Une question nous brûlait les lèvres : "Les jeux vidéo de guerre en reflètent-ils vraiment la réalité ?". De ce fait, nous avons demandé à l'armée de Terre son avis concernant les diverses stratégies et mises en situation trouvées dans deux jeux de guerre bien connus de la communauté : Call of Duty Modern Warfare et Battlefield 1 & 5. C'est le colonel Sébastien, qui dirige un laboratoire chargé d'identifier et d'expérimenter les technologies du combat terrestre du futur au sein de l'armée de Terre, qui s'est prêté au jeu en répondant à nos questions.
Pour remettre les choses dans leur contexte, notre enquête principale se focalise sur le mode Campagne de Modern Warfare, qui se revendique comme étant un jeu réaliste concernant les conflits actuels dans le monde. L’univers de fiction, l’Urzikstan, pointe du doigt les guerres terroristes présentes à notre époque. Des Marines ont donné leur avis concernant les protocoles à suivre pour certaines missions, ainsi que le jargon militaire utilisé. La question qui se pose est : “A vos yeux, Modern Warfare reflète-t-il la réalité concernant les protocoles et la situation actuelle des guerres ?”. Un doute subsiste autour de ce jeu concernant un surplus de fiction qui rendrait le jeu moins réaliste qu’il le prétend. Le but ici est de montrer des extraits vidéo du mode Campagne au colonel afin qu'il donne son avis concernant l’attitude des PNJ (personnages contrôlés par une I.A.) selon les situations et jauge le réalisme du gameplay.
Entretien avec le colonel Sebastien sur le réalisme dans les jeux
Nous aimerions connaître votre avis sur l’impact que peuvent avoir les jeux de guerre sur les idées préconçues que se font les joueurs sur la réalité. Il est indéniable de penser que la fiction apportées par les jeux apportent des idées erronées de la guerre et de l’armée auprès des joueurs.
"Par essence, un jeu vidéo est un support de divertissement. Il est louable que les éditeurs ne souhaitent pas faire vivre des situations de combat au grand public, mais s’astreignent plutôt à offrir des expériences de jeu dans des environnements crédibles. De manière générale, la contribution de conseillers historiques ou ayant une expérience opérationnelle (c’est-à-dire au combat réel) le permet. L’injection d’éléments d’ambiance extraits de situations réelles y contribue aussi, et il est sain que dans cet environnement ludique particulier, les éditeurs prennent en compte la nécessité de fixer quelques « règles d’engagement » aux joueurs, avec un vernis de droit des conflits armés et quelques éléments de réflexion éthique. Il y a en effet un risque à imaginer que la représentation du combat offerte par certains jeux – il s’agit de détruire rapidement le plus grand nombre d’adversaires virtuels possibles pour survivre ou gagner – soit conforme aux réalités des opérations réelles.
De manière générale, l’environnement opérationnel réel se caractérise par son incertitude. Les effets de surprise que contiennent les scénarios de nombreux jeux sont en réalité cadrés par des éléments très structurés, qui font de l’univers de jeu un espace clos avec une incertitude limitée pour le joueur.
Avec une vision plus en détail, on peut avoir dans le jeu vidéo une représentation de la fatigue ou du stress, mais le joueur ne se met pas en danger, il cherchera bien plus l’excitation du jeu.
On peut comprendre par le jeu la nécessité qu’il y a de viser avec précision et de bien utiliser le terrain. Mais on bénéficie de moyens d’orientation et de géolocalisation très loin des capacités actuelles, avec une connaissance fine, en temps réel, de sa situation et de celle de ses amis, et un partage de renseignements très loin des réalités ; et tout armement utilisé dans un jeu vidéo est parfaitement réglé !
On peut y côtoyer d’autres combattants avec des notions d’actions collectives, mais il serait illusoire de chercher à représenter la façon dont fonctionne une relation de commandement, ne serait-ce qu’entre un « joueur » et le chef de son groupe de combat.
On peut avoir un objectif à remplir, qui consiste le plus souvent à détruire un certain nombre d’éléments (ennemis à abattre, installations à détruire) sans lesquels le jeu ne fonctionnerait pas. Mais on est très loin de l’exécution d’une mission dans un cadre opérationnel ! On peut, dans un jeu basculer, sans difficulté d’un armement à un autre, avec de fréquents recours au corps à corps, mais qui a appris à maîtriser l’emploi d’un fusil d’assaut, puis d’une arme de poing, puis d’un fusil de précision et enfin d’un lance-roquette sait que quelques clics n’y suffisent pas."
À votre avis, les jeux de guerre du 21ème siècle se rapprochent-ils de ce qu’est la guerre dans la vie réelle ?
"Le jeu vidéo peut s’inspirer de faits réels, mais il ne peut être considéré comme réaliste. Il y a en effet deux façons d’être réaliste :
- Une façon technique, où les équipements, les armements et les effets qu’ils produisent sont des « clones » d’équipements utilisés en service par des militaires. On vise avec ces simulations une formation à l’emploi des armements dans un environnement simulé, afin d’inculquer ou d’entretenir des réflexes nécessaires à la performance au combat, et ce n’est pas ce que vise un jeu tactique.
