bonne humeur joviale avaient disparu. Son regard était dur, elle ne voyait plus les rues autour d'elle, ses yeux portaient bien au-delà et fouillaient les innombrables possibilités de la nuit.
L'homme aux vêtements simples de la taverne gagnait sur elle. Ses pas étaient silencieux, mais étonnamment rapides.
Il aligna sa démarche sur la sienne en parfait unisson, un pas derrière elle, à la périphérie de sa vision.
« Tout est en place, Rafen ? », demanda-t-elle.
Après toutes ses années, son incapacité à la surprendre continuait à l'étonner.
« Oui, capitaine », dit-il.
« On ne t'a pas repéré ? »
« Non », affirma-t-il, réfrénant son déplaisir devant cette question. « Le capitaine du port n'était pas là pour surveiller et le navire était presque vide. »
« Et le gosse ? »
« Il a joué son rôle. »
« Bien. Nous nous retrouverons au Syren. »
À ces mots, Rafen disparut dans la pénombre.
Elle continua seule dans la nuit qui l'englobait. Tout marchait comme prévu. Il ne lui restait plus qu'à attendre le début du spectacle.
ACTE II : quatrième partie
La plongée, La plus belle paire de bottes, Oranges
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J'entends Graves rugir tandis que je saute du pont. Je ne vois que la corde en dessous de moi. Il ne sert à rien de penser à la chute dans les profondeurs obscures.
Le vent brouille ma vision.
Je hurle presque de joie lorsque je parviens à agripper la corde, mais elle me brûle la paume comme un tison ardent. Ma chute est bloquée net et je glisse à l'extrémité du cordage.
Je reste là un moment, suspendu en jurant.
Il paraît que tomber dans l'eau de cette hauteur ne tue pas, mais j'aime mieux tenter ma chance sur le quai de pierre, cinquante pieds à l'aplomb. Je mourrai sans doute, mais je préfère ça à la noyade.
Entre le quai de pierre et moi, il y a une paire de câbles épais qui courent jusqu'à Bilgewater à proprement parler ; un pour l'aller, un pour le retour. Des mécanismes rudimentaires et bruyants les font fonctionner. Ils transportent des portions débitées d'animaux marins vers les marchés.
Les câbles émettent un raclement tandis qu'un immense baquet rouillé approche de moi par à-coups.
Un sourire se dessine une seconde sur mes lèvres. Jusqu'à ce que je vois ce que le baquet contient. Je m'apprête à sauter à pieds joints dans une masse molle de rates de poissons pourris.
Il m'a fallu des mois pour gagner de quoi m'offrir mes bottes. Souples comme du caoutchouc et solides comme de l'acier, elles ont été confectionnées dans le cuir d'un dragon des abysses. Il n'y en a pas quatre paires dans le monde.
Malédiction.
Je saute avec précision et j'atterris au milieu du baquet. La matière froide et visqueuse s'infiltre par chaque couture de mes chères bottes. Au moins, mon chapeau est resté propre.
Soudain, j'entends ce fichu fusil aboyer de nouveau.
La ligne d'amarrage explose.
Le baquet gronde en se libérant des câbles. Le vent me gifle tandis que le baquet tombe sur le sol de pierre. Je sens le choc contre le quai avant que tout ne se renverse sur le côté.
Le ciel me tombe sur la tête. Et une tonne d'organes de poisson.
Je lutte pour me relever et je cherche une issue. Les sbires de Gangplank approchent. Ils sont presque là.
Encore abasourdi, je me traîne vers un petit bateau attaché au quai. Je suis à peine à mi-chemin quand un coup de fusil perce un trou dans la coque, ce qui le fait couler aussitôt.
Je me laisse tomber à genoux, épuisé. J'essaie de reprendre mon souffle. Malcolm me surplombe. Il est en train de descendre, lui aussi. Rien de surprenant.
« On est moins coquet, maintenant, hein ? », sourit-il en me regardant de haut en bas.
