Si je te dis Fnatic, à quoi cette institution te fait-elle penser ?
Vu que je suis fan de Counter-Strike, ça a toujours été l’équipe suédoise et ses années de domination aux alentours de 2015. C’est une organisation légendaire du top mondial, la crème de la crème de l’esport.
Ça tombe bien, car ce sera ta nouvelle maison pour la prochaine saison à venir…
(Il coupe et s’exclame) Ah bon ? Punaise, trop bien ! (Rires.)
Pourquoi l’avoir rejoint elle et pas une autre ?
Il faut savoir qu’ils m’ont contacté très tôt : fin novembre dernier, bien avant le début de la période des transferts (débutée cette semaine, ndlr), et bien avant que je reçoive d’autres offres, afin d’éviter une trop forte concurrence dans mes propositions. J’ai rapidement accepté, non pas comme un choix par défaut, mais parce que c’est une équipe que je voulais rejoindre depuis longtemps. Il y a très peu de gens qui sont au courant, mais je n’ai contacté qu’une seule équipe en privé après mon bench de Giants (en décembre 2019, ndlr) et c’était Fnatic. Déjà, à l’époque, je voyais le potentiel qu’il y avait chez eux : l’environnement, l’éthique de travail, le staff, le capitanat… beaucoup de choses me plaisaient et m’attiraient. Je voyais donc ça comme une place idéale dans le développement de ma carrière.
Ce transfert est aussi l’occasion pour toi de mettre les pieds dans une région où le playstyle est très exotique : l’Asie-Pacifique.
Après environ deux mois d’entraînement dans cette zone, je constate qu’il y a en effet une suragressivité dominante dans le style de jeu de quasiment toutes les équipes — peut-être encore plus qu’au Brésil — sauf peut-être chez les Coréens. C’est quelque chose que tu punis généralement avec de la discipline et de la stratégie, et ce sont des choses que je vais apporter dans l’équipe.
Il y a dû avoir un côté excitant, aussi, sur le plan humain, dans ta volonté de rejoindre cet endroit ?
Pour moi, ça a toujours été avant tout une question de projet, avant d’être une question de région. C’est pour ça que je me suis retrouvé aux États-Unis si loin de tout le monde, et que là c’est de nouveau le cas avec l’Asie-Pacifique. OK, c’est une culture complètement différente, et ça me plait, mais ce n’est pas forcément ce qui a fait basculer ma prise de décision.
Bon, c’est l’histoire d’un Français, d’un Chinois et de plusieurs Australiens qui jouent pour Fnatic et…
(Rires.) C’est vrai que ma future équipe est du genre hétéroclite !
Plus sérieusement, ce mélange de cultures asiatique, européenne et anglo-saxonne s’annonce vachement enrichissant non ?
Complètement ! Aux États-Unis j’ai pu apprendre beaucoup de choses sur les valeurs, la culture et les modes de vie des Américains. Un an là bas, avec les épisodes Black Lives Matter et le Covid, ça te permet d’emmagasiner pas mal d’informations d’un point de vue personnel. Et en Asie-Pacifique ce sera pareil. Il y aura la culture des Australiens, puis la Chinoise, avec Pat (Patrick « MentalistC » Fan, ndlr) et Lusty dont les parents sont de cette nationalité. J’absorbe beaucoup les cultures que je croise et ça me fait grandir.
La star de l’équipe Étienne « Magnet » Rousseau parle français, mais surtout : Laurent « Crapelle » Patriarche, ton ex-entraîneur chez LeStream et Giants et désormais coach stratégique chez Fnatic, sera là lui aussi. Ça devrait faciliter pas mal ton intégration non ?
J’ai envie de dire oui, parce que c’est toujours bon d’avoir un autre francophone à mes côtés. Ça m’a manqué quand j’étais aux États-Unis et que je n’avais personne avec qui parler ma langue natale. Mais chez Fnatic les personnalités s’imbriquent tellement bien que mon intégration a été excellente. Donc ça aide, mais ça reste un bonus.
