Dans un article en date du mercredi 27 janvier 2021, deux journalistes de VICE rapportent qu'Activision Blizzard serait l'une des entreprises ciblées par les actionnaires de l'American Federation of Labor and Congress of Industrial Organizations (littéralement "Fédération américaine du travail et du Congrès des organisations industrielles). Celle-ci aurait en effet réclamé à ce que la firme à l'origine notamment de World of Warcraft et Warzone institue une "Rooney Rule" en son sein, une pratique dont le but est d'exiger que les femmes et minorités passent des entretiens d'embauche pour l'ensemble des postes à pourvoir.
Oui mais voilà, les avocats d'Activision Blizzard ne sont pas vraiment pour et revendiquent notamment le manque sérieux de latitude laissée à la direction et au conseil d'administration quant à l'adoption d'une telle règle. En permettant à des actionnaires externes d'imposer un tel règlement, les décideurs de la firme craignent notamment de ne plus avoir leur mot à dire lors des entretiens d'embauche.
La "Rooney Rule", c'est quoi ?
Créée en 2003, la "Rooney Rule" que l'on pourrait traduire par "Règle Rooney" est une politique créée au sein de la National Football League (NFL) obligeant les équipes à faire passer des entretiens aux minorités ethniques pour certains emplois à pourvoir. Ce type de "discrimination positive" s'est par la suite étendu aux candidats féminins également, obligeant ainsi les équipes de football américaines à faire preuve de diversité dans leurs embauches.
Cette règle a par la suite fait l'objet de modifications afin d'être proposée puis adoptée dans certaines entreprises américaines, tout récemment Activision Blizzard et Electronic Arts. Des banques américaines ont également été sollicitées quelques jours plus tôt, c'est le cas notamment de JPMorgan Chase, Bank of America, Citi, Wells Fargo et US Bank.
Pourtant, même si à sa création cette directive a entraîné une augmentation de la représentation des minorités au sein des équipes de la NFL, son efficacité à long terme a très rapidement fait l'objet de sérieuses controverses, dès 2003. Selon les critiques, la "Rooney Rule" pourrait être largement inefficace ou même avoir l'effet complètement inverse à celui recherché, diminuant ainsi l'accès à l'embauche pour les minorités. Les entreprises feraient ainsi passer des entretiens d'embauche "symboliques" afin de remplir les critères qui lui ont été imposées, mais sans jamais avoir l'intention de recruter ces personnes.
Le cas d'Activision Blizzard
Alors qu'Activision Blizzard est sous le feu des projecteurs suite à sa résistance à propos de l'instauration de la "Rooney Rule" en son sein, il convient de mentionner que cette directive est déjà en place pour les postes à la tête de l'entreprise, selon l'un de ses avocats. La firme semble ainsi ne pas s'opposer à la règle en tant que telle, mais à son extension à l'ensemble des postes à pourvoir ce qui mènerait à un "empiètement irréalisable de la capacité de la société à gérer ses affaires dans un marché hautement concurrentiel et en évolution rapide".
Les avocats de la firme ont par ailleurs ajouté que cette proposition violerait les directives de la "Securities and Exchange Commission" (Commission de Sécurité et des Échanges), laquelle promet aux dirigeants d'être libres d'embaucher ou pas un salarié. En appliquant cette règle, les responsables des recrutements d'Activision Blizzard seraient, selon leurs avocats, contraints de recruter les candidats issus de minorités ethniques ou de sexe féminin même si un profil masculin et/ou issu d'une ethnie non minoritaire venait à se présenter dans le même temps.
Mais alors que cette prise de position pourrait être largement controversée, il convient de souligner que ce type de proposition n'est en réalité que rarement adopté de façon stricte selon Brandon Rees, le directeur des investissements de l'American Federation of Labor and Congress of Industrial Organizations. Il s'agit plus d'une volonté des actionnaires d'exercer une pression extérieure afin de pousser une entreprise à revoir sa politique en terme d'embauche, en plus de mettre à jour les règles la régissant, qu'une réelle volonté de s'immiscer dans le rôle décisionnaire de celle-ci.
Les banques suscitées ont par exemple tout récemment élargi les directives déjà existantes au sein de celles-ci afin d'être plus inclusives dans l'embauche de futurs salariés, sans pour autant abandonner complètement le rôle décisionnaire des responsables des entretiens d'embauche.
Ainsi, contrairement à ce que l'on pourrait penser en jetant un bref coup d’œil à cette affaire, Activision Blizzard n'a pas vraiment le "mauvais rôle" et, en extrapolant largement, "ne continuera pas d'embaucher exclusivement des hommes blancs". Non, la réalité c'est que cette proposition devrait avoir quoiqu'il arrive un impact en incitant les décisionnaires de la firme à réviser leur politique d'embauche à l'amiable sans pour autant les contraindre à abandonner leur libre arbitre dans la décision finale d'embaucher ou pas un candidat.
Les responsables de l'entreprise ont d'ailleurs d'ores et déjà communiqué à ce sujet afin de détailler leur opinion, mentionnant notamment que le refus de cette proposition avait pour origine majeure que les mesures proposées ne pouvaient pas être appliquées correctement dans l'ensemble des pays dans lesquels Actvision Blizzard opère. La "résistance" dont les avocats ont fait preuve n'aurait a priori rien à voir avec le fait d'accroître la diversité des profils au sein de l'entreprise et la représentativité de chaque ethnie, genre ou orientation sexuelle dans les jeux vidéo qu'elle propose, mais simplement de la façon de procéder qui était proposée.
Le problème majeur de l'adoption d'une telle règle, de façon stricte ou pas, étant surtout éthique. Bien sûr, l'inclusivité doit être promue au sein des entreprises afin de garantir un accès à l'emploi aux minorités quel que soit leur genre ou leur orientation sexuelle, pourtant doit-on favoriser l'embauche d'un candidat moins qualifié mais issu d'une minorité ethnique plutôt que d'une ethnie non minoritaire a priori plus qualifié si une telle situation venait à se présenter ?
Il s'agit là d'un débat très complexe auquel les entreprises se livrent depuis un certain temps déjà et pour lequel il n'existe pas de bonne ou de mauvaise réponse. Certains penseront que l'embauche doit se justifier "au mérite" selon les qualifications de chacun indépendamment des facteurs externes (ethnie, genre...), d'autres au contraire auront tendance à penser que l'emploi de salariés issus de minorités serait plus favorable même si certains venaient à être moins qualifiés que ce qui est demandé habituellement.
Ce qui est certain, c'est que l'on devrait pas pouvoir refuser un candidat sous prétexte qu'il est en réalité une candidate par exemple (et prouver une telle discrimination n'est pas chose aisée, en particulier à l'embauche). Le tout étant de savoir si recruter cette personne parce qu'il s'agit justement d'une candidate et uniquement pour cette raison est justifié et acceptable.
Dans l'un ou l'autre cas, des controverses naitront quoiqu'il arrive et créeront des tensions. Le plus important, selon nous, étant que chaque entreprise parvienne à établir un code de conduite neutre et impartial qui lui est propre afin de justifier non seulement aux acteurs externes de ses choix, mais aussi et surtout à ses salariés et aux candidats des postes à pourvoir.