« Tu n'apprendras donc jamais ? », dis-je en me relevant. « À chaque fois que j'essaie de t'aider, je... »
Il tire sur le sol, juste devant moi. Je sens un éclat m'érafler le menton. « Si seulement tu écou... »
« Oh, j'en ai ma claque d'écouter. C'était le plus gros coup de notre vie, et avant que j'aie le temps de dire ouf, tu avais filé ! »
« Quoi ? Mais je t'avais pourtant d... »
Une autre détonation, une autre pluie de pierres, mais je n'en suis plus à avoir peur de ça.
« J'ai essayé de nous sortir de là. Tout le monde voyait bien que ça tournait mal, mais tu n'as rien voulu entendre. Tu n'écoutes jamais. » La carte est dans ma main avant même que je ne m'en rende compte.
« Tout ce que tu avais à faire, c'était couvrir mes arrières. On en serait ressortis indemnes et riches. Mais tu as filé... », dit Graves en avançant. L'homme que j'ai connu semble égaré dans un univers de haine.
Je n'essaie plus de dire autre chose. Je le vois à son regard. Quelque chose s'est brisé à l'intérieur de lui.
Par-dessus son épaule, une lueur capte mon attention. Une platine à silex. Le premier des hommes de Gangplank est sur nous.
Sans réfléchir, je lance la carte. Elle vole vers Graves.
Il fait feu.
Ma carte abat l'homme de Gangplank. Son pistolet visait le dos de Malcolm.
Derrière moi, un autre membre de son équipage s'effondre au sol, un couteau dans la main. Si Graves ne l'avait pas descendu, c'en était fini de moi.
Nous nous jetons un regard. Les vieilles habitudes.
Les hommes de Gangplank nous encerclent et s'approchent, bruyants et moqueurs. Ils sont trop nombreux pour qu'on les combatte.
Ça n'arrête pas Graves. Il lève son canon, mais il est à court de munitions.
Je ne tire aucune carte. Ça ne sert à rien.
Malcolm rugit et leur fonce dessus. C'est sa manière d'être. Il détruit le nez d'un truand à coups de crosse avant de succomber sous la masse.
Des mains se saisissent de moi, immobilisent mes bras. Malcolm est remis sur pieds. Du sang coule de son visage.
La clameur de la foule autour de nous se tait soudain. L'atmosphère se fait inquiétante.
Le mur de truands s'ouvre pour laisser passer une silhouette vêtue d'un manteau rouge.
Gangplank.
De près, il est plus grand que nature. Plus vieux aussi. Ses traits sont profonds et burinés.
Il tient une orange dans la main, qu'il pèle avec un couteau à manche sculpté. Il prend tout son temps. Il est méticuleux.
« Alors, les gars », dit-il (sa voix est un grondement caverneux). « Vous aimez la sculpture sur os ? »
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ACTE I : première partie
Les quais-abattoirs, Le boulot, Un vieil ami
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Les quais-abattoirs de la Ville aux rats. La puanteur en est reconnaissable entre mille. Et pourtant m'y voici, caché dans la pénombre, inhalant les relents de bile et de sang des serpents de mer qu'on débite.
Je me fonds plus profondément dans l'obscurité et je baisse le rebord de mon chapeau sur mon visage en voyant débouler les membres lourdement armés des Crochets crantés. Ces types ont une réputation de sauvagerie. En combat loyal, ils auraient peut-être le dessus sur moi. Mais je n'ai rien d'un Monsieur Loyal et je ne suis pas là pour me battre. Pas cette fois-ci.
Alors pourquoi suis-je ici, dans l'un des pires quartiers de Bilgewater ? Pour l'argent. Évidemment.
Accepter ce travail était un pari, mais la somme promise était telle que je n'ai pas pu refuser. Et puis j'ai fait une reconnaissance dans les parages, pour mettre les atouts de mon côté. Je n'ai pas l'intention de m'attarder. Je veux entrer et ressortir aussi rapidement et silencieusement que possible. Une fois le boulot achevé, je récupérerai ce qu'on me doit et je filerai avant l'aube. Si tout va bien, je serai à mi-chemin de Valoran avant qu'on repère la disparition de quoi que ce soit.
