Beaucoup de ceux qui n’ont pas connu cette pandémie virtuelle de World of Warcraft "Vanilla" en ont entendu parler avec émotion par les plus anciens joueurs. Nous racontons aujourd’hui l’« incident du sang vicié » qui a décimé les rangs des deux factions en septembre 2005, et gagné depuis une place dans le lore.
Contexte
World of Warcraft est sorti le 23 novembre 2004 (ou le 11 février 2005 pour l'Europe). Le 13 septembre suivant, nous en sommes au patch 1.7 Rise of the Blood God qui voit notamment l'arrivée de Zul'Gurub, un raid à 20 joueurs.
Le dernier boss de cette instance répond au doux nom de Hakkar l'Ecorcheur d'Âmes, c'est déjà tout un programme. Au bilan, l'epicness apportée par le Loa du Sang fut clairement au-delà de ce que pouvaient attendre joueurs et développeurs. En cause ? Un sort, un seul : Sang Vicié qui dure 10 secondes en effectuant des dégâts périodique en AOE et qui peut se propager aux personnages proches (joueur, compagnon ou même PNJ).
Ce que nous appelons pudiquement « l'incident »
Comment obtient-on une épidémie ?
Dès ce 13 septembre 2005, des groupes d'aventuriers courageux (ou avides) s'en vont purger le monde de la menace "Hakkarienne". En théorie, le Sang Vicié ne peut pas quitter l'enceinte de Zul'Gurub, mais les joueurs ont rapidement l'occasion de constater qu'il existe un moyen de contourner (volontairement ou non) les barrières virtuelles mises en place par les développeurs. Même si les PJ ne peuvent théoriquement sortir le Sang Vicié de l'instance, un compagnon de démoniste ou de chasseur garde le debuff s'il est renvoyé puis réinvoqué hors de Zul'Gurub.
Libérez le compagnon en question dans une zone de forte population comme une capitale et c'est la recette pour infecter un maximum de joueurs en un minimum de temps. Et ici, le gros plus par rapport au monde réel c'est que les nombreux PNJ sont immanquablement porteurs sains du Sang Vicié. Ils sont infectés par le mal mais n'en subissent pas les effets - dont le plus définitif : la mort qui fait "malheureusement" perdre le debuff. Ces PNJ constituent donc les véhicules parfaits pour propager encore plus le fléau pendant qu'ils vaquent paisiblement à leurs occupations. Dans ce cas-là, le nec plus ultra est bien sûr d'avoir un maximum de PNJ ambulants pour que les sources d'infection couvrent une plus grande zone.
C'est grave, docteur ?
Vous l'avez compris, nous sommes alors confrontés à une épidémie. Et ici une question se pose : est-ce que c'est grave ? Ou sa variante : est-ce qu'on en meurt ? La réponse est presque simple : oui et non.
Prévu pour compliquer la vie des personnages de niveau 60 sans pour autant les "one shot", le Sang Vicié est parfaitement encaissable au niveau maximum - surtout avec un peu de soins - en attendant la disparition du debuff. En revanche, la situation est plus corsée pour les joueurs de faible niveau. Avec beaucoup moins de points de vie que ceux pour qui la maladie a été concoctée, ils tombent comme des mouches aux premières secondes de l'infection.
Bien sûr
1- nous sommes dans un jeu donc ce n'est qu'une mort virtuelle, il n'y a normalement pas littéralement « mort d'homme » heureusement (je ne veux pas entendre parler du trépas de vos avatars humains).
2- nous sommes dans World of Warcraft où la mort d'à peu près n'importe quel personnage est non définitive, et cela vaut tout particulièrement pour les PJ. Typiquement, il serait beaucoup plus définitif d'avoir le même genre d' « incident » sur Diablo en mode Hard Core.
Il n'empêche que les one shot à répétition peuvent nuire sérieusement à l'expérience de jeu, qui est normalement censé être un divertissement plutôt qu'une source de frustration.
Pour essayer d'enrayer le phénomène, Blizzard décrète alors une quarantaine (volontaire) pour les joueurs infectés. Too little, too late - comme nous disons en bon français. Le Sang Vicié est rapidement devenu une pandémie à l'échelle d'Azeroth.
