Commençons par un sujet qui préoccupe les joueurs de Rainbow Six : les problèmes de cheats.
Leroy Athanassoff : C’est une guerre qui est continue. On continue d’investir, on a des spécialistes qui travaillent avec nous. En fait, on est passé dans une phase où on n’attend plus d’avoir les cheats pour réagir, pour les bannir. On a plutôt des gens qui viennent et qui testent nos systèmes, qui essaient d’en créer chez nous, depuis l’intérieur, pour anticiper nos failles.
Le deuxième truc qui est hyper important, notamment pour tout ce qui s’est passé du côté des DDos, c’est qu’on est aussi passé à la vitesse supérieure sur un plan juridique. On met en place des procédures dissuasives pour montrer qu’on est sérieux et qu’on va aller jusqu’au bout. Ça a de l’impact, parce qu’il suffit qu’on lance un procès contre un site, pour qu’il y en ait trois autres à côté qui flippent et qui arrêtent.
Disons que le cheat est un problème sur lequel vous ne pouvez pas avoir la main à 100% certes, mais il y a le MMR Roll Back - le système de remise des points après avoir rencontré un cheater, totalement mis en place par vos soins pour le coup - qui pose actuellement problème auprès des joueurs.
L.A : On a clairement conscience que c’est une expérience hyper frustrante, et surtout pas très compréhensible. Aujourd’hui, un de nos enjeux c’est d’essayer de donner à cette expérience-là - se connecter et voir que t’as perdu des points sans comprendre - davantage de marqueurs, davantage de notifications, pour que tu comprennes ce qu’il s’est passé, étape par étape. Plutôt que de se connecter et de voir qu’une vieille game d’il y a six mois t’as fait perdre 100 points de MMR.
Il y a quelque chose qui m’a toujours interpellé : pourquoi Rainbow Six est l’un des seuls FPS compétitifs où il n’y a pas de mode Team Deathmatch, alors que l’on sait que ça permettrait aux joueurs de s’exercer sur d’autres joueurs, plutôt que face aux bots proposés en Chasse aux Terroristes ?
L.A : Je ne sais pas si on aura un mode de ce genre. Par contre, ce qui est sûr, c’est que ça fait un moment qu’on enregistre le besoin d’avoir un moyen de se chauffer rapidement, de rentrer plus vite dans le jeu et d’échauffer son AIM. C’est clairement dans nos projets, dans les deux années à venir, de mettre en place des modes ou des systèmes comme ça pour aider. Pas seulement pour les joueurs compétitifs, mais aussi pour les joueurs qui veulent se chauffer avant une ranked, qui n’ont pas forcément envie de lancer une Terro Hunt, ou de lancer une Casual et d’aller un peu abimer l’expérience des autres joueurs. Donc ouais, ça, c’est typiquement le genre de feature sur laquelle on veut investir et sur laquelle on va placer certaines priorités.
Un CS:GO ou un Call Of Duty permettent sur certains modes à respawn de s’exercer à éliminer des adversaires ou se faire éliminer et comprendre pourquoi on s’y prend mal. Ce n'est pas le cas sur R6:S. Les choses sur lesquels vous travaillez pourront changer ça ?
L.A : Ça aidera à aller vers ce sentiment. Ce ne sera pas forcément un mode Deathmatch avec du respawn, mais ce sera en tout cas un moment où tu pourras entrer plus facilement dans le jeu, plus rapidement, sans frictions et en pouvant t’exercer.
Parlons stuff : sur un jeu comme Counter-Strike, qui partage avec Rainbow Six l’utilisation d’utilitaires comme les explosifs, les grenades aveuglantes ou les fumigènes, il est possible de s’entraîner sur des serveurs privés et trouver un lancer parfait. Est-ce une option que vous envisagez d’apporter à votre titre ?
L.A : C’est aussi quelque chose sur laquelle on va investir sur les deux prochaines années. C’est marrant parce que nous on a déjà ça côté développeur, et ça nous frappe à chaque fois que les joueurs pros viennent au studio : on a un ensemble de commandes pour tester plein de choses, comme les grenades infinies, le respawn ou voler à travers la map, et à chaque fois on voit des étoiles dans leurs yeux. On nous demande « mais pourquoi vous ne réalisez pas ça en partie personnalisée ? On pourrait faire des meilleures vidéos, réaliser des meilleurs tactiques, apprendre à lancer un C4 parfaitement… ». C’est typiquement le genre de feature qu’on ne pouvait jamais faire avant, mais qu’on va pouvoir commencer à faire avec le nouveau programme.
Peut-on savoir pourquoi ce n’était pas faisable avant ?