Les truands tournent l'angle du colossal abattoir. Cela signifie que j'ai deux minutes avant que leur ronde ne repasse par ici. Plus de temps qu'il n'en faut. La lune est éclipsée par des nuages. Le quai se fond dans les ténèbres. Les caisses débarquées dans la journée sont réparties un peu partout sur le port. Rien de plus simple que de se déplacer à couvert.
Sur le toit du principal entrepôt, j'aperçois des silhouettes qui montent la garde, arbalètes en main. Ils discutent à voix haute comme des marchandes de poissons. Je pourrais porter une cloche de vache et ils n'entendraient rien. Ils pensent que personne n'est assez stupide pour tenter d'entrer ici. Un corps bouffi est suspendu pour servir d'avertissement. Il tournoie lentement dans la brise nocturne du port. C'est un horrible spectacle. Un énorme crochet le maintient en l'air. Le genre de crochet qu'on réserve d'ordinaire aux raies mantas. J'enjambe les paquets de chaînes abandonnés sur la pierre mouillée et je me faufile entre deux grues. Elles servent au dépeçage des monstres marins. C'est à cause de ces boucheries que l'odeur pestilentielle imprègne tout dans la région. Quand tout ça sera terminé, il faudra que je m'offre de nouveaux vêtements.
De l'autre côté de la baie, au-delà des eaux des quais-abattoirs que souillent les appâts, des rangées de navires sont à l'ancre. Le reflet de leurs fanaux se balance doucement sur la surface. Un de ces vaisseaux attire mon attention. C'est un gros galion de guerre aux voiles noires. Je sais à qui appartient ce bateau. Tout le monde le sait à Bilgewater. Je m'arrête une seconde pour jouir de la situation. Je suis sur le point de voler l'homme le plus puissant de la cité. Il y a toujours une certaine volupté à cracher au visage de la mort.
Comme je m'y attendais, l'entrepôt principal est plus verrouillé que l'esprit d'un bourgeois. Des gardes à chaque entrée. Des portes closes et barrées. Pour tout autre que moi, des obstacles infranchissables. Je m'accroupis dans une allée obscure, en face de l'entrepôt. C'est une voie sans issue, et elle n'est pas aussi sombre que je le voudrais. Si je suis encore là au retour de la patrouille, ils me verront. Et s'ils me mettent la main au collet, il ne me restera plus qu'à prier pour une mort rapide. Le plus probable, c'est qu'on me conduira à lui... Et ce sera une façon beaucoup plus longue et beaucoup plus pénible de partir.
Comme toujours, l'astuce est de ne pas se faire prendre...
Et puis je les entends. La ronde revient trop tôt. Il me reste quelques secondes, au mieux. Je sors une carte de ma manche et je la fais glisser entre mes doigts. Cela m'est aussi naturel que de respirer. Ça, c'est la partie facile. Pour le reste, impossible d'aller plus vite.
Je laisse mon esprit errer tandis que ma carte commence à luire. La pression grandit autour de moi et je sens soudain que pour moi, partout est possible. Je ferme les yeux à demi, je me concentre, je visualise l'endroit où je dois être.
Puis c'est l'habituelle sensation au creux des tripes, et je m'évapore. Un simple déplacement d'air et je suis à l'intérieur de l'entrepôt. J'ai disparu sans laisser de trace.
Je suis vraiment bon.
Un des Crochets crantés jettera peut-être un coup d'œil dans l'allée. Si c'est le cas, tout ce qu'il verra, c'est une carte à joueremportée par la brise.
Il me faut un moment pour retrouver mes esprits. Les lumières tamisées des lanternes extérieures s'infiltrent par les planches disjointes. Peu à peu, mon regard s'adapte.
L'entrepôt est surchargé, rempli des trésors pillés sur les Douze Mers : des pièces d'armure étincelantes, des œuvres d'art exotiques, des soies somptueuses. Toutes choses d'une valeur considérable, mais ça n'est pas pour cela que je suis venu.
Je cherche du regard les portes de l'entrepôt qui donnent sur les quais. Je sais que c'est là que je trouverai les plus récents arrivages. Je fais courir le bout de mes doigts sur les caisses et les coffres... jusqu'à ce que je tombe sur un petit coffret de bois. Je sens la puissance qui en émane. C'est pour ça que je suis ici.