Pandémie et facteur humain respect des règles, rationalité, prévisibilité
Nous sommes alors témoins de comportements - parfois irrationnels mais très humains - parallèles à ce qui arrive IRL dans un contexte similaire.
Les propagateurs
Ravis d'avoir une nouvelle règle à respecter transgresser, certains joueurs s'empressent de propager le debuff à un maximum de leurs petits camarades.
Exemple IRL : Après avoir appris son infortune, le marquis de Montespan chercha à contracter volontairement une maladie vénérienne dans le but de la transmettre à sa femme qui la donnerait à son illustre amant - heureusement pour le Roi-Soleil, cette manœuvre désespérée échoua.
Les je-m'en-foutistes
Parce que les règles ne sont pas pour eux, certains continuent à vaquer à leurs occupations sans tenir compte des restrictions. Leur rôle est moins "actif" que les propagateurs mais ils participent également à la diffusion de l'épidémie.
Exemple IRL : Mary Mallon, porteuse saine de la fièvre typhoïde, a participé à l'infection de dizaines de personnes pendant ses années de travail en tant que cuisinière au début du XXe siècle.
Les fuyards
World of Warcraft n'échappe pas aux mouvements de panique : pour essayer d'échapper à une mort potentielle, nombreux sont ceux qui fuient les zones infectées, et ce faisant transportent le mal dans des régions encore non touchées.
Exemple IRL : Lors de la peste de 1720 à Marseille, la fuite d'une partie de la population vers l'intérieur des terres entraîna la contamination de toute la Provence - il fallut deux ans pour que l'épidémie disparaisse définitivement de la région.
Les curieux
Des personnes qui se trouvent au départ loin des centres d'épidémie veulent voir de leurs propres yeux le "phénomène" avant de retourner dans leur petit coin paisible. Mais ce faisant, ils ont pu être infectés par le debuff, et le transmettent alors eux aussi à une zone auparavant saine.
Exemple IRL : Les journalistes qui vont parfois chercher l'information sur les lieux d'infection avant de retourner dans les zones "saines" où ils risquent de rapporter la maladie.
Les "bons samaritains"
Parmi ceux qui ont accès à des soins, certains essayent d'aider des joueurs infectés.
Exemple IRL : En dépit de son taux de mortalité record, le virus Ebola draine toujours des volontaires pour soigner les populations infectées.
Après la pandémie, la panacée
Après l'échec des premières barrières virtuelles et de la tentative de quarantaine, les développeurs mettent à contribution un joker que nous n'avons pas dans le cas d'une pandémie IRL : avec le patch 1.8.0 du 8 octobre 2005, le Sang Vicié ne peut plus affecter les compagnons, l'infection ne sortira plus de Zul'Gurub.
Postérité
Dépassant les frontières du jeu, l'incident a attiré l'attention de certains chercheurs qui y ont vu l'occasion d'étudier la propagation d'une épidémie. En effet, à moins d'être Sylvanas - donc apparemment capable de tout anticiper avec 218 coups d'avance -, il est très compliqué de faire des séries de prévisions sur les comportements humains. Il s'avère que les modèles de l'époque avaient tendance à sous-estimer la vitesse de propagation d'épidémies en ne prenant pas suffisamment en compte certains des comportements cités ci-dessus comme les "curieux" par exemple.
La pandémie n'a pas non plus manqué d'influencer Blizzard puisqu'elle a servi d'inspiration pour l'infestation zombie qui marqua le pré-patch de World of Warcraft: Wrath of the Lich King. Le Sang Vicié fit également une apparition dans Hearthstone en même temps que son "père" Hakkar l'Ecorcheur d'Âmes à l'occasion de l'extension des Jeux de Rastakhan.
Par ailleurs, nous touchons ici aux limites du retour aux sources apporté récemment par World of Warcraft: Classic : il serait impossible de revivre à l'identique un événement aussi impactant - et sans précédent - que l'incident du sang vicié. Charge à la communauté de se créer de nouveaux souvenirs dans l'esprit Vanilla en attendant de trouver une véritable machine à remonter le temps (ou un discombobulateur temporel).