En juillet 2020, tu disais à propos du départ de Crapelle vers Fnatic que lui et Jayden Saunders (Dizzle, le directeur esportif de la section Rainbow Six Siege) « ont toujours été très proches, et ont une vision similaire de comment doit fonctionner une équipe. » Quelle est cette fameuse vision ?
C’est basé autour de l’éthique de travail, d’études sur les plus grands succès du sport et sur leurs fondements, sur le travail, ou encore l’optimisation de la performance. Un peu comme ce que fait Astralis sur Counter-Strike, avec la nutrition et l’exercice physique. C’est une véritable vision professionnelle de ce qu’on attend d’un cyberathlete. Ils se servent de tous ces paramètres pour faire progresser les joueurs jusqu’au plus haut niveau possible. Et c’est exactement une vision que je partage.
Sans cracher sur tes clubs précédents, c’est quelque chose que tu n’avais pas rencontré jusque là ?
Les conditions et le support que nous offre Fnatic, c’est inédit pour moi. Je n’avais pas eu un quelque chose d’aussi conséquent au niveau de l’optimisation de la performance et de la gestion des détails qui se rapprochent du sport traditionnel, mais qui font la différence dans un projet long-terme, lors de mes précédents projets.
Après un Six Invitational 2020 pourtant intéressant, le passage de Fnatic dans la North Division de l’APAC League a été catastrophique. : aucune qualification pour un Six Major, et des résultats très décevants. Comment expliquer cela ?
De mon point de vue, ils sont passés de champions d’Asie-pacifique à galérer et se voir très proches de la relégation principalement pour plusieurs raisons. Mais la première, c’est la connectivité : comme les joueurs de Fnatic jouaient depuis l’Australie sur les serveurs asiatiques (dans l’attente perpétuelle que les frontières japonaises rouvrent pour s’y installer, ndlr), ils se retrouvaient avec une latence très élevée. On ne se rend pas bien compte de l’impact que ça peut avoir, alors que tu vas prendre un nombre incalculable de décisions différentes quand tu as du ping et que tu as peur d’aborder tes duels. Ça peut aussi te rendre nerveux, t’agacer fortement et donc amplifier d’autres problèmes qui existent à côté. Comme la problématique du leadership qu’a rencontré l’équipe après le départ de Virtue (Jake Grannan, qui a rejoint G2 Esports en mars 2020, ndlr), des visions de jeu différentes qui ne s’accordent pas, ou des personnalités qui peuvent partir au clash.
J’imagine que ton arrivée combinée à la résolution des problèmes logistiques de Fnatic devrait permettre de relancer la machine ?
Pour répondre à la partie esportive, Fnatic m’a fait venir pour apporter davantage de support, de discipline, de leadership et de la théorie à l’équipe. Un certain cadre qui manquait, en somme.
Tu as sûrement quitté les États-Unis avec un goût amer, après le traitement subi par ton ancienne formation d’eUnited en US Division. Un mot à ce sujet avant de fermer (presque) définitivement la parenthèse ?
La fin a été très brouillonne. Quand je suis venu en France en fin de saison, eUnited était encore considéré comme qualifié pour l’année suivante et toutes mes affaires étaient aux USA. Puis il y a toute cette histoire qui tombe : la structure qui quitte la scène Rainbow Six, Ubisoft qui prend notre slot pour le donner à Tempo, je n’ai plus d’organisation, plus de slot en North American League et mes affaires ne sont même pas rapatriées. Tout ça pendant que je suis en Europe, avec des moyens très réduits pour m’organiser à distance. Donc ça a été vraiment dur. Le pire, en plus, c’est que je n’ai même pas pu dire au revoir à mes coéquipiers.
Il y a quand même du bon à en retirer, je suppose.
L’équipe et les joueurs, ça a été une expérience de fou. Je suis super content de tout ce que j’ai appris là-bas, de ma progression personnelle dans le jeu et en dehors. Ça m’a beaucoup apporté.
À 20 ans seulement, tu as déjà évolué en Europe, puis en Amérique du Nord, et tu t’apprêtes à rejoindre l’Asie. Ton but c’est de devenir le Antoine de Maximy (routard et animateur de l’émission J’irais dormir chez vous) de Rainbow Six Siege ?