Je soulève le couvercle.
Je peux enfin le voir. Un couteau d'un dessin exquis sur un lit de velours noir. Je tends la main...
Chh-chunk.
Je m'immobilise. Je reconnaîtrais ce son n'importe où.
Avant même qu'il ne parle, je sais qui se tient derrière moi dans l'obscurité.
« TF », dit Graves. « Ça fait un sacré bail. »
ACTE I : deuxième partie
L'attente, Retrouvailles, Feux d'artifice
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Je suis ici depuis des heures. Certains s'ennuieraient à rester immobiles aussi longtemps, mais ma rage me tient compagnie. Je ne quitterai pas cet endroit avant d'avoir réglé mes comptes.
Bien après minuit, la vipère s'est enfin montrée. Il est soudain apparu dans l'entrepôt, grâce à son vieux tour de passe-passe. Je prépare mon fusil, prêt à l'éviscérer. Après toutes ces années à courir derrière ce sale traître, le voici enfin au bout de mes canons.
« TF », dis-je. « Ça fait un sacré bail. »
J'avais préparé un petit discours pour ces retrouvailles. Je l'ai oublié à la minute où je l'ai aperçu.
Mais TF n'a aucune réaction. Il est impassible. Pas de peur, pas de regret, pas l'ombre d'une stupeur. Impavide même face à un fusil chargé. Que les dieux le damnent.
« Malcolm, depuis combien de temps tu attends ici ? », me demande-t-il – et sa voix narquoise me plonge dans une rage folle.
Je vise. Je peux appuyer sur la détente et abandonner derrière moi un cadavre.
Je devrais le faire.
Mais pas encore. J'ai besoin de l'entendre s'expliquer. « Pourquoi ? » Ah, je sais bien qu'il va trouver quelque chose de malin à rétorquer.
« Ce fusil, c'est vraiment indispensable ? Je croyais que nous étions amis. »
Amis. Cette enflure se fiche de moi. L'envie me saisit de lui arracher la tête. Mais je dois garder mon sang-froid.
« Je vois que tu es toujours aussi coquet. »
Mes vêtements ont été déchiquetés par les raies mantas. J'ai dû nager pour passer les gardes. Depuis qu'il a trois sous en poche, TF se pique d'élégance. J'ai hâte de le chiffonner un peu. Mais d'abord, je veux des réponses.
« Dis-moi pourquoi tu m'as laissé tomber, ou on retrouvera des petits bouts de ta jolie personne dans tous les coins. » Voilà ce qui se passe quand on a affaire à TF. Vous lui donnez du mou et c'est vous qui vous retrouvez à danser au bout de ses ficelles.
Souple comme une anguille. C'était pratique quand nous étions partenaires.
« Dix ans au Mitard ! Tu sais ce que ça fait ? »
Il l'ignore. Pour une fois, il n'a rien d'ironique à répondre. Il sait qu'il m'a trahi.
« Ils m'ont fait des choses qui conduiraient la plupart des hommes à la folie. Seule la rage m'a permis de tenir. Et l'idée de te retrouver un jour. »
Il récupère vite. Il fait de nouveau le malin : « Tu devrais me remercier, alors. C'est grâce à moi que tu es en vie. »
Cette fois, je perds mon sang-froid. Je suis tellement furieux que j'en ai les yeux injectés de sang. Il essaie de me provoquer. Quand je serai aveuglé par la rage, il pourra jouer son petit numéro de disparition. Je respire profondément et je néglige l'appât. Il est surpris que je ne morde pas. Mais cette fois, j'aurai mes réponses.
« Combien ils t'ont payé pour me vendre ? »
TF se tient là, souriant, essayant seulement de gagner du temps.
« Malcolm, j'aimerais beaucoup avoir cette conversation avec toi, mais ce n'est ni le lieu ni l'heure. »
Presque trop tard, je repère la carte qui danse entre ses doigts. J'appuie sur la détente.
BLAM.
