La seule façon d'être heureux, c'est d'aimer souffrir
Aux scènes incisives de vitesse ponctuées de joutes endiablées, Naughty Dog y appose de purs moments de contemplation équivoques où le décor devient un écrin dans lequel on arpente le cadre comme un spectateur discret. Un minimalisme qui joue sur les perspectives : les angles de vue des caméras dévoilent progressivement spectacles urbains ou tableaux minéraux à la nature souveraine sur des travellings aguicheurs montés sur roulettes, un travail sur la photo déjà vu cent fois peut-être, mais qui reste toujours aussi efficace. Les plans-séquences aussi respirent parfois grâce à des panoramiques qui entretiennent cette dualité de focus sur l'espace, Drake devient ce personnage insignifiant au milieu de l'immensité qui inonde l'écran, presque un grain de sable dans l'infini des dunes.
Il est évident que ces scènes ne sont pas les plus palpitantes à jouer, mais elles soulignent un contexte de discours qui misera plus sur l'immersion pour le joueur, un contraste qui apporte du liant à une histoire et à son gameplay. En dehors de ces phases, Nate pourra aussi tomber sur quelques énigmes à résoudre, un mécanisme qui a fait ses preuves dans Tomb Raider et qui est aussi un ingrédient présent depuis les débuts de la série.
Bien sûr si vous avez joué à Tomb Raider Anniversary rien ne détrônera dans votre souvenir les moments passés à arpenter le puzzle géant de La Folie Saint François lors de vos vacances avec la belle Lara en Grèce, mais comme à son habitude Uncharted fait bien le travail, certains puzzles sont malins, leur mise en place est spectaculaire et souvent on est pris d'admiration face aux détails affichés à l'écran, Naughty Dog ayant poussé le vice, comme il est de coutume, jusqu' à associer une lecture historique authentique de localités diverses et variées à une transcription artistique fantasmée de certaines légendes dans un jeu de restitution en trompe l’œil. On se retrouve souvent évoluant dans des lieux au cachet pittoresque, à la magnificence triomphante et au parfum ésotérique habillant leurs murs d'un voile de mystère enivrant. Le studio s'amuse bien évidemment de la complexité de la réalité comme d'un jeu pour nous raconter sa réécriture de l'Histoire, se faisant le scribe d'une réinterprétation qui miserait sur une cosmétique sans faille de sa démonstration. Une intégration presque naturelle pour un jeu d'aventure qui frôle parfois le mystique, reste qu'Uncharted mise toujours autant sur sa partie shoot, un habile mix pour éviter l'overdose.
Drake est cette gueule cassée au même penchant que John McClane pour les machineguns et s'il décide parfois de s'amocher volontairement c'est tout simplement parce que sur le moment ça lui semblait une bonne idée. À l'aide de ses acolytes, il activera les dispositifs cachés à travers les niveaux, entre deux rafales d'Ak-47. L'animal, plus souple que jamais, a gagné quelques mouvements dans sa panoplie de coups, rien de révolutionnaire, juste de quoi fluidifier son gameplay comme cette mise à jour de ses compétences au corps à corps qui n'iront pas jusqu'à tutoyer le plaisir que l'on peut ressentir devant un Batman Arkham City mais qui auront le mérite de densifier l'éventail de possibilités pour mettre un terme à certains échanges de politesse qui traîneraient en longueur. Un système de QTE bien plus complet s'invitera donc lors de rixes à mains nues contre des colosses à la mine patibulaire. Un petit plus qui a le mérite de diversifier les scènes d'action, comme cette interface de renvoi de grenades qui même si elle reste anecdotique et gadget permet une communion plus joyeuse avec l'ennemi.
Un ennemi qui a un visage et un nom dans Drake Deception : Katherine Marlowe, une énigmatique sexagénaire dirigeant une société secrète liée à la famille royale anglaise depuis des siècles. Plus noir et hermétique que jamais, le scénario de Naughty Dog use de distorsions temporelles comme pour nous emmener sur la piste de l'histoire de son héros par vagues hypnotiques. Là où les flashbacks d'Uncharted 2 servaient de tremplins pour la chronique de l'intrigue, cette fois-ci leur vocation se veut bien plus introspective, nous faisant remonter le temps comme des archéologues sur les pas de l'histoire de Drake. Ce qui est en haut est aussi en bas...