Je ne me pose pas de limites. Je suis jeune, plein de ressources, et très content de ce que je peux apporter à une équipe. Donc on va dire que je me fiche des frontières (Rires.) Mon rêve outrepasse les frontières.
À ce rythme, il ne te manquera plus que l’Amérique du Sud pour boucler ton tour du monde.
(Il éclate de rire et répond avec beaucoup de dérision) Alphama.FaZe ! En 2022 !
Quels vont être les apports de tous ces coins du monde sur ton évolution en tant que joueur ?
Le playstyle de chaque région, décliné sous plusieurs formes selon les équipes, est très différent. Et là, c’est un peu comme si j’avais été en bootcamp un an en Europe, un an aux États-Unis, et maintenant en bootcamp en Asie. Je commence à comprendre de manière profonde le jeu sous toutes ses formes différentes, selon tous ses styles, avec des idées en tête pour contrer tout ce que j’ai pu croiser sur mon chemin. Ce qui va du très passif parfois en North America, au très agressif en APAC, ou un jeu plus équilibré en Europe. Et encore, je fais un gros raccourci en disant ça, parce que la diversité ensuite dans chaque région est énorme. Donc c’est très enrichissant.
Un retour en France ou en Europe, ça a été une possibilité dans ta tête ?
J’ai reçu différentes offres d’essais, mais le projet de Fnatic me semblait être le meilleur.
Tu as une page créée sur un site de cours esportifs. Est-ce que transmettre ton savoir aux autres, c’est quelque chose qui te tient à cœur ?
Je n’ai pas encore eu la chance de donner de cours sur cette plateforme, et je n’en aurais pas forcément le temps aujourd’hui avec l’investissement que me demande ma carrière. Mais c’est quelque chose que j’aimerais potentiellement faire plus tard. Ma mère est professeur et elle m’a donné une éducation très portée sur la pédagogie. Donc ça ne me poserait pas de soucis de transmettre plus tard, avec toute l’expérience de vie que j’aurais accumulée aussi entre temps, tout ce que j’aurais appris lors de ma carrière.
Qu’est-ce que tu penses des jeunes Français qui galèrent pas mal aujourd’hui, ou sont du moins très loin des standings que tu côtoies désormais ? BlaZ, Krunch, SETzz, Ayzenn ou Mootiii, par exemple, qui sont pour la plupart d’anciens collègues à toi.
Je pense que, pas volontairement, ils ont négligé quelque part deux aspects très importants de l’esport : le réseau, car ça reste un business avant tout, et l’image. L’attitude, être à l’heure, penser au bien être de ses mates, s’investir plus que les autres, montrer qu’on est un bosseur. Le talent, ils l’ont tous. Mais c’est à qui le montrera sous son meilleur jour. Et malheureusement pour eux, ils n’ont peut-être pas pu montrer assez ces choses-là.
Dans le même temps, il n’y a toujours pas d’ouverture des compétitions de la discipline pour les moins de 18 ans, ce qui complique pas mal la formation des jeunes. C’est quand même fou de se dire que si tu étais né un peu plus tard, même toi tu n’aurais peut-être pas connu une percée aussi rapide…
Pour moi, c’est une erreur de ne pas donner l’opportunité aux jeunes, au moins à partir de seize ans, de pouvoir participer à certaines compétitions. Alors qu’ils sont à un âge où la formation est très importante. Quand on voit le nombre de jeunes sur Fortnite ou Counter-Strike qui sont extrêmement bons et qui peuvent être éduqués tôt, c’est dommage de ne pas profiter de ça sur Rainbow Six.
Actuellement bloqué en France, tu dois attendre une amélioration de la situation sanitaire avant de pouvoir t’envoler pour le Japon. Que vas-tu faire en attendant le fameux départ ?
Je travaille tous les jours, de manière intensive, avec l’équipe. On est dans une phase de préparation, avec une refonte de beaucoup de choses étant donné que j’arrive en qualité de leader en jeu avec de nouvelles idées. Et puis à côté de ça je profite au maximum de ma famille et mes potes, car c’est ce qui me manquera le plus une fois que je serais de l’autre côté du monde.