L.A : C’est juste du temps et du développement. Tu sais, à un moment donné si je te dis « est-ce que tu préfères un nouvel opérateur ou une command line pour avoir des cheat codes en partie perso ? » c’est pas forcément évident. Tu vois bien la valeur que ça revêt pour un certain type de la population, mais grosso modo les gens préfèrent avoir des opérateurs. Après je pense qu’aujourd’hui on a atteint la maturité et un niveau de complétion dans le jeu, où justement quand on commence à parler de feature comme ça, de replays, de map veto, les gens se disent : « OK, maintenant je suis prêt à sacrifier un opérateur pour avoir ce genre de contenu là ».
C’est un jeu d’équilibriste, entre faire plaisir à la fois à la communauté compétitive et celle plutôt casual…
L.A : Exactement !
Rendre plus lisible le mode spectateur est sûrement l’un des plus gros défis pour que Rainbow Six s’installe un jour dans le tier un de l’esport. Aujourd’hui on rate assez souvent des actions importantes, des kills, on ne comprend pas toujours ce qu’il se passe à l’écran. Comment comptez-vous améliorer cet aspect ?
L.A : Ça, c’est une amélioration qui est continue, pour le coup. C’est-à-dire qu’on n’arrête pas d’investir dessus. On a une cellule qu’on appelle l’équipe Watch qui est dédiée à ça. Typiquement, sur ce Six Invitational on a refait toute la UI de la caméra spectatrice. Ça va passer aussi par la mise en place de règles d’observation, pour améliorer les décisions prises par l’observateur (N.D.L.R celui qui gère les caméras du jeu pendant un match) lors des points de vue, des transitions qui ne sont aujourd’hui pas super…
C’est vraiment un truc sur lequel on continuera de travailler en permanence. Et tu verras qu’à chaque fois que tu viendras à une finale d’un événement, ça ira de mieux en mieux. Parce qu’on est complètement d’accord avec toi sur le fait que ce qui peut t’emmener dans le tier un, c’est le fait que n’importe qui, même quelqu’un qui ne joue pas, il peut regarder et se sentir d’un coup emmené dans le jeu. Et même si on s’est vachement amélioré, on est d’accord qu’on en est pas encore là.
Il n’est pas possible d’avoir recours à une intelligence informatique en guise de soutien, à l’image du mode observateur de CS:GO qui peut suivre une partie en mode automatique et ne rater aucun kill ?
L.A : Siege est vraiment un jeu avec une nature différente. Dans CS, je vois bien comment tu peux anticiper le fait que deux personnes vont forcément se voir, et donc un fight. Alors que Rainbow Six est un jeu qui est extrêmement vertical, avec aussi le principe de destructibilité. D’un point de vue algorithmique, essayer de créer une usine à gaz qui va anticiper tout ça, honnêtement je n’y crois pas trop. C’est un énorme investissement et je pense qu’on a déjà beaucoup de choses à faire avant d’arriver à ce niveau-là. Typiquement, être capable d’enregistrer tous les points de vue et du coup d’être capable de rejouer le kill qu’on a raté, me parait beaucoup plus intéressant.
On sait de nos précédentes rencontres que tu es un passionné de DotA 2, un MOBA qui tire une grande force de la récolte et du traitement des statistiques. Est-ce que Rainbow Six rendra un jour possible l’apparition d’un HLTV-like ? Permettra-t-il aux joueurs d’avoir une mine de données sur leur performance à la fin d’une partie ?
L.A : On sait bien qu’on est pas hyper forts là-dessus. On veut se développer, donner beaucoup plus d’informations, de stats et de tracking sur ta performance à la fin d’une partie. Mais pas que : le rêve derrière aussi, ce serait de développer une API qui permettrait à des sites tiers de pouvoir récupérer ces infos.
Ce qu’il faut savoir c’est qu’au moment où tu fais ton jeu et ton système de stats, t’as une idée de ce que tu penses être la compétition. Et en fait Siege est un jeu qui a vachement évolué, et aujourd’hui je pense qu’il y a des choses qui sont beaucoup plus intéressantes à traquer que seulement le kill/death ratio. Comme par exemple ton nombre de bandit-tricks, ton nombre de poses de diffuseur, l’utilisation de ton stuff…. Aujourd’hui c’est un gros chantier à mettre en place, mais c’est vraiment quelque chose sur laquelle on veut investir.
Est-ce qu’à l’avenir on pourrait être récompensé d’avoir pris une information au drone juste avant qu’une élimination soit prise grâce à ce même droning ?