Il faut bien que genèse se passe
Un passé qui fait surgir une opacité presque inquiétante sur la personnalité de Nate, un parti pris audacieux qui donne à cette aventure un côté viscéral et sombre, absent des épisodes précédents. Uncharted était resté très poli et léger sur les relations entre ses personnages, pour ne pas dire gentillet, un ton qui passait en revue petits flirts et vannes bien senties, bisbilles superficielles entre bad guys, des chamailleries qui avaient un charme certain car elles permettaient une distanciation naturelle entre le joueur et l'aventure, la fiction badinait de manière anodine et désinvolte à l'écran, le joueur derrière son pad enchaînait, lui, le pop-corn en pensant déjà à la prochaine cascade qu'il pourrait réaliser, that's the spirit. Drake Deception vient changer notre perception de cet univers avec des passages mange-cerveaux ou des révélations soudaines et laconiques qui initient la description partielle d'une étrange construction psychologique d'un personnage qu'on côtoie maintenant depuis deux épisodes. Cette proximité nouvelle tire sur les cordes d'un pathos beaucoup plus prononcé, les altérations s'affichent comme dans un miroir déformant dans ces scènes où la vérité semble troublée à jamais par les ondes qui tordent l'image à l'écran dans des convulsions psychédéliques comme pour briser nos derniers repères. Le navire Drake parti à la dérive s'accroche à l'ancre Victor Sullivan comme pour apaiser les flots qui l'agitent.
Un épisode moins avenant donc du point de vue de son ambiance plus sibylline, son climat qui était protégé par l'anticyclone des vacances que l'on parcourait aux côtés de jeunes nymphettes, insouciants et émerveillés, est brusquement attaqué par une dépression intérieure qui fait surgir derrière son soleil de plomb une étrange cataracte de malaise aigre-doux. Un choix d'écriture à la fois surprenant et intéressant de la part de Naughty Dog qui offre à son titre une nouvelle profondeur, et à Drake une part d'ombre inattendue.
Un revirement qui accompagne une épopée qui a tout d'un voyage fantastique, car si Drake's Deception complexifie son background que dire de son cheminement qui impose le respect ? Les couleurs vibrantes inondent le téléviseur par salves perpétuelles, le mythe de l'Atlantis des sables se pare d'atours aux pigments de jaunes impériaux quand le soleil vient mordre les dunes et qu'il s’invite dans notre lucarne entre deux tirs de roquettes, les vermillons et pourpres de la Carthagène des Indes se marient aux façades usées des immeubles coloniaux de la ville et de leur chapeau de tuiles de terre cuite, les étales des souks au Yémen font reluire les cuivres et les étains de leurs narguilés comme les chromes d'une belle américaine à l'ombre des bougainvilliers en fleurs et la PS3 fume ses tripes quand elle prend le large et que sa motion capture s'exprime dans une langue des signes virtuose, un voyage qui est bien loin de celui du Titanic, non le travail accompli ici est plutôt titanesque tant on sait la machine vieillissante, Naughty Dog en rajoute pourtant une couche, la carte postale vire au spectaculaire.
Les moments forts s'enchaînent sans bouleverser les fondements de la série, Drake's Deception ne surprend pas mais il garde cette saveur particulière de bonbon exotique. Enfin il ne surprend pas ? Il a quand même ce petit retour pinçant au niveau de l'histoire de son principal acteur, l'effet gingembre, et certains moments témoignent toujours du sens théâtral de la mise en scène du studio californien, le monde a beau se désagréger sous les pieds de Drake, lui, continue de surnager, comme en apesanteur. Un plaisir qui pourra être prolongé à travers un multiplayer qui a gagné en consistance avec un système de perks plus pointu, une hit-detection réactualisée et des modes de jeux plus nombreux qui entretiendront l'intérêt pour le titre grâce à une progression bien échelonnée. Au niveau de sa campagne en solo, la rejouabilité est aussi de mise pour les perfectionnistes qui s'amuseront très certainement à récupérer tous les trésors disséminés aux quatre coins des tableaux que l'on pourra parcourir tout au long de nos pérégrinations, de quoi voir venir pour les plus passionnés, en attendant la prochaine vague. On pourrait presque commencer à en rêver l'écume...
Le mode multijoueur
Uncharted reste cette série pop-corn au sens noble du terme, un divertissement unique, au calibrage impressionnant et à la réalisation minutieuse. Un jeu tiré à quatre épingles qui promet au joueur une sarabande à l'esthétique flamboyante, au sens du rythme toujours aussi particulier et à la mise en scène impeccable. Drake's Fortune est certainement l'épisode le plus noir de la série, son excursion contraste avec la bonhomie qu'affichaient les épisodes précédents. Bien plus que les promenades qu'il impose dans son kaléidoscope savoureux d'images aux parfums emprunts de carnets de voyage et d'enclaves paradisiaques, sa véritable errance est intérieure. À la recherche de ses racines, le jeu convie le joueur à explorer une nouvelle voie d'accès concernant l'histoire de son principal héros. Une dualité névrotique qui détonne avec cette image d'un monde idéal que la licence renvoyait comme une doublure avenante de son processus ludique. Drake's Deception offre une nouvelle thématique, qu'on aurait souhaitée encore plus croquante surtout dans son dénouement final, mais sa verticalité et son architecture en font un des jeux phares de la petite PS3. Toujours aussi dynamique, le soft s'impose comme un incontournable de cette année, le shooter exotique de Naughty Dog reste un monument singulier dans le paysage des TPS actuels. Une petite merveille.