Plus de carte. La main n'est pas passée loin non plus.
« Idiot ! », aboie-t-il. Bien. Je lui ai enfin fait perdre son calme. « Tu viens de réveiller l'île au grand complet ! Tu sais à qui appartient cet endroit ? »
Ça m'est égal.
Je me prépare de nouveau à tirer. Je vois à peine ses mains bouger et les cartes explosent tout autour de moi. Je riposte, sans savoir si je le veux mort ou presque mort.
Avant que je n'arrive à le retrouver dans la fumée et les copeaux de bois qui giclent, une porte s'ouvre violemment.
Une dizaine de truands surgissent bruyamment et ajoutent à la confusion.
« Alors, c'est vraiment comme ça que tu veux que ça se passe ? », demande TF, prêt à me jeter une nouvelle poignée de cartes.
Je fais oui de la tête et je redresse les chiens de mon arme.
Il est temps de régler ça une fois pour toutes.
ACTE I : troisième partie
Atouts, Alarme, Tour de main
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La situation dégénère. Rapidement.
Tout l'entrepôt grouille de Crochets crantés, mais Malcolm s'en moque éperdument. Il ne s'intéresse qu'à moi.
Je sens venir la prochaine décharge de Graves et je m'esquive. La détonation est assourdissante. Une caisse explose là où je me trouvais une fraction de seconde plus tôt.
Je pense que mon ancien partenaire essaie de me tuer.
Je fais un saut périlleux au-dessus d'un stock d'ivoire de mammouth en lançant trois cartes dans sa direction. Avant qu'elles ne touchent, je suis déjà à couvert et je cherche un moyen de filer. Je n'ai besoin que de quelques secondes.
Il jure bruyamment, mais les cartes parviennent tout au plus à le ralentir. Ça n'a jamais été une mauviette. Et il est obstiné. Il ne sait jamais quand il faut laisser tomber.
« Tu ne t'en sortiras pas, TF ! », grogne-t-il. « Pas cette fois. »
Oui. Obstiné, on vous dit.
Mais il a tort, comme d'habitude. Je filerai donc à la première occasion. Ça ne sert à rien d'essayer de lui parler quand il a décidé de verser le sang.
Une autre détonation et des shrapnels ricochent sur une somptueuse armure de Demacia avant de cribler les murs et le sol. Je plonge à droite et à gauche, j'esquive et je feinte, je fonce d'un abri à l'autre. Il reste à mes basques, vociférant des menaces et des accusations, son fusil aboyant entre ses mains. Graves se déplace vite pour un homme de sa stature. Je l'avais presque oublié.
Et il n'est pas le seul problème. Cet imbécile a réveillé un nid de frelons avec ses tirs et son vacarme. Les Crochets crantés vont fondre sur nous, non sans avoir laissé des hommes pour interdire toutes les issues.
Il faut que je file. Mais pas sans ce que je suis venu chercher.
J'ai fait danser Graves dans tout l'entrepôt et je suis de retour là où nous avons commencé notre ronde. Il y a des Crochets entre mon butin et moi, et des renforts arrivent, mais je ne peux pas me permettre d'attendre. La carte, dans ma main, vibre d'une lueur rouge. Je la propulse droit dans les portes de l'entrepôt. La détonation les arrache à leurs gonds et disperse les Crochets. J'approche.
L'un des truands récupère plus vite que je ne l'espérais et tâche de me frapper avec sa hachette. J'esquive et lui casse le genou d'un coup de botte tout en jetant d'autres cartes à ses camarades pour leur apprendre les vertus de la modestie.
Mon chemin est libre. Je m'empare de la dague ornée que j'ai été embauché pour voler et la glisse à ma ceinture. La nuit est mouvementée. Je mérite un dédommagement.
Les portes sont à ma portée, mais les Crochets s'y entassent. Aucun moyen de filer par ici, je me dirige donc vers le seul coin tranquille de cet asile de fous.
Une carte danse dans ma main : je me prépare à disparaître. Mais alors que je suis sur le point de réussir, Graves apparaît. Il me suit comme un ours enragé. Son fusil parle à un Crochet cranté et doit lui dire des choses bien déplaisantes, parce qu'il tombe à la renverse.
Le regard de Graves est attiré par la carte qui luit dans ma paume. Il sait ce que ça signifie et il redresse vers moi ses canons fumants. Je suis obligé de filer, ce qui interrompt ma concentration.
« Tu ne pourras pas fuir jusqu'à la fin des temps ! », hurle-t-il.
Pour une fois, il ne se conduit pas stupidement. Il refuse de me laisser le temps dont j'ai besoin.
Il m'empêche de jouer à ma manière et l'idée que je risque de tomber entre les mains des Crochets commence à me peser lourdement. Leur chef n'a aucune pitié.
Parmi les mille pensées qui s'agitent dans ma tête, il y a la conviction que j'ai été piégé. On me propose de but en blanc un boulot facile, beaucoup d'argent au moment où j'en ai le plus besoin, et... surprise ! Mon vieux partenaire est là qui m'attend. Quelqu'un de beaucoup plus malin que Graves se joue de moi.
Mais je suis meilleur qu'ils ne croient. Bien sûr, je mérite des coups pour avoir été négligent. Et apparemment, il y a plein de monde par ici qui a envie de me donner ce que je mérite.
Pour l'heure, la seule chose qui compte est de filer d'ici. Deux tirs de Malcolm m'incitent à accélérer. Je me retrouve dos à une grosse caisse de bois. Un carreau d'arbalète se loge au-dessus de ma tête, à quelques centimètres à peine.
« On ne va nulle part ! », hurle Graves.
Je regarde autour de moi et je constate que les flammes de l'explosion s'attaquent au toit. En effet, il va être dur d'aller quelque part.
« On nous a vendus, Graves ! »
« Et tu t'y connais ! »
J'essaie de le raisonner.
« Ensemble, on peut se sortir de cette situation. »
Je dois commencer à être désespéré.
« Plutôt mourir que de te faire de nouveau confiance ! »
Je m'y attendais. En appeler à sa raison ne fait que l'enrager. Et c'est exactement ce dont j'avais besoin. Le distraire assez pour me téléporter hors de l'entrepôt.
J'entends Graves rugir à l'intérieur. Il vient sans doute de débouler sur la position que j'occupais une seconde plus tôt. Il n'y a trouvé qu'une carte qui le nargue.
Je lance un barrage de cartes à travers les portes, derrière moi. L'heure de la subtilité est passée.
J'ai un bref regret d'avoir abandonné Graves dans les flammes. Mais ça ne le tuera pas. Il est trop têtu pour ça. De plus, des quais en feu, c'est très sérieux dans une ville portuaire. Cet incendie est une excellente diversion.
Alors que je cherche la manière la plus rapide de fuir, j'entends une explosion derrière moi.
Graves s'est fabriqué sa propre porte d'un coup de fusil. Son regard ne parle que de meurtre.
Je le salue d'un coup de chapeau et je file. Il se lance à ma poursuite.
Je dois avouer que j'admire sa détermination.
Avec un peu de chance, ça ne me tuera pas cette nuit.
ACTE I : quatrième partie
Gravure sur os, Une leçon de force, Un message
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Les yeux du gamin étaient agrandis par la panique tandis qu'on le conduisait vers la cabine du capitaine.
Ce sont les hurlements de douleur qui traversaient la porte au bout du couloir qui lui faisaient regretter sa décision. Personne à bord de l'énorme navire de guerre noir ne pouvait manquer d'entendre ces cris. C'était le but recherché.
Le bosco au visage couvert de cicatrices posa une main rassurante sur l'épaule du garçon. Ils s'arrêtèrent devant la porte. L'enfant frémit en entendant un nouveau râle percer la cloison.
« Du calme », dit le bosco, « le capitaine écoutera tout ce que tu as à lui dire. »
Il frappa vigoureusement à la porte. Elle fut ouverte par une énorme brute au visage tatoué, son immense sabre rangé dans son étui dorsal. Le garçon n'entendit pas leur échange. Son regard était vissé à la silhouette massive qui lui tournait le dos, assise dans la cabine.