L.A : C’est ce qu’on appelle un assist, où en fait tu as participé à la prise du kill, car à un instant t le joueur adverse était dans le vue de ton drone. Ouais, c’est complètement ce genre de choses là qui aujourd’hui ne sont pas assez mises en avant. Et du coup tu as du mal, en tant que spectateur, à percevoir la qualité d’un joueur, parce que tu vas regarder d’abord les kills. C’est marrant parce que j’en parlais justement avec quelqu’un juste avant : depuis qu’on a rajouté la récolte statistique des poses de diffuseur pour l’afficher à l’écran quand c’est en cours, on s’est rendu compte qu’en fait il n’y avait pas tant de poses que ça. Ce qui pouvait empêcher de considérer parfois un Goga qui excelle dans cet exercice à sa juste valeur, par exemple.
Vous avez récemment introduit le Battlepass dans le jeu. Quel type de contenu sera dessus ? On sera toujours sur du neuf en fonction des événements qui sortiront, ou alors on pourra retrouver des reliques comme le fameux skin Black Ice ?
L.A : Ce qui est hyper important pour nous avec le Batllepass, ce sont deux choses. Un : c’est une option, on ne veut pas que ça impacte le gameplay. Si tu as envie de le prendre, tu le prends, et tu vas être gâté en cosmétiques. Deux : la valeur. On veut qu’au moment où tu l’achètes, la valeur que tu attends de récupérer soit « over the top ». Donc c’est une bonne idée. On sait qu’il y a des gens qui sont très demandeurs de certains skins qu’on a mis par le passé et qui ont de la valeur à leurs yeux. Pour nous, ce qui est important, c’est vraiment d’apporter de la valeur aux joueurs, donc pourquoi pas.
Toujours dans le thème des cosmétiques : un de vos concurrents, Call of Duty, propose beaucoup de petites missions en jeu pour débloquer tout un tas d’items. Cela apporte un côté addictif au jeu, avec l’impression d’avoir toujours quelque chose à faire, ce qui n’est pas forcément le cas avec Rainbow Six…
L.A : C’est vrai qu’aujourd’hui nous n’avons pas vraiment de système de progression sur Rainbow Six. Le seul qu’on a est la Ranked, mais c’est vraiment une progression qui est intrinsèque, du genre : « est-ce que je m’améliore ou pas ? Est-ce que je vais chercher le diamant ? ». Mais si tu fais une partie rapide ou un truc comme ça, quel autre intérêt que de s’améliorer ou mieux connaître une map ? Le jeu manque un peu d’étapes ou à terme tu débloques des choses. Le Battlepass va dans ce sens, mais je pense que ce n’est largement pas suffisant.
Ça fait un moment qu’on a ça en tête et on va essayer de le pousser dans notre programme de deux ans. Avoir un petit système de progression en se disant : « OK, je vais sortir de cette game là et je vais récupérer quelque chose. Je vais devoir jouer Ash, d’habitude je ne la joue pas, mais si là je fais une game avec elle, je vais pouvoir récupérer une petite icône, un petit charm ». C’est cool, ça te force aussi à découvrir le jeu. Tu es tout seul, tes amis ne sont pas connectés, mais t’as quand même une activité à faire qui te rapporte quelque chose.
Un des présentateurs officiels de la compétition (Parker Mackay) a soulevé une idée intéressante : raccourcir le temps des rounds pour rendre les rencontres plus dynamiques, en enlevant par exemple la phase de 6th pick, ou en accélérant la vitesse à laquelle les agents installent les murs renforcés. Qu’en penses-tu ?
L.A : Il y a des choses qui sont extrêmement intéressantes dans ce qu’il propose, mais je ne suis pas tout à fait d’accord avec lui. Je pense que la phase de préparation est passionnante dans le jeu. C’est juste qu’aujourd’hui elle est sous-exploitée et les joueurs manquent d’outils pour pouvoir l’influencer. Comme le ping 2.0 qu’on intègre cette année. On donne aux attaquants des activités en plus à faire pour ne pas qu’ils se disent : « là j’ai rien à faire, donc je ramène mon drone au spawn et j’attends 45 secondes ».
Tu es au quotidien en contact avec le développement de Rainbow Six. Quels sont les plus gros chantiers à aborder sur les prochaines années selon toi ?
L.A : Les gros chantiers qu’on va avoir, si on récapitule un peu, c’est : retravailler en profondeur nos opérateurs qui ne sont pas meta, développer tout ce qui va impacter la vie des joueurs et de la communauté, comme le map veto, le système de drone, le replay… De développer comme ça plus de features qui ne sont pas uniquement orientés sur les agents et l’observation, mais vraiment sur la qualité de vie et l’expérience du jeu. Retravailler la ranked, combattre le cheat… Investir sur l’expérience qui impacte tout le monde.
Crédits photo : Ubisoft