Nous sommes le 18 avril 2020. Un soleil plein, chaleureux, et de douces températures caressent la France. On en profite. Sorties dans les parcs, verres en terrasse de cafés ou de jardins, foot entre potes, ranked contre des cheaters pour les plus hardcores des joueurs de Rainbow Six : tout va bien. Pas de traces d’un quelconque confinement puisque, dans notre histoire, celui-ci n’a jamais eu lieu.
En ce jour de printemps plutôt banal, dans l’attente de retrouver la planète R6:S au Brésil pour les onzièmes finales de l’histoire de la Pro League, certains se calent dès le début d’après-midi devant un match de 6 Open Cup. Une belle mise en bouche, alors que l’odeur de barbecue nous caresse déjà les narines, avant le dernier sprint des APAC Finals le soir même.
Bien que le niveau de jeu n’y soit pas forcément des plus relevés, ce tournoi est une étape essentielle du circuit pro. Puisqu’il sert à déterminer les deux meilleures élèves de l’Asie et du Pacifique qui s’envolent par la suite pour les grandes finales mondiales.
Finalement, très peu sont les fidèles rassemblés, aux alentours des deux heures du matin, devant le spectacle qui se déroule à Sydney, en Australie. Il faut dire que sans se scotcher les paupières sur le front, difficile est la tâche de rester éveiller jusqu’à l’heure du brunch, le lendemain. Et puis : un check rapide sur les réseaux sociaux ou sur Liquipedia dès le réveil est tout aussi efficace, lorsqu’on souhaite simplement connaître les deux qualifiés que seront finalement Cyclops et QConfirm.
Si les Japonais, qui comptent une participation au Six Major de Raleigh, ont bataillé fermement sur leur chemin contre Giants Gaming pour s’offrir une place sur un vol LATAM Airlines, les Thaïlandais de QConfirm, eux, ont étonné tout le monde en mettant dans leur poche une équipe de Fnatic pas encore remise du départ de Virtue. Cyclops et QConfirm seront donc les deux envoyés de l’APAC pour rejoindre le reste des futurs participants - Rogue, G2 Esports, SpaceStation, Team SoloMid, Team Liquid et NiP - qui s’organisent eux aussi, entre bootcamps, visas et autres préparatifs, pour l’événement tant attendu.
À quelques semaines du coup d’envoi de la dernière édition de Pro League organisée par l’ESL, alors qu’Ubisoft pose déjà les bases de la régionalisation de son circuit, la traditionnelle fenêtre de mercato bat son plein. Et quelques surprises viennent pimenter la période creuse de pré-LAN. À commencer par la Team SoloMid qui, bluffée par l’arrivée tonitruante d’Alphama aux États-Unis, décide de casser la tirelire et d’acheter le jeune français d’eUnited. Pojoman repasse coach, et assiste alors - comme tout le monde sur les réseaux sociaux - à la confirmation d’une vieille rumeur qui traînait des pieds jusque-là : BriD quitte Vitality pour être annoncé quelque jours plus tard du côté de Rogue, à la place de Korey. Consternation, puis excitation. Certes, Vitality, l’organisation fétiche des Français sur Rainbow Six, perd un brillant élément. Mais Rogue - accompagné de tous ses concurrents - s’envole vers le pays de la Cachaça avec l’un des meilleurs joueurs français ajouté à son effectif. Ce qu’on appelle plus communément : une excellente opération.
À quelques heures du premier « Laaadies and Gentlemeeen ! » reconnaissable parmi tant d’autres de Matt Andrews, l’Auditorium Anhembi est en feu. Dans la lignée des finales de Rio de Janeiro, ou encore celles de… São Paulo, cinq saisons auparavant, le public brésilien est déchaîné. Prêt à choper une dysphonie pour appuyer les deux équipes locales : Team Liquid et Ninjas in Pyjamas.
Face à autant de rage et de passion, vient alors le moment émotion. Une véritable scène de contraste. Ce bon vieux Matt commence à prodiguer un hommage à l’organisateur de tournois qui l’a embauché durant 11 saisons, pour transmettre, micro en main, de la hype lors des plus grands tournois de la discipline. Forcément, le bonhomme - avec ses allures d’oncle qui a toujours su trouver les bons mots lors des repas de famille - va nous manquer. Il fait partie des meubles. Comme l’ESL et ses talents quant à la production visuelle réalisée lors des journées en online.
Perdre l’Electronic Sport League, c’est perdre des inversions entre le nom d’une map et celle affichée à l’écran avant un match, c’est ne plus voir deux joueurs porter le même nom et le même prénom dans une équipe, ne plus disposer de stats complètement erronées… Rien ne sera jamais plus pareil. Mais, ainsi soit-il… Il faut savoir s’adapter.
Ce que NiP va d’ailleurs faire à merveille, lors du match d’ouverture des finales, face à Cyclops. Pas de problèmes de visas, cette fois, pour Julio et sa bande. Devant un public acquis à sa cause, la troupe auriverde obtient une victoire nette et sans bavure qui les propulse déjà en demie. En ce samedi de mai, alors que les grandes vacances se profilent, SSG et G2 sont les suivants. Sur scène, le vainqueur du dernier Six Invitational 2020, face à l’ancienne meilleure équipe du Monde, en pleine restructuration. G2 joue avec ses armes. Pengu clutch comme jamais, quand Kanto ne parvient pas à réaliser des enchaînements d’éliminations spectaculaires. Mais le manque de rodage entre CTZN, Virtue et le reste de l’équipe se fait sentir. Les Américains de SpaceStation Gaming, eux, surfent sur la même dynamique qu’au Six et en Pro League NA. Ils l’emportent finalement collectivement.