Un costaud, le capitaine. D'âge moyen. Le cou et les épaules d'un taureau. Ses manches étaient relevées et ses bras ruisselaient de sang. Un grand manteau rouge était pendu dans un coin, avec un tricorne noir.
« Gangplank... », murmura le gosse des rues, rempli de terreur et de fascination.
« Capitaine, je pense que vous devriez entendre ça. »
Gangplank ne dit rien et ne se tourna pas. Il était comme concentré sur une tâche. Le marin tatoué poussa le garçon qui trébucha avant de retrouver son équilibre de justesse. L'enfant approcha du capitaine comme il l'aurait fait du rebord d'une falaise. Sa respiration s'accéléra quand il vit à quoi travaillait le pirate.
Des bassines d'eau tachée de sang avoisinaient sur son bureau des couteaux, des crochets et des instruments chirurgicaux.
Un homme était solidement ligoté devant lui. Seule sa tête était libre. Il regardait autour de lui dans un état de désespoir hystérique, le visage couvert de sueur.
Le regard du garçon fut inexorablement attiré par la jambe d'écorché du prisonnier. Le gosse réalisa soudain qu'il ne savait plus pourquoi il était venu.
Gangplank releva la tête pour dévisager le visiteur. Ses yeux étaient froids et morts comme ceux d'un squale. Il tenait une lame dans une main avec les délicatesses d'un artiste maniant le pinceau.
« L'art de la gravure sur os se perd », dit Gangplank, retournant à son travail. « Plus personne n'a la patience, aujourd'hui. Ça prend du temps. Tu vois ? Chaque entaille a un but. »
L'homme était toujours en vie, en dépit de l'état de sa jambe dont on avait pelé la peau et la chair jusqu'à l'os. Pétrifié d'horreur, le gamin regardait les volutes subtiles que le capitaine venait de graver sur la jambe. C'étaient des tentacules et des vagues. Un travail élégant, presque beau. Ça n'en était que plus horrible.
Le matériau vivant de Gangplank eut un sanglot.
« Pitié... », gémit-il.
Gangplank ignora la plainte et posa son couteau. Il lança un verre de whisky bon marché sur son travail pour nettoyer le sang. L'homme hurla à s'en arracher les cordes vocales, avant d'avoir la chance de perdre connaissance. Gangplank grogna de dégoût.
« Souviens-toi de ça, petit. Parfois, même ceux qui sont loyaux oublient quelle est leur place. Il faut le leur rappeler. Le vrai pouvoir, c'est la manière dont les gens te voient. Si tu parais faible, rien qu'une seconde, tu es fini. »
L'enfant approuva de la tête, le visage blanc.
« Réveille-le ! », dit Gangplank avec un geste en direction du matelot évanoui. « Il faut que tout l'équipage entende sa chanson. »
Pendant que le chirurgien de bord s'avançait, Gangplank reposa son regard sur l'enfant.
« Alors, qu'est-ce que tu as à me dire ? »
« Un... Un homme... », dit le gamin tétanisé. « Un homme sur les quais de la Ville aux rats. »
« Continue », dit Gangplank.
« Il essayait de se cacher des Crochets. Mais moi je l'ai vu. »
« Hmm-hmm... », murmura Gangplank que cette histoire n'intéressait pas. Il se pencha de nouveau vers son travail.
« Continue, petit », encouragea le bosco.
« Il avait des cartes à jouer bizarres qui faisaient de la lumière. »
Gangplank se redressa comme un colosse jaillissant des profondeurs.
« Dis-moi où ! »
La ceinture de cuir de son fourreau grinça quand il le prit en main.
« Près de l'entrepôt, le grand à côté des abris. »
Le visage de Gangplank s'empourpra de rage. Il enfila sa redingote et arracha son tricorne au mur. Ses yeux brillaient dans les lueurs de la lampe. L'enfant ne fut pas le seul à faire un pas en arrière.
« Donne au gosse un serpent d'argent et un repas chaud », ordonna le capitaine au bosco en s'élançant vers la porte de la cabine.
« Et que tout le monde se rende aux quais. On a du travail. »