- Réaliser une simulation de conflit, qui reproduit fidèlement tous les aspects d’une action, dans la durée, dont la préparation des missions, les contraintes de la coordination entre unités et entre échelons de commandement, les temps d’attente entre deux phases d’engagement, la gestion de la fatigue etc. Certains wargames cherchent à modéliser cela, mais ce n’est pas la cible d’un jeu de combat à la première ou à la troisième personne.
Finalement, réaliser un jeu de tir ne signifie donc pas faire vivre l’équivalent d’une séquence de combat, mais offrir une expérience de divertissement, dans un environnement spectaculaire, où l’action de combat peut être comparée à une discipline sportive. L’appellation d’esport convient donc bien à la discipline."
Avez-vous déjà joué à un jeu de guerre entre 2019 et 2020 ? Si oui, pouvez-vous nous dire lesquels et ce que vous en avez pensé.
"À titre privé, je pratique essentiellement le jeu de plateau, mais je teste régulièrement ce qui sort dans le domaine du jeu vidéo, par intérêt personnel pour le monde du jeu.
J’ai joué à This War Of Mine, dont j’ai beaucoup apprécié, à titre personnel, la capacité qu’a le jeu d’inverser totalement la vision classique des situations de guerre, et de faire prendre en compte sans aspects spectaculaires les réalités que vivent les populations civiles.
J’ai aussi passé pas mal de temps sur Steel Division et Steel Division II. Je suis toujours impressionné par la qualité de la représentation graphique des zones de combat et par la richesse des éléments mis en scène, avec notamment les deux niveaux de jeu proposés par Steel Division II. J’ai en revanche un peu de mal à m’adapter à la façon dont sont gérés les déploiements de renforts en cours de partie, parce que cela ne permet pas à mon sens de planifier convenablement ses actions. Mais vu le succès du jeu, cela doit pleinement convenir à un public qui attend une expérience vraiment ludique. Et les parties que j’ai faites me laissent d’excellents souvenirs.
Et pour être honnête, cela fait toujours du bien de passer quelque temps sur World of Tanks !"
Quelle morale pouvez-vous apporter aux joueurs quant à la véracité des événements d’état de guerre et de terrorisme retranscrits dans les jeux vidéo ? N’oubliez pas que certains joueurs sont persuadés que les événements qui se déroulent en jeu sont réels, notamment pour l’utilisation des armes qui se retrouve très simplifiée dans un jeu vidéo.
"En guise de morale, je propose à vos lecteurs de prendre un peu de recul par rapport au jeu. Quel est le but d’un joueur ? Est-ce de se préparer à l’affrontement armé ? De comprendre les spécificités d’un conflit ? Ou de profiter d’expériences de jeu fortes, grâce à des scénarios bien calibrés et dans un environnement immersif ? A mon sens la finalité est de se sentir pour quelques heures immergés dans un univers de fiction, assez proche de ce que le cinéma donne à voir, en ayant l’impression d’être acteur. La classification PEGI permet aux joueurs qui la respectent de pratiquer des jeux à un âge où ils perçoivent que la pratique de Battlefield ou de Modern Warfare ne fait pas d’eux des vétérans ou des experts.
Enfin, et c’est une évidence, dans une zone de combat il n’y a pas de notion de rejouabilité ou de points de vie, et si le monde du jeu sait évoquer le drame du syndrome de stress post traumatique au combat, aucun joueur n’en souffrira jamais.
Cela n’empêche que les joueurs actuels ont très certainement une connaissance théorique des armements en service bien plus fine qu’auparavant. De même les moteurs de jeu représentent des attitudes au combat bien plus conformes à ce qui se pratique dans les zones de conflit. Ils rejoignent en cela le monde du cinéma, qui a beaucoup évolué depuis une trentaine d’années.
Pour conclure, je suis convaincu qu’un jeu vidéo, s’il était réaliste au sens plénier du terme, ne rencontrerait que peu de succès auprès des joueurs."
La résultante de cette enquête est qu'en effet, les jeux vidéo ont énormément évolué afin de produire du contenu plus réaliste qu'auparavant. Mais il est indéniable qu'un jeu ne peut se dire totalement réaliste, car il est bien entendu impossible de réaliser un jeu qui pourrait faire ressentir toutes les émotions et toutes les contraintes de la guerre. Le côté historique serait bien maintenu, mais le plaisir de jeu serait sans doute aux abonnés absents.
Nous souhaitons remercier l'Armée de Terre pour le temps qu'ils ont pris à répondre à nos questions. D'autres sites, comme Gamology, ont aussi fait la même expérience que nous : demander l'avis à des experts pour étudier le réalisme dans les jeux de guerre. Il nous semblait pertinent, de notre côté, de prendre l'avis de l'armée française concernant les jeux de guerre populaires comme Battlefield et Modern Warfare, pour ne citer qu'eux.