Décalage horaire oblige, il est 20h en France. À peine le temps de s’enfiler des merguez ou des steaks végétaux cuits sur le gril, que l’autre côté de l’arbre reprend. Un autre gros choc a lieu : Team Liquid, contre Team SoloMid. Nesk et Paluh versus Merc et Beaulo. Les kills s’enchaînent, le match prend une tournure bizarre. Liquid remporte ez-ément la première carte (7-2), mais s’effondre sur la suivante (1-7). La troisième map s’annonce anthologique. Poussé par son peuple et les cris en V.O des présentateurs locaux, c’est finalement la Team Liquid qui l’emporte.
La nuit tombe alors. Rogue s’apprête à jouer le dernier match de la journée face à QConfirm. L’équipe franco-allemande a beau avoir des doutes - ses deux dernières participations à des finales de Pro league se sont clôturées par deux first round -, l’ennemi a beau être une équipe quasiment inconnue, venue de l’APAC (syndrome Giants), la pression n’est pas là. Après tout, il s’agit de la dernière phase finale de Pro League, et le groupe a décidé de se la jouer cool, relax. Résultat : une victoire 2 maps à 0 sans accroc. Clap de fin de soirée, tout le monde au lit.
Le lendemain, les demi-finales s’annoncent épiques. Nous sommes au Brésil et les deux équipes du pays sont encore en lice. NiP s’avance face à SSG. Un air de déjà vu, puisque cette affiche n’est ni plus ni moins que celle de la finale du dernier SI. À Montréal, les Ninjas partaient avec une map de retard puisqu’ils étaient passés par la case lower bracket. Ce qui n’est pas le cas à São Paulo. Muzi est déchaîné et termine la rencontre en héros. Il vient d’offrir à ses fans une place en finale de l’ultime édition de Rainbow Six Pro League.
Vient alors l’autre demie, mêlant la Team Liquid et Rogue. Les Brésiliens se mettent à rêver d’une finale 100% nationale, priant tous les Saints possibles pour une victoire des Liquid. Mais il n’en sera rien, puisque Rogue, une fois de plus, évolue de manière totalement décomplexée et s’impose avec un Aceez des grands jours. La finale est connue, ce sera NiP contre Rogue.
L’aprème touche à sa fin, la présentation de la prochaine opération du jeu bat son plein. Le traditionnel panel des développeurs nous renseigne sur les nouveaux opérateurs sud-africains et danois qui vont être intégrés à la liste des agents, alors que sont également dévoilées des images du rework de House et des bribes des futurs ajouts du Battle Pass. Le tchat Twitch, lui, est en feu : « ouais c’est bien beau tout ça, mais nous on en a marre des cheaters ! ». Les TOs pleuvent.
Ce qui nous intéresse se trouve pourtant ailleurs. Dans les coulisses, où NiP et Rogue profitent de leurs derniers instants d’accalmie. Dans quelques minutes, ils seront sur scène, devant des milliers de spectateurs, à se disputer le sacre. En preview de cette grande finale, l’analyse desk évoque les similitudes entre ces finales de Pro League, et celles de la saison 6. À l’époque, deux équipes brésiliennes avaient atteint les demies de la LAN disputée à São Paulo. À l’époque, ENCE, tout comme Rogue maintenant, sortait de deux éliminations au premier tour. Et, toujours à l’époque, Julio, Kamikaze et Psycho avaient atteint ce stade de la compétition avant d’échouer dans les derniers mètres. Voilà trois signes qui filent très rapidement les pétoches aux aficionados brésiliens réunis dans la salle, comme s’il s’agissait d’une grande messe où l’on conjure le mauvais sort.
On le sait : jouer devant ses spectateurs peut avoir un effet à double tranchant. Au lieu d’un boost de confiance, la pression qui repose sur les épaules des NiP agit comme un facteur négatif. Ils se battent fermement, mais Rogue a beaucoup moins à perdre et déroule avec un jeu totalement débridé. La vision de jeu de Hicks, combinée aux shotcalls de BriD, le tout traduit par le skill de risze, Aceez et ripz, impressionne. Les équipes se répondent avec une haute intensité, les maps sont spectaculaires, et tout vient à se jouer sur une prolongation.
Du côté du cast, Scok et Furious vivent l’un des instants les plus stressants de leur vie, tout comme les milliers de francophones réunis sur le stream de Rainbow Six en France. Dernier round : grâce à un spawn kill plein d’audace, Aceez ouvre le bal de ce qui deviendra un moment d’Histoire. Un par un, les NiP tombent, sous les larmes de Meli et de tout le peuple brésilien. Quand, dans l’autre sens, les présentateurs français ne peuvent plus contenir l’émotion dans leur voix. « Mesdames, mesdemoiselles, messieurs, Rogue va devenir champion de Pro League ! La France va de nouveau être sacrée ! », peut-on entendre. « Et c’est fait ! Hicks prend le dernier kill et nous offre la Pro League ! » entend-on alors, la joie directement propulsée dans nos corps en intraveineuse.
Après tant d’échecs, de mèmes et de critiques, les Rogue vont au bout, assument leurs statuts de patrons et marquent l’histoire à tout jamais, en devenant les derniers vainqueurs de la Pro League. L’équipe rentre en Europe en héros, trophée en main. Une énorme fierté, alors que Rainbow Six est à quelques mois de voir son circuit totalement remodelé. Mais surtout : une superbe aventure humaine extraordinaire, preuve de la beauté que l’esport peut apporter, et qui ne sera jamais oubliée. Parce que dans le fonds, c’est avant tout ce qu’on espérait de cette dernière finale de Pro League.
Ceci est une fiction, totalement imaginée par son auteur.
Crédits photos : Rainbow Six Esports Brasil