C'est une petite musique que ne souhaite pas entendre Jeff Bezos, patron multimilliardaire d'Amazon, et par extension, de Twitch depuis 2015. Avec des chiffres d'audience de plus en plus conséquents — en partie grâce au confinement de plusieurs milliards de personnes dans le monde entier dû à la crise du coronavirus — la plateforme de streaming, aux 1,4 milliards d'heures regardées en juin 2020, a (réussi) à attirer l'appétit des grands labels de musique américains qui souhaitent leur part du gâteau.
Un problème qui ne date pas d'hier
La principale réclamation provient de la prestigieuse Recording Industry Association of America (RIAA), association qui regroupe la plupart des chanteurs, paroliers et labels américains comme Universal, Warner Music Group, Sony et tant d'autres. Après avoir entamé des pourparlers entre les principaux acteurs fin 2018, le géant américain avait décidé d'en claquer la porte début 2020, ce qui a occasionné une vague de de réclamations sur Twitch en juillet dernier, du fait de la loi américaine "Digital Millennium Copyright Act" ou autrement connue sous son acronyme de DMCA. Votée en 1998, elle interdit la distribution et la diffusion de contenus sous droit d'auteur gratuitement, ce qui est le cas de Twitch pour la musique selon les ayants-droits.
En effet, Twitch est la dernière plateforme dite de "non-droit" pour la musique sur Internet. Considéré comme une niche depuis de nombreuses années, elle a su tirer son épingle du jeu durant le confinement et intéresse maintenant les gros poissons. Toutes les autres plateformes, de Snapchat à Facebook, en passant par TikTok, ont signé des accords pour des licences avec ces gros labels afin de s'assurer d'être à l'abri de poursuites judiciaires.
Pour le moment, Amazon fait la sourde oreille, même face à la commission parlementaire où il était sensé s'expliquer. Il a simplement répondu "Je ne sais pas" à la fâcheuse question des DMCA sur Twitch. Elle ne paye, pour l'instant, que les droits d'une centaine de chansons, intégrées au jeu Twitch Sings, qui appartient à la firme.
Un face-à-face qui fait des dégâts collatéraux
Ainsi, courant juin, de multiples streamers se sont vus recevoir un ou plusieurs avertissements de la part de Twitch, pour non-respect des DMCA. Dans lesdits mails, les streamers étaient prévenus qu'au troisième avertissement, leur chaîne serait supprimé. Une surprise pour bon nombre de créateurs de contenus qui se sont fait strike bon nombre d'extraits, notamment les clips, pour quelques secondes de diffusion d'une musique copyrighté. Cerise sur le gâteau, la réclamation est rétroactive, ce qui incrimine également les clips, ces petites vidéos capturées par les utilisateurs pour se rappeler d'un moment drôle et/ou étrange, souvent gardés par le streamer, car les rediffusions sont supprimées au bout d'une soixante de jours.
Mais pourquoi ces streamers se font strike en série pour de petits extraits de musique copyrighté ? La faute à Twitch, qui a laissé planer le doute durant des années et ne sanctionne pas les créateurs de contenus qui utilisent de la musique en tant que bruit de fond, ce que la plupart des gamers font en général. Le streamer de WoW, Asmongold, en a fait les frais puisqu'il s'est pris un avertissement pour un clip daté de... juillet 2019. Dans une interview accordée à CNN, il réagit :
Quelle sortie de crise ?
Malgré une lettre de la RIAA adressé à Jeff Bezos, avec ces mots " Puisque Twitch utilise la musique pour grossir un public et construire sa marque, l'entreprise doit aux créateurs davantage que l'aveuglement volontaire et les déclarations plates que vous offrez", le sujet reste au point mort.
Twitch s'est engagé seulement à faire preuve de pédagogie avec les créateurs de contenus et en supprimant les contenus problématiques. Cependant, cette solution risque bientôt d'atteindre ses limites, surtout si l'affaire prend une ampleur médiatique importante et que les politiques s'en mêlent.
Concernant les solutions pour les créateurs de contenus, certains ont tout simplement arrêté de diffuser de la musique en fond, ce qui enlève une certaine ambiance que la musique offrait. D'autres ont choisi de payer des licences afin de se protéger pour le futur. L'un d'entre eux témoigne :
L'affaire est loin d'être réglée et risque de faire couler beaucoup d'encre, surtout si Amazon reste campé sur ses positions. La sortie de crise n'est pas pour tout de suite, ce qui va obliger les streamers à trouver des solutions temporaires